Antoine Bello : falsifier le réel, c’est passionnant !

THRILLER ABSOLU !

C’est en tout cas le thème de ce livre qui m’a enflammée !
Sliv, jeune homme très doué est engagé dans une grosse boîte d’études qui s’avère être une organisation secrète internationale, le Consortium de Falsification du Réel ou CFR. Les motivations comme les dirigeants ne sont connus de personne mais l’organisation est une pieuvre dont les agents sont infiltrés dans le monde entier et peuvent accéder à n’importe quelles archives pour trafiquer l’histoire.
Ce qui est passionnant dans cette histoire, c’est que les scénarios pris en exemple nous plongent dans des domaines extrêmement variés et documentés. Les détails sont soignés et la narration fouillée.
Au long de ces presque 600 pages dévorées fiévreusement, notre héros se frotte à de drôles de personnages pas vraiment recommandables, son sens moral est mis à l’épreuve de façon très cruelle et quant à ses sentiments, amour, amitié mais aussi estime de soi, ce n’est pas toujours le nirvana.
Je ne connais rien d’Antoine Bello, il a écrit d’autres bouquins que je vais m’empresser de me procurer, mais je suis prête à lui baiser les pieds — qu’il aura pris soin de bien récurer dans un institut spécialisé — pour qu’il continue à me donner autant de  plaisir. Et ce n’est pas cher payé ! Et si ça se trouve il est beau !

Antoine Bello. Les falsificateurs. 2007 chez Gallimard. 588 pages chez folio

Texte © dominiquecozette

Salinger, l’attrape-coeur piège à filles.

Elevée par une mère exubérante et avide de gloire  pour elle ou ses filles, Joyce Maynard s’exprime bien très tôt et écrit beaucoup. Elle est publiée à 18 ans, en 72, dans le New York Times Magazine, pur son long article sur la jeunesse des années 60. Immense succès, énorme courrier. Parmi les lettres, une de J.D. Salinger à laquelle, flattée, elle répond. Une correspondance serrée s’initie entre cet homme de 53 ans — qu’elle n’a pas lu —  et elle, timide, effacée, sans ami(e)s ni amoureux.
Joyce souffre de divers complexes dont celui d’avoir un père alcoolique, des problèmes d’alimentation  et une inadaptation sociale. Après que des liens épistolaires solides se soient instaurés, elle passe un week-end chez lui, dans sa retraite. Il faut savoir que cet écrivain, misanthrope total,  vit en ermite. Elle tombe amoureuse. Elle est vierge et, malgré le désir,  son corps refuse l’amour. Quelques mois plus tard, elle  s’installe dans cette campagne isolée, chez cet homme sociophobe, austère, dominateur, intolérant. Parfois, son fils de 12 ans et sa fille de 16 viennent pour la journée. Lui passe de très longues heures à méditer, à écrire et à travailler sur l’homéopathie. Il soigne ses voisins et ses enfants,  cherche un remède pour le problème sexuel de Joyce — qu’un autre saura résoudre par un minimum d’attention — qu’il contraint, par le fait, à des fellations.
Elle est totalement sous influence, elle fait tout ce qu’il faut, croit-elle, pour qu’il l’aime. Elle partage son régime drastique, graines de tournesol et courges,  un peu de pain spécial. Il lui apprend à vomir quand, par hasard, ils absorbent les aliments « défendus » chez de rares hôtes. Il tente de lui faire passer ses rêves de célébrité, son intérêt  pour les rencontres intéressantes, son désir de vivre à New-York. Pourtant, grâce à son article, on lui offre une place en or dans le prestigieux magazine, mais elle y renoncera pour rester avec lui. De même qu’elle  renonce à tout ce qui fait les petites joies de la vie, ses goûts, ses loisir. Puis, un jour, elle sera congédiée de façon brutale et grossière, sans préavis ni explication.
Il faudra qu’elle apprenne à vivre avec cette blessure et cet amour qu’elle croit inguérissable. Elle y arrivera et aura même la force, bien plus tard, de retourner voir cet homme pour lui dire ce qu’elle pense. Elle verra avec étonnement une autre jeune femme otage de cet homme devenu un vieillard. Elle apprendra aussi qu’elles ne furent pas les seules à vivre avec lui. Sa dernière illusion, celle de s’être crue unique, tombe alors.
Lorsqu’elle  retrouve, lors d’un déménagement, les nombreuses lettres de Salinger, elle les vend à un collectionneur sans même les relire.
Ce n’est qu’après la quarantaine qu’elle décide d’écrire ce livre,  brisant le sacro-saint  silence de Salinger sur sa vie. En fait, elle y raconte son enfance, mais aussi sa vie d’après, sa solitude, son mariage, ses enfants, ses séparations, sa survie. Et c’est passionnant.
Passionnant parce qu’on y voit l’american way of life dans ce qu’elle a de plus légendaire, la vie des campus avec la libération de la jeunesse, mais aussi l’implacable processus de domination d’une personne sur une autre pour en faire sa victime non pas consentante, mais totalement sous influence.
Elle est écrivain et journaliste, comme elle l’avait rêvé enfant. L’un de ses livres  a été adapté au cinéma par Gus van Sandt, avec Nicole Kidman et Matt Dillon « to die for » (prête à tout) dans lequel elle joue un petit rôle.

