Blue Bay Palace

Blue Bay Palace est le deuxième roman de Natachah Appanah— qui vient de recevoir, je vous le rappelle, le prix Femina 2025 pour La nuit au cœur.
Blue Bay Palace se passe au bout de l’île Maurice dans une société traditionnelle où on ne mélange pas les classes sociales.
Maya a dix-neuf ans, elle habite une maison pauvre dans un quartier assez pourri quand elle tombe amoureuse de Dave qui lui, est issu d’une classe supérieure. Son père possède de vastes cultures de canne à sucre et des hôtels de tourisme dont le Blue Bay Palace, où travaille le père de Maya. Dave est lui aussi follement amoureux de cette splendide jeune femme et leur relation taboue est vue d’un bon œil par le père de Maya qui souhaite un riche mariage pour sa fille.
Hélas, le père de Dave a d’autres ambitions et somme son fils d’épouser enfin une femme de sa caste, riche qu’il va choisir sur photo. Dave n’ose pas en parler à Maya mais bien sûr, elle l’apprend et devient folle de rage. L’intruse, paresseuse, qui ne pense qu’à claquer du fric en bijoux et saris prestigieux, elle l’appelle la salope et rêve de la tuer d’un coup de hache. Cette haine malsaine transforme l’héroïne en un être de violence insupportable pour laquelle on éprouve peu d’empathie.
C’est un très petit livre, moins de cent pages, terriblement bien écrit, avec un vocabulaire très incisif, très puissant aussi bien quand elle évoque l’amour que la haine. On sent poindre la grande écrivaine qu’elle deviendra.

Blue Bay Palace de Natachah Appanah, 2004 aux éditions Continents noirs de Gallimard, 94 pages, 12 €

Texte © dominique cozette

Je suis né du diable

Je n’avais encore rien lu de Jean-Christophe Grangé mais son histoire, bien réelle, et aussi celle de ses parents évoquée à la Grande Librairie m’a scotchée et j’ai voulu en savoir plus.
Je suis né du diable porte bien son titre car on apprend dès le début de l’émission que lorsqu’il avait deux ans, son père avec deux complices ont tenté d’enterrer sa femme vivante. Elle s’est tellement débattu et a tellement crié qu’elle a évité cette terrible mort.
Cette cruauté n’est pas apparue tout de suite. Au contraire Robert Grangé, séduisant, de bonne famille, classe, a su faire la cour à la jeune Michèle, jolie femme, et l’entourlouper. Mais elle tombe enceinte et bien que Robert s’en déclare heureux, il commence à la maltraiter, la forcer à faire la tournée des bars de nuit, à boire de l’alcool puis à se droguer de médicaments. Les violences physiques suivent mais Michèle, naïve, espère que tout s’arrangera quand naîtra l’enfant.
Au contraire. L’enfant est un petit avorton prématuré abîmé par les forceps et une plaie infectée au visage. Le cauchemar ne s’arrêtera plus même si les grands parents maternels décident de prendre en charge ce jeune enfant si mal en point. Grâce à ce flot d’amour, Jean-Christophe va s’épanouir après d’une grand-mère formidable. Michèle, elle, reste fragile car son mari continue à la harceler n’importe où, n’importe quand. Elle ne se sent en sécurité nulle part, Il continue à lui pourrir la vie. Il réussit à la faire interner pour folie, la privant de son fils et de sa mère.
Ce Robert est en fait un raté, raté de la médecine qu’il ne réussit pas à faire. Mais il est gâté par son père, pourri par son fric, il n’a pas besoin de travailler et passe sa courte vie à festoyer, se bourrer la tronche et séduire les jeunes filles.
Michèle trouvera quand même, bien plus tard, une forme de bonheur après une longue période passée dans des banlieues hideuses où l’enfant se meurt d’ennui pour cause de pauvreté.
Grangé ne veut garder aucun souvenir de ce père si violent, aucun stigmate mais étrangement, dans ses romans policiers qui connurent tous le succès, il y met toujours un horrible père responsable du malheur des autres.
La deuxième partie de l’ouvrage nous livre la vie difficile de Grangé qui, devenu un homme, souffre de ne pouvoir établir de lien avec les femmes et faire l’amour. Il en crève à petit feu. Parallèlement, il fait des boulots d’écriture sans intérêt. Puis un jour, grâce à une jeune femme, sa vie prend une bonne tournure. Il se marie, fait des enfants puis trouve enfin la voie vers la littérature via les reportages lointains avec des photographes casse-cou, grands sujets vendus dans les meilleurs revues.

