De l’Irlande à Brooklyn

Brooklyn est le deuxième roman de Colm Toibin, auteur du très prisé Le Magicien. Il raconte une histoire palpitante située dans les années cinquante, qui commence dans un bled irlandais où vit Ellis Lacey, avec sa mère, sa grande sœur Rose, une belle femme qui travaille, joue au golf mais surtout, rapporte l’argent à la maison. Les trois frères sont partis travailler à Londres. La jeune Ellis ne trouvant pas d’emploi, est engagée chez une femme qui tient un commerce, une sale patronne qui profite de la situation de pauvreté de ses employés. L’avenir est peu joyeux quand une de leurs relations, un prêtre qui vit à New-York, propose à la jeune fille de l’y rejoindre car là, il y a du travail pour qui est sérieux. Il connaît une logeuse chez qui elle pourra s’installer en toute sécurité. Entre le désespoir de quitter sa famille et l’espoir de gagner de l’argent pour l’aider, Ellis balance. La traversée en paquebot en troisième classe vaut son pesant de vomi (oui oui). A New-York, elle travaille comme vendeuse dans un grand magasin, souffre du mal du pays, ne se livre pas. S’ennuie le soir car n’aime pas les autres filles qui partagent la pension. Ni la propriétaire qui les surveille toutes d’un peu près.
Puis en acceptant d’aider le prêtre à organiser une grande fête de noël pour les pauvres, elle fait des rencontres. Notamment celle d’un jeune homme qui l’invite à danser, un Italien (ce n’est pas très bien vu) qui a « malgré tout » de bonnes manières et sait la charmer en douceur. La relation devient sérieuse alors qu’elle doit retourner en Irlande pour de graves raisons familiales. Avec ce un voyage en bateau d’une semaine, on n’y va pas comme ça ou on en revient pas d’un saut de puce. Elle va devoir rester en Irlande quelques temps pendant lequel il va se passer des événements qui vont orienter le destin de la jeune fille.
On se promène dans ce livre à une époque sinistrée où les filles et les femmes commençaient à vouloir s’émanciper. Rien n’était pourtant gagné et l’étau autour d’elles toujours bien serré.
Beaucoup de suspense dans cette histoire assez lente, très descriptive mais dont on bout de connaître la suite. Ce livre a été écrit en 2009. Mais une suite vient de sortir, qui s’intitule Long Island et se passe vingt ans plus tard, j’ai hâte de l’acheter, j’attends juste qu’il soit en poche car mon budget bouquins n’est pas illimité.

Brooklyn de Colm Toibim (2009), traduit par Anna Gibson, au Livre de Poche. 380 pages, 8,90 €.

Texte © dominique cozette

Le romantisme érotique d’Emma

Il ne s’agit pas d’Emma Bovary mais d’Emma Becker qui avait eu le cran de passer un an dans une maison close pour y écrire un livre sur la prostitution. Que je n’ai pas lu. Elle ne manque pas de cran non plus, cette belle autrice pour évoquer, au jour le jour, sa passion amoureuse dans Le Mal joli. Une passion amoureuse axée d’abord sur le désir pour la queue (je ne travestis pas ses mots) de son nouvel amant, un beau noble de St Germain des Prés, coureur de jupons, de coups d’un soir, comme elle, et écrivain comme elle. Ce qui est bien pratique pour se trouver des plages de rencontres, signatures, festivals de livres, etc… et s’envoyer en l’air avec une fougue absolument délirante. Absolument délirante, parfaitement.
Antonin, son amant, entretient une relation un peu lâche depuis cinq ans et est père d’une ado. Emma, plus contraignant, est mariée et mère de deux enfants en bas âge. Pas très pratique tout ça d’autant plus qu’elle vit dans le Sud.
C’est elle qui le cherche au début et elle le trouve. Peu à peu, l’attrait de leurs corps dont ils ont libéré toutes les digues d’inhibitions laisse une place grandissante à des sentiments plus profonds, des manques douloureux pour l’un comme pour l’autre, surtout l’été où lui s’exile dans son île mexicaine pendant deux mois et demi. Deux mois et demi ! Mais quel enfer ! Le mari d’Emma est peu présent mais elle-même se rend bien compte qu’elle néglige totalement ses petits tellement la pensée pour l’autre est envahissante.
(NB pour ceux qui picolent, c’est un livre de bourrage de gueule dans presque toutes les rencontres. Ça décomplexe un peu).
Donc un bouquin assez marrant parce qu’elle s’en donne à cœur joie de décrire certaines pratiques sexuelles, notamment celles qui tournent autour du cul si je puis m’exprimer comme elle, lavements, introduction au ralenti de la verge puis son goût pour l’anulingus dont elle ne nous prive en rien. Un vrai tuto ! Son amant en redemande, il frôle le priapisme pathologique, bref ils n’arrêtent pas. Et puis elle nous livre aussi des théories sur les meilleurs coups qui sont plutôt de droite (à vérifier, mes amies), nous dévoile les personnages typiques du monde éditorial et ses problèmes avec le pet. Voilà, c’est lâché. On peut dire aussi que c’est bien léché (ah ah que je suis drôle !). C’est donc un livre intéressant, distrayant, instructif mais avec quelques longueurs / langueurs quand le monsieur est dans son île. Les SMS sont un peu longuets. Mais ça passe crème comme on dit chez sodomites bretons (ah ah, mais qu’est-ce que j’ai aujourd’hui ?). Le Masque et la Plume en ont fait leurs choux gras.

