Fabriquer une femme

C’est le dernier livre de Marie Darrieussecq, une autrice qui ne me passionne pas toujours. Dans Fabriquer une femme, elle reprend les deux filles qu’elle nous avait présentées dans d’autres romans (que je n’ai pas lus), Rose et Solange, habitant un bled nommé Clèves où elle a déjà situé ses histoires. Ces deux ados, les meilleures amies du monde, habitant l’une en face de l’autre, commencent à diverger à l’âge de quinze ans. Car à quinze ans Solange accouche très très douloureusement d’un môme dont elle ne voudra pas, dont elle ne sait pas trop qui est le père. C’est la cata. Rose, elle, continue son petit bonhomme de chemin, sage, studieuse et commence à se dévergonder gentiment lorsqu’elle va étudier « en ville ». Elle découvre l’alcool, les fêtes, le sexe.
Ce qui est marrant dans ce livre, c’est qu’il nous est raconté par les deux bouts de la lorgnette, d’après Rose, puis d’après Solange. Ce ne sont pas les mêmes sons de cloche, bien sûr. L’une fait ses études, retrouve ses parents le week-end, une famille solide, aide ses voisins etc. Le garçon dont elle est tombée amoureuse très jeune deviendra son amoureux officiel et aura le droit de passer ses après-midi dans la chambre de la jeune fille, porte fermée. Tous deux sont à la découverte de leurs corps et de leurs émois, inexpérimentés, hélas pour leurs premières expériences fatalement décevantes. Mais elle l’aime, c’est réciproque et elle sait qu’il sera son mari et le père de ses enfants.
Solange quant à elle vit mal sa vie de famille qui n’est pas une bonne famille. Elle abandonne le bébé à sa mère qui l’a prénommé Thierry, aïe, en souvenir d’un bébé qui est mort avant Solange. Pour Solange, la vie, c’est le théâtre, le cinéma, la télé, séduire, vivre à la marge. Ce trajet l’emmènera jusqu’à Hollywood (via Londres) où elle peut enfin briller. Enfin pas toujours. Elle gagne super bien sa vie mais est-elle heureuse ?
Elles se reverront plus tard, adultes, dans la grande métropole californienne, lors d’une première où toute la famille de Rose est invitée ainsi que les parents de Solange et son fils, grand ado handicapé mental. Car le film doit consacrer Solange. Mais mais mais…
Ce livre est distrayant, Marie manie la plume avec talent mais je trouve que tout ceci manque de sincérité. Je veux dire que c’est un peu clinquant, on cite des noms de lieux, de people, on peut même coucher avec… j’ai eu l’impression que MD nous faisait faire une visite guidée dans années 80-90. Avec Internet, ces intrusions dans le passé sont devenues courantes, précises et faciles. A part ça, comme je l’ai dit, ça se lit bien, que demander de plus ?

