Plouf dans la Marne !

Nous c’était dans la Marne, qu’on se baignait quand j’étais petite. Même pas peur. Entre les skiffs des joyeux sportifs des AS avirons de Joinville ou de Nogent, les pédalos sans présidents des guinguettes voisines, et de quelques petits mammifères qui aimaient à se dégraisser la couenne, on se sentait en sécurité. C’était une façon ordinaire et bien sympa de s’immuniser. N’imaginez pas que je suis la superbe plante en maillot à pois (célèbres polkadots d’une chanson à venir), non, elle c’est une fille de Brest, une nana du tonnerre, marraine de ma sister, alias Mado. Feue Mado. Moi, je suis la petite et je n’ai d’ailleurs pas changé : petit ventre, mini-poitrine, cheveux blonds, j’ai juste prix quelques centimètres. Et ne sais toujours pas nager le crawl. Ce n’est pas à mon âge que je vais m’y mettre ! J’ai un peu honte en voyant l’aisance avec laquelle se déplace la Maire de Paris dans la glauquitude de la Scène (Société du Spectacle s’il en est !)

Texte © dominique cozette

J’ai rencontré un ange

Petite anecdote très touchante vécue hier matin, que j’ai racontée sur facebook et c’est amie qui m’a inspiré le titre. Car oui, il s’agit bien d’un ange.

Dans la rue, un jeune garçon d’une dizaine d’années, bonne bouille, tignasse bouclée, m’aborde :

– Bonjour madame, voilà, je voulais vous parler juste pour vous souhaiter un peu de bonheur

– C’est trop gentil, je prends avec plaisir, mais pourquoi ?

– Parce les gens sont tristes. Alors je veux juste leur donner un petit moment de bonheur.

– Comme ça me fait plaisir ! … Et comment tu t’appelles ?

– Vous pouvez m’appeler Léo, madame.

– Très bien Léo, merci tout plein et beaucoup de bonheur à toi aussi. Je suis très touchée.

Puis il est parti. Je me suis retournée pour voir s’il rejoignait quelqu’un mais non, il a suivi son chemin tranquillement. L’échange a duré un peu plus, plus de phrase ont été dites, des gentillesses.

C’est mignon, non ? J’aimerais tellement en savoir plus sur ce petit bonhomme si attentionné.

(Je précise que je n’étais pas triste ce matin, je me surprends même souvent avec un sourire niais dans les glaces de vitrines lorsque je me promène).

Texte © dominiquecozette

Quand je suis passée chez Pivot

Oui, j’ai eu la chance de passer à Bouillon de Culture en juin 93, mais fut-ce une chance ? Je raconte cette anecdote dans mon dernier livre La Fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés, un livre sur mes malchances sorti …pendant le confinement. !

