Encore un grand pas pour l’humanité

Jeudi dernier, je vais dans un cinoche vers la gare de Lyon, un UGC, pour « Ma mère, Dieu, Sylvie Vartan et moi ». Je demande au type à la caisse un ticket. Il me répond : A quelle place en me tendant un plan de la très grande salle. Je lui dis : je n’en sais rien, mettez-moi au milieu. Il insiste : non, il faut choisir sa place. Je lui réponds, certes pas très gentiment : mais c’est idiot ! Pourquoi il faut choisir sa place ? Parlez-moi correctement, rétorque-t-il. Alors moi : j’ai été correcte, et je ne vous ai pas traité d’idiot. Vexé : Oui, alors, jouez le jeu, s’il vous plaît ! Mais quel jeu, demandé-je, donnez-moi mon billet, c’est trop bête tout ça !
Vous me blessez, madame.
Quoi, je vous blesse ? Oh mais je vous présente mes excuse du fond de mon cœur, je ne veux blesser personne.
En plus vous êtes sarcastique, siffle-t-il entre ses dents. !
Pas du tout, je suis sincère. Et merci pour le billet.
Je me dirige vers la salle quasi déserte, très grande, occupée par une petite vingtaine de retraité.es essaimé.es ça et là. J’avise une rangée vide dans le premier tiers de la salle et … tac, un couple de vieux (comme moi) m’emboîte le pas en me disant : ah tiens, vous prenez la même rangée que nous…
Je les regarde d’un air hébété, et m’assoit au milieu de rang. Il n’y a strictement personne autour. Alors le pépé me dit, avec un sourire connivent : ah, mais vous vous mettez à notre place !
Je n’en crois pas mes oreilles.
Comment ça, à votre place ? Il me montre son ticket et effectivement j’occupe la G64. Mince, lui-dis, mais c’est vraiment votre place ? Vous réservez vraiment cette place-là ?
Oui, oui, on vient très souvent dans cette salle et on prend ces deux places. Ah bon, qu’à cela ne tienne, lui dis-je sur un ton non sarcastique, je vais bouger, y a aucun problème. Je vais même aller sur un autre rang, tiens.
Mais non, madame, restez-là, il n’y a aucun problème, on va changer de place pour une fois. Sourires réciproques, voisins calmes et tranquilles, film super.
Je ne peux que réfléchir à ce foutu progrès, mon cher Ubu… J’imagine toujours des petits technocrottes à souliers pointus, style Darmanin, leur petite bouche en cul de poule, fiers de trouver ce genre de bonne idée dans une réunion hyper importante dont le thème serait : quoi pour faire avancer la France et changer la farce du monde ?
Quels abrutis !

Quelle date ?

Il y a un an pile, tu nous quittais.
Un an pile ?
Bernique.
Normalement, c’était hier
mais hier, c’était pour demain.
Ah la bonne blague de prendre le large
un 29 février !
Alors on trinque quand à ton souvenir ?
Tous les jours ? N’attige pas,
même si tu me manques terriblement
je ne suis pas si pressée, j’ai pas tout fini.
Mais dès que je peux, dans quelques années,
je mets les voiles pour te rejoindre.
Un premier avril peut-être ?
Baisers d’amour perdu éperdu.

Texte © dominique cozette

De mon temps

De mon temps, on avait peur que les romanichels enlèvent votre bébé.
De mon temps, les femmes allaitaient les bébés, dans les lieux publics, au vu de tous.
De mon temps, si on appelait quelqu’un par son prénom, il disait : Quoi ? On répondait je t’appelle pas, j’appelle mes oies.
De mon temps, c’était un luxe d’avoir une salle de bain. On se lavait les cheveux toutes les semaines ou tous les quinze jours, en principe le dimanche, le séchoir n’existait pas. On ne se lavait pas les cheveux quand on avait ses règles. La plupart des gens avaient les cheveux gras à partir du mercredi. Le peigne y laissait ses traces.
De mon temps, on allait pique-niquer le dimanche. La campagne était aux portes des villes et on l’atteignait sans encombre, sans embouteillages et sans Bison Futé. Il y avait déjà des imbéciles qui préféraient s’installer au bord des nationales.
De mon temps, on allait souvent à la quincaillerie.
De mon temps, les gens avaient des goitres ou ils boitaient. Tout le monde connaissait la malformation congénitale de la hanche, affection typiquement bretonne. On voyait encore des anciens combattants avec une jambe de bois.
De mon temps, il fallait remplir sa chaudière de charbon deux fois par jour et vider le tiroir aux cendres. Il y avait beaucoup de charbonniers en activité dans les rues.
De mon temps, les coton-tige n’existaient pas. On enroulait un bout d’ouate au bout d’une allumette et on changeait l’ouate pour l’autre oreille. Tout le monde possédait des allumettes chez soi pour allumer le poêle.