Fabriquer une femme de Darrieussecq, 2024 chez P.O.L. 334 pages, 21 €

Texte © dominique cozette

Retrouver l’assassin de sa sœur

Ce livre de rage et d’amour s’intitule L’Invincible été de Liliana et a été écrit par la sœur de Liliana, Cristina Reverza Garza, trente ans après son l’assassinat par son « petit ami », harceleur qu’elle avait décidé de quitter. Ça se passait au Mexique, l’un des pays les plus violents pour les femmes, où les féminicides ne se comptent plus.
Trente ans après donc, Cristina tente de faire rouvrir le procès et retrouver l’assassin qui a pris la fuite après le meurtre par étouffement. Certes, il n’est pas facile de retrouver tous les proches de la jeune femme, morte à vingt ans en 1990, étudiante brillante en architecture, grande, sportive, libre, curieuse, drôle, appréciée de tous et qui avait pour projet de continuer son cursus à Londres l’année suivante. Cristina s’est acharnée à rencontrer toutes ces personnes et surtout à décrypter dans la myriade de notes, dessins, mots, archives de toutes sortes jamais datées, l’historique de la jeune vie de Liliana. On se rend compte de par son vocabulaire et ses poésies qu’elle cogitait intelligemment, se posant de bonnes questions sur la vie et les relations humaines. Et surtout qu’elle ne se voyait pas s’installer avec le jeune hommes qu’elle fuyait souvent mais avec qui elle se réconciliait souvent aussi. Personne de son entourage, ni même sa sœur qui faisait ses études aux Etats-Unis n’était au courant de la relation toxique du gars, de sa brutalité et de sa violence, elle gardait ça pour elle, elle ne s’est jamais plainte. Même si parfois, cela rejaillissait sur son humeur ou sa peau.
Mais c’est bien lui qui s’est introduit dans son bout d’appartement en coloc cette nuit-là, très discrètement, et qui a étouffé sous un oreiller celle dont il refusait la rupture. Chanson connue, pourtant.
Le plus dur, pour les parents, c’est qu’ils étaient partis plusieurs mois en voyage pour clore agréablement leur vie de labeur par un long périple aux quatre coins de l’Europe, leur superbe récompense. Ils étaient injoignables… Les obsèques ont été célébrées sans eux, ils ont appris cette immense tragédie à leur retour au village.
C’est un livre plein d’amour pour une jeune femme qui promettait, comme on dit, dont l’avenir semblait radieux. Et plein de rage aussi contre non seulement l’assassin mais aussi le système patriarcal dans son ensemble qui perpétue les crimes fats aux femmes.

L’Invincible été de Liliana de Cristina Reverza Garza, traduit par Lise Belperron. 2024 aux éditions Globe. 392 pages, 23 €.

texte © dominique cozette

Ah les mères toxiques !

Jeannette McCurdy raconte son histoire. Génial, ma mère est morte est ce qui lui est arrivé depuis qu’elle est petite fille et que sa mère a décidé d’en faire une vedette du petit écran. Leur vie, alors, est assez pourrie. Le père est d’un pénible épouvantable, les frères oui bof et la maison est carrément une déchetterie. Tout s’y empile, s’y entasse, les différentes pièces sont emplies jusqu’à la garde de saletés à tel point que les chambres d’enfants ne peuvent plus servir. Alors chaque soir, ils déplient des espèces de matelas, des futons peut-être, sur le parquet du « salon » (du salaud, oui). Horreur. Les factures ne sont jamais honorées, c’est l’enfer.
C’est là que la mère a une idée lumineuse. Puisque sa fille Jeannette, qu’elle adore et qui l’adore, est mignonne, pourquoi ne pas en faire une mini-vedette des séries enfantines ? Alors, la machine se met en route. De casting en casting (lever à cinq heure du matin) de cours de maintien en conseils de comportement pour se faire aimer des agents, la petite affronte le monde terrible du show-business sans aucun plaisir. Elle déteste. Mais elle aime tellement sa maman qu’elle lui obéira aveuglément pendant de nombreuses années (sa mère continuera à la doucher jusqu’à l’âge de seize ans. Pour mieux la contrôler, bien sûr).
Et ça marche, même si le vedettariat est un peu long à démarrer. Grâce à la petite qui commence à faire son trou, l’argent rentre chaque mois, c’est formidable.
Mais aïe, à onze ans, des petits seins pointent. Ah, non, pas de ça Jeannette ! Tu es une enfant vedette, tu dois rester une enfant. Le fait qu’elle soit un petit modèle arrange déjà bien les choses, mais il faut empêcher les hormones d’entreprendre leur travail de sape. Alors hop ! Régime draconien. Et quand je dis régime, je dis famine. L’anorexie s’annonce sans que la fillette s’en émeuve. Elle est contente de déguster sa feuille de salade puisque c’est sa mère qui le lui demande. Jusqu’au jour où elle découvrira que vomir, c’est aussi une bonne solution. Donc boulimie.
En même temps, sa mère souffre d’un cancer du sein, il ne s’agit pas de la mécontenter. L’amour de la gamine déborde de partout, pauvre gamine. Mais la mère ne meurt pas encore, elle s’en sort, s’y remet avec rage, elle tutoie tous les importants, les paparazzi sont ses potes, elle fait le buzz pour qu’on parle de sa fille et la gloire arrive suivie de toutes ses odeurs de rance.
C’est un livre extrêmement bien conçu car évidemment, on prend parti pour la môme qui raconte bien et qui se moque d’elle-même. C’est frais, désespérant et très drôle. Les courts chapitres traitent chacun d’un thème important au royaume des mini-stars et des bêtes d’Hollywood, on comprend comment les choses se trament, on y voit la douleur, les sacrifices, les désillusions et bien souvent les addictions avec tous les produits auxquels les victimes s’accrochent pour se consoler d’être autant exploitées. La déglingue, l’alcool, la dope, le sexe sont entrés dans la vie de la jeune star, qui dépérit de mal-être, de désespoir, de honte et de dégout d’elle-même, merci maman. Qui finira par mourir. Mais pour autant restera le grand amour de sa fille, même si elle apprend, par des cures, qu’elle a fait preuve d’une profonde maltraitance à l’égard de sa fille.
Ce n’est pas un livre glauque, la jeune femme a su faire de son histoire le fond de commerce hilarant de ses spectacles qui sont très appréciés.