Un matin tôt, je suis interviewée par Jean-Pierre Elkabbach sur Europe au sujet de la campagne Omo Micro qui fait toujours grand bruit. Un ministre utilise mon slogan, quelques titres de journaux s’en emparent, Oh my Gosh ! Comme il faut bien remplir l’oreille disponible des travailleurs se préparant à leur rude journée de labeur et qu’aucun scoop ne s’annonce, je viens boucher le trou d’actu. Elkabbach, qui s’est mis sur pilote automatique, ne s’est pas aperçu que je suis une personne de sexe féminin, et va me demander si en me rasant chaque matin… bla-bla-bla. Il me prend pour une guenon, ma parole. On rigole, j’ai fait un super buzz.
Quelques jours après, une personne de chez Grasset me contacte à l’agence pour un déjeuner chez Lipp. Je lui fais répéter, je n’ai pas bien saisi son nom : (Vexée) Ah bon, si vous ne vous voulez pas déjeuner avec moi…
Si, si, bien sûr, j’avais mal entendu, j’irai avec enthousiasme. Je suis plutôt intimidée. Chez Lipp avec une éditrice qui m’invite ! C’est Claude D., un person-nage haut en couleurs, directrice du service de presse de Grasset, entre autres missions. Elle est déjà assise à sa place, la place centrale de chez Lipp où l’on voit passer tout le monde. Claude picole et fume. Elle est importante. Elle salue et re-salue et re-re-salue… Petit jeu des éditeurs dans leur ghetto germanopratin, le réseau social de l’époque. Je réponds à ses questions, je me raconte. Surprise ! Elle ignore que j’ai déjà publié. Quand je lui annonce que je viens de finir un roman et suis à la recherche d’un éditeur, elle jubile. Je lui demande quand même pourquoi elle m’a invitée : elle m’avait trouvée drôle chez Elkabbach, adorait ma campagne Omo et pensait me pousser à écrire. Elle me fixe un nouveau rendez-vous chez Lipp pour que je lui apporte mon manuscrit.
Ce sera un vendredi midi. Prudemment, elle m’avertit :
— Ne vous attendez pas à ce que je vous donne une réponse rapide, j’ai plein de livres en attente, je suis assez lente.
— Je ne suis pas si pressée, mens-je. À 16 heures, ce vendredi d’après notre déjeuner, téléphone au bureau. C’est Claude :
— Dominique, j’ai dévoré votre bouquin, je l’adore ! Il me plaît vraiment. Ah mais quel dommage !
— Dommage ? Que quoi ?
— Que ce ne soit pas votre premier roman. Parce que la critique est beaucoup plus attentive quand c’est un premier roman. Ah, si ça avait été un premier roman !
— Oui. Mais c’est mon deuxième (je ne compte pas mon bouquin sur les hommes). En plus, je ne sais pas où j’en suis avec mes éditeurs. Ils ont été rachetés par une compagnie de taxis, quid de mon contrat ?
— Bon, on reparlera de tout ça. En attendant, je vais le présenter au comité de lecture. Je ne suis pas seule à décider. Donc, pas de fausse joie, n’est-ce pas ?
Le premier roman est la marotte des éditeurs. Comme la petite rondelle fragile tant prisée des jeunes mariés réacs, des amants pervers, des religieux sinistres, le premier roman est le dépucelage de l’écrivain. Cette première fois est unique, c’est moi qui l’ai eue, tra-la-la, quelle fraîcheur, un brin d’inexpérience certes, mais la promesse larvée d’une longue et fructueuse histoire ! Pour moi, c’est fait. Un éditeur m’a déjà baisée, mal baisée, mais baisée quand même, sans compter l’essai sur les hommes, mon premier livre. Alors, quand ce n’est plus à faire, l’excitation est moindre, le soupçon s’insinue : pourquoi l’éditeur premier n’a-t-il pas gardé la jeune recrue ? Elle a probablement été overpromising (terme publicitaire qui veut dire qu’elle va être déceptive). La jeune pucelle si excitante au départ avait hélas du poil au ventre, ou des seins mous, ou des verrues plantaires. Imbaisable, donc. Invendable, pour sûr.
Mais Claude ne le prend pas mal. Nous nous voyons souvent. Les bureaux de Grasset sont en face de l’hôtel particulier de Bernard Tapie, rue des Saints-Pères où je n’ai jamais mis les pieds, j’avoue. Je dis ça parce que l’aventure judiciaro-rocambolesque du bonhomme bat son plein. La vitrine des éditions expose les derniers succès. L’escalier qui mène aux bureaux sent l’encaustique. Là aussi, les parquets craquent. Beaucoup de coursiers viennent déposer un pli ou en retirer un tandis que j’attends qu’on vienne me réceptionner. Une dame timbrée fait son tour tous les jours pour harceler BHL, mais la standardiste fait barrage. Les bureaux des éditeurs/trices sont petits, bas de plafonds, emplis de manuscrits.
La personne responsable des finances et du juridique, un homme séduisant, s’empresse d’arranger l’affaire du contrat pour me libérer des taxis. Ouf ! Le comité de lecture donne son feu vert. Ouf-ouf ! On m’envoie un ou deux photographes. On me dit que j’aurai la couverture jaune. Je jubile ! La couverture jaune de chez Grasset ! Quelle reconnaissance de mon immense talent ! Puis, non, elle sera illustrée. Arghhh… Ça veut dire moins prestigieuse. J’ai comme l’impression que Claude est beaucoup plus enthousiaste que d’autres concernant le lancement du livre. Enfin, bon, j’ai aussi quelques admirateurs, paraît-il, des auteurs très sérieux que je n’ai jamais lus. Mais que je lirai. Un jour.
J’apprends que Claude est homo, c’est le genre de chose que je ne repère jamais, étant moi-même de sexe approximatif dans la tête. Un jour, elle me donne rendez-vous dans un café près de l’édition. Toute fière, me tenant par le bras, elle m’annonce aux personnes présentes : « Ma femme ! » Je pique un fard pas possible, non mais des fois, qu’est-ce qu’elle croit ? Jusqu’à ce que je réalise que Ma femme est le titre de mon roman. Quelle conne je suis !
Le livre sort, je n’ai pas eu le dernier mot sur la couverture qui représente une jeune femme, jolie certes, mais qui n’a rien à voir avec mon héroïne. Trop sophistiquée. Qui ne correspond pas à l’ambiance, je trouve. J’ai moins d’articles que pour le précédent, quelques radios, toujours Kernel et Girard qui me soutiennent, je les aime. Je suis invitée au Cercle de minuit, qui est the place to be culturelle de l’époque, l’émission de Field dont je suis fan. Je suis heureuse et fière, mais Claude me dit que non, il vaut mieux aller chez Pivot. Par éthique, la chaîne ne reçoit pas dans les deux émissions, il faut choisir. Je préfère Le Cercle, assuré-je à Claude. Non, non, on ira chez Pivot, vous verrez, Pivot va nous assurer de grosses ventes.
Le temps passe, on approche de l’été, Pivot n’est pas chaud. Question articles de presse, ça s’essouffle. À chaque fois que j’appelle Claude, elle me dit que Pivot n’est pas tout à fait prêt, mais que « on va y arriver ». Merde, merde, merde ! Je suppose qu’une grosse édition comme Grasset a un certain poids face à l’animateur littéraire. Mais le temps passe, après ce sera vacances à la télé, puis la rentrée avec ses six cents. Laisse tomber. Enfin, Claude m’appelle triomphale : « Ça y est ! Pivot nous prend ! C’est super ! Je suis très heureuse ! » Moi aussi. Je jubile. Passer chez Pivot, succès pour bientôt. Quel slogan ! Le rêve de tous les scribouillards. Si tu n’es pas passé chez Pivot, tu as raté ta carrière. Vous allez voir comme je vais la réussir, la mienne, de carrière ! Ma femme va crâner sur le rayon « Vu chez Pivot », les gens vont tâter le bouquin comme un melon, renifler les pages, lire la quatrième, trouver que oui, ça mérite d’être lu. Puis ça fera un film formidable avec Kim Basinger dans le rôle-titre et Depardieu dans le mauvais rôle, celui du rabat-joie de la moukère.
Au fait, que je vous raconte comment est né ce livre. Un dimanche gris, je matais la télé, affalée sur mon gros fauteuil en velours bordeaux, clopant, cherchant de nouvelles idées de pub. Mon oreille est attirée par la voix d’un Américain. Un type dans un bled du Wyoming ou du Minnesota, red neck ou working class, en gros plan : My wife wanted a dog… bla-blabla. Sa femme voulait un chien ! Mais quel bon début ! Le bonhomme que je vois devient instantanément le narrateur, il est donc marié, mais n’est pas d’accord avec sa femme. Un chien, et puis quoi encore ? Pourquoi pas un bébé ? (Ça c’est moi qui enchaîne, pas l’Américain.) Hé oui, un bébé ! Et pourquoi pas travailler ? Eh oui, justement, elle voulait tout ça, sa bonne femme. Comme c’est contrariant, une bonne femme ! Et j’ai écrit, écrit, je tirais le fil et ça venait. Chapitre après chapitre, sa femme réclamait l’impossible pour cet homme coincé dans sa petite raideur virile. Quelle joie, ce livre !
Pendant le week-end à la campagne avant l’émission, je m’expose au soleil pour avoir bonne mine. Je relis mon livre pour ne pas être prise au dépourvu à cause de mon horrible mémoire, je lis les bouquins des auteurs invités, me prends de passion pour Rose Tremain. Dutourd, moyen. Cinq jours avant l’émission, horreur et putréfaction, un orgelet me pousse à l’œil. Au secours !! Un orgelet pour passer chez Pivot, allô docteur Freud ? Puis-je savoir quels crimes j’ai commis dans une vie antérieure pour mériter ça ? J’appelle ma sœur aînée qui est ophtalmo. Elle adore qu’on fasse appel à son professionnalisme. Elle prend une voix spéciale, docte, ferme et calme, sa voix de docteur quoi, et me conseille quelques produits à appliquer pour enrayer le monstre. Et ça marche.
Mon chef, le fameux DC qui m’avait dans le nez, est revenu à de meilleurs sentiments à mon égard, et se réjouit de mon passage « à Pivot ». De la com, de la com ! Il me demande de parler des singes Omo. Je lui dis : ça ne va pas, non ? Je vais défendre mon livre. Si ça marche, après on parlera des singes. Il avertit le ban et l’arrière-ban, le client, tout ça pour annoncer l’événement. Il fait enregistrer l’émission par le service technique, car, évidemment, un vendredi soir de juin avec un si beau temps, il y a des chances pour que personne ne regarde la télé. Il fera faire des copies pour ceux qui veulent. Bon. Si ça peut lui faire plaisir.
Nous sommes le 25 juin. Il fait un temps génial, plein été. Je mets une veste légère bleu pétard avec un foulard rouge pétard dans la poche, je remonte mes manches sur mes avant-bras bronzés, comme ça se fait, je porte un jeans raide de propreté et des tennis Bensimon passés à la machine. Je pète le feu. Je retrouve Claude dans un café près de la télé. Elle fait péter le champagne, car ça décontracte. En fait, je n’ai pas le trac. Je sens que ça va y aller fort. Mais est-ce que je ne péterais pas plus haut que mon cul, parfois ? Oh, hé, hein, il faut bien se faire plaisir !
Entrons dans le Saint des Saints : les fidèles sont au nombre d’une petite vingtaine, Claude prend place parmi eux. Les auteurs, les saints donc, sont assis, c’est assez hétéroclite, le vieux complice qu’est Jean Dutourd est venu en chaussons, j’exagère à peine. Dieu fait son entrée. C’est un Pivot assez fermé, pas très jovial. Il nous envoie ses recommandations, nous encourage à intervenir n’importe quand. Les caméras nous attrapent à la volée, je me tiens bien, évite de tripoter mon visage, reste décontractée. Je le suis, à vrai dire. Lorsque vient mon tour, Pivot parle, certes de mon bouquin, pas de façon hyper enthousiaste, on ne sent pas la grosse secousse de plaisir éprouvée à sa lecture, donc plutôt neutre. Puis il enchaîne sur la campagne Omo. Forcément. C’était à prévoir. D’autant plus que Bernard Brochand, poids lourd de la pub, de la politique et du PSG, entre autres, est aussi invité pour parler du Festival du Film de pub à Cannes dont il est le président. Cela a dû faire partie du deal. Probablement que mon livre ne l’a pas suffisamment emballé et que Claude a parlé de la campagne Omo.
Je m’en sors bien, je fais de l’humour, Pivot reste dans la nuance bienveillante, neutre. À la fin de l’émission, un pot hors antenne, comme chaque fois. Je m’y pointe avec Claude pour rencontrer Pivot. Mais il est fatigué, mal luné, il ne nous fait pas l’honneur de sa légendaire bonne humeur. Nous repartons, Claude me dit que je me suis très bien débrouillée.

