Une autre série d’Aki Shimazaki

Aki Shimazaki est née en 1954 au Japon. En 1981, elle émigre au Canada à Vancouver d’abord puis à partir de 1991 à Montréal. le français est sa langue d’écriture ce qui est extraordinaire quand on pense qu’elle n’a commencé à apprendre le français qu’en 1995.
J’ai déjà parlé d’elle dans ce blog au sujet d’un coffret de cinq petits romans intitulé L’ombre du chardon. Le coffret de cinq autres petits romans que je viens de finir s’intitule Le poids des secrets et le procédé est le même : l’histoire entrecroisée de plusieurs personnes, amis, parents, grands parents, voisins… qui s’éclaircit à mesure que l’on lit les ouvrages offrant chacun un point de vue inconnu des autres protagonistes. Mais ce qui est drôle, si on peut dire, c’est que la source des embrouilles est la même : un enfant illégitime élevé par une mère célibataire trouve une amitié amoureuse auprès d’une autre enfant et tous deux se promettent de vivre ensemble, mariés et heureux, plus tard. Or, ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils sont du même père.
Il y a d’autres secrets ici. Avant la naissance de son petit garçon issu de sa relation interdite, Namiko a perdu sa mère et son oncle dans le tremblement de terre de 1923. Elle avait douze ans. Sa mère l’avait confiée à un abbé catholique, un humaniste sauvant des petits orphelins, qui a pris soin d’elle, l’a aimée et l’a bien éduquée. Or Namiko n’est pas une pure Japonaise, elle est originaire de Corée et ce métissage est très méprisé au Japon. C’est l’abbé qui s’arrangera pour gommer cette « tare » qui deviendra encore un lourd secret.
Et il en aura bien d’autres, ainsi que des péripéties époustouflantes qui marqueront tous les personnages dont les auteurs de la destinée semblent s’amuser follement.
Cinq petits livres plaisants à lire, très japonisants, qui nous plongent dans un peu de l’histoire nippone, les bombes atomiques, le mépris de classe, les cachoteries, l’hypocrisie bourgeoise etc. On peut les lire dans n’importe quel ordre, c’est parfait pour se les partager.

Le poids des secrets (2003-2004) par Aki Shimazaki réédité récemment aux éditions Babel Actes Sud. Coffret de cinq petits romans. 500 pages, 35,50 €

Texte © dominique cozette

Raymond Radiguet il y a cent ans

Il y a cent un ans disparaissait Raymond Radiguet, victime de la typhoïde, à l’âge de vingt ans. Quand on lit tout ce qu’il a fait entre ses quinze et vingt ans, on est sidéré. Et éberlué aussi de ce qu’il aurait fait s’il avait vécu. Chloé Radiguet, sa nièce (qui ne l’a connu que par ce que son père, le frère de Raymond lui en a dit), et Julien Cendres ont réalisé un travail de fourmi pour mettre à jour tout ce qu’il faut savoir sur ce frêle jeune homme et le foisonnement de sa courte vie dans le livre intitulé Raymond Radiguet. Un jeune homme sérieux dans les années folles.

Raymond voulait réussir et comme il étaiy futé, il a su, dès son adolescence, frapper aux bonnes portes et se faire immédiatement accepter par le tout Paris des années folles, principalement par Cocteau qui se prit d’intense amitié toute platonique pour le jeune garçon si mature et si talentueux. De là s’ensuivirent cinq années de folie, de fêtes, de relations, de voyages, d’amitiés et d’amours vécues en même temps qu’un désir immense de percer dans le monde littéraire. Entre artistes, sculpteurs, musiciens, égéries et écrivains, Raymond a trouvé une belle place, accueilli partout avec empressement et bienveillance. C’est Bernard Grasset qui décida de le lancer de façon tonitruante, comme un produit de consommation : il eut droit, pour Le diable au corps, à une campagne publicitaire hors normes et inédite dans le domaine si sérieux des lettres. A cause de cela, il fut surnommé le bébé Cadum de la littérature et son roman, qui provoqua un énorme scandale, fut vite en rupture de stock et devint (il l’est resté) un livre internationalement admiré.
Avant cela, il a écrit bien des choses, très souvent en collaboration non seulement avec des gens de plume mais aussi avec des compositeurs, des gens de théâtre et d’autres artistes. Poèmes, petites pièces, saynètes, articles, pièces musicales… il ne refusait jamais de mettre son talent au service d’un des arts. Il dessinait aussi et peignait.