Génial, ma mère est morte de Jeannette McCurdy (I’m glad my mum died, 2022), traduit par Corinne Daniello, livre dédié à ses trois frères cités. Edition JC Lattès, 2024. 396 pages, 22,50€.

Texte © dominique cozette


Amours et autres obsessions

Ce n’est pas le livre de la décennie ni le meilleur des Moriarty, cette fameuse écrivaine australienne qui dissèque les liens entre humains principalement ceux liés aux relations amoureuses, mais Amours et autres obsessions m’a aidé à remplir quelques nuits blanchâtres et c’est déjà pas mal. C’est longuet à souhait, plein de digressions et d’explications, mais c’est aussi ce qui fait le charme des livres un peu épais qu’on a plaisir à retrouver.
L’histoire est assez simple : Patrick Scott vit avec son petit garçon de huit ans depuis la mort de sa femme chérie, victime d’un cancer fulgurant quand le petit avait trois ans. Ce dernier ne se souvient pas d’elle, bien sûr. Au début du livre, on se trouve au cabinet d’Ellen, hypnothérapeute, trentenaire, vivant seule et rêvant de l’amour qui dure. Sa mère l’a fabriquée avec un amant éphémère qui cochait toutes les bonnes cases du géniteur idéal, avant de vivre avec deux copines, les marraines d’Ellen. Elle rencontre Patrick sur un réseau, ce n’est pas le coup de foudre immédiat d’autant plus qu’il n’est pas très à l’aise car il lui apprend qu’il est harcelé par son ex (la seule à dire « je » dans le livre) qui le suit partout, lui envoie des textos, des fleurs etc. Cette femme a servi d’objet transitionnel à Patrick et s’est formidablement bien occupée de son gamin, lui en étant incapable. Pour le gamin, c’était sa maman. Ça se passait super bien, la famille de l’épouse décédée l’avait même adoptée. Jusqu’au jour où Patrick l’a jetée sans état d’âme, sans réelle explication, sans lui donner le temps de s’organiser et de dire au revoir au gosse. Et sans l’autoriser à le revoir.
C’est pourquoi elle continuera à lui faire payer cette injuste rupture, elle n’a rien fait de mal, elle a bien accepté le fait qu’il aimera toujours sa femme morte plus qu’elle… Donc pourquoi ? Et ce n’est même pas parce qu’il a rencontré Ellen.
D’ailleurs, Ellen connaît cette femme sans savoir qu’il s’agit d’elle. Ellen acceptera elle aussi les conditions de ce nouvel et bel amoureux : l’amour qu’il aura toujours pour sa femme, le gamin à élever et toutes sortes de contingences auxquelles elle devra faire face et s’accoutumer au fil du temps…
Je ne vous en dis pas plus, il y a quand même pas mal de suspense que je divulgâcherai pas.