— Alors ?
— Alors rien.
— Mais encore ?
— Rien de rien. Nous sommes le 25 juin, un des jours les plus longs de l’été, il fait un temps splendide, tout le monde est sorti. Tout le monde !
— Il y avait bien des gens chez eux, quand même…
— Quelques grabataires, oui. Et tu sais ce qu’ils regardaient sur la Une, en deuxième partie de soirée pendant Pivot ? Johnny Hallyday, son concert au Parc des Princes.
Vous le croyez, ça ? Personne ne m’a vue. Personne n’a vu cette émission. Je vais vous raconter un truc : une fois, j’ai été interviewée à Cannes, dans la rue, par hasard, juste une poignée de secondes. C’est passé un dimanche midi. Qui se targue de regarder la télé un dimanche midi ? Personne. Tout le monde a autre chose à foutre le dimanche midi que de se planter devant la télé, grasse mat’ coquine, enfants à décrasser, ménage, brunch, en route pour un déjeuner en famille, la messe, tiens ! Hé bien, des dizaines de gens m’ont vue, des tas d’amis m’ont téléphoné pour me le dire. Même mon teinturier ! Dix petites secondes à peine. Un dimanche midi. Et là, Pivot, une heure trente à l’antenne, personne. Je te jure ! Sauf ceux qui, prévenus, avaient enregistré l’émission.
Effectivement, rien. Rien ne s’est passé. La courbe de mes modestes ventes n’a pas frémi d’un iota, les gens avaient le nez dans leurs valises, pas le moment d’aller farfouiller chez les libraires. À peine sont-ils partis souiller les plages que déjà les 600 romans de la rentrée déferlaient dans la presse, ensevelissant tout le reste y compris ma pauvre femme qui, haro sur elle, n’était pas mon premier roman.
Mais sûrement le dernier. Très longtemps après, on me demande parfois si j’étais passée chez Pivot. Le seul indice qui prouve que tu as vraiment été un écrivain. La seule référence valable.
Oui, je suis passée chez Pivot. Comme un ange, sans faire de bruit.
L’année d’après, Pivot me remettra le prix de la Contribution à l’amélioration de la langue française pour ma campagne Omo en poldomoldave, un clin d’œil qui le rend sympathique lorsqu’il fait ses perruques. J’ai droit à la bise.
« De quoi tu te plains ? Une bise de Pivot ! Au moins, il n’est pas rancunier.
Je me demande si ma voix intérieure ne serait pas une gourdasse ! »