Il a enchaîné très vite, entre autres activités variées, l’écriture du Bal du comte d’Orgel, toujours sous l’égide de Bernard Grasset (qui racheta d’autres contrats que Raymond avait passés avec des éditions mineures) et c’est lorsque celui-ci lui remit les épreuves du Bal à corriger que Radiguet tomba malade. Il ne connut pas la sortie de ce roman qui obtint un grand succès.

Tout Paris, toutes les personnalités possibles assistèrent à ses obsèques car Radiguet était devenu un auteur incontournable. Ces personnalités sont citées dans cet ouvrage, comme la plupart de ses faits et gestes au jour le jour, ses états d’âmes, ses petits arrangements, ses déplacement, ses délires lors de fêtes mémorables, ses coups de cœur. Des années de compilation de lettres et de témoignages car Raymond ne tenait pas de journal ! Sa courte vie est passionnante à découvrir, on ne s’ennuie pas avec un compagnon aussi fertile en événements divers.
Pour info, la photo de couverture est signée Man Ray. Forcément (Picasso et d’autres grands artistes ont aussi réalisé son portrait).

Raymond Radiguet. Un jeune homme sérieux dans les années folles par Chloé Radiguet et Julien Cendres, 2023 aux éditions Robert Laffont. 306 pages, 24 €.

Texte © dominique cozette

Drôle de routines !

J’ai lu ce livre, Routines, sans rien connaître de l’auteur, Fabien Truong, j’avoue que le suspense est assez prenant, avec pour « prétexte » une personne qui, sur les réseaux sociaux, se vante de décapiter et signe « votre serviteur ». Qui, pourquoi, où ? Et qui sert-il ?
On le sait, d’ailleurs, qui il est, puisqu’il s’appelle Tibor, qu’il utilise l’ordinateur de la médiathèque locale où travaille sa copine pour envoyer ses messages sinistres. Cela se passe dans un petit village tout ce qu’il y a de plus tranquille. On suit Tibor avec ses potes, ses complices, on apprend qu’il entrepose les têtes dans le conteneur prévu à cet effet. Ça glace le sang. Trois étudiantes qui vivent là ont disparu. Les indices sont inexistants, tout est nettoyé avec soin, et lui sait qu’on ne retrouvera rien. D’autant plus qu’il est doué en technologies et qu’il sait s’y prendre pour sourcer ses interventions de différents points du globe. Les flics ne sont pas si cons et pourtant, rien ne filtre.
On devine que Tibor est en proie à un énorme malaise, qu’il a besoin de souffler auprès de sa petite amie lorsqu’il a œuvré. Plus tard, on apprend que les trois étudiantes ont été retrouvées vivantes, elles avaient juste passé le week-end totalement déconnectées, pour un petit sevrage. Pourtant, le buzz augmente, les posts du serviteur continuent à le nourrir…
Fabien Truong est sociologue, il travaille dans les quartiers difficiles depuis longtemps et se consacre principalement à la délinquence. Ce qui ajoute à la qualité du texte.
Mais le mieux, c’est la fin. J’étais scotchée !

Routines de Fabien Truong, 2024, aux éditions Rivages. 300 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

Les sœurs Groult, ces coquines !

