
Ça y était
on avait tout ce qu’il fallait
pour un semblant de bonheur
de cette béatitude pépère des barbus fumeurs de pipe
au coin du feu qui font pof pof pof
pendant qu’elle pleure en pelant les oignons
Non
pas de ça chez nous c’est lui qui pelait
et il ne fumait pas il faisait le marché il testait les épices
il fouinait les abats les joues les hampes les tripes
puis plus tard les écailles les arêtes les ventouses
les tentacules de pauvres bêtes cueillies en pleine santé
On avait tout ce qu’il fallait
une terrasse lattée bois imputrescible et délavé
un arrosage automatique et un store pare-soleil
éclaboussé de fiente de ces grands oiseaux blancs
braillards et fiers et malpolis
On avait tout même l’essentiel
une voiture populaire pour visiter autour
les rencards artistiques Avignon Arles Sérignan
et l’ailleurs tout joli devenu ingarable envahi
par les hardes barbares nichant comme les coucous
chez les autres barbares partis nicher ailleurs
S’en foutre car on avait la mer les cabanons les huîtres
et des bonnes pompes de marche et des jambes efficaces
nul besoin d’aller loin le beau est beau partout
mais peu à peu ses pas de géants sont devenus tout nains
notre petit bonheur s’est mis à chialer comme un bébé foutu
et mon homme s’est dissous happé par le suaire rugueux
de la vieille gorgone au visage ravagé
Alors méprisant mon chagrin dévale l’inattendu
le truc désemparant qui me fait désœuvrée
je découvre l’ennui je m’emmerde salement
personne à qui dire des conneries à qui faire des tchin-tchin
et des bisous prudents et des câlins de vieux
On avait tout pour être heureux
et y a plus rien
on croit qu’il n’y a plus rien
mais il reste un trésor
nos vingt années d’amour
texte et image © dominique cozette