Texte © dominique cozette, extrait de mon livre La fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés, 2020, édition Chum.

Qui a volé la tête de Haynd ?

« Je n’ai pas parlé de tête d’ail mais de tête de Haynd si vous voyez de qui il retourne. Joseph, il s’appelait ce monsieur Haynd, c’était le John Lennon du dix-huitième siècle tant ses compositions étaient aimées et reconnues de tout les fans de la classic music. Il a eu des tas d’aventures musicales, forcément, ne pensait pas à la gloire, vivait à Vienne et pas ailleurs. Il a juste commencé à voyager à cinquante-six ans, un vieillard donc pour l’époque.
Comme il était issu d’une fratrie de douze gosses dont la moitié de vivants, il a fallu qu’il gagnât (oui, je sais, on ne l’utilise plus beaucoup, çui-ci) sa vie très jeune, il aida un vieux tromblon italien qui lui apprit quelques rudiments de composition. Le reste, il l’étudia tout seul, la nuit, entre quelques corvées ménagères. Comme il l’écrit lui-même en 1776 dans son Esquisse autobiographique : « Beaucoup de génies se détruisent à devoir gagner leur pain quotidien, car ils n’ont plus le temps d’étudier« . On en est tous là, nous, hommes et femmes de génie, on a donné.
Mais sa vie fut longue et bien remplie, voir Wiki, et sa mort fut courte. Joseph Haydn s’éteint le 31 mai 1809, à Vienne alors assiégée par les troupes napoléoniennes. Ses funérailles sont bâclées malgré sa popularité.
Plus tard, la famille Esterházy, sorte de mécènes qui l’hébergèrent jadis, propose que la dépouille soit honorée à sa juste valeur, et transférée dans une église de la ville d’Eisenstadt. Mais horreur et stupéfaction lors de l’ouverture du cercueil : il manque son crâne au cadavre !
Bien des années plus tard, au début du vingtième siècle, le mystère est enfin résolu : le crâne de notre homme avait été subtilisé par deux imbéciles, adeptes de la phrénologie, science très en vogue au XVIIIe siècle, qui étaient persuadés qu’ils trouveraient la niche donc l’explication de son génie dans son auguste crâne. Chou blanc, bien sûr.
Les gens, j’vous jure !

Texte © dominique cozette

Les yeux d’Einstein

Qui a volé les yeux d’Einstein ? Une histoire incroyable ! Figurez-vous qu’une banque de New York garde précieusement dans un coffre ultra-sécurisé les globes oculaires du génie Albert EINSTEIN.
En 1955, à la mort du physicien, son propre ophtalmologiste, le Dr ABRAMS, « dérobe » lors de l’autopsie les yeux d’Einstein et les place en toute discrétion dans le coffre d’une banque de New York.
(Dans un de ses romans « l’Identité », que je n’ai pas aimé soit dit en passant, Kundera raconte que c’est son fidèle disciple qui les aurait mis dans une bouteille d’alcool pour qu’il puisse les regarder jusqu’à sa mort).
Lorsque Michael JACKSON entend parler de cette histoire, il décide d’acquérir le fameux « bocal » pour sa collection privée d’objets bizarres. Il en offre près de cinq millions de dollars de l’époque. L’affaire ne se fait pas mais aux dernières nouvelles, l’actuel propriétaire voudrait toujours vendre …
A noter un autre « vol » en 1955, puisque le cerveau d’Einstein a aussi été prélevé et se trouve, lui, dans un coffre au Kansas.

Il faut faire confiance à la justice ah ah.

Un coup de gueule, ça faisait longtemps. Mais là, ça déborde. Oh c’est juste un tweet* scrollé par hasard, qui parle d’un père, un père magistrat, excusez du peu, pas un sans dents, un cassos, un Insoumis (ha ha), non, le vice-président du tribunal judiciare de Dijon, un type très honorable dans sa belle province — qui propose forcément à ses commensaux de se servir généreusement de moutarde — époux d’une magistrate avec qui il fréquente depuis des années des sites échangistes (chacun fait ce qu’il veut entre adultes consentants, ce n’est pas le propos) sur lesquels il a commis l’acte infâme. Qui concerne sa fille. Et figurez-vous que c’est un client du site échangiste, choqué vraisemblablement par la  proposition, qui l’a dénoncé ce chouette papa.