Joyce Maynard. « Et devant moi, le monde ». 2011.  Ed. Philippe Rey. (1998 pour l’original « at home in the world : a memoir ».)

Texte © dominiquecozette

La vie si mooch de Dan Fante

Mooch est le titre original du bouquin de Dan Fante, « la tête hors de l’eau », qui nous conte ici l’exténuante épopée de Bruno Dante — le double officiel de l’écrivain — en proie à deux irrésistibles démons : l’alcool et le sexe-avec-Jimmi, Jimmi étant la nana la plus bandante du monde et de tous les temps et à laquelle, bien qu’elle soit une sale pute junkie et même pas amoureuse – il est impossible de résister.
Voilà donc Bruno, abstinent depuis quatre mois, qui se retient de se bourrer la gueule après avoir été viré de son sale job de vendeur d’aspirateurs. Sauvé par un gentil des Alcooliques Anonymes, il poursuit sa rehab en 21 étapes en télévendant des toners. Très doué. Il se refait vite, il va s’en sortir mais ah, merde ! il y a cette damnée call-girl qui le rend dingue. Dès lors, nous nous mettons avec lui, derrière lui, lui crions : attention Bruno ! Non, fais pas ça !!! Brunooooooo !!! Mais c’est sa croix, c’est son histoire. Il va s’enquiller toutes les conneries qui se présentent pourvu qu’il assouvisse ce vieux désir charnel de posséder cette salope qui ne veut pas de lui. Juste son fric. Et alors, trois verres, une bouteille pour oublier qu’elle est partie, ou qu’elle est revenue, ou qu’elle est enceinte, ou qu’elle suce quelqu’un d’autre, ou qu’elle fait la fête avec ses potes et du crack, ou quoi encore ? Et la ruine, la honte, viré comme un malpropre, dégueulant partout, suppliant, faisant n’importe quoi… Et puis repartant, clean, promettant… L’enfer.
C’est l’Amérique des Fante, Dan c’est l’un des fils du grand John. C’est les motels pourris, la vue sur Venice Beach, les boutanches cachées dans des sacs en kraft, les bagnoles qui pètent sous le soleil de plomb, les pépées pathétiques et sublimes qui fouillent dans ton ben à la recherche de ton fric et de ton zob, les clopes bogartées au son du cliquetis de l’Underwood, le sang qui gicle sous n’importe quel prétexte, les faux amis qui te niquent et l’amour qui te nargue tel un mirage dans le désert de la mort.
L’exergue, déjà, donne le ton : « ce livre est dédié à mon frère aîné, Nicholas Joseph Fante, 1942-1997. Mort d’alcoolisme. Ecrasé comme un chien dans la rue. »

Ce bouquin me donne envie de lire ses autres et surtout de relire tout son père, car d’un seul coup, Bandini me manque terriblement. Arturo Bandini, le double de John Fante.
Dan Fante. « La tête hors de l’eau ». 1988. Paru en 2001 chez Christian Bourgois.
Pour en savoir plus sur les Fante, relire l’excellent article d’Emeline Ancel-Pirouelle sur l’excellent blog de Pierre-Arnaud Gillet qui est un fan absolu. C’est ici.