Je suis né du diable de Jean-Christophe Grangé, 2025 aux éditions Albin Michel. 336 pages, 21,90 €

Texte © dominique cozette


Passionnante saga

Pas vide du tout, cette très grande maison familiale plantée en pleine nature d’une province riante où se sont succédé les vies de femmes riches, exceptionnelles ou viles, incomprises, dures, frustrées, audacieuses, libérées…
La Maison vide de Laurent Mauvignier est un livre extraordinaire, ce n’est pas un scoop. Avant de l’entamer – car c’est un pavé de sept cents cinquante pages – ne soyez pas rebuté.e par les premières pages qui nous embrouillent par leur grand nombre de personnages et de références historiques. L’histoire proprement dite commence page 37 avec Marie-Ernestine, l’arrière grand-mère de l’auteur. Il y sera question de la mère d’icelle, faussement soumise à son mari, patriarche dominant qui gère son riche patrimoine d’une main de maître. Et de ses deux frères (un qui devient curé, l’autre qui joue à la poupée) qui décevront tellement le pater qu’il mettra tout son amour (et l’avenir de ses biens) sur cette belle petite chose qu’est sa fille.
Mais avant ça, on sera entré dans cette maison vide fermée depuis vingt ans, où dorment les souvenir et les secrets de famille. On sait dès le début que le père de l’auteur, celui qui a décidé d’ouvrir cette vieille barraque, se suicidera et on pourra comprendre que sa grand-mère Marguerite, fille maudite de Marie-Ernestine, n’est pas étrangère à cette terrible fin.
Il y a cette chaîne de femmes qui héritent chacune des tabous, des rêves, des tourments de leurs mères, mais surtout qui font ce qu’elles peuvent pour remplacer un mari absent, mort à la guerre, ou de maladie etc. Les femmes, à cette époque, sont vues comme des écervelées incapables de gérer quoi que ce soit. Les deux guerres vont montrer que les femmes sont très fortes. Pour autant, les hommes restent les maîtres, les profiteurs, les machos, les violeurs aussi.
La mère de Marie-Ernestine, quand elle sera veuve, va tenir sa maison et ses domaines, ouvriers, locataires, saisonniers… d’une main de fer, elle si modeste. Ce sera une matrone respectable. Marie-Ernestine, sa fille, élevée au couvent pour faire ses études et tenir le domaine plus tard, découvre le piano. Elle est super douée et rêve, appuyée par un pianiste voisin, d’entrer au conservatoire. Comment va-t-elle réagir quand son père décide de la marier à Jules, un de ses employés, frustre et gros, sans aucune culture ?
Puis on passe à Marguerite, fille rejetée par sa mère, aimée de la grand-mère, pas éduquée pour autant, qui n’aura pas vraiment le choix de mener une vie « normale ». Qui va donc dériver. C’est pourquoi sur toutes les photos qui la concernent, sa tête est découpée aux ciseaux.
C’est passionnant, extrêmement descriptif, bourré de détails et d’anecdotes qui nous font comprendre comment on vivait en province profonde dans ce temps-là.
Ce livre m’a subjuguée. S’il a le Goncourt, ce sera mérité.

La maison vide de Laurent Mauvignier, 2025 aux Editions de Minuit. 746 pages, 25 €.