Bien sûr, il y a des dénonciations qui peuvent mettre mal à l’aise, pas toutes, je suis pour #metoo, mais laisser faire sans rien dire, je ne trouve pas que ce soit plus moral, en tout cas, fermer les yeux n’a jamais été efficace. A voir le nombre de personnes condamnées par rapport aux personnes agressées, violées ou tuées, aux enfants surtout qui n’ont pas les mots. A voir le chemin de croix dans lequel s’engagent les plaignant.e.s lorsqu’elles cherchent de l’aide, notamment celle de la police ou de la justice, à savoir que ces personnes sont souvent soupçonnées d’être (un peu ?) responsables de ce qui leur arrive, à avoir vu pleurer des hommes solides comme des rugbymen évoquant les violences d’entraîneurs ou de curés sur leur jeune corps…

à constater comment le silence fait la part belle à la culture du viol et de l’inceste. Le silence est la principale cause de la perdurance de ces crimes.

à entendre les voix adverses, principalement issues du patriarcat, ou de partis radicaux, ou du monde des puissants ou juste de petits phallocrates pas forcément violents qui ne savent peut-être même pas pourquoi on les ennuie avec ça,

à ne pas en croire mes oreilles lorsque Elisabeth Badinter elle-même s’est mise dans le camp des bien-pensants qui s’indignent qu’on se mêle des affaires privées et que, bon sang, les victimes n’ont qu’à « prendre leurs responsabilités », c’est à dire ne pas attendre que la prescription soit effective pour porter plainte. Merde (non elle n’a pas dit merde mais l’a pensé) « mais quand même, dix ans, ce n’est pas si mal ».

se dire que des gens d’importance dans la lutte contre les violences en sont encore à ignorer — alors que c’est dit, su, avéré, raconté, filmé — à ignorer donc le refoulement des événements traumatiques durant souvent plus de dix ans. Qui surgissent brusquement dans la vie brisée des victimes, leur permettant de comprendre pourquoi elles ont été aussi mal toute leur vie,

et de continuer à entendre cette phrase « il faut faire confiance à la justice », seule façon autorisée par ces honnêtes moralisateurs de régler le problème. C’est cela :  faire confiance à la machine judiciaire tellement dégradée qu’il faut attendre des mois, voire des années son jugement. Et encore à condition que l’accusé présumé innocent ne fasse pas appel, ce qui décale d’autant l’éventuelle condamnation, remet tout en cause, laisse le crime impuni pour encore combien de temps…

et puis savoir que si tu es plaignant.e, si le présumé innocent (quand je pense que PPDA, après 90 récits de viols à ce jour est malgré tout présumé innocent) a les moyens de démolir ta vie avec ses trois avocats stars, de mettre en pièce ton intimité comme ton corps l’a été, de faire douter la partie adverse sur ta moralité,

c’est la colère alors, la rage, l’indignation.

Tout ça parce que j’ai eu connaissance d’un fait qui montre bien comment marche « la justice de notre pays de droit » comme ils disent, à qui il faut faire confiance. Même si l’accusé est immonde. Voici le fait :

Un magistrat de Dijon, il s’appelle Olivier Bailly, offrait sa fille de 12 ans à qui voulait bien sur des sites coquins. En 2019 et 2020. En première instance, en mars 22 (donc deux ans après la dénonciation) il avait pris deux ans de prison, dont un ferme. Je le redis : pour avoir proposé à des hommes  d’avoir des relations sexuelles avec sa fille de 12 ans. Pas cher payé. Et  fin septembre, ce magistrat bon père de famille voit sa peine allégée par la cour d’appel de Besançon. Il ne fera finalement que du sursis.

Il y a très peu d’article, la presse n’en parle pas beaucoup. Vérifiez sur le net, vous verrez. Donc, mis en examen en 2020. Puis appel et hop, allègement  de la peine. Des juges très cléments pour leur pote car l’art. 227-2 du Code pénal prévoit que « Le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

Je relis l’article du Monde, car ce n’est pas tout : il a proposé sa fille de 12 ans sur des sites libertins pendant neuf mois. Pas une petite fois comme ça, en passant, pour être chouette avec un pote désireux de bouffer de la chair fraîche et à l’origine garantie. Oui mais c’était mon enfant, je suis son père, elle m’appartient, j’en fais ce que je veux, ça ne regarde personne. Mais il ne proposait pas que des rapports sexuels. Tant qu’à faire dans le trash, dans le monstrueux, on va pas se contenter de caresser son minou, ah non, il y a des truc plus marrants à faire, l’agresser par exemple, lui faire du mal comme vous voulez, comme vous le sentez, c’est vous le mec bon dieu ! Si vous trouvez que j’exagère, lisez ses verbatims ci-dessous qui sont à gerber, mais comment peut-on demander à des mecs de faire ça non seulement à son enfant, mais à n’importe quel enfant, à n’importe quelle personne. C’est tellement immonde.

Quelques verbatims :

«Tu vas la forcer» répétait le magistrat à ses interlocuteurs. Il leur suggérait qu’elle soit «humiliée», qu’ils urinent sur elle, qu’ils s’y prennent à «plusieurs», voire qu’ils la mettent dans un «réseau de pédo».* Dans ce dossier, Médiapart précise qu’aucun interlocuteur d’Olivier Bailly n’a été inquiété. Aucun de ces hommes ne sera mis en cause durant la procédure. «Une occasion manquée», regrette l’avocate de l’association Agir contre la prostitution des enfants. Il est vrai qu’il n’y a pas eu, heureusement, de passage à l’acte. Ça n’excuse rien.