Texte et dessins © dominiquecozette

La dernière balade de Billy, par William Burroughs Junior (73)

Le fiston du big Bill eut une vie brève hélas :  il clamse à 33 ans, le foie explosé par l’alcool, en 81. En fait non. Il avait bénéficié d’une transplantation quelques temps avant mais comme il continuait à picoler et surtout, qu’il arrêta ses médocs anti-rejet, ce fut vite plié.

Il se raconte dans ce bouquin, avec un style cash, désabusé, loin des romans « ateliers d’écriture terriblement efficaces d’aujourd’hui », on dirait un vieux qui te met en joue avec ses vérités alors qu’il n’a que 28 ans. Je le laisse parler de la fameuse scène qu’on connaît bien :

« A propos, qui suis-je ? Certains aimeraient peut-être en savoir un peu plus sur moi-même et ma famille. On me permettra donc une petite digression.
Son, lumière et brouhaha. Comme je vous le dis, docteur. Né le 21 juillet 1947 à Conroe, au Texas, à 4 heures 10 minutes du matin, sans qu’on m’ait demandé mon avis.
Ma mère était sans doute une femme extraordinaire. Durant mon existence fœtale, la quantité de benzédrine qu’elle consommait tous les jours aurait suffi à tuer Lester Madox du premier coup, tandis que Big Bill, mon père, ne voulant pas être en reste, carburait dans son style contemplato-végétatif à trois piquouses d’héro par jour. […]
Un soir de fiesta, où tout le monde était rond ou défoncé, maman a voulu jouer les Guillaume Tell. Elle s’est posé sur le crâne une pomme, un abricot, une grappe de raisin ou peut-être son fils et a défié mon père de tirer. Bill, pourtant très bon tireur, a brillamment raté son coup. Homicide involontaire. »

Bill junior a été confié à ses grands-parents paternels, dans le Missouri puis à Palm Beach en Floride, tandis que le père écrivait et continuait de se dissoudre dans la dope avec ses potes au Maroc. A 14 ans, le petit les rejoint mais l’éducation qu’il y reçoit est d’un drôle de style. Le style Tanger, quoi. Bref, il va commencer très jeune à se défoncer. De retour aux Etats-Unis, il est menacé de prison et d’une forte amende que mamie ne peut pas payer. William débarque et fait l’énorme effort de présenter beau, cravate, propre, pas craignos. Le fils sera autorisé à se désintoxiquer dans le centre-prison créé pour les anormaux, tordus, déviants de l’US society. C’est là le gros morceau du bouquin. On y apprend des tas de choses sur la dope, mais on y voit aussi ce jeune homme faire de son mieux pour s’en tirer. Il ne se plaint jamais d’ailleurs. Après un passage dans le centre de Miami, il va se rééduquer en Alaska, à la pêche crabes, dans des conditions plutôt épouvantables. Le drôle est sa compassion pour les poissons coincés dans les mailles du filet et sa pitié pour des crabes. Good guy.
Puis il revient à la vie normale — après une nuit de murge sanglante — c’est à dire qu’il se met à écrire, il a une femme dont il parle au moins pendant cinq lignes et il compense la dope par l’alcool. Après « la balade », il fera un troisième livre qui restera inachevé.
La préface du livre est rédigée par son père qui se sait indigne mais parle de son fils avec tendresse. Et la postface, non moins percutante, par le junkie writer Jerry Stahl dont je n’ai pas (encore) lu les Mémoires des Ténèbres.
Pour les nostalgiques de la beat generation, les amoureux de la littérature américaine « d’avant ». Et autres curieux. En revanche, les fanas de la bite génération risquent une légère déception.

William Burroughs junior. La dernière balade de Billy. 1973 (13ème note éditions,  2010)
En savoir plus sur notre héros sur Wiki

L’écrivain de la famille Delacourt, c’est Grégoire.