Le mal joli d’Emma Becker, 2024, aux éditions Albin Michel. 416 pages, 21,90 €.

Texte © dominique cozette

La Petite Bonne

Très très beau livre de Bérénice Pichat qui nous conte trois jours de La Petite Bonne chez les Daniel, dans les années 30. Les Daniel, un couple de bourgeois mariés depuis longtemps. Lui, Blaise, a été grièvement blessé lors de la Grande Guerre et, malheureusement, un chirurgien s’est acharné à l’opérer plutôt que de laisser à sa belle mort. Ce que le pauvre homme ne cesse de ressasser. S’il le pouvait, il s’enverrait ad patres, il possède un Lebel mais comment faire quand on est mutilé de partout, plus de bras, plus de jambes ? Ne parlons pas de son visage, fracassé, horrible, dégoûtant, qui lui interdit les visites, il fait trop peur. Sa femme ne l’a pas quitté, elle s’efforce d’être la femme parfaite d’un grand malade dépendant, de s’occuper de lui avec application. Mais sans grande tendresse.
La Petite Bonne vient travailler régulièrement chez eux. Alors Blaise, un jour, demande à sa femme d’aller re-vivre enfin, prendre du plaisir chez leurs anciens amis lors d’un week-end de chasse. Et la Petite Bonne, qui n’a pas de nom, s’occupera de lui. Blaise ourdit un plan fondé sur la présence et la docilité de cette petite personne qui ne l’a jamais approché. Ancien pianiste, il croupit dans sa pièce, le regard vers l’extérieur, sans rien pour le distraire. Elle voit que son dos.
L’épouse, de son côté, ne passe pas du si bon temps que ça, elle a perdu l’habitude, elle attend trop de ce moment de liberté et puis ses amis, bof.
Pendant ce temps, les deux handicapés (la bonne l’est socialement, consciente de sa place) doivent s’apprivoiser. Il faut bien qu’il mange, qu’il soit propre… C’est cette situation incongrue entre deux êtres incompatibles qui va créer un improbable échange qui va bouleverser le mari et sa vision de la vie.
La forme de l’écriture est originale, majoritairement en vers libres, c’est la partie de la Petite Bonne, des pensées simples, courtes. Quand il s’agit d’un des personnages du couple, retour à la prose, plus sophistiquée, avec des adjectifs, des adverbes, des phrases longues, classiquement bourgeoises.
Belle histoire qui laisse un goût d’amertume mais ravit les papilles du cerveau (oh la la !)