Texte © dominique cozette

Rivabella

Nous allions parfois chez mon oncle et ma tante, institutrice rigide, et leurs deux enfants : une fille de trois ans de plus que moi, opérée très jeune du cœur, ce qui avait entravé sa croissance (adulte, elle était devenue un petit tonneau arrogant avec des ongles qu’elle taillait en pointe pour nous piquer les fesses) et un garçon de mon âge, au physique tout aussi ingrat, totalement inhibé voire castré par sa mère et de plus, sourdingue. Comme son père. Y en a qui ont des cousins géniaux avec lesquels ils apprennent à jouer au docteur. Raté pour nous, il fut notre unique cousin.
Sur la plage de Rivabella qu’on appelle aujourd’hui Ouistreham, ce n’était pas la grande déconnade. Sur l’image, ma grande sœur est à droite, ma petite au milieu en jaune et moi à gauche. N’empêche que bien plus tard, ma tante et mon oncle accueillirent ma fille plusieurs étés à Saint-Michel-Chef-Chef et elle, ça lui plaisait bien car ma tante faisait tout au ralenti : éplucher les légumes, essuyer la vaisselle, faire le jardin, parler… Ça la changeait de moi, la pressant de folie comme font tous les parents qui bossent et n’ont jamais une minute à eux. Avec elle, elle apprenait les plantes, les animaux, allait à la plage. Et m’envoyait des cartes postales « corrigées ».
Sinon, je n’ai aucun souvenir de cette scène banale et fade. Ces personnes sont toutes mortes en nous ayant épargné les regrets de rigueur. Un peu tristes, parfois, les souvenirs de famille.

Texte et image © dominique cozette

Sweet little sixteen

Elle a quoi cette nénette
un p’tit quinze ans ou seize peut-être
jouant dans sa chambrette une partoche bien fastoche
ah oui ça me revient c’est du Eddy Vartan et sa Poupée Brisée
elle s’applique elle joue mal enfin médiocrement
ses dessins vous voyez c’est pas du Leonard
mais elle fait ce qu’elle peut
dans cette chambrette à deux car il y a sa sister
elle affiche ses amours ses Johnny ses Jimmy
ses Gene Vincent Craddock c’est son nom
et celle qui lui ressemble la demoiselle Hardy
la chambre de cette nénette est rose
un rose un rien pâlot faut pas exagérer
elle n’a pas encore mis de photos d’amoureux
car rien n’est officiel quelques baisers bâclés
quelques mains très timides pas grand chose à vrai dire
ses émois ils sont dans la télé sur les papiers glacés
dans ses rêves de gamine car le reste du temps
c’st fou ce qu’elle s’emmerde dans sa banlieue jolie
pas le droit de sortir pas d’amis pas de boîte
alors chanter rêver écrire des poésies
se battre avec ses soeurs et lire du Frison-Roche.

Texte et image © dominique cozette

Quatorze ans

Ce portrait de moi est très moche, il n’est pas de Sam Lévin.
J’ai quatorze ans, mon premier blue-jeans
et des sabots en bois rapportés de Senigallia,
qui font un bruit d’enfer sur le bord de l’Adriatique.
A quatorze ans, je mesure comme ma sœur de onze.
Ma sœur de seize est une grande perche.
Plus tard, on aura la même taille.
J’ai enfin mes règles et ma mère claironne la Marseillaise
à l’adresse de mon père qui plante ses œillets d’Inde et s’en fout.
Ma mère adore Enrico Macias que je déteste
mais elle aime aussi Paul Anka qu’on est allées voir à l’Olympia
parce qu’il y avait Colette Renard en vedette
et Maurice Baquet en attraction.
Ma mère est insomniaque et fait cuire ses ragouts à six heures du matin
dans l’odeur du café en écoutant Maurice Biraud, son Bibi.
Je n’ai pas encore embrassé de garçon,
ça ne m’a pas traversé l’esprit
mes glandes sont de grandes feignasses
je suis amoureuse de tous les beaux mecs célèbres,
Invahoé, Johnny, Bob Asklof, Captain Troy…
Mon père est conseiller fiscal, je ne sais pas ce que c’est,
et ma mère agent immobilier dans le Sentier
elle a trouvé le premier bureau à Gilbert Trigano.
On habite dans une maison zarbi entourée de troènes et fleurie de lilas.
Le dimanche dans la rue, les hommes bichonnent leurs voitures
qu’ils font reluire à la nénette
la rénette c’est un manche en bois avec des poils au bout
quand t’as une voiture t’as une nénette
rien à voir avec cette pub qui disait
il a la voiture il aura la femme…
En ce temps-là les hommes savent mieux
ce qu’il y a sous les capots
que sous les jupes de leurs femmes.
je ne sais pas si ça a beaucoup changé.
C’est pas bien grave puisque BB aime Charrier
elle a eu son bébé elle pose pour Jours de France
et la France est heureuse.