Amours et autres obsessions par Liane Moriarty, (The hypnotist’s love story, 2011), traduit par Béatrice Taupeau, au Livre de Poche. 576 pages, 9,70€

Texte © dominique cozette

L’origine des larmes

Le plaisir intact de découvrir un nouveau roman de Jean-Paul Dubois, sans en avoir encore entendu parler (le roman se trouvait dans un carton sur le sol de la librairie de Sète) s’est de nouveau matérialisé. Quel magnifique titre que L’Origine des larmes ! Tout est magnifique dans ce livre. Le sujet est d’une originalité frappante : Paul, le héros de l’histoire comme tous les héros de Dubois, va au Canada récupérer le corps de son père qui vient de mourir à la suite d’une longue maladie. Il le rapatrie à Toulouse où il vit et, lors de la visite qu’il effectue à la morgue, il sort un pistolet et lui tire deux balles dans la tête. Ça alors !
La police en est comme deux ronds de flan. Comment qualifier cet acte ? On ne peut pas dire qu’il ait assassiné son père puisqu’il était déjà bien mort. Mais on ne peut pas non plus laisser cet acte profondément irrespectueux impuni. Alors on lui imposera une peine bien accablante pour quelqu’un qui veut extirper de sa mémoire tout ce qui concerne sa vie avec son géniteur : décortiquer leurs rapports, le pourquoi du comment, face à un psychiatre bizarre aux yeux qui pleurent, et ce une fois par mois durant un an.
Pour Paul, cela n’a rien de joyeux. On apprend comment le père lui a pourri la vie dès sa venue au monde : sa mère est morte lors de son accouchement ainsi que son frère jumeau, même pas nommé puisque mort, donc jeté aux déchets . Or, le père n’a jamais voulu parler de sa mère à l’enfant, il a détruit toute trace d’elle, ses origines, ses photos, tout. Paul ne sait rien sur elle malgré un éclat de mémoire de ce fameux jour qu’il revit parfois.
Toute l’enfance du gosse a été une torture. Par exemple, pour ses six ans, le père lui a offert un canari dont il a arraché la tête avec les dents. Je ne vous en dis pas plus. Le père s’est d’ailleurs vite remarié avec une femme belle, riche et intelligence (le bougre ne manquait pas de charme ni d’aplomb) et aimante pour l’enfant qu’elle considérait comme le sien, et surtout qui possédait une fabrique florissante de housses de cadavres dans laquelle travaille maintenant Paul, sa mère étant morte. C’est dire si Paul, depuis toujours, côtoie la mort au plus près.
C’est un livre extrêmement intéressant car chaque rencontre du psy est conditionnée par un thème sur lequel doit s’exprimer Paul, ce qui permet à l’auteur de parler de sujets tracassants ou culturels ou mythiques ou religieux… autant de prétexte à dévoiler des pans de sa culture polymorphe.
L’action se situe dans quelques années, pour montrer comment le climat est détraqué : il pleut sans arrêt, Toulouse est trempée, il n’y a pas de trêve à ces larmes de ciel. On patauge. Formidable !

L’origine des larmes de Jean-Paul Dubois, 2024 aux Editions de l’Olivier. 250 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

Deux autres Aki Shimakazi super

Dans ce roman Fuki-no-tô de Aki Shimazaki, on retrouve le couple formé par Atsuko et Mitsui qu’on a connus dans Azami. Cette fois, ils sont installés à la campagne pour une vie harmonieuse. Ils ont de nouveau une activité intime, lui a rompu avec sa maîtresse et a suivi sa femme, amoureuse des plantes et de la campagne, dont l’entreprise potagère commence à bien marcher. Avec ce développement, elle a besoin de quelqu’un pour l’assister, à qui faire confiance. Son mari lui conseille alors une femme qui a fait sa demande par téléphone.
Il se trouve que cette femme est une ancienne et très chère amie de classe d’Atsuko, elles s’étaient perdues de vue depuis le mariage de celle-ci. C’est une très belle femme, très féminine, et la mère d’Atsuko demande à sa fille de se méfier de cette femme sur laquelle convergent tous les regards masculins quand ils sont en public. Mais ce n’est peut-être pas là que le bât blesse…