A sept ans, il a le malheur de pondre quatre rimes (cala)miteuses qui font s’extasier ses parents : il sera écrivain. C’est ainsi que naissent les fausses vocations, les fils à la patte, les mauvaises voies (de garage). Il vit dans le nord, avec des parents qui s’effilochent, un père qui, perdant son boulot, quittant sa femme pour une meilleure affaire et vieillissant mal, pète un fusible et se retrouve hébété avec les innocents baveux. Sa mère, l’amante qu’il l’appelle car un jour où elle rentre d’une virée, elle devient, pour le petit garçon, la séductrice, la fumeuse, la fêtarde, la Gena Rowlands. Mais son nouvel espoir, unijambiste onctueux, n’est pas Cassavetes. Et  la petite sœur qui rêve juste de rencontrer son prince, le vrai, avec qui on fait des petits consorts, mais qui  tombe  sur un vrai salaud puis sur un naufragé de l’amour, sans passion, comme elle. Et puis le petit frangin qui a un bug dans le crâne, qui ne sait pas déployer ses ailes et n’aura jamais le mode d’emploi de la vie.
Ecrivain vain, c’est d’abord ce qu’est notre jeune héros, écrasé par l’énorme responsabilité d’avoir à aligner des mots pour ne pas décevoir, pour mériter l’amour des autres. Il n’y arrive tout simplement pas. Pourtant Monique croira en lui. Monique, c’est la dévouée, la pas belle, celle qui bosse pour que son mec réussisse et qu’elle ait une vie de rêve, comme jadis les secrétaires avec les internes en médecine qui les plaquaient une fois le cabinet opérationnel. C’est extrêmement bancal entre eux, et d’ailleurs entre eux, il y a l’éternel bellâtre plus Francis Huster. Ça n’empêchera pas deux fillettes de naître, mais l’amour est aux abonnés absents.
Si le roman ne s’écrit pas, les mots trouvent un nouvel écrin : la pub. Bingo ! Seulement, on n’est pas dans du Beigbeder. On reste dans ses petites envergures : logements minables, vie de merde à juste travailler, quelques stagiaires à baiser. Si, une fois, une bouffeuse d’hommes, attachante et destructive comme le sida qu’elle attirera aussi.
C’est un livre de blues, rien ne va totalement, sauf la pub et le fric Mais ça ne fait pas le bonheur. Ça fait de sa femme une ex-femme : Monique devient Joy, sorte de pétasse de luxe qui claque tout. C’est un livre du nord où on a toujours envie de dire « ferme la porte », c’est plein de courants d’air froids, de plages grises et de sentiments qui cassent. Sauf qu’un jour, une fille assise sur la voiture…fin de la malédiction. Et voici le livre. L’écriture est incisive, le style est fringant, l’humour est sous les pavés, le charme opère. Ce récit est touchant, intime, sincère, bref attachant. S’il manque un peu de distance ou de poésie vis-à-vis de la publicité qui continue à le nourrir, le petit gars est enfin entré (encré) dans la cour des grands.

Grégoire Delacourt. L’écrivain de la famille,  JCLattès. 265 p. 17 euros. Sorti le 12 janvier 2011.

Texte ©dominiquecozette

Keith vous invite dans son groupe d’amis. Dites oui !

« J’aimais beaucoup John [Lennon]. C’était un doux dingue par bien des côtés. je lui reprochais de porter sa guitare trop haut, au niveau de la poitrine, ce qui gêne tes mouvements. C’est comme avoir des menottes . »Tu as ta putain de guitare sous ton putain de menton, pour l’amour de Dieu ! C’est pas du violon que tu joues ! » Je crois qu’il pensait que ça faisait cool. Gerry and the Pacemakers, tous les groupes de Liverpool faisaient pareil. On se vannait sur le sujet : »Achète-toi une sangle plus longue, John. Plus la sangle est longue, mieux c’est. » Il faisait oui de la tête, comme s’il m’avait entendu, et la fois d’après, la sangle était un peu moins courte. Je lui disais : « Pas étonnant que tu swingues pas, mec. Pas étonnant que ça soit juste du rock, pas du rock’n roll. »
Sinon, si vous voulez tout savoir la dope, toutes les dopes en fait (et leurs effets sur John notamment, mais bien d’autres), les potes musicos qui jouent incognito sur les albums des Stones, le devenir d’enfants élevés dans l’anarchie la plus totale, les fameuses guitares à cinq cordes, les moeurs délirantes de nos animaux en coulisses, en tournées, en studio, la fabrication étonnante des chansons signées Jagger-Richards, la vie démente des pop stars et de leurs groupies, les multiples tentatives de rehab et leurs horribles effets secondaires, l’excentricité clinique de l’artiste culte, la vraie vie de bohême (chez Patti Smith et son « just kids », c’était pas mal non plus), et tout plein de gossips amusants et ahurissants, lisez ce pavé, c’est gratiné ! Enfin, si vous aimez le gratin, moi j’ai adoré !

