Ok, il s’appelle, de son nom d’écrivain Fabrice Caro, soyons sérieux un peu. Fab Caro, c’est son nom de bédéiste, le nom du dessinateur hilarant qui fit un tabac avec Zaï Zaï Zaï Zaï entre autres et qui transcrit du bon côté de la rigolade, la fine, celle qui rend moins con, ses petits travers de père, époux, mec de la bonne quarantaine, perdu dans l’infernal tracas de la mécanique du monde. Son troisième roman, Broadway, ne raconte pas grand chose de plus que ce que l’on sait du non-sens de la vie, mais énormément plus que ce que notre cerveau enregistre face à l’adversité. L’adversité, ici, c’est une injonction écrite et à lui postée à passer le test de dépistage du cancer colorectal. Courrier que nous recevons tous passé 50 ans. Sauf que lui n’en a que 46. La honte, le désarroi, la perte de ses repères. C’est aussi une convocation par le directeur de l’école pour venir s’expliquer sur un dessin porno qu’a réalisé son fils de 14 ans. C’est encore un engrenage infernal organisé par un nouveau voisin sans intérêt à trinquer chaque trimestre au son d’un verre de whisky qu’il a par lâcheté accepté alors qu’il déteste cette boisson mais dont il se sent obligé de cultiver le culte, les marques et le vocabulaire qui l’entourent. C’est aussi la prof d’anglais, représentée en levrette sur le dessin, qu’il harcèle mollement en se ridiculisant violemment. Et le couple d’amis (sa femme est amie avec la femme de l’autre) qui projettent de passer l’été ensemble à faire du paddle à Biarritz et qu’il n’a pas eu de courage de décliner immédiatement, prévoyant d’avance la pâtée qu’il va se prendre en slip de bains sur cette improbable planche.
« Du paddle à Biarritz. Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d’amis n’apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Le soir où il avait lancé cette idée, tout le monde était emballé, c’était l’idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne. Moi-même j’arborais un sourire franc pour ne pas détonner dans l’effervescence ambiante, un sourire de photo de mariage, sans même savoir ce que signifiait le mot paddle, quoique pressentant qu’il avait de bonnes raisons de ne pas faire partie de mon vocabulaire. En rentrant, j’avais tapé paddle sur Google images, et mes appréhensions s’étaient vues confirmées : on me proposait d’aller ramer debout sur une planche en caleçon de bain avec des gens, et je me suis aussitôt vu, le dos courbé sur un paddle qui n’avançait pas, voire reculait, transpirant et rougeaud, le visage grimaçant de douleur et d’effort, tentant de rattraper à vingt mètres devant moi Denis et ses pectoraux fermes et tendus sous le vent océanique. »
J’oublie sa fille de 18 ans qui se meurt dans un chagrin d’amour et oblige son père à brûler des cierges en priant pour d’horribles choses à sa rivale. Ce qu’il fait aussi de peur de mal jour son rôle de père. Et puis ce mail idiot concernant le fameux cancer colorectal qu’il envoie par erreur à son boss.
Le héros est veule, lâche, désemparé, faible, un homme quoi, mais l’auteur est plein de dérision pour le dérisoire de la vie. Il nous conte de façon extrêmement comique ce qui se passe dans le cerveau de cet homme, ce qu’il imagine pour échapper à tout ça ou simplement pour réenchanter sa vie, des choses très folles, très Broadway, tout en nous abreuvant de mini-souvenirs d’enfance ou d’adolescence pas du tout à son avantage. Episodes de vie de loser comme on en connaît tous mais dont le talent nous manque pour les rendre dignes d’être racontés. Le talent, Fabrice Caro le brasse à la pelle, chaque paragraphe est un petit chef-d’œuvre à déguster tendrement, oui, tendrement car on s’apitoie pour ce pauvre vieux gamin qui ne connaît pas son propre mode d’emploi. Evidemment, on rirait moins si c’était notre mari !
Chouette chronique sur un mec dont la vie n’est qu’un malaise général, de quelque côté qu’il se tourne. C’est vraiment drôle, parfois pathétique par effet de miroir, avec une écriture très fluide malgré l’absence générale de dialogues ou à cause de ça, peut-être.
A lire masqué.e dans les transports en commun pour cacher le sourire niais qui s’affichera automatiquement sur votre tronche de cake séduit par cette affaire.
Broadway par Fabrice Caro aux éditions Gallimard. 200 pages, 18 €
Texte © dominique cozette