Texte © dominique cozette

Défense de pleurer

Les éditeurs sont des professionnels et pourtant je ne vois pas en quoi la couverture de Premier avril de Frédéric Ploussard ressemble au contenu du roman. Oui, il s’agit d’un roman, c’est écrit mais j’ai lu ceci : « Papa solo élevant ses deux enfants suite au décès de son épouse, Frédéric Ploussard s’est inspiré de son expérience pour écrire son troisième roman. Après Mobylette et Tout Blanc, il a publié « Premier Avril ». En réalité son premier manuscrit, écrit l’année qui a suivi le décès de sa femme. » Ceci montre que le corps de l’histoire, la mort de son épouse adorée suite à un cancer du côlon, a réellement eu lieu. Les descriptions des soins, des effets indésirables de cette douloureuse maladie, des unités de soins etc sont trop précises et importantes pour n’être que de la fiction. Mais il a fallu que je cherche pour trouver. Jamais ce n’est dit.
En fait, c’est un livre qui nous offre un fabuleux mixage d’humour, de drame, d’un peu de méchanceté (les vengeances), de poésie. Anne, sa femme, est un personnage d’une drôlerie extraordinaire, frappadingue parfois, farfelue pour le moins, super battante et ultra-costaude. Avec son mari et les gamins, ils préparaient chaque journée du premier avril pour en faire une expédition obligatoire où, à part toutes les blagues qu’ils concoctaient pour chez eux, ils collaient des centaines de poissons magnifiques dessinés et découpés par eux.
La famille avait des règles spéciales : on n’avait pas le droit de dire les pires gros mots sauf en passant dans les tunnels. Et ça y allait ! Les enfants avaient leur journée où les parents étaient obligés de dire oui à toutes leurs demandes. Pas d’école ce jour-là, bien sûr.
Ce portrait magnifique, cette fin de vie bouleversante se jouent au moment où Pierre est en butte aux sales types de la boîte éducative où il bosse. Il sera viré, puis réintégré, installé dans un cagibi pourri. Il y a aussi cet oncologue qui va prendre sa retraite et se fout totalement de ce qui arrive à Anne. Et puis cet autre qui annule un RV pour lui annoncer le pire par téléphone. Tous les malotrus vont le payer par des vengeances très créatives que Pierre va mettre à exécution le premier avril qui suit la mort de sa compagne, en son honneur.
Livre à la fois dur et fondant de tendresse qui nous fait tellement aimer ce papa qui se débat pour que les enfants n’en souffrent pas. Il se situe près d’Aubenas en Ardèche, ce qui veut dire aller dans des hôpitaux loin de la maison, concilier trajets, travail, journées et/ou nuits à l’hôpital avec une âme de poète et une humanité hors normes.
En quatrième de couv’, l’expression « botter le cul au chagrin » illustre parfaitement le ton de cet ouvrage.

Premier avril de Frédéric Ploussard , 2025 aux Editions Héloïse d’Ormesson.
304 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

VDM MDR

Voilà un livre qui vous fera le plus grand bien. Il s’appelle Fiascorama et son auteur Thomas VDB, le super sympathique humoriste qu’on aime pour sa gentillesse et son empathie. Et c’est à cause de ces qualités, contreproductives apparemment, qu’il va lui arriver toutes sortes de mésaventures dont il ne peut jamais se dépêtrer. Quand on lui demande de participer à une sorte de spectacle affligeant, à une apparition foireuse ou tout autre demande insidieuse d’animer un truc miteux, il ne peut pas dire non. Pourquoi ? Parce qu’il est trop poire et qu’il ne veut surtout ni faire de peine, ni décevoir. C »est pourquoi il se retrouve toujours dans des situations ingérables qu’il va bien sûr regretter et s’il en veut à quelqu’un, c’est forcément à lui.
Il nous raconte alors comment il a eu du mal à organiser sa carrière qui prenait l’eau dès le départ, déjà parce qu’il a un poil dans la main, il ne s’en cache pas, alors quand il voit qu’une suite de sketches amuse le public (tout petit public du début), il va le rejouer jusqu’à plus soif au lieu de chercher à l’améliorer, à trouver de nouvelles idées, à l’enrichir, à bosser, quoi. Mais comme tout le monde l’aime bien, on lui dit que c’est chouette et il ne va pas chercher plus loin. « À chaque fois que je me suis ouvert à des proches de vouloir raconter des trucs que j’ai l’impression d’avoir le plus foiré dans la vie, on me répond « Mais les choses se passent super bien pour toi » ou « Mais ça cartonne pour toi !! » n’ayant pas idée de la taille de la forêt de déconvenues cachées par l’arbuste des petites réussites ».
Ce livre est une compil de petites situations, d’anecdotes où il foire des tas d’événements, où sa générosité l’entraîne à supporter des gens qui profitent de lui, à prendre des agents, plus des sur-agents-sur-sur-sur-agents ou des éditeurs, plus des coaches, plus des producteurs tous plus habiles à lui faire signer des contrats pour lui piquer 10% de ses maigres gains qu’à chercher à élargir son public. Que de déconvenues ou de moments pénibles ! Exemple : lors d’une grande fête, il passe toute la soirée à parler à une seule personne car c’est la seule dont il connaît le prénom. Souvent, on lui demande d’intervenir à la fin d’un repas de bienfaisance ou de cousinade, il n’a rien préparé, ça commence forcément par un gag même pas drôle qui va lui pourrir la vie.
Je ne vous en dis pas plus, la façon de raconter sa vie compte autant que ce qu’il narre, simplement on n’aimerait pas être lui, ça a l’air inconfortable d’être dans une peau de loser pareille. Mais c’est trop drôle, ça fait un bien fou de lire ces perles dans période tellement délétère (heureusement qu’on a le hold-up du Louvre par des mecs ultra-gonflés pour nous changer les idées !). Bref, ne boudez pas ce plaisir !