© Keith Richards in Life
Dessin et texte  © dominiquecozette

Coetzee, John, Maxwell…

Je voulais parler de son dernier opus, « l’été de la vie », 2009, puis comme mon dessin est nul, j’ai voulu y renoncer — mais  je le mets quand même. Vous verrez finalement que ça correspond bien au personnage du livre : petit, médiocre, ni fait ni à faire.
Oui, ce bouquin est très original car le procédé de la bio détournée m’a bien plu. Pas parce que c’est nouveau, d’autres l’ont fait, mais autrement.
Coetzee se dit mort et charge un biographe de retourner voir les quatre femmes qui ont compté pour lui dans les années 70. L’incongruité, c’est qu’il se présente —  par la bouche de ces femmes très réticentes à parler de lui — comme un  homme qui n’en est pas un, pas sexuel pour un sous, manquant de tout, de charisme, de corporéité, de personnalité, de sensualité, de présence… bref, il se décrit comme un personnage paumé, ce qui pourrait faire un excellent anti-héros mais Coetzee s’en garde bien,  se portraiturant comme un  raté improbable, vivant chichement avec un père maladif et fermé dans une baraque minable, ne laissant qu’une pauvre trace d’escargot dans le coeur de ces femmes (dont une Française) qui se fichent totalement qu’il soit devenu par la suite un grand écrivain. Puisqu’il n’était rien lorsqu’elles l’ont connu, il l’est resté et aucune n’a l’idée de se vanter de l’avoir fréquenté. Le personnage qu’elles esquissent en creux, s’il n’a pas d’envergure dans la vraie vie, ne manque pas d’épaisseur dans sa fadeur livresque.
Et c’est tellement rare qu’un écrivain se présente sous son plus mauvais jour que j’ai eu envie de vous en faire part. Rien n’est tenté pour rendre le personnage  un tant soit peu sympathique. Beau travail, mister Coetzee !

Une critique un peu plus pro sur le site de l’Express : ici

Suite à la constatation qu’il n’est qu’un intello au chômage ratant sa vie  : « comprendre les choses est une perte de temps; si on veut réussir dans la vie, être heureux avec sa petite famille, avoir une maison et une BMW, on ne devrait pas essayer de comprendre les choses mais se contenter d’additionner des chiffres, ou presser des boutons ou Dieu sait quoi, ce que font les gens du marketing qui leur vaut d’être grassement récompensés. »

Texte et dessin © dominiquecozette (remarquez, si vous me piquez le dessin, je ne vous en voudrai pas !)

Marie Billetdoux : vous m’en mettrez un gros kilo.