Et sinon, heu… Ah si. Ce brave homme, bon époux, magistrat important, people respecté dans sa ville, a deux autres enfants, par contre, il n’a plus le droit d’exercer (ça c’était avant l’appel). Il ne doit plus approcher de mineurs pendant dix ans. Mais il habite toujours sa maison avec ses enfants !!! Oui, bon on ne va tout de même pas priver ce notable de son petit confort de vie. Et c’est-y pas drôle ça, qu’il ne soit même pas déchu de son autorité parentale ?

Sinon, comment vit la jeune fille ?  Oh, elle n’a pas à se plaindre, elle aurait dû recevoir 5000 balles de dommages et intérêts, en première instance, notez, mais peut-être qu’après l’appel, cette somme a été négociée à la baisse ou purement et simplement annulée. Et les deux autres enfants, et sa femme, et son entourage ? Il va encore acheter son journal sans se cacher ? On lui donne toujours du mon cher confrère s’il va jouer au golf ? Je m’interroge.

Ah j’oubliais son avocate, une femme donc, Pauline Neveu (est-elle maman ?) qui avait alors, en mars, plaidé sa relaxe. Vous me direz, c’est son boulot.

Alors oui, assaillants divers, harceleurs, violeurs, qu’avez vous à craindre de la justice de notre pays de droit, dont certains justiciables d’ailleurs se trouvent parmi les hautes instances de notre pays. Hé bien continuons à lui faire confiance.

* Tweet de Karl Zéro, Obs du 17/09/21.

Texte © dominique cozette

Le blouson de Françoise Hardy

Mais que fait ce blouson sur le dos de ces deux filles qui ne se connaissent pas ? N’est-ce pas le blouson que Françoise Hardy arborait sur une célèbre couverture de Mademoiselle Age Tendre, MAT pour les connaisseuses, probablement photographiée par Jean-Marie Périer, alors compagnon de la chanteuse, ou pas car devenue celle de Dutronc mais restée une des meilleures amies du photographe ? On devait être en 65 ou 66, j’étais à la fac de droit, choix de mon paternel — qui peut imaginer une seconde que la fille que j’étais ait eu l’idée sotte et grenue d’entrer dans ce mouroir à créativité qu’était ce bâtiment d’une laideur absolue sis rue d’Assas ? — Là, étudiaient les jeunes minets costumés et cravatés, jetant les juteuses bases d’une carrière prometteuse, dans la politique ou les affaires, quelques futurs maîtres du barreau aussi, ainsi que des jeunes filles bien mises aux cheveux denses retenus par de fiers serre-tête en velours, fouillant de l’œil discrètement maquillé le grand amphi bourré jusqu’à l’estrade les jours où officiait l’icône de l’époque, Maître Maurice Duverger, dans l’espoir d’y repérer celui qui leur ferait plus tard de beaux enfants blonds comme sur les photos de Jours de France et les emmènerait à la Baule ou au Croisic manger des crêpes complètes. Je vous rassure, je n’y ai connu personne et le fait que je suis venue dans cette maudite fac en blouson clouté et  jeans n’a rien changé.
Bon. Donc le blouson.
J’étais encore, malgré ma maturité de bachelière, assez souvent fourrée à MAT, j’aimais ces filles pétillantes, cette ambiance open-spacy rigolote de rédaction où s’accumulaient, fringues, pompes, books de mannequins, où passaient les photographes, où j’aidais parfois à trier des courriers, où je me projetais aussi comme potentielle future journaliste, où arrivaient plis et paquets livrés par un très jeune mec, Yves je crois, un titi parigot souriant, moustache naissante et gouaille d’un Jean-Pierre Léaud fin d’ado, le coursier de Salut les Copains et MAT. Un type adorable. Et c’était son perfecto. Il avait inscrit dessus Françoise Hardy, l’avait customisé, il était unique et avait tapé dans l’œil de je ne sais qui, qui eut l’idée d’une photo avec Françoise dedans. Oui, Yves avait bien entendu : Françoise porterait son blouson. La photo fut faite.
Et comme j’adorais les blousons noirs et les vêtements de cuir, je lui demandais s’il pouvait me le prêter aussi, à moi, pauvre inconnue sans aucune garantie de ne pas me voir disparaître avec. Et vous savez quoi ? Il me l’a prêté quelques jours, le temps de frimer à Assas, sauf que ça ne faisait pas de moi le genre de nana sur lesquels ces minets fantasmaient, et de demander à ma sister de me faire quelques photos avec. Je lui en fis aussi, d’ailleurs. Vous remarquerez que l’une fume et l’autre pas et c’est drôle de penser que nos principales chanteuses de l’époque yéyé étaient tellement sages. Aucune des icônes, Sylvie, Françoise, Sheila, France Gall plus tard, ne fumait, ne faisait de frasques, ne provoquait de mini-scandales mondains ou ne se dopait comme les petites Anglaises d’en face, comme le fera plus tard Jane, drogue exclue. Juste, elles portaient parfois un blouson noir.
Je n’ai pas pu résister à l’envie de le faire figurer sur la couverture de mon livre, recto-verso avec ça. Regardez bien, c’est écrit FIN, au dos, clouté à la main. La fin de quoi ? Sûrement pas la fin des haricots !

Texte © dominique cozette.