Fiascorama de Thomas VDB, 2025 chez Buchet Chastel. 270 pages, 22 €.

texte © dominique cozette

Quatre jours sans ma mère

Rentrée littéraire. Oui, c’est une ode à sa mère et à toutes celles qui s’occupent de leur famille en silence, parce qu’il faut bien le faire, que Ramsès Kefi a écrit Quatre jours sans ma mère. Et sans lui ressembler vraiment, cette mère modeste me rappelle celle de La crise de Coline Serreau qui, un beau jour, décide de vivre pour elle. Souvenez-vous de cette formidable tirade de Maria Pacôme : « Pendant trente ans je vous ai torchés, nourris, couchés, levés, consolés, tous les trois. J’ai repassé vos chemises, lavé vos slips, surveillé vos études. Je me suis fait des monceaux de bile, je n’ai vécu que pour vous, qu’à travers vous. J’ai écouté toutes vos histoires, vos problèmes et vos chagrins, sans jamais vous emmerder avec les miens. Alors maintenant, je prends ma retraite. Toi, il te reste une longue vie devant toi pour résoudre ta crise; moi il me reste très peu de temps pour résoudre la mienne. Alors tu permettras que pour une fois je m’occupe de mes affaires avant les tiennes. »
Ici, on voit Salmane, le fils de trente-huit qui, tel un Tanguy, vit encore chez eux, dans un HLM, tout du moins avec ses potes tels des zyvas, sur le parking délaissé, alors qu’il a tous les diplômes pour une belle situation. Mais il ne peut se résoudre à vivre autrement, c’est son domaine, son nid, son giron. Il n’en revient pas du départ silencieux de cette mère aimante et qu’il aime mais dont ils (son père et lui) ont encore oublié de fêter l’anniversaire, de passer un peu de temps avec elle.
Le père père les plombs. Une femme ne fait pas ça, on ne quitte pas son mari (qui passe son temps au café avec ses amis), on ne brise pas sa famille sans raison ni explication. Il se met à tout péter dans la maison, il retire même son alliance.
De prime abord, on ne sait rien de cette famille, ils ne parlent jamais d’avant. Avant quoi ? Avant leur vie ici, en France. Interdit. Interdit aussi de parler arabe. On ne sait pas d’où ils viennent, qui étaient leurs parents etc…
C’est ce tissu mystérieux que Salmane va tenter de déchiffrer pour entreprendre la recherche de sa mère malgré les réticences de son père qui ne veut pas entendre parler.
Le titre dit clairement qu’au bout de quatre jours… Le langage de ce premier roman est fleuri, original et peu à peu on sent notre Tanguy, outre s’occuper de son père, accéder à l’âge adulte.