« De ma vie depuis que je vous connais, et pas plus depuis la naissance d’Augustin qu’avant, je n’ai demandé ni fleurs, ni compliments, ni serments, ni présence, ni amour, ni fidélité, ni sexe, ni comptes, sans jamais pour autant, que je sache, vous faire défaut. Aussi n’ayant rien demandé, n’ai-je rien — ou seulement ce que vous voulez bien me donner, seulement ce que vous voulez bien faire — et j’assure le reste.
Aujourd’hui 13 octobre 90, je demande :
– au motif que selon le rapport inverse, n’ayant rien demandé, je ne vous dois rien, même pas un garçon bien élevé. Je demande à ne pas être insultée ni condamnée devant lui dans mes actes, dans ce que je peux, dans ce que je demeure, dans ce que je survis au cours de ces quelques heures hebdomadaires où, tout à coup, vous nous jouez les grands chefs, les monsieur-je-sais-tout, au mépris de la vie de tous les jours et de son évolution un peu chaque jour.
Si ce petit garçon à l’heure du dîner exige « des bouchées en marchant », c’est peut-être aussi que sa maman ne va pas très bien tous les soirs, qu’ils y trouvent l’un et l’autre en votre absence un accord et une forme d’équilibre qui leur appartient.
Puisque je l’autorise à manger en marchant quand vous n’êtes pas là, je ne me vois pas tout à coup l’obliger à rester à table quand vous êtes là. A vous de vous adapter ou de changer quelque chose…. »

Extrait d’une des centaines de lettres de cette énorme somme de Marie (ex-Raphaëlle) Billetdoux qui rassemble ici 40 ans de sa vie par le biais de correspondance avec les siens, de l’amour fusionnel à la haine ou la rupture finale, de coupures de presses, de lettres d’admirateurs, de correspondance cahotiques avec ses éditeurs, de relevés de comptes d’auteur, de mises en demeures, de demandes d’aides à l’écriture ou aux distinctions, d’attestations de sa vie de couple, de  compte-rendus de procès, de bulletins scolaires, d’examens médicaux, bref tout ce qu’on peut amasser. On subit ses éclats de voix, ses jérémiades, ses larmes, son fiel mais aussi sa pathétique détresse et ses tentatives de tout vouloir expliquer, ses intimités, son autisme social, sa personnalité paranoïde, sa sensibilité versus sa grande force de caractère, son dénuement parfois qui l’oblige à quémander, ses démêlés avec des producteurs, des réalisateurs, des notaires, sa famille, ses maisons d’éditions, des biographes et tant d’autres. Elle ne cesse d’être procédurière et méfiante et harcèle jusqu’à avoir la réponse aux manquements.
Je ne la trouve pas sympathique mais on peut s’apitoyer sur cette sorte de monstre de la solitude sempiternellement victimisée par les autres et se battant pour rétablir un amour, un honneur, une droiture.
L’un des intérêts de cette somme de 1500 page et 1,3 kg qui fatigue le bras dans le lit est de voir l’évolution de cette personnalité dans ce métier aride d’écrivain. On y arrive en survolant de nombreuses pages mais d’autres sont passionnantes notamment les lettres de et avec sa mère.

Marie Billetdoux dans  C’est encore moi qui vous écris (1968-2008), Stock, 2010.  1481 pages. 1,3 kg.
Libé en parle assez bien ici mais aussi le Nouvel Obs et quelques autres (voir sur Google)

Texte et dessin © dominiquecozette. Pourquoi un panier à oeufs ? Je n’avais rien d’autre qui se rapprochât du sujet. je ne sais même quand comment est Marie B ni quel est le son de sa voix. C’est vous dire si je suis arrivée dans cette friche sans aucun a priori.

Le chauffe-eau de Michel Houellebecq

« De fait, il tournait en rond, c’est le moins qu’on puisse dire. Il était tellement désoeuvré que, depuis quelques semaines, il s’était mis à parler à son chauffe-eau. Et le plus inquiétant — il en avait pris conscience l’avant-veille — était qu’il s’attendait maintenant à ce que le chauffe-eau lui réponde. L’appareil produisait il est vrai des bruits de plus en plus variés : gémissements, ronflements, claquements secs, sifflements de tonalité et de volume variées ; on pouvait s’attendre un jour ou l’autre à ce qu’il accède au langage articulé. Il était, en somme, son plus ancien compagnon. »