J’ai acheté le pavé Benoîte Groult sous-titrée « comme elles sont », dans l’édition Bouquins car j’adore la verve de cette femme dévorante de vie. Elle est drôle, vraiment cash et son écriture me ravit.
Journal à quatre mains est le premier ouvrage de cette compil, et il est vraiment passionnant.
Je me régale ! Ecrit dès 1940 avec sa jeune sœur Flora, 15 ans, elle-même en a 19 au début du journal, il raconte sans ambages leur jeunesse en pleine guerre, occupation même puisque Pétain vient de vendre la France aux Allemands. Elles vivent dans les beaux quartiers rive gauche, dans un entre-soi bourgeois bien confortable, fréquentent le beau monde, se cultivent, sortent, il y a toujours du monde chez eux — d’ailleurs la marraine de Benoîte est Marie Laurencin — et elles sont très libres. Pensez qu’en 41, elles s’incrustent dans un groupe de kayaks pour descendre une partie de la Loire, campant pendant quinze jours avec des jeunes qu’elles ne connaissent pas . Elles ont pour collègues de rame deux types très moches mais qui possèdent énormément de bonne nourriture, ce qui ne gâche rien en cette sinistre période de restrictions.
On y croise leurs flirts, leurs histoires de cœur plus ou moins sérieuses, leurs montées d’hormones et leurs chagrins… et le tout se conclura par le mariage, recherche effrenée du beau parti qui conviendra à leur mère (mais ne conviendra justement pas), il y aura aussi un veuvage puis beaucoup de plans cul avec de beaux Américains libérateurs. Les parents voient ces écarts d’un bon œil, ils ont confiance en leurs filles, en la vie.
Le Journal est drôle, bourré humour, surtout celui de Benoîte. Elle ne manque pas de cynisme et de causticité, c’est une dure à cuire côté cœur alors que Flora est toute naïve et quelque peu moraliste, pas trop non plus. Elles s’adorent et se fustigent en même temps, émettent des critiques cinglantes l’une envers l’autre.
Et puis il y a les hommes, les garçons, quoi, les bals, les boîtes malgré le froid, les couvre-feu, les galoches en bois qui se brisent en pleine rue. Il y a ceux qu’on aime mais qu’on ne veut pas épouser et l’inverse. Vers la fin de la guerre, l’une d’elle va perdre son mari à peine fréquenté car vite mobilisé, puis en refuser un autre dont elle est pourtant très amoureuse mais… vous verrez bien, et l’autre va s’en dénicher un inattendu.Beaucoup de choses sont d’ailleurs inattendues dans le journal de ces deux femmes libres qui n’ont pas vraiment de censure pour notre plus grand plaisir.
NB : Journal a été édité lorsque Benoîte avait quarante ans, elle l’a donc bien retravaillé, ce qui explique une belle maturité peu compatible avec l’âge des protagonistes. C’est Blandine de Caunes, sa fille, qui nous raconte tout ça dans la préface de cette édition.
Vraiment passionnant, car leur histoire, tellement vivante et actuelle, s’inscrit dans un contexte de guerre, d’occupation, dont elles ne se privent pas de nous faire partager de nombreux détails.

Journal à quatre mains dans l’Edition Bouquins avec cinq autres écrits de Benoîte Groult. 2024. 1152 pages, 32 €

Texte © dominique cozette

La Reine du roman noir

Après le succès de « 18.3: Une année à la PJ« ,adapté brillamment par Dominik Moll dans « La Nuit du 12« , Pauline Guéna nous offre un nouveau roman noir intitulé sobrement Reine, qui est le prénom d’une très jeune femme dont on n’apprend que peu de chose, émigrée « ramenée » d’Amérique latine par un petit mec de la pègre qui tient un bistro glauque à Champigny, qui l’esclavagise, la brutalise, la brise, lui fait tout faire, même le sexe bien sûr.
Le personnage très important du roman est un tueur à gage, Marco, dont on apprend toute l’histoire, enfance difficile en Corse où il soupçonné d’un meurtre qu’il n’a pas commis et qui l’oblige à se planquer. Pour les autres, il assume totalement, c’est son boulot, il ne rate jamais sa cible. Follement épris de Reine qui le lui rend bien mais très discrètement, il tuera le tenancier, mais blessé lui-même, il part en cavale et atterrit à un endroit que je vous tairai.
Enfin, le personnage qui relie ce petit monde est Léan, un jeune journaliste sous employé par un patron pleutre et un rien sadique. Il fera l’enquête de ce fait divers sanglant en douce du journal et sera forcément bien récompensé.
Tout ceci est d’un noir soulagesque, je parle du peintre et des centaines de nuances de cette non-couleur, ses vagues, ses pleins et ses déliés, tout ça pour dire qu’il y a aussi de grand sentiments dans ce livre qui tient éveillé et que je ne regrette pas d’avoir acheté (car l’image de couverture ne me plaisait pas. A quoi cela tient !)
C’est très fort, c’est royalement écrit, intelligemment et avec sensibilité. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Rien.

Reine de Pauline Guéna, 2024, aux éditions Denoël. 244 pages, 20€.