Image et texte © dominique cozette

Nos hivers aglagla

A cette époque, je parle de mon enfance, on n’avait pas le chauffage central. On vivait autour d’un petit poêle à bois dans la salle à manger ou la chaleur de la cuisinière à charbon où on faisait chauffer l’eau, le café et le ragoût. Nos chambres à l’étage n’étaient pas chauffées, les vitres étaient fines et sans volets. Nous montions avec nos bouillottes en forme de chat ou de nounours, nous étions habituées à cette rigueur. Je ne me souviens même pas d’édredon. Il faisait beaucoup plus froid qu’aujourd’hui, les rues étaient souvent verglacées et les conducteurs s’en sortaient très mal. Il neigeait tous les hivers. Le matin, les vitres de la maison étaient givrées. Aglagla. On faisait notre toilette dans une cuvette sur l’évier, on se lavait quand même la lune, et chaque samedi, nous (les filles) prenions un bain dans le tambour de la machine semi-automatique Sibir, après l’époque de la lessiveuse en acier galvanisé qui remplaçait celle du demi-tonneau.
Les gens ne se lavaient pas souvent les cheveux (ça les abîmait), ils devenaient gras. Ça sentait le cheveu dans le métro, vieille odeur de renfermé et de suint à laquelle on était accoutumé. Parfois, nous demandions à quelqu’un ce qui avait changé dans son visage et il répondait : je me suis lavé la tête. On utilisait des petit shampooings Dop en unidose de toutes les couleurs, les produits chics entraient triomphalement dans les foyers.
Pour parler encore du froid, les filles ne portaient pas de pantalons et les collants n’existaient pas. On avait des robes ou des jupes (je dis « des » mais on n’en avait qu’une) au-dessous des genoux et je me souviens comme les miens me démangeaient quand j’arrivais dans un lieu chauffé après une longue course dans les morsures glaçantes de l’hiver. J’avais aussi très souvent des dartres sur le visage que je tentais d’assécher avec de l’eau de Dalibour. Très glamour. J’en ai encore l’odeur en tête. Cette photo de moi est triste comme ces hivers. Il n’y avait pas tous ces magasins bon marché qu’on connait, le tissu coûtait cher, on usait nos fringues jusqu’à la corde, ourlets rallongés sans arrêt, avant de les refiler au petit frère ou à la petite soeur. Les parents préféraient acheter nos chaussures un peu grandes pour qu’elles durent. Quand on ne connaît rien d’autre, on n’est pas si malheureux. A Joinville, on était tous au même niveau, y avait pas de honte. La France se reconstruisait.

Image et texte © dominique cozette

SLC ou Intervilles ?

A la station Franklin-Roosevelt de la ligne n°1, Vincennes-Neuilly en 1963, j’attendais avec ma copine. J’avais confectionné une sorte de palmier sur la tête à force de crêpage et de pinces. On sortait de Salut les Copains où nous avions réussi à nous introduire grâce à notre culot, à nos physiques plutôt agréables et le goût de Daniel F. pour les jeunes filles qui nous fit monter au studio pour assister à l’émission. C’était très excitant. J’y revenais très souvent, les parents ne rentraient jamais avant vingt heures à la maison. J’ai vu défiler un paquet de vedettes, j’ai assisté au lancement de Cloclo quand il a été chouchou, j’ai été assise près de Gene Vincent (le seul à qui j’ai demandé un autographe) et vécu plein d’autres choses assez rigolotes.