La nana aux dreadlocks et l'homme masqué

Ce matin, pour aller faire mes courses, je traversais la place des Vosges. Sous les arcades, j’avise une femme de belle allure, svelte, vêtue d’une redingote cintrée et de leggins noirs, de grosses chaussures de sport, les chevilles nues grâce aux mini-soquettes. Elle a une belle chevelure très brune mi-longue tout en dreadlocks bien ordonnées autour d’un joli visage. Je sortais du soleil et, dans l’ombre des arcades, je n’avais pas remarqué un accessoire important près d’elle : une sorte de charrette faite d’un assemblage de trottinettes où étaient joliment amoncelés des pièces d’habillement de couleurs vives, plusieurs gourdes de métal et autres objets mal définis.
dans un élan d’empathie, je mets la main à mon sac et lui dis que je peux l’aider. Je comptais lui donner un billet.
– M’aider ?
– Oui, vous donner quelque chose car je donne plutôt aux femmes …
– (elle sourit) : Ah non, ce n’est pas la peine. Je n’ai besoin de rien.
Et là, je vois le désastre buccal : elle n’a plus que quelques dents espacées sur les mâchoires et c’est tellement dommage de voir les dégâts sur son beau physique. Je lui demande ce qui lui est arrivé, comment s »est-elle retrouvée dehors.
Elle me réponds, d’une jolie voix claire, avec les mots de quelqu’un de bonne culture, qu’elle vient de Bruxelles, qu’elle est médecin et qu’elle a décidé de s’intéresser aux personnes précaires.
– C’est courageux ! Et vous faites quoi ?
– Je regarde comment elles sont traitées. Les voitures qui n’y font pas attention, les gens aussi. Je suis avec elles, quoi.
– Mais vous faites quoi ? Vous écrivez ?
– Oui, j’ai des blogs.
– Ah, ça m’intéresse, je peux les consulter ?
– Vous savez, les blogs, ça tombe. Je suis médecin. Et si vous voulez savoir ce que j’écris, vous n’avez qu’à lire les articles de Michel Cymes. J’écris quelque chose et le lendemain, c’est Michel Cymes qui les met dans son journal.
– Vous voulez dire qu’il vous pille ?
– Oui, c’est ça, il me pille.
S’ensuivirent quelques propos dont je ne saisis pas bien le sens. Je lui ai ai souhaité une bonne journée tandis qu’elle choisissait quel foulard appliquer sur son visage.
Lorsque je suis revenue plus tard, elle avait tombé la redingote et portait un petit haut bien échancré qui mettait en valeur sa jolie silhouette…

Plus loin, un homme masqué s’efface pour me laisser entrer dans un passage. Je le remercie joyeusement et il me dit :
– C’est bizarre, quand même, ces façons de s’éviter, maintenant.
– Oui, drôle de mode, d’autant plus que je ne porte pas de masque puisqu’il n’y en a pas ! Je fais très attention !
Attendez, dit-il en ouvrant sa grande sacoche. J’y aperçois une grosse liasse de masques bleutés. Je commence par refuser, alors il me dit : je suis infirmier, ne vous inquiétez pas, ils sont propres et j’en ai beaucoup.
Merci l’infirmier. Me voici à la tête d’un deuxième masque à usage unique. Je n’oserai pas m’en servir…

 

Parlons masque…

Paraît que ça va être obligatoire. Le masque. A défaut de pouvoir m’en procurer,  je vais porter ce masque, un authentique masque de Dali qu’il a offert à ma sœur en 1966. Parfaitement ! Cette année-là, mon père m’avait filé son énorme Beaulieu, six places, moteur V8, phare au plancher et changement de vitesses au volant, rutilante, un paquebot des routes et nous partîmes à quatre blondes, cap sud, à Cadaquès exactement, avec un chèque en blanc pour la location, un petit appartement avec vue sur la plage. A peine garée, sur qui tombé-je ? Sur Simon le philosophe rencontré  au bal de la Contrescarpe du 14 juillet ! Et que me m’annonce-t-il ? Qu’il se rend illico chez le Maïtrrrre Dali himself, alors que si ça m’amuse… Et comment donc !
Me voilà partie avec un vieux jeans coupé aux genoux et un T-shirt quelconque, le truc pour conduire à l’aise quoi. Nous arrivons à Port LLigat où l’ours géant nous accueille avant que le Maîtrrre nous prie d’entrer. Il est dans le patio avec Jean-Christophe Averty auquel il est fier de montrer son dernier chef d’œuvre géniââââl : un flacon de Vim cabossé sur lequel il a collé quelques mouches en plastoc. Magnifique ! dit l’homme aux bébés passés  à la moulinette.
Introduite dans le saint des seins et des godes (la chambre des gouines en offre une affriolante collection), je suis régulièrement invitée à ses soirées où ma jeune sœur et moi-même avons l’honneur de chanter deux trois chansons à la guitare et mon harmonica en do en haut d’un petit escalier blanc.
Un soir, tard, ma sœur, pas encore habituée au champagne, attrape ce masque sur un banc, qui sert à un film en tournage, et se met à déclamer le Roi des Aulnes en allemand. Vous savez : Wer reitet so spät durch Nacht and Wind… qu’on apprenait par cœur en allemand deuxième langue. Tout s’arrête, même Wagner, tout le monde regarde cette adolescente qui déclame sans vergogne du Goethe dans le texte… le Maîtrrrre, un peu amorti dans son fauteuil Emmanuelle, s’ébroue, il est ravi, il applaudit et pour la peine,  fait cadeau du masque à sa sister.
Non seulement on n’en fait pas un plat, mais surtout on en fait une lampe : facile, deux bouts de fil de fer, deux clous et l’ampoule nue de notre chambre prend la forme d’une créature inquiétante illuminée de l’intérieur. Et l’ampoule est chaude, ça crame le masque. Bon, tant pis. Et puis on va vivre notre vie, ma sœur met le masque avec d’autres vieilleries.  Puis, quand nos parents sont morts et qu’il nous faut vider la maison, nous tombons sur le masque de Dali, tout chiffonné, patiné. Ma sœur le jette comme tout le reste. Oh mais non, le masque de Dali quand même ! Et je le récupère. Et voilà des siècles que je le trimballe de maisons en maisons dans une jolie boîte, enveloppé de papier de soie.
Aujourd’hui où il est question de masques obligatoires, je veux le lui rendre mais refuse : Encore un fouilles en plus, merci bien ! Alors bon, je vais finir par le porter, je ne dis pas qu’il est très confortable, ni très seyant, si très approprié, mais c’est le masque de Dali, quand même !
(Si vous voulez me braquer pour en tirer une fortune, il ne vaut rien, il n’est même pas signé, je me suis déjà renseignée, vous pensez !)