La Petite Bonne de Bérénice Pichat, 2024 aux éditions Les Avrils. 270 pages, 21,10 €

Texte © dominique cozette

Jaenada est de retour

La désinvolture est une bien belle chose est le titre du dernier livre, dernière enquête de Philippe Jaenada, phrase tirée d’un livre dont j’ai oublié la référence. Cette fois encore, après toutes ses recherches sur des disparus, Jaenada s’attaque à une autre histoire : ayant vu la photo de « gosses » (des ados de 16/18 ans) attablés dans un café de Saint Germain des Prés et avoir appris que la très belle Kaki, 18 ans, s’est défenestrée alors que la vie lui souriait — tout le monde l’adorait et elle vivait un bel amour dans un petit hôtel avec un soldat américain sous les yeux duquel elle s’est suicidée — il veut en savoir plus. Cela lui a rappelé la Ballade du Café triste (autre titre emprunté) de Modiano qui a lui aussi fréquenté cette sorte de havre de gentillesse appelé Chez Moineau. Un petit café crade, moche, minuscula, avec un couple qui accueillait à bras ouverts tous ces petits moineaux affamés, gais et existentialiste. Il veut en savoir plus, Philippe, on le connaît, il fouille, il farfouille, il a une armée d’informateurs bien placés, même dans la police, pour retrouver TOUT ce qui concerne un personnage.
Et c’est ce qu’il va se passer dans ce livre de 496 pages. Ça commence à Dunkerque où il avait déjà enquêté sur Pauline Dubuisson (La Petite Femelle), celle qu’avait jouée BB dans la Vérité, qu’avait trahie Clouzot en en faisant une excitée. Donc, il est avec sa femme dans cette ville et au lieu de rentrer avec elle à Paris, il décide de faire le tour de France par les bords, d’abord par la côte et quelques villes balnéaires, ensuite par des villes frontières.
Le livre est très fouillis. Et très fouillé. L’auteur s’enregistre puis c’est rejeté ainsi sur le papier. C’est l’impression que j’en ai. S’y côtoient les résultats de recherches que lui envoient ses collaborateurs/trices, ses impressions sur la ville et les anecdotes que tout ça lui évoque.
Concernant le café et Kaki, on va y rencontrer quelques pointures de l’époque, notamment Guy Debord qui fréquentait la même bande. Il est aidé aussi par un livre de photos qui a immortalisé toute la clique. Au fil des pages, la famille de la jeune fille va être retrouvée, et c’est pas du nanan, enfance difficile etc… ! jusqu’aux pages finales où il ira sur sa tombe retrouvée. Quelle opiniâtreté pour avoir déniché tous les détails de la vie de ces gens soixante-dix ans après. Incroyable. Mais parfois fastidieux.
Là je recopie un avis qui exprime ce que je veux dire : Étant pourtant une inconditionnelle de Philippe Jaenada, je dois cependant avouer que j’ai été à deux doigts de renoncer à ma lecture, tant les personnages étaient nombreux, les références à d’autres tout aussi nombreuses, et même le conseil de l’auteur nous invitant à ne pas s’embêter à retenir tous les noms ne m’a pas complètement convaincue. J’ai dû persévérer encore un peu et ne l’ai pas regretté tant, petit à petit, j’ai été captivée et émue par ce roman psycho-géographique, et me suis prise d’affection pour ces émouvants Moineaux et particulièrement pour cette magnifique Kaki représentée sur la très belle photo de couverture du roman.
Oui, un livre passionnant quand on apprécie ce genre et qu’on aime Philippe Jaenada, ce qui est mon cas.

La désinvolture est une bien belle chose de Philippe Jaenada, 2024 aux éditions Mialet-Barrault. 496 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

