Quand Fabrice Caro a piscine

Fabrice Caro et Fab Caro (Zaï zaï zaï zaï) c’est la même personne. Une personne déjantée d’un côté pour la BD et de l’autre pour la littérature. Fabrice, donc, signe ici son quatrième roman, Samouraï, sans se départir de sa singularité, la digression. Il ne peut pas s’empêcher d’aller chercher dans le fatras de sa tête le pourquoi du comment, se poser mille questions sans réponses, surtout lorsque qu’il baigne dans l’absurdité de sa vie. Et de la nôtre.
Il pensait être casé avec Lisa, la femme de ses rêves lorsque bam, elle le quitte en lui disant « tu ne pourrais pas écrire un roman sérieux pour une fois ? » et se met à roucouler avec un bellâtre aux tempes grises et au cerveau nickel. Pensez, il vient de publier « L’énonciation lyrique dans la poésie amoureuse de Ronsard et Baïf : étude stylistique comparative. »* Alors pour lui faire regretter cet affront, il va lui montrer qu’il est parfaitement capable d’écrire un super roman d’une profondeur insensée, voilà. Il tient un sujet et comble de la chance, ses voisins qui partent en vacances lui confient leur piscine à surveiller. Ce sera sa retraite d’écriture, cet endroit calme et serein.
Mais ses meilleurs amis (un couple qui a eu la chance d’avoir des jumeaux après avoir pensé que ça leur serait impossible mais la malchance que l’un des deux jumeaux cherche à tuer l’autre depuis sa naissance) ne veulent pas qu’il s’enferme dans la tristesse et la solitude, alors ils n’arrêtent pas d’organiser des dîners-surprises avec d’aimables jeunes femmes. En même temps qu’il est contacté par la mère de Marc, son inséparable copain de jeunesse suicidé d’une balle dans la bouche, qui fait un transfert sur lui et ne cesse de l’inviter alors que ça fait vingt ans qu’ils ne se voyaient plus. Et puis il y a aussi cette bestiole qui marche sur l’eau de la piscine, une notonecte, et puis sa mère, assez prenante aussi.
Comme on peut l’imaginer, tout ça ne va pas bien se passer. Déjà, l’eau de la piscine perd de sa transparence… Mais je n’en dévoile pas plus car ma copine  Chloé trouve que j’en dis trop. De toute façon, c’est du Fab ou Fabrice Caro, c’est super drôle, ironique, décalé, inattendu, désopilant, moi ça m’a éclatée et même fait réfléchir, oui oui. Alors ne vous privez pas de ce petit bonheur ciselé aux petits oignons.

Samouraï de Fabrice Caro, 2022 aux éditions Cygne Gallimard. 220 pages, 18€.

*Note de moi-même pour vous éviter de chercher : Jean-Antoine de Baïf, né à Venise le 19 février 1532 et mort à Paris le 19 septembre 1589 est un poète français. Ami de Pierre de Ronsard et membre de la Pléiade, il se distingue comme le principal artisan de l’introduction en France d’une versification quantitative mesurée, calquée sur la poésie de l’Antiquité gréco-latine. (Wikipedia). (Avant de googler, je pensais que ce poète était une pure invention).

Texte © dominique cozette

Aaaah ! Fab Caroooo !