PS : Jamais retrouvé Simon le Philosophe par la suite à Paris, un garçon charmant. Ce premier jour, il m’a raccompagnée à l’appart et pour le remercier, je l’ai fait monter, lui ai présenté mes sœurs et la copine et nous lui avons proposé un bon café. Car les trois blondes avaient vidé la voiture et fait les courses pendant ce temps-là. Un bon café, certes, à en juger par le sourire de connaisseur de Simon. Puis l’une de nous en avale une gorgée et recrache tout, dégoûtée : on ne savait pas que l’eau du robinet était saumâtre !

Texte et photo © dominique cozette

Effet positif du virus : Gene est revenu !

C’est une photo agrandie 157 fois, au moins. La pelloche qui ne provient pas d’un rouleau 24×36 semble issue d’un vieux Kodak à soufflet mais je ne peux pas croire une seconde que je me suis pointée à l’Olympia en 63, au fameux Milk Shake Show avec cette antiquité et que j’ai photographié Gene Vincent avec ça.
Je profite du confinement pour trier un carton plein de négatifs non identifiés, ça marche — mal mais ça marche — sur mon vieux scan, après tu agrandis, tu fais pomme i pour avoir le positif, tu vas à donf sur le contraste et les courbes de corrections et, miracle ou pas, une image se fait péniblement jour. Et ce petit truc grisâtre d’un cm sur ma plaque négative blanche devient le grand Gene, enfin, si on veut car à ce show, il était sacrément chargé !
Ce show, ode au lait, était gratuit pour les yéyés qui avaient collectionné assez de capsules de bouteilles de lait. J’avais. Et j’étais dans les tout premiers rangs. Il y avait nombre de groupes choupinets comme les Pirates avec le mignon Dany Logan qui chantait « je bois du lait ». Qui d’autre ? Je ne sais plus. Sauf, bien sûr, the big one, le créateur de Be Bop A Lula, Eugene Vincent Craddock (oui, c’est son vrai nom), rescapé d’un terrible accident de voiture où est mort le non moins pionnier du rock et meilleur ami, Eddie Cochran, et dont lui, Gene, gardera les profonds stigmates sur une jambe. Une jambe raide, donc, sous son fute de cuir dont il a piqué l’idée à Vince Taylor qui était dans la voiture de derrière…
La salle est électrique, le rideau de l’entracte tarde à se lever, le suspense est à son comble quand soudain, le velours rouge frémit. Les New Blue Caps, ses musiciens, sont sur scène, waouh !!! et entament avec force énergie Say Mama. L’idole du rock se pointe en titubant vaguement, en boitant forcément, le cheveux gramouillé comme ça se faisait, le cuir noir luisant, la face blanchâtre. Il s’accroche au pied de micro comme un coronavirus au pékin moyen, inspire, ouvre la bouche et lance :
« Hey mama, don’t you treat me wrong
Come and love your daddy all night long
All right now, hey hey, all right »
qui est, comme chacun sait, l’immense succès de Ray Charles. Ce n’est pas Say Mama, composé par Gene himself et qui dit :
« Say Mama can I go out tonight?
Say Mama would it be all right?
They got a record party down the street
Say Mama cant you hear that beat
Whoaaaaaa »
et dont la grille harmonique est violemment différente.
D’où une sacrée cacophonie.
D’où gêne non pas de Gene mais des musiciens qui ne comprennent pas ce que le retour leur renvoie.
D’où un jeune homme de bonne famille, petit neveu de Bruno Coquatrix, monté de Melun pour voir le monstre, vêtu d’un costume cravate acheté sur les Grands Boulevards et chaussé de … hum, je m’égare. Un jeune homme qui vient tendrement arracher le rocker complètement stone du pied de micro et l’embarque dans la coulisse. Roulement de batterie, accord en 7ème 9ème plus diminuée et shuntée.
Rideau.

Une voix nous demande de rester assis, nous présente des excuses, nous informe que Gene étant fatigué, il doit se rétablir backstage, nous invite à aller dans le hall où nous seront offerts des milk-shakes dans des petites bouteilles avec paille en papier avant que le concert reprenne dans un court instant.
Il reprend une éternité après. Say Mama, Crazy legs, Blue jean bop, Lotta lovin etc… et finit en apothéose avec Be Bop a Lula.
j’ai fait mes quatre photos foireuses pendant ce tour de chant, celle que je vous présente est la seule regardable mais je suis bien contente de l’avoir sortie de son oubli grâce à la trêve covidienne qui s’annonce.
Et j’en profite pour vous glisser celle où je pose, à la sortie, avec ses fameux Blue Caps, des gens charmants, sur le boulevard des Capucines. Bénéficiant d’une pure lumière extérieur/jour, elle est plutôt réussie.
Très aimé du public français, Gégène est mort en 71 à seulement 36 ans. J’ai encore mes albums et 45 tours qui moisissent dans un grenier.
Texte et photos © dominique cozette

 

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