Les sœurs Groult, ces coquines !

J’ai acheté le pavé Benoîte Groult sous-titrée « comme elles sont », dans l’édition Bouquins car j’adore la verve de cette femme dévorante de vie. Elle est drôle, vraiment cash et son écriture me ravit.
Journal à quatre mains est le premier ouvrage de cette compil, et il est vraiment passionnant.
Je me régale ! Ecrit dès 1940 avec sa jeune sœur Flora, 15 ans, elle-même en a 19 au début du journal, il raconte sans ambages leur jeunesse en pleine guerre, occupation même puisque Pétain vient de vendre la France aux Allemands. Elles vivent dans les beaux quartiers rive gauche, dans un entre-soi bourgeois bien confortable, fréquentent le beau monde, se cultivent, sortent, il y a toujours du monde chez eux — d’ailleurs la marraine de Benoîte est Marie Laurencin — et elles sont très libres. Pensez qu’en 41, elles s’incrustent dans un groupe de kayaks pour descendre une partie de la Loire, campant pendant quinze jours avec des jeunes qu’elles ne connaissent pas . Elles ont pour collègues de rame deux types très moches mais qui possèdent énormément de bonne nourriture, ce qui ne gâche rien en cette sinistre période de restrictions.
On y croise leurs flirts, leurs histoires de cœur plus ou moins sérieuses, leurs montées d’hormones et leurs chagrins… et le tout se conclura par le mariage, recherche effrenée du beau parti qui conviendra à leur mère (mais ne conviendra justement pas), il y aura aussi un veuvage puis beaucoup de plans cul avec de beaux Américains libérateurs. Les parents voient ces écarts d’un bon œil, ils ont confiance en leurs filles, en la vie.
Le Journal est drôle, bourré humour, surtout celui de Benoîte. Elle ne manque pas de cynisme et de causticité, c’est une dure à cuire côté cœur alors que Flora est toute naïve et quelque peu moraliste, pas trop non plus. Elles s’adorent et se fustigent en même temps, émettent des critiques cinglantes l’une envers l’autre.
Et puis il y a les hommes, les garçons, quoi, les bals, les boîtes malgré le froid, les couvre-feu, les galoches en bois qui se brisent en pleine rue. Il y a ceux qu’on aime mais qu’on ne veut pas épouser et l’inverse. Vers la fin de la guerre, l’une d’elle va perdre son mari à peine fréquenté car vite mobilisé, puis en refuser un autre dont elle est pourtant très amoureuse mais… vous verrez bien, et l’autre va s’en dénicher un inattendu.Beaucoup de choses sont d’ailleurs inattendues dans le journal de ces deux femmes libres qui n’ont pas vraiment de censure pour notre plus grand plaisir.
NB : Journal a été édité lorsque Benoîte avait quarante ans, elle l’a donc bien retravaillé, ce qui explique une belle maturité peu compatible avec l’âge des protagonistes. C’est Blandine de Caunes, sa fille, qui nous raconte tout ça dans la préface de cette édition.
Vraiment passionnant, car leur histoire, tellement vivante et actuelle, s’inscrit dans un contexte de guerre, d’occupation, dont elles ne se privent pas de nous faire partager de nombreux détails.

Journal à quatre mains dans l’Edition Bouquins avec cinq autres écrits de Benoîte Groult. 2024. 1152 pages, 32 €

Texte © dominique cozette

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