Quatre jours sans ma mère par Ramsès Kefi, 2025 aux éditions Philippe Rey. 208 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Le dernier Chloé Delaume

Rentrée littéraire. Ils appellent ça l’amour est le dernier opus de Chloé Delaume que j’ai eu grand plaisir à lire. Il est à la fois drôle, chic, un peu snob, très féministe et bien mené.
Clotilde, l’héroïne, est embarquée par ses quaatre amies de cœur pour leur virée annuelle de quelques jours dont le but est de lâcher prise comme on aime à le dire de nos jours, de se marrer, de faire tout ce qui nous fait plaisir. La fête du string, si on va par là. Mais quand elle s’aperçoit que la ville qu’elles ont choisie est celle où elle a été encagée et ultra-soumise à une sorte de pervers, Monsieur elle l’appelle, que la grande maison dans laquelle elle vivait avec lui est à quelques pâtés de celle qu’elles ont louée, elle chavire. C’était il y a vingt ans mais elle a toujours terriblement honte de s’être laissé embringuer dans cette parodie de conjugo avec cet écrivain sec, rigoureux, bien plus âgé qu’elle et dont elle a réussi à s’échapper en laissant tout derrière elle. Et d’ailleurs, il avait détruit, jeté et éliminé tout ce qui constituait son passé, souvenirs, archives, photos, toutes choses auxquelles on tient tous.
Elle s’est laissé dicter sa conduite, son comportement, sa façon de vivre, de baiser, de manger, peu et mal… une vie de merde « pour son bien » comme il lui répétait. Et évidemment, il s’est arrangé pour qu’elle n’ait plus aucun contact avec ses relations et amis. Aucun amour là-dedans, le seul avantage qu’il a réussi à faire valoir, c’est la sécurité. Logée, nourrie, prise en charge, alors que rien n’allait plus dans sa vie.
Elle se décide enfin à raconter cette violence à ses amies, un beau soir, alors qu’elle avait tout tu jusqu’à maintenant. Et cette séance va déclencher diverses réactions de leur part. L’une est célibataire, une autre est lesbienne, une autre a un enfant, c’est un petit échantillon de potes qui ne voient pas les choses de la même façon.
Mais qui vont organiser un raid pour la venger.

Ils appellent ça l’amour par Chloé Delaume, 2025 aux éditions du Seuil. 176 pages, 19€.

Texte © dominique cozette

Un grand classique

Il m’arrive aussi de lire des classiques éprouvés. Celui-ci, Un homme de Philip Roth m’a interpellée du fond d’une librairie et il a bien fait. Je ne connaissais de cet immense écrivain que Portnoy et son complexe qui m’avait scotchée lors de sa sortie.
Celui-ci commence bien puisqu’ on assiste à l’enterrement du héros de l’histoire, ce fameux homme qui n’a pas réussi à être ce qu’il voulait devenir. Il s’est marié trois fois avec trois femmes très différentes. La première est la mère de ses deux fils, deux mecs qui méprisent leur père depuis qu’il s’est éclipsé de la maison. La deuxième, sa préférée, la seule venue le saluer, est la mère de sa fille adorée, tellement aimée qu’il envisage, sur le tard, quand rien ne va plus très fort, de s’installer avec elle et ses deux jumeaux. Très mauvaise idée qu’il ne réalisera pas puisque c’est la mère très malade de cette épouse qui viendra prendre la chambre vacante. La troisième est juste une jeune pétasse incompétente en tout, qui ne lui est d’aucun secours quand il doit aller à l’hôpital.
Il y a aussi son infirmière, une femme gironde qui, on le devine, a rendu des services plus que thérapeutiques à ses patients, avec beaucoup de plaisir.
On y rencontre aussi son frère, le formidable frère qui a toujours répondu présent sans rien demander en échange, et qui jouit d’une santé hors normes, ce qui finit âr exaspérer bêtement le héros.
Il eut une carrière intéressante, moins que son frère, mais fut un publicitaire reconnu et admiré qui en profita pour tromper allègrement sa femme avec toutes ces jeunes stagiaires et autres jeunes employées à portée de sa main.
Ce livre finalement assez simple raconte le parcours d’un homme comme un autre, ses épreuves, ses ratages, son amertume devant la vieillesse qu’il doit affronter avec son lot de problèmes de santé, d’hospitalisations, de déchéance. C’est fort, c’est passionnant.

Un homme par Philip Roth, 2006, chez Folio, traduit pas Josée Kamoun. 184 pages.