Texte © dominique cozette

L’ami

L’Ami de Sigrid Nunez a reçu le National Book Award en 2018, c’est dire que c’est un très bon livre. Mais pas nécessairement d’accès facile, tout comme le précédent de cette autrice dont j’ai fait un article il y a peu. Sigrid Nunez est une femme qui digresse énormément, elle est extrêmement cultivée, on a l’impression que la littérature, américaine comme européenne n’a plus de secret. On peut aimer la suivre dans le dédale de ses pensées. On peut ne pas.
Ici, l’ami auquel elle s’adresse (elle lui dit tu ) est un homme qu’elle connaît depuis longtemps, qui l’a formée pour ainsi dire et qu’elle n’a jamais cessé de fréquenter malgré ses trois mariages. C’est sa troisième épouse qui contacte la narratrice pour lui confier le chien que l’ami, mort par suicide sans un mot ou une lettre, a laissé. Cette femme ne peut pas s’en occuper, alors la narratrice va recueillir cet énorme danois, plus tout jeune et grand comme un poney, dans son minuscule appartement new-yorkais où les chiens sont interdits. Au départ, il est passif, voire neutre, elle pense qu’il est affligé de ne plus voir non maître. Et il prend possession du lit, elle n’ose pas l’en déloger. Sinon il se promène dans la rue gentiment, sans aucun problème, sous l’admiration des badauds croisés.
Ce chien, qu’elle appelle Apollon, va devenir sa thérapie, il va l’aider à surmonter sa peine et même si certains de ses amis ne veulent plus la voir à cause de lui, elle continue à creuser le sillon de l’empathie avec cet animal. Peu à peu, ils vont finir par se comprendre, enfin plus ou moins pour ce qu’on peut savoir sur une telle cohabitation. Très beau passage où elle se rend compte qu’il adore l’écouter lorsqu’elle lit ses textes à haute voix. Et qu’il les réclame.
Ce livre explore de nombreuses questions, notamment sur les relations humains-animaux, leur compréhension réciproque, avec beaucoup d’exemples piochés dans la littérature et des anecdotes rapportées de loin. Questionnement aussi sur le suicide, sur l’écriture (son ami était comme elle prof de lettres et écrivain). L’amitié va aussi être un de ses sujets de prédilection, toujours à la recherche de comparaisons écrites par d’autres. Ce livre un peu complexe n’a rien à voir avec Mon chien stupide, par ailleurs très chouette bouquin de John Fante.
Vers la fin du livre, remarquons que le « tu » qu’elle adressait à son ami est dorénavant adressé au chien lui-même, glissement de l’amitié sûrement.

L’ami de Sigrid Nunez. ( The Friend 2018). Au Livre de Poche, traduit par Mathilde Bach. 236 pages, 7,90 €

Texte © dominique cozette

Le couteau

Le couteau est le premier livre de Salman Rushdie que je lis. Le sous-titre est à l’intérieur du livre : Réflexions suite à une tentative d’assassinat. C’est cela qui m’a tentée. Les réflexions. Le livre en est truffé, il se pose d’infinies questions, notre survivant mais pas forcément sur la religion. Il revient sur des épisodes passés, il nous présente sa nouvelle femme (j’ai regardé sur Google : une bombe ! Comme d’ailleurs la première) qu’il venait juste d’épouser. Il nous renseigne très vaguement sur l’assassin raté, un jeune type qui n’a lu que trois pages des Versets Sataniques, donc pas du tout au courant de la raison pour laquelle Rushdie avait cette fatwa sur la tête.
Et puis il nous décrit avec une précision chirurgicale, c’est le cas de le dire, les interventions, les souffrances, les tortures que son corps a subies, le travail des soignants, les ruses pour échapper ensuite aux paparazzi. Les énormes inconvénients d’être loin de chez lui, blessé, borgne surtout. L’histoire de sa main qui a bien morflé. Il n’oublie pas les morts pour la liberté d’expression dont les victimes de Charlie sur lesquelles il revient souvent.
Et puis il évoque aussi le vie insouciante qu’il avait fini par mener, pensant la menace éteinte, depuis tout ce temps. Comble de l’ironie : cette attaque s’est produite alors qu’il se trouvait dans un endroit extrêmement protégé, créé pour les artistes menacés justement. Comme quoi.
Tout le livre est assez palpitant même si l’on sait que Rushdie a échappé au pire. Le seul long passage assez ennuyeux : le chapitre où il imagine un dialogue entre lui et son agresseur emprisonné. Comme il ne veut pas le rencontrer en vrai et que d’ailleurs celui-ci ne parle pas, il créé cette rencontre qui manque énormément d’intérêt. Evidemment qu’il peut facilement lui claquer le beignet à ce pauvre mec, pas la peine d’en rajouter. Bon, je pense que ça lui a fait du bien de l’affronter, même pour de faux.
Le Couteau se lit comme une puissante réflexion porteuse d’espoir sur la vie, parfois intime, où il déroule une ode à l’amour, à la création artistique comme espace de liberté absolue.

Le couteau de Salman Rushdie, 2024 aux Editions Gallimard. Traduit par Gérard Meudal. 270 pages, 23 €.