Cet extrait est au livre de Houellebecq ce que le corps de l’auteur au désir féminin, c’est à dire pas grand-chose. C’est juste que ce petit bout de l’excellent « la carte et le territoire » m’a interpellée alors que j’étais dans mon lit, me disant merde, il me reste tout au plus une trentaine de pages et je l’aurai bientôt fini, c’est inexorable, dans le même temps que mon époux ronronnait dans sa chaleur d’homme, que le voisin de couloir, celui qui descend et monte au rythme d’une toux catharreuse , kickait sur le bidule qui démarre — ou pas — son trois roues, ces nouveaux engins qui jouissent plutôt d’un démarreur à main en y réfléchissant bien, et que les jeunes enfants du fond de la résidence usinesque faisaient rouler leurs cartables dans un bruit de ferraillo-plastique insupportable pour la voisine du premier qui essayait de rendormir son bébé. Tout ça pour dire que ce bouquin est topissime et que je suis bien incapable d’en faire une critique …heu, bon, l’adjectif a foutu le camp, je ne le retrouverai pas. Alors je vous mets à la place un paragraphe de son interview dans les Inrocks :
« J’ai observé en France une chose très bizarre : on procède comme si on était de toute éternité, et en quelque sorte de droit divin, un pays riche. C’est faux et le capitalisme ne fonctionne pas ainsi. Les médias donnent une image fallacieuse de la Chine car ils s’intéressent à sa modernité, or la Chine actuelle ressemble à la France des trente glorieuses. Sa puissance économique n’en est qu’à ses débuts et il me paraît évident qu’ils vont gagner et que les emplois industriels vont disparaître en Europe. Il se rait temps qu’on se déprenne de l’idée qu’on est un pays riche, car cette notion va de moins en moins correspondre à la réalité. En France, à l’heure actuelle, il y a de plus en plus de touristes chinois. Le luxe, c’est de se marier dans un château de la Loire, et le top, c’est qu’Alain Delon vienne vous serrer la main. Car oui, il paraît qu’on peut louer Alain Delon… »
Personnellement, je loue Michel Houellebecq, ça ne me coûte pas un radis, et si je ne lui serre pas la main,  c’est la soupe que je lui sers avec grand plaisir.

la carte et le territoire de Michel Houellebecq

Texte additionnel © dominiquecozette – Photo Vincent Ferrané.

Années soixante, le point de vue d’Henry Miller

« Dans notre espèce de communauté, et en tout lieu que marque la griffe impérieuse du « Progrès », cette hydre à cent têtes fait de nous un terrible carnage. Nous sommes ravagés par le téléphone, la radio, la télévision, l’automobile, la pollution atmosphérique, les insecticides, les émeutes raciales, la technologie, les voyages interspatiaux, la recherche nucléaire, l’alcool, le tabac, les aliments frelatés et empoisonnés, la publicité (à mort les réclames !). Sans compter, bien entendu, le reste, — les menus soucis tels que le cancer, les maladies de coeur, les impôts, les assurances contre ceci ou cela, l’assassinat, le viol, l’incendie volontaire, une guerre ou deux, la bombe atomique, la  Chine et autres formes, sortes ou manières de rougeoles et de scarlatines idéologiques qui font rage de ce côté-ci du paradis ou de l’autre
Bref, tu vois, la vie à Pacific Palisades n’est pas très différente de ce qu’elle est dans n’importe quelle région de l’Occident. La vie, pour l’artiste, c’est toujours l’enfer, même si et quand il lui arrive d’être subventionné par l’Etat. Si, à 70 ans, tu réussis péniblement un beau coup à la roulette de l’existence, le gouvernement ou l’Etat s’empresse de t’arracher le pain de la bouche. Bien que, selon les statistiques, il y ait quelques 90 000 milliardaires (en anciens francs) aux Etats-Unis, la grande majorité de la population est criblée de dettes. »

C’est un livre charmant « Ma vie et moi » où Heny Miller résume son parcours de vie, ses aspirations, ses passions, ses amours, ses voyages, ses femmes, son enfance. Même quand il a gagné de l’argent, il a toujours vécu avec peu, souvent avec rien, squattant ici et là mais recevant aussi. Ce passage en post-face a été écrit pour un magazine en 65, Henry Miller avait 74 ans. Le livre a été  publié en 71. Edition Bartillat 2010.

Texte © Heny Miller. Dessin d’après une photo du livre © dominiquecozette (en vrai, il ne ressemble pas à VGE, c’est mon stylo qui a ripé)

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