Texte © dominique cozette

Un thriller incroyable

« Sans laisser d’adresse » de Pierre Molina prenait racine sur ma table de nuit, d’où venait-il ? Sûrement de mon mari qui me l’avait conseillé… Et je m’en suis emparée mardi dernier. Croyez-moi ou pas mais je l’ai lu en une nuit ! Pourtant, on ne peut pas dire que son style soit remarquable, que ses nombreux dialogues soient audiardiens, que la psychologie de ses personnages soient de la plus grande finesse ou que même le titre soit d’une grande créativité et pourtant … l’histoire m’a passionnée.
Dès les toutes premières pages, on apprend que le narrateur, un écrivain québécois célèbre, vient de se défenestrer alors que tout allait bien pour lui : succès, vie familiale…. Mais qui raconte, alors ? Hé bien lui. Car avant de se jeter par la fenêtre, il a écrit son dernier livre, toute son histoire qui explique ce geste insensé et qui nous le fait accepter. Car nous aurions peut-être fait pareil.
Car Nicolas Verdier n’est pas le fils de la mère qui l’a élevé avec son vrai père. Sa mère biologique, maîtresse de son père – qui n’arrivait pas à choisir entre sa femme et sa maîtresse – a disparu corps et bien en le laissant, promettant de revenir le chercher. Mais jamais elle n’est revenue. Cela se passait entre Paris et Trouville où le couple parental avait créé une auberge haut de gamme dont le régisseur, homme de confiance était un ami de la mère. Un taiseux qui probablement savait des chose mais ne livrait rien.
Donc après la mort du couple parental, Nicolas Verdier quitte le Canada avec femme et fiston pour s’installer dans ce paradis normand. Et décide de reprendre l’enquête sur la disparition de sa vraie mère qui l’a abandonné en lui laissant une blessure jamais cicatrisée. Ce qui, quarante ans après, n’est pas de toute facilité.
De mystères en secrets et découvertes cruelles, il va apprendre, par petites touches ou énormités cauchemardesques, ce qu’il s’est réellement passé, et comment lui-même a participé à la tragédie de la fin. Et comment il est impossible de vivre après toutes ces épreuves. Palpitant.

Sans laisser d’adresse de Pierre Molina, 2024, aux éditions M+ collection noire, 300 pages, 19,90 €

Texte © dominique cozette


Tout ouïe, oh oui oh ouiiiiiii

Rentrée littéraire. Tout ouïe est le roman surprenant d’Alexandre Postel qui avait commis Un homme effacé, Prix Goncourt du premier roman. Ici, il mêle deux histoires de façon naturelle. La première est celle, assez succincte, d’une jeune éditrice à qui un homme qu’elle connaît peu, qui a épousé sa meilleure amie à la suite de quoi elles se sont perdues de vue, la contacte et lui propose un sujet de roman. Elle accepte son deal : il lui enverra un chapitre chaque semaine, il y aura dix en tout.
La deuxième histoire est donc celle du roman et de son narrateur, élevé par une grand-mère stricte (sa mère, décédée, l’a eu sans père), très solitaire, préférant la nature aux gens, sans vraiment d’amis. Très jeune, il entend un couple faire l’amour dans une grange, il est frappé par le son qu’émet la femme en extase. Ce son lui procure une sensation telle, alors qu’il ne le comprend pas, que ça en deviendra plus tard une obsession. Pas doué pour les relations amoureuses ou pour le sexe, il sera perpétuellement en quête d’orgasmes féminins audibles dans les immeubles mal insonoriés, les voitures etc…
Alors que sa grand-mère fait tout pour qu’il réussisse de belles études, il rate toutes les occasions de se réaliser. Lorsqu’il trouve un emploi dans une agence immobilière, eurêka, il met au point un système pour détecter les sons chéris, placer des micros, les enregistrer, etc.
Chaque chapitre envoyé à la jeune éditrice met celle-ci mal à l’aise, mais elle ne sait pas trop pourquoi. Ce qui est intéressant, c’est l’analyse qu’elle fait de cette littérature, de cette idée et toutes les questions qu’elle pose en sa quaalité d’éditrice.
Les dix chapitres envoyés, le livre sera-t-il publié ? Saura-t-elle le défendre devant le comité de lecture ? On sait dès le début que l’auteur mourra quelques mois après le premier envoi… La fin du livre est d’ailleurs inattendue. Tout au long de cette fiction, on verra comment la narrateur se débat avec ses problèmes d’ouïe.
J’ai beaucoup aimé même si un ou deux chapitres m’ont paru moins passionnants.

Tout ouïe d’Alexandre Postel, 2025, aux Editions de l’Observatoire. 250 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

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