Texte © dominique cozette

Allô Doudou bobo !

Petite référence à la Souche pour ce nouveau livre d’Edouard Louis que sa maman a peut-être surnommé Doudou dans l’enfance. En tout cas, elle l’appelle un soir au secours car elle n’en peut plus de l’homme avec qui elle habite. Le livre s’appelle Monique s’évade et c’est bien de cela qu’il va s’agir. L’écrivain est alors en résidence en Grèce quand survient ce coup de fil inquiétant, sa mère est en danger car le mec est violent quand il est bourré et il l’est tout le temps.
Pourtant, tout avait bien commencé. Monique, la mère d’Edouard Louis donc, avait viré son mari, le père d’icelui, assez brutalement puis était venue vivre à Paris, histoire racontée par le fils, tout allait bien, elle avait même rencontré Catherine Deneuve, elle qui sortait d’un trou à rat. Hélas, ce nouveau compagnon peu à peu devient un tel cauchemar et une telle menace qu’il faut agir vite. Alors le fils appelle ses amis à Paris et ce sont eux qui vont aider la dame, l’accueillir, l’installer dans l’appartement de son fils, lui acheter des provisions et lui prêter de l’argent. Puis Edouard Louis va téléguider, par téléphone, la suite des événements, c’est difficile et stressant. Il faut aussi qu’il demande de l’aide à sa sœur avec qui est fâché depuis dix ans, mais les choses se font…
Plein de petits détails sur la vie de la maman nous sont narrés, ses goûts, ses teintures, ses désirs. Et puis surtout, et ça n’est pas rien, il la décrit quand elle devient l’héroïne de sa propre histoire (celle où elle se métamorphose) sur une scène de théâtre et qu’elle monte sur scène où elle est acclamée. Quelle revanche !
L’histoire n’est pas banale, certes, l’écrivain se montre sous le jour du bon fils, revient sur toutes les critiques qu’il avait émises sur sa mère, sa violence notamment dans Eddie Bellegueule, explique pourquoi elle ne pouvait qu’être ainsi face à la violence du mari, de leur pauvreté et de leur croupissement dans leur trou du nord où aucun espoir d’amélioration ne pouvait s’envisager.
C’est un court récit un peu paresseux (je trouve), pas très creusé car apparemment l’écrivain était sur un autre projet (son frère) mais malgré tout suffisamment intéressant « sociologiquement » pour que les médias en parlent avec enthousiasme. Les problèmes de transfuges de classe, ils aiment bien, les médias actuellement. Mais c’est bien quand même, si, si…

Monique s’évade d’Edouard Louis. 2024 aux éditions du Seuil. 170 pages, 18 €

texte © dominique cozette

Journal d’un vide

Dans ce livre, Journal d’un vide, madame Shibata est une trentenaire employée dans une entreprise de contrôle de tubes en carton. C’est d’autant moins passionnant comme job qu’étant la seule femme de toute l’équipe, c’est à elle qu’incombent les tâches dites féminines dans les sociétés machos comme le Japon : rangement des salles de réunion, café à faire, à servir, à débarrasser etc. Un jour, elle en a marre, la vision et l’odeur de mégots dans un fond de café l’écœurent, alors, pour couper court à cette corvée, elle déclare qu’elle est enceinte et que cela lui donne des nausées.
Elle n’est pas enceinte, elle vit seule, n’a pas de liaison. Elle travaille face à un employé comme elle qui ne cesse de l’observer, de la scruter.
Elle tient bon. Du coup, elle accède aux privilèges réservés à son état : quitter tôt, être respectée, ne plus accepter certaines tâches. Elle découvre les heures de pointe de l’après-midi mais aussi le plaisir de trouver encore des produits frais au super market et d’avoir le temps de cuisiner, et même de prendre des cours de gym prénatale.
Il lui faut adapter son physique au mensonge. Ça commence par des tissus enroulés sur son ventre puis, comme elle mange beaucoup et qu’elle grossit, elle s’en passe. C’est un peu là où le bât blesse, ainsi que la séance d’échographie. Tout ça manque un peu d’explications crédibles. La fin est un peu schématique aussi. Certes, ce n’est pas un chef d’œuvre mais l’intérêt de cette fable est de nous faire découvrir le monde du travail au Japon où la femme a encore fort à faire pour une certaine égalité…

Journal d’un vide d’Emi Yagi, 2020. Traduit par Mathilde Tamae-Bouhon. Aux éditions de poche 10/18. 212 pages, 8,60 €.

Texte © dominique cozette

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