Ok, il s’appelle, de son nom d’écrivain Fabrice Caro, soyons sérieux un peu. Fab Caro, c’est son nom de bédéiste, le nom du dessinateur hilarant qui fit un tabac avec  Zaï Zaï Zaï Zaï entre autres et qui transcrit du bon côté de la rigolade, la fine, celle qui rend moins con, ses petits travers de père, époux, mec de la bonne quarantaine, perdu dans l’infernal tracas de la mécanique du monde. Son troisième roman, Broadway, ne raconte pas grand chose de plus que ce que l’on sait du non-sens de la vie, mais énormément plus que ce que notre cerveau enregistre face à l’adversité. L’adversité, ici, c’est une injonction écrite et à lui postée à passer le test de dépistage du cancer colorectal.  Courrier que nous recevons tous passé 50 ans. Sauf que lui n’en a que 46. La honte, le désarroi, la perte de ses repères. C’est aussi une convocation par le directeur de l’école pour venir s’expliquer sur un dessin porno qu’a réalisé son fils de 14 ans. C’est encore un engrenage infernal organisé par un nouveau voisin sans intérêt à trinquer chaque trimestre au son d’un verre de whisky qu’il a par lâcheté accepté alors qu’il déteste cette boisson mais dont il se sent obligé de cultiver le culte, les marques et le vocabulaire qui l’entourent. C’est aussi la prof d’anglais, représentée en levrette sur le dessin, qu’il harcèle mollement en se ridiculisant violemment. Et le couple d’amis (sa femme est amie avec la femme de l’autre) qui projettent de passer l’été ensemble à faire du paddle à Biarritz et qu’il n’a pas eu de courage de décliner immédiatement, prévoyant d’avance la pâtée qu’il va se prendre en slip de bains sur cette improbable planche.
« Du paddle à Biarritz. Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d’amis n’apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Le soir où il avait lancé cette idée, tout le monde était emballé, c’était l’idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne. Moi-même j’arborais un sourire franc pour ne pas détonner dans l’effervescence ambiante, un sourire de photo de mariage, sans même savoir ce que signifiait le mot paddle, quoique pressentant qu’il avait de bonnes raisons de ne pas faire partie de mon vocabulaire. En rentrant, j’avais tapé paddle sur Google images, et mes appréhensions s’étaient vues confirmées : on me proposait d’aller ramer debout sur une planche en caleçon de bain avec des gens, et je me suis aussitôt vu, le dos courbé sur un paddle qui n’avançait pas, voire reculait, transpirant et rougeaud, le visage grimaçant de douleur et d’effort, tentant de rattraper à vingt mètres devant moi Denis et ses pectoraux fermes et tendus sous le vent océanique. »
J’oublie sa fille de 18 ans qui se meurt dans un chagrin d’amour et oblige son père à brûler des cierges en priant pour d’horribles choses à sa rivale. Ce qu’il fait aussi de peur de mal jour son rôle de père. Et puis ce mail idiot concernant le fameux cancer colorectal qu’il envoie par erreur à son boss.
Le héros est veule, lâche, désemparé, faible, un homme quoi, mais l’auteur est plein de dérision pour le dérisoire de la vie. Il nous conte de façon extrêmement comique ce qui se passe dans le cerveau de cet homme, ce qu’il imagine pour échapper à tout ça ou simplement pour réenchanter sa vie,  des choses très folles, très Broadway, tout en nous abreuvant de mini-souvenirs d’enfance ou d’adolescence pas du tout à son avantage. Episodes de vie de loser comme on en connaît tous mais dont le talent nous manque pour les rendre dignes d’être racontés. Le talent, Fabrice Caro le brasse à la pelle, chaque paragraphe est un petit chef-d’œuvre à déguster tendrement, oui, tendrement car on s’apitoie pour ce pauvre vieux gamin qui ne connaît pas son propre mode d’emploi. Evidemment, on rirait moins si c’était notre mari !
Chouette chronique sur un mec dont la vie n’est qu’un malaise général, de quelque côté qu’il se tourne. C’est vraiment drôle, parfois pathétique par effet de miroir, avec une écriture très fluide malgré l’absence générale de dialogues ou à cause de ça, peut-être.
A lire masqué.e dans les transports en commun pour cacher le sourire niais qui s’affichera automatiquement sur votre tronche de cake séduit par cette affaire.

Broadway par Fabrice Caro aux éditions Gallimard. 200 pages, 18 €

Texte © dominique cozette

Fabcaro s'écrivanise

Si vous ne connaissez pas Fabcaro, humoriste BD, précipitez-vous sur Zaï Zaï Zaï Zaï, ou Amour, passion et CX diesel écrit à trois (voir lien ici) et quelques autres à tomber de rire. De son vrai nom Fabrice Caro, beau mec sympa que j’ai croisé à une convention et qui m’a fait un beau dessin, il a écrit un premier roman en 2006 que je ne connais pas, mais viens de sortir celui-ci, Le discours, un chef-d’œuvre d’humour modeste, un humour feutré qui avance à pas de chat et fait rire intérieurement.
Son héros Adrien est un loser, un vrai, quadra, qui rate tout et ne la ramène pas. Ça se passe chez ses parents pour un dîner familial sans surprise, avec sa sœur et son futur beau-frère, sosie de Jean Ferrat, qui lui demande … un beau discours pour le mariage ! Lui timide, introverti, sans audace, un discours ! Comment convaincre le beauf que c’est une très mauvaise idée ? Comment déjà aller jusqu’au bout de ce dîner ordinaire avec gratin dauphinois et dessert convenu alors qu’on vient d’envoyer à son ex un message  et qu’on n’ose pas regarder si réponse il y a. Alors qu’on a absolument besoin d’une clope, objet tabou dans cet appartement où rien ne change, où le porte-torchons fabriqué à l’école pour la fête des mères, en contreplaqué, s’est mué au fil des retouches en espèce de bite indécente que personne ne voit, que sa chambre d’ado est restée telle quelle. Et que sa mère tente de savoir si une fille se profile dans la vie de ce fils sans ambition…
Tout au long du repas interminable, il va élaborer mentalement des discours tous plus tordus les uns que les autres avec la même conclusion : non, ce n’est pas possible. Et se remémorer les soirées loupées où ses déguisements n’allaient jamais, où ses maladresses engendraient un tas de petits problèmes, où un guitareux lui a piqué sa nana sous le nez…
Comme dans sa page des Inrocks où, avec un dessin reproduit plusieurs fois presque à l’identique, il fait dialoguer ses personnages de façon totalement absurde, il nous amuse avec les terribles petits problèmes ordinaires d’une vie sans relief mais pas sans humour.
Le discours de Fabrice Caro. 2018 chez Gallimard, collection Sygne. 200 pages, 16 €.

Texte © dominique cozette

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