Fuki-no-tô de Aki Shimazaki, 2018, chez Babel. 132 pages, 7,30 €

Cet opus, Suisen, de la série l’Ombre du Chardon, m’a moins intéressée que les autres. Ici, l’autrice nous parle d’un riche possesseur d’un commerce d’alcool qu’on a entrevu aussi dans Azami. C’est lui qui a entraîné Mitsuo dans les bars sexuels où il a revu cette amie de classe qui allait devenir sa maîtresse. Cet homme parvenu se partage entre sa femme (peu), ses enfants (peu) et ses maîtresses dont une actrice en vogue qui l’envoie paître au début du roman, et une autre très gentille qui se fout de l’argent sans compter les dîners qu’il fait dans le cadre de son entreprise, où il se goberge abondamment alors que c’est sa belle-mère qui fait marcher l’affaire, lui n’est qu’un profiteur feignasse. Il pense que sa vie est passionnante et réussie et lorsque belle-mère le convoque à une réunion importante, il imagine qu’elle va enfin lui céder ses actions et qu’il sera le seul décisionnaire de la boîte. Mais mais mais…

NB : le premier que j’ai lu, Hozuki, est celui que je préfère mais je l’ai lu il y a quelques temps et n’ai pas écrit d’article.

Suisen de Aki Shimazaki, 2017, chez Babel. 128 pages, 7,30 €

Texte © dominique cozette

Deux Aki Shimazaki extras

Aki Shimazaki est une écrivaine née au Japon et qui vit à Montréal depuis 1991. Elle écrit en français mais dans le plus pur style japonais, concis, lumineux, poétique et très factuel. Son originalité est qu’elle crée des cycles romanesques dans chacun desquels elle plusieurs romans.
Ici, je vous parle du cycle L’Ombre du Chardon. J’avais lu un premier roman intitulé Hozuki. En lisant Maïmaï, je crois que je relis le même livre car j’y reconnais Tarô, le héros devenu jeune homme qui était un enfant sourd-muet, ainsi que certaines autres personnes. Mais c’est bien un nouveau roman qui raconte, cette fois, une suite mais sous un autre prisme, un autre point de vue, un autre moment, avec quelques autres intervenants.
Tarô apprend la mort de sa mère et découvre surtout bien des secrets sur sa vie qu’elle ne voulait pas faire connaître. Sa grand-mère, mère de la mère, lui propose d’habiter avec elle, ce qui lui plaît beaucoup car ils ont une grande affection l’un pour l’autre. Ils liquident la librairie de livres rares et recherchés que tenait la mère, très réputée par les hommes de culture, pour permettre à Tarô d’y faire son atelier de peinture-galerie. On reparle de ses origines : un père espagnol disparu dans un accident, ce qui explique qu’il est métis, guère apprécié dans la petite bourgeoisie. Il fréquente une jeune femme qui aimerait l’épouser mais il n’est pas très chaud pour vivre avec elle. De plus, elle ne parle pas le langage des signes.
Et voici, surprise !, la petite fille avec qui il jouait et dessinait quand il était gosse. Ils s’entendaient tellement …Hélas, ils avaient été séparés car le père de la fillette, ambassadeur, avait été nommé en Europe. Elle l’a retrouvé malgré toutes ces années et des ondes très fortes se développent tout de suite entre eux deux. Elle vient dormir avec lui, elle est vierge, ils se fiancent et elle décide de le présenter à ses parents. Le père apprécie l’esprit du garçon mais la mère va tout faire pour empêcher ce mariage, ce qui étonnant vu qu’elle adorait ce petit garçon.
Ce livre est le dernier du cycle mais tous peuvent se lire indépendamment.