Un super (vieux) Murakami

J’ai relu Au sud de la frontière à l’ouest du soleil (vous parlez d’un titre !) que j’avais complètement oublié (c’est pour ça que je fais mes articles) de Haruki Murakami, qui date d’avant le smartphone, on n’a plus l’habitude de lire des histoires contemporaines sans cet accessoire envahissant.
C’est une histoire tendance sentimentale avec un chouïa d’érotisme, beaucoup de suspense, énormément d’états d’âme et des personnages extrêmement bien campés. Imaginés, plutôt. On les voit tellement ils sont bien représentés.
Le héros nous livre ses amours marquantes. Et ça commence à l’école, quand il devient ami avec une fillette qui comme lui est enfant unique, ce qui est rare et mal vu des autres enfants à cette époque, ce qui les rapproche, d’autant plus qu’ils sont voisins. Les parents de Shimamoto-san, la fillette, sont amateurs de jazz et les deux pré-ados ne cessent d’écouter les standards dans le salon. Ils sont extrêmement proches, lui est l’amoureux innocent de la gamine, c’est un sentiment très fort. Hélas, ses parents déménagent et bien qu’ils ne soit pas très loin, il ne va pas la revoir, par manque de confiance en lui, peur d’être rejeté.
Puis au lycée, il tombe amoureux d’une jeune fille dont il a été attiré comme jamais, mais il va mal se comporter, elle va en souffrir, il n’est pas fier de lui. Le temps passe, il fait des études de lettres, exerce un travail sans intérêt dans une maison d’édition, petite vie sans envergure. Il n’a pas de grandes ambitions, il pense souvent aux deux filles qu’il a le plus aimées il y a déjà des années. Puis rencontre celle qui deviendra sa femme.
Là encore, c’est une attirance irrépressible qui le lie à cette femme. Il l’aime vraiment. Ils ont deux fillettes. Son beau-père, un entrepreneur pété de tunes, l’aide à se reconvertir. Il monte alors un café, un bar de jazz, puis un deuxième. Il n’ira pas plus loin malgré le succès, cela lui suffit.
Un beau jour, Shimamoto-san se pointe au bar ce qui va bouleverser sa vie. Ils ont 37 ans, tous les deux et des souvenirs très prégnants. Que va-t-il se passer ? C’est tout le suspense de ce livre où le héros se torture avec des tas de regrets, de questions, de pensées coupables, de raisonnements, de frustration, d’envies, de désir.
C’est une histoire terriblement intéressante où l’on ressent les pensées d’un homme en proie à un inoubliable amour en lutte lui-même avec l’amour présent, celui pour sa femme et ses enfants, tout ce qui germe dans sa tête, la folie de l’attente de cette personne qui ne viendra peut-être jamais. Un homme torturé par les spéculations, les fantasmes, le mystère…

Au sud de la frontière à l’ouest du soleil de Haruki Murakami, 1992. Chez 10/18. 260 pages, 8€.

Texte © dominique cozette

Roman de gare

Roman de gare, c’est son titre, est le seul roman actuel que je connaisse avec une couverture dure.
Valait-ce le coup d’être dit ? Philibert Humm avait commis il y a peu un roman irrésistible qui s’intitulait Roman fleuve (voir mon article ici) ce qui explique que je me sois ruée sur ce dernier.
Le talent premier de Humm, outre ce nom farfelu, est de manier la langue avec beaucoup d’esprit comme je l’expliquai précédemment. Il ne varie pas, c’est extrêmement plaisant à lire, l’humour l’habite (sans jeu de mot) et notre cerveau se déride quelque peu, ce qui n’est pas courant dans les circonstances actuelle.
Mais l’aventure contée ici manque un peu de ressort. Un aventurier de comptoir est poussé à y aller, à l’aventure, et il choisit de devenir hobo, comme certains laissés pour compte aux Etats-Unis dans les 50’s, qui bossaient parfois dangereusement sur les trains et s’embarquaient clandestinement pour un ailleurs plus prometteur.
Ici, il débauche un de ses pote, sorte de Bérurier, volumineux, goinfre, truculent, pour aller de gare de triage en gare de triage. Départ : Villeneuve-le-Roi. ça ne père pas très haut, dommage. Le livre aurait dû faire la moitié pour ne pas devenir lassant. Mais enfin, il y a de bons passages… Je ne sais pas si je vous l’ai bien vendu.