Un jour de juillet, ma copine vient dormir à la maison. Nous avons l’autorisation, chose rare, d’assister à Intervilles qui opposait Nogent à St Maur. Ça se passait en fait à la Varenne, très loin de Joinville donc. Nous avons pu nous repaître de ce spectacle imbécile, Léon Zitrone et Guy Lux, des noms qui font rêver ! mais qui nous offrait l’occasion d’une escapade. Nous rentrâmes à pied, on n’était pas motorisées, refusant de monter dans les Dauphine, R8 et autres Simca 1000 qui s’arrêtaient pour nous emmener, nous savions que c’était risqué et interdit, et nous arrivâmes chez moi bien après minuit. 

Mon père était dans une colère noire. On eut beau lui expliquer que nous serions rentrées plus tôt si nous avions désobéi, rien n’y fit. Nous fûmes sévèrement punies pour le lendemain : interdiction de sortir du jardin, d’aller draguer du côté des baignades ou faire du shopping au Prisunic de Champigny.
 Nous restâmes sur la pelouse où nous eûmes la brillante idée de broder la mascotte Chouchou sur nos tee-shirts, un blanc et un noir, et ainsi de faire sensation à l’émission avec cette innovation.

Texte et image © dominique cozette

La fête du père

Mon père, bel homme dégarni précocement, blond aux yeux bleus, aux lèvres pulpeuses, avec une profonde fossette au menton, nous a légué, à ma petite sœur et à moi, sa longueur étonnante de poils sur les bras. Ses parents picards, gens stricts et de devoir, ayant toujours pris la vie au sérieux, pas méchants néanmoins, refilèrent ces qualidéfauts à mon père qui toujours manqua de fantaisie, de bagage artistique, de sens créatif. Il avait fait “son” droit, travaillé aux impôts. Il inspirait confiance. J’ignorais ce que voulait dire : conseil fiscal lorsqu’il fallait inscrire la profession du père sur les fiches de rentrée. Ça me provoquait même une forme de répulsion pour ce monde de l’argent, de son vocabulaire, des déclarations, les trucs de ce gros un nuage administratif qui persécutait ceux qui n’étaient pas en règle.
Avec ses associés, c’était la bringue le dimanche dans notre banlieue des bords de Marne mais leurs femmes lui faisaient les yeux doux, un peu trop, d’où de sales histoires, puis des ruptures définitives. Pour finir, mon père se réfugia dans une sorte de vie privée dont il nous priva définitivement.
Ces joyeux drilles du dimanche équipés d’enfants de nos âges disparurent de notre vie, nous laissant orpheline d’ami.es. Nous n’eûmes plus que Mimi, le petit rachtèque de la voisine, coupeur de vers de terre en rondelles, pour nous distraire à travers le grillage.

Texte et image © dominique cozette

La première de la classe

C’était en 61 dans la cour du lycée Hélène Boucher, porte de Vincennes à Paris. Le genre de lycée décrit dans Diabolo Menthe de Diane Kurys, sévère, rien que des filles, blouses beiges ou bleues, tenues super correctes, vieilles pies de surveillantes, punitions récurrentes, aucune tolérance aux retards, aux cheveux crêpés, aux jupons gonflants, au maquillage, aux jambes nues, aux pantalons, aux disques qui dépassent du classeur … Cauchemar. Mais lycée super coté grâce à son taux de réussite au bac. Pour auquel on m’a fait redoubler ma troisième parce que j’étais un peu dissipée (insolente / indolente, c’était selon) pourtant j’avais une super moyenne, la preuve : à la rentrée de mon redoublement, la prof nous rend une première copie. Version latine, j’ai la meilleure note. Puis thème latin, idem. Puis, dissertation, pareil… Soudain, énorme sanglot dans la salle de classe. Il provenait de cette fille brune, Jacqueline E., dont d’un seul coup, j’avais arraché la couronne d’excellence ! La pauvre ! Elle était toujours la meilleure partout … même en gym. Et voici cette blondasse, moi, qui lui ravit « sa » place, les doigts dans le nez (oui, je ne m’étais pas cassé la nénette). Alors quand j’ai pu l’approcher, malgré le mépris que je ressentais pour la catégorie première de la classe, je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, ça n’allait pas durer. Effectivement, je suis vite retombée dans une bonne moyenne supérieure bien morne qui correspondait tout à fait à mes ambitions de ne pas me fouler. Nous voici en photo, à droite Chantal devenue Carole que je continue à voir parfois, puis Catherine, la fille au nystagmus dont je ne sais plus rien, Jacqueline E. pareil, et moi-même qui ai tellement détesté ce lycée dont le seul avantage était l’installation de la Foire du Trône juste devant, au printemps, pour un bon mois de drague, d’odeurs de guimauve, de manèges clinquants, de rigolade.

Image et texte © dominique cozette

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