Maïmaï par Aki Shimazaki, 2019, chez Actes Sud puis Babel. 160 pages, 7,30 €

Azami est le premier roman du cycle. Mitsuo est rédacteur culturel, marié par mariage arrangé, deux enfants. Il s’entend très bien avec sa femme mais depuis la naissance des enfants, ils sont devenus sexless. Ça ne le dérange pas tant que ça, il va faire exulter son corps dans des pink-salons. Un soir, il est accosté par un copain d’école qui s’est enrichi dans une grosse boîte qui produit de l’alcool. Cet homme a l’habitude de passer ses soirées au bar X, un endroit pour hommes où les belles entraîneuses sont hors de prix. Mitsuo est éberlué lorsqu’il voit la superbe Mitsuki, maquillée comme un passeport volé exercer son talent auprès de messieurs importants. Elle fut, sans le savoir, son grand amour d’adolescence. Elle est aussi barmaid ordinaire, nature, dans un petit établissement où il fait mine de la retrouver par hasard. Une relation ne noue entre eux, clandestinement. Il est de plus en plus amoureux d’elle. De son côté, sa femme s’est installée à la campagne où ils ont une maison et a monté une petite entreprise de plantes qu’elle cultive elle-même et qui commence à marcher.
Mais un grain de sable grippe la machine d’amour de Mitsuo. Il se voit contraint de quitter Mitsuko et son travail. On apprend alors que Mitsuko est la maman d’un petit garçon métis sourd-muet, qu’elle était d’une rare culture, collectionneuse de livres scientifiques et rares.

Azami par Aki Shimazaki, 2015 chez Actes Sud puis Babel. 120 pages, 7,30 €

Texte © dominique cozette

Alain Pacadis Face B ça défonce !

Alain Pacadis Face b est un roman, pas une bio, écrit par Charles Salles qui en connaît un bout sur Alain Pacadis, ce chroniqueur punk de Libé devenu iconique tendance gonzo, au penchant plus que net pour toutes les addictions, drogues, sexe, alcool, clubs, nuit, déglingues diverses…
L’auteur s’attarde avec gourmandise sur la façon de vivre du mec, souvent de survivre, après le suicide de sa mère qui ne supportait pas qu’il trace à Katmandou, donc il le fera et ça ouvrira grave les pores de sa peau à tous les plaisirs (et douleurs) qu’apporte la défonce. On va suivre, non sans quelques hauts le cœur dûs à une large pratique du vomissement consécutif à ses ivresses récurrentes et trips insalubres, son parcours cahotique de mec moche amoureux des trans et autres travelos, qui tente tout et réussit à s’introduire dans les folles nuits parisiennes des années Palace, années de liberté totale où tout était non seulement permis, mais encouragé.
Trash et passionnant, du moins pour les nostalgiques de l’époque qui adorèrent les excès portés au pinacle, le glam, le sulfureux, l’outrancier, le pailleté, ça se dévore comme un mauvais plat savamment cuisiné par un chef habile en revenez-y. Car l’écriture de Charles Salles y est pour quelque chose. C’est brillant. Mêm si l’on se doute qu’il invente les détails car il ne vit pas dans le fute en cuir sale du héros qui n’a que faire de se laver, qui pue donc, qui s’oublie un peu partout et comble du comble, qui découvre un matin l’appartement où il a toujours vécu ravagé par un incendie. Et bien sûr, il n’était pas assuré. Il a tout perdu. Alors il ira de squatt en squatt, beaucoup de people à la dérive accueilleront cette épave tanguant au bout des nuit parce qu’on l’aime et qu’on ne le laisse pas par terre.
Pour en revenir au style, il faut lire comment il décrit la façon de chanter de Nico, son idole absolue, lors d’un concert mythique avec Jim Morrison. Enormément de name dropping aussi dans ce livre, on s’y croirait. Ne manque que le mien, ah ah ah ! Quelques mésaventures assez hard comme cette sale overdose accompagnée d’un suicide loupé. Et puis aussi la recherche de quelques ascendants juifs ou presque, émigrés ayant fait leur trou un peu partout dans le monde.
Certes il aura aussi des histoires d’amour, la plus violente étant la dernière où il demande à son amant d’être son bourreau, de l’étrangler. Ce que l’amant fait. Exit définitivement une icône, un héros, assassiné jeune avec amour entre adultes consentants. Drôle d’histoire.