Roman de gare de Philibert Humm. 2024 chez Equateurs. 236 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

Horrible père

Vous connaissez l’effroyable histoire de ce violeur D. Pelicot qui droguait sa femme « aimée » pour la faire violer par des hommes qu’il recrutait sur un site, soixante-dix au compteur, cinquante au procès en cours que les avocat.es tentent de blanchir… Et j’ai cessé de t’appeler papa a été écrit par Caroline Darian, leur fille, qui narre sous la forme d’un journal l’horrible nouvelle qui va pulvériser leur vie.
Bien sûr, si on s’y intéresse, on pense connaître à peu près tout de cette histoire relayée par les journalistes. Mais le point de vue de la fille, « à chaud », complète le terrible portrait de ce criminel en montrant au jour le jour, comment de sa prison il continue à gérer son emprise sur sa femme (qui est divorcée aujourd’hui) par des manœuvres interdites, comment il réussit par ce biais et le talent des pervers à fâcher la mère et la fille, la première étant dans un déni cultivé par mari.
Il montre aussi que cet homme, non content d’offrir sa femme aux violeurs, donnait à ces derniers la recette des médicaments pour qu’ils puissent reproduire ces manœuvres criminelles (et dangereuses) par lesquelles il a aussi profité des femmes des autres. On apprend en qu’il s’intéressait de très près au corps de sa fille (on l’a su par la presse) mais aussi de ses belles-filles…
Et surtout, on se transporte dans la tête d’une victime collatérale, de la souffrance que cela engendre, de la façon dont elle a pris les choses en main pour épargner sa mère (elles se sont bien sûr réconciliées) et son petit garçon. On y apprend que ces faits étant exceptionnel, les médecins et autres soignants n’ont jamais pu deviner pourquoi la mère perdait la tête et la mémoire, pourquoi son corps s’abîmaient et ses organes génitaux présentaient de graves lésions. Et j’en passe.
Aujourd’hui, ce livre (en poche) est réédité, très bien relaté par son autrice seule. Il court de novembre 2020, lorsque la famille apprend les crimes du père, jusqu’à novembre 2021, une première année de torture psychologique. Un livre poignant, tranchant, sans misérabilisme.

Et j’ai cessé de t’appeler papa par Caroline Darian, chez Harper Collins Poche. 174 pages, 6,90 €

Texte © dominique cozette

On n’est plus des gens normaux

On n’est plus des gens normaux est le premier roman de Justin Morin, journaliste, qui avait couvert un fait divers particulièrement dramatique : un jeune homme au volant d’une voiture qui fonce sur la terrasse d’une pizzeria où sont attablées de nombreuses personnes dont Angela, jeune fille de 13 ans, tuée sur le coup. Et faisant de nombreux blessés dont la père et le petit frère de 3 ans. La mère est traumatisée et le frère aîné de la fillette s’en sortent mieux physiquement. C’était en août 2017.
En fait, Morin couvre le procès qui a lieu deux années plus tard. L’accusé est bouffi, drogué aux médocs. La famille d’Angela est plus resserrée que jamais. Où qu’ils aillent, ils portent une photo de la fillette sur eux, ils en parlent, ils la savent près d’eux. Le journaliste va pouvoir les approcher pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé. Tous se livrent, les proches aussi. Il peut commencer l’écriture de son livre. Qui est particulièrement super bien écrit, les émotions y sont flagrantes, le rythme est soutenu, la plume est compatissante. Malheureusement, la sœur de l’accusé n’accepte pas de se livrer. Elle dit que peut-être elle voudra faire entendre sa propre voix plus tard. Néanmoins, l’auteur connaît le rôle protecteur qu’elle a joué auprès de son petit frère durant des années alors que les parents se (les) déchiraient… Il a su aussi que ces deux-là, frère/sœur jadis liés comme les doigts de la main, ne se voyaient plus. Il voulait comprendre pourquoi. Et savoir aussi pourquoi la sœur, quand elle a dû déposer, bien que connaissant les ravages que son frère a causés dans les deux familles, s’est rangée de son côté, refusant de l’accuser d’avoir tué en toute conscience.
De ce fait, Morin le dit dans la deuxième partie, celle consacrée à la sœur, il va alors romancer la partie qui lui manque, tenter de deviner au plus juste ce qui les a séparés. La sœur ne s’y est d’ailleurs pas opposée.
Puis nous revenons au temps présent où le tueur croupit en prison, condamné à perpète, l’instant terrible et plein de suspens où il peut encore faire appel. C’est à dire infligerà nouveau à tous les souffrances déjà vécues.
Texte fulgurant, tranchant mais aussi plein d’empathie pour les victimes, très beau livre.