Alain Pacadis Face b de Charles Salles, 2023 aux éditions de la Table Ronde. Prix du premier roman. 270 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

L’effet maternel : une sale affaire ?

Lu après « Une Sale affaire » de Virginie Linhart, L’Effet maternel est le récit que sa mère et son ex, père de sa fille, voulaient censurer et pour cela, avaient traduit l’écrivaine en justice. Ils perdirent le procès et ainsi, je pus lire l’objet du délit.

Si ce livre décrit le mal-être d’une personne soumise toute son enfance aux ravages de la liberté sexuelle de sa mère dans les années 70, il amoindrit ce que la sale affaire raconte. D’une part, que le « compagnon » de Virginie n’en était pas vraiment un puisqu’ils ne vivaient pas ensemble, car lui se démenait pour se séparer d’une compagne et de l’enfant qu’il lui avait faite, et que cela ne faisait que sept mois qu’ils étaient ensemble, alors que dans le dernier livre, j’ai eu l’impression qu’ils étaient réellement installés ensemble depuis longtemps. D’autre part, que ce fameux compagnon, appelé E, était d’abord un ami de la mère et c’est elle qui l’avait présenté à sa fille. Là aussi, j’ai eu l’impression d’une horrible trahison de la mère, à conserver ce « traite » comme ami avant de se rallier à lui pour porter plainte, comme si elle avait sciemment entretenu des relations avec ce pseudo-gendre qui s’était mal comporté. Mais non. Cela n’enlève rien de l’énorme intérêt à lire les démêlés de La Sale affaire.

Pour en revenir à l’Effet maternel qui a donc échappé à raison à la censure, on constate qu’à l’instar de ce qui se passait dans La Familia Grande de Camille Kouchner, voire aussi les allégations de Cohn Bendit et de ses comportements avec les petites filles, la vie de ces années-là était un marigot de coucheries qui n’épargnait, sinon le corps, du moins la pudeur des enfants. C’était ma génération, mais moi je ne vois dans ces débauches que des loisirs de gens riches, médiatiques, puissants car dans mon entourage ou plus largement dans mon milieu, je n’ai pas noté de tels comportements.

Donc la mère, séparée de son cher père tombé malade mais loin d’être mort, décide que rien, même ses deux enfants, ne l’empêchera de faire tout ce que bon lui semble. Sans contrainte. Pur produit des slogans de mai 68, elle est de plus diplômée, intelligente, belle, drôle donc tous les hommes, quel que soit leur âge, sont à ses pieds. Dans les immenses maisons qu’elle loue l’été sur la Côte, c’est la fiesta tous les jours, toutes les nuits. Le trio indestructible que forment la mère, elle et le petit frère, résiste à toutes les tempêtes malgré le malaise.

Virginie raconte ses terreurs nocturnes, quand sa mère les laissait seuls, puis le grand amour qu’elle vécut adolescente avec un garçon de son collège, jusqu’à ce qu’elle fût obligée d’avorter puis qu’il la quitte, chagrin absolu. Puis la relation avec ce fameux E. dont elle attendit, accidentellement un bébé. Lui n’en voulait absolument pas, d’autant plus qu’il s’agissait de jumeaux et qu’il avait peine à s’intéresser à son premier enfant. L’un des jumeaux mourut à six mois de grossesse, et E. reconnut la fillette mais ne voulut jamais la voir. Ce livre commence par une parole de la mère à qui Virginie se plaint de l’attitude de E. « Tu n’avais qu’à avorter : il n’en voulait pas de cette gosse ! ». La fillette, donc la petite-fille en question avait dix-sept ans quand ces paroles furent prononcées. Quelle violence ! Il y en eut d’autres, jusqu’à ce procès. Notamment quand sa mère eut l’envie à quarante ans d’avoir un bébé, pour faire jeune ? La science ne l’aidant pas à réussir à procréer, elle alla chercher un enfant dans un pays étranger. Et à partir de ce moment-là, Virginie ne comptait plus du tout, comme si elle avait compté, d’ailleurs. Seil le bébé avait droit de cité.

Pour pallier la dépression qui l’accompagna régulièrement pendant sa jeunesse, Virginie s’enferma dans la réussite scolaire. Puis dans sa vie professionnelle. Elle rencontra alors Paul, un homme formidable qui l’aidera à se (re)construire. Il s’occupera de la petite, ça sera son père, puis ils auront deux autres enfants.

Ce livre dépeint de façon exemplaire certaines mères égoïstes, maladivement jalouses de leurs filles qui risquent de leur voler la vedette en matière de séduction. Alors, la jeune Virginie fait tout ce qu’elle peut pour se gommer face aux amants de sa mère, elle n’existe plus. Et pourtant, elle aime sa mère d’un amour profond ce qui rend sa souffrance d’autant plus douloureuse.

L’Effet maternel de Virginie Linhart, 2020 aux éditions Flammarion. Et en poche aux Points. 192 pages, 6,90 €

Texte © dominique cozette

Une sale affaire

Ce livre passionnant, récit de Virginie Linhart, porte un titre tellement parlant ! Une sale affaire ! Car il narre le procès intenté par la propre mère de l’autrice et son ex-compagnon, jamais cité, l’homme qui l’a plaquée lorsqu’elle attendait les jumeaux (dont un est mort pendant la grossesse). Cet homme, E, dont on ne saura rien, est resté très ami et complice de la mère de l’autrice tandis que grandissait la fillette dont il était le père génétique. Et c’est parce qu’elle raconte l’histoire de son enfance, son adolescence, sa jeunesse auprès d’une mère explosive de liberté et de sexualité et celle de l’abandon de l’homme qu’elle aimait, qu’elle est assignée. Ils lui reprochent tous les deux une atteinte à la vie privée. Imaginez déjà le traumatisme. Et ceci, à un mois de la parution du fameux livre évoqué tout au long de audience, « l’Effet maternel » (que je suis en train de lire).
Tout long de cette procédure très fournie en exemples de biographies et autres autofictions, de jurisprudence, d’articles de loi, on s’interroge avec l’autrice sur ce qu’on peut ou non écrire sur sa propre histoire. Sachant que sa mère, divorcée de Robert Linhart, ex-militant communiste et grand intellectuel, a déjà abondamment parlé d’elle et de ses excès, que c’est de notoriété publique qu’elle désire vivre sans entraves comme le lui a appris mai 68, sachant aussi que l’ex de Virginie n’est jamais décrit, juste figuré par l’initiale E., que son métier a été changé et qu’il n’y a aucun moyen de savoir de qui il s’agit, c’est très gonflé de leur part d’assigner Virginie en justice et d’exiger qu’elle supprime soixante-dix pages de son récit. Qui ne ressemblera plus à rien.
Et pendant ce temps, à un mois de la parution donc, il lui faut répondre aux interviews comme si de rien n’était, il lui faut garder son sang froid, il lui faut affronter le couple mère/ex-compagnon au tribunal. Cauchemardesque.
Toutes les questions posées par le procès sont pertinentes et les avocats, d’un côté comme de l’autre, ont amassé quantité de documents pour défendre leurs causes, c’est ça qui est passionnant. Même si on sait que livre est paru (il y a quatre ans), on tremble face au couple infernal et déterminé.
« La peur de ne pas savoir se comporter. La peur de ne pas tenir physiquement dans la salle d’audience, face à ma mère et mon ex-compagnon, unis contre moi. La littérature m’a toujours soutenue, guidée, rassurée ; cette histoire-là, je ne l’ai lue nulle part : une mère qui attaque sa fille en justice en pactisant avec l’homme qui l’a fait le plus souffrir et dont elle a un enfant. »
Les belles histoires de famille, on n’en a jamais fini.

Une sale affaire par Virginie Linhart, 2023, aux éditions Flammarion. 180 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

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