On n’est plus des gens normaux de Justin Morin, 2024 à la Manufacture du LIvre. 260 pages, 16,90 €.

Texte © dominique cozette

Un Morgièvre plein de suspens

Comme j’ai un peu la flemme, je vous balance la quatrième de couverture de La mission de Richard Morgièvre comme premier paragraphe :
« À la descente du car, au lieu d’aller rejoindre la ferme où l’Assistance l’a placé, Jacques décide de prendre du bon temps. C’est le 6 juin 1944, son anniversaire, il a dix-sept ans. Il pique une tête dans la rivière. Il ne sait pas nager… une façon de s’y mettre, de vivre. À la sortie de l’eau, des hommes armés l’interpellent et lui apprennent que les Alliés ont débarqué. Jacques se joint aux résistants. Ils tombent dans un traquenard. C’est l’heure des règlements de comptes et les justes vont payer. On les balance à la Gestapo. On les traque pour les massacrer. Jacques s’enfuit. Il perd son talisman mais trouve l’amour… et sa mission. En elle, il met toute sa force, tous ses espoirs, sa loyauté. Malgré la haine et la guerre, il la mènera, par-delà les mers, jusqu’à son terme. »
Morgièvre a écrit des livres très différents les uns des autres. Des bouquins très trash, voire pornos, des bouquins tendres comme celui sur son père, Un petit homme de dos. Celui-ci est frôle le conte sentimental, à la fois très prenant au niveau suspens. Il renseigne aussi sur la fin de la guerre, les règlements de compte entre résistants et collabos, il peint des personnages hauts en couleurs, des personnalités hors normes, de belles personnes.
Je n’arrivais pas à le lâcher, je l’ai lu en deux fois seulement, je voulais savoir absolument ce qu’il arrivait à ce jeune orphelin pur et naïf, certes, cependant que pas neuneu pour un sous (comment j’écris aujourd’hui ! ). Et guidé par un amour tellement puissant que je craignais pour lui. Un très bon livre, une superbe plume.

La mission de Richard Morgièvre aux éditions Joëlle Losfeld, 2024, 236 pages, 20€.

Texte©dominique cozette en partie.

Prescriptions

Quand après une turbulence sérieuse de tout votre organisme (vous vous écroulez brutalement) vous allez consulter et que le médecin, aussi empathique qu’un dessous de plat sans âge, vous annonce que vous souffrez d’une maladie orpheline et que malheureusement, il n’existe pas de traitement sauf un médoc pour calmer les crises, que votre fenêtre de vie va bientôt se fermer après une crise cardiaque ou un AVC, que faites vous ?
L’auteur de Prescriptions, Jean-Marc Parisis, décide de ne rien dire à sa femme et à leur fille. Puis il supprime le médoc calmant. Hélas, la crise revient. Au même moment, il reçoit des nouvelles des deux femmes qu’il a aimées dans sa jeunesse. L’une d’elle lui réclame les photos et courrier qu’il aurait gardés. L’autre… c’est très compliqué de la retrouver. Et c’est là qu’il va rencontrer un personnage qui va le mettre sur la voie. Il va se remémorer leur dernière soirée avant qu’elle le quitte.
Et puis, comme il est très curieux de nature, puisqu’il est iconographe dans un magazine, il entreprend des recherches sur cette maladie inconnue au sujet duquel son médecin ne sait rien, rien non plus sur Interner, et il va découvrir une énormité.
Enfin son passé, la chose que l’on recherche le plus lorsqu’on est en voie de disparition, va lui revenir et lui faire comprendre bien des choses.
Sans rien dévoiler, pas facile de parler de ce livre que j’ai beaucoup apprécié, même si au début, je ne comprenais pas ses digressions sur sa vie d’avant, je pensais faussement à du remplissage. Mais non. Tout est bon dans Prescriptions.

Prescriptions de Jean-Marie Parisie, 2024 chez Stock. 234 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

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