Si ce livre pouvait me rapprocher de toi

Dubois, c’est un chef cuisinier qui, avec les mêmes ingrédients, nous mitonne des recettes toujours différentes, toujours succulentes. C’est un être désabusé, toujours, à qui il arrive des drames et des mésaventures. Le père est à la base de cette trame déliquescente, le héros souffre à cause de lui, mais il y a aussi soit une sœur, un frère, ou un jumeau, toujours un chien, une femme qui part et des séjours plus ou moins longs aux Etats-Unis, au Canada et bien sûr à Toulouse ou au pays basque.
Cette fois, dans ce roman au titre un peu cucul (ne vous y fiez pas) Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, tout y est pour le malheur du personnage (je dois avouer que ce roman est ancien et que je n’en avais jamais entendu parler donc ma joie intense de le découvrir !) : sa femme l’a quitté, il n’a pas d’enfant puisqu’il se trouve qu’il est stérile, son chien est mort, son père qui vivait souvent au Canada, dans les contrées sauvages, a disparu dans un lac en allant pêcher. Il est écrivain mais ne vend pas beaucoup et trouve que sa vie n’aura servi à rien. Alors Paul Peremülter décide de tout quitter et de partir à l’aventure. Au moins, pourra-t-il peut-être ressentir des choses, se réjouir de certaines situations. Il atterrit aux Etats-Unis et se fait engager pour des petits boulots, chauffeur,  homme de confiance d’un milliardaire, etc… mais vu la vanité de toutes ces maigres occupations, il file au Canada, auprès d’un vieil ami de son père, tellement content de revoir le fiston. Car il a quelque chose de très important à lui révéler.
Pourtant, si ce quelque chose met un peu de baume au cœur de Paul, ça le fait descendre d’un cran dans l’estime que son père aurait pu avoir pour lui. Alors, oui, ce père décevant et déçu, il faut maintenant qu’il l’épate, qu’il lui prouve qu’il n’est pas un sous-homme, qu’il vaut quelque chose. Et alors, il va entreprendre une épreuve terriblement dangereuse, au risque d’y laisser sa peau.
Déjà, l’histoire est intéressante et les personnages que Dubois nous taille dans les troncs des grands arbres de l’automne canadien sont de toute beauté. On les voit, on les entend. Mais surtout, et comme d’habitude si je peux me permettre, c’est cette écriture si riche et si fine, magnifique, qui sait mettre les mots sur non seulement les sentiments mais aussi tout ce qui compose la nature sauvage. On a l’impression que Jim Harrison va jaillir avec son matos de pêche au détour d’un méandre. Quel talent, quel bonheur de s’immerger dedans, de s’y laisser mener par le bout du nez en ne sachant pas du tout ce que la fin nous réserve (je signale que dans un de ses romans, le héros se suicide à la toute fin). On s’attend à tout.

Si ce livre pouvait me rapprocher de toi par Jean-Paul Dubois, 1999, aux éditions Bibliothèque de l’Olivier (c’est comme l’Olivier mais moins cher). 224 pages, 9,90 €.

Texte © dominique cozette

L’origine des larmes

Le plaisir intact de découvrir un nouveau roman de Jean-Paul Dubois, sans en avoir encore entendu parler (le roman se trouvait dans un carton sur le sol de la librairie de Sète) s’est de nouveau matérialisé. Quel magnifique titre que L’Origine des larmes ! Tout est magnifique dans ce livre. Le sujet est d’une originalité frappante : Paul, le héros de l’histoire comme tous les héros de Dubois, va au Canada récupérer le corps de son père qui vient de mourir à la suite d’une longue maladie. Il le rapatrie à Toulouse où il vit et, lors de la visite qu’il effectue à la morgue, il sort un pistolet et lui tire deux balles dans la tête. Ça alors !
La police en est comme deux ronds de flan. Comment qualifier cet acte ? On ne peut pas dire qu’il ait assassiné son père puisqu’il était déjà bien mort. Mais on ne peut pas non plus laisser cet acte profondément irrespectueux impuni. Alors on lui imposera une peine bien accablante pour quelqu’un qui veut extirper de sa mémoire tout ce qui concerne sa vie avec son géniteur : décortiquer leurs rapports, le pourquoi du comment, face à un psychiatre bizarre aux yeux qui pleurent, et ce une fois par mois durant un an.
Pour Paul, cela n’a rien de joyeux. On apprend comment le père lui a pourri la vie dès sa venue au monde : sa mère est morte lors de son accouchement ainsi que son frère jumeau, même pas nommé puisque mort, donc jeté aux déchets . Or, le père n’a jamais voulu parler de sa mère à l’enfant, il a détruit toute trace d’elle, ses origines, ses photos, tout. Paul ne sait rien sur elle malgré un éclat de mémoire de ce fameux jour qu’il revit parfois.
Toute l’enfance du gosse a été une torture. Par exemple, pour ses six ans, le père lui a offert un canari dont il a arraché la tête avec les dents. Je ne vous en dis pas plus. Le père s’est d’ailleurs vite remarié avec une femme belle, riche et intelligence (le bougre ne manquait pas de charme ni d’aplomb) et aimante pour l’enfant qu’elle considérait comme le sien, et surtout qui possédait une fabrique florissante de housses de cadavres dans laquelle travaille maintenant Paul, sa mère étant morte. C’est dire si Paul, depuis toujours, côtoie la mort au plus près.
C’est un livre extrêmement intéressant car chaque rencontre du psy est conditionnée par un thème sur lequel doit s’exprimer Paul, ce qui permet à l’auteur de parler de sujets tracassants ou culturels ou mythiques ou religieux… autant de prétexte à dévoiler des pans de sa culture polymorphe.
L’action se situe dans quelques années, pour montrer comment le climat est détraqué : il pleut sans arrêt, Toulouse est trempée, il n’y a pas de trêve à ces larmes de ciel. On patauge. Formidable !

L’origine des larmes de Jean-Paul Dubois, 2024 aux Editions de l’Olivier. 250 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

Dubois dont on fait les formidables romans.

Ça fait des mois et des années que je guette les parutions de Jean-Paul Dubois dont j’adore l’esprit et le talent. Tout est fait en douceur et avec intelligence, jamais de violence ou de vulgarité dans ses histoires qui sont parfois tragiques. Et toujours enrobées du velours d’un homme empathique et compatissant. Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon est le titre de l’opus qui commence joyeusement par la sarabande d’une bande de rats dans la cellule de six mètres carrés que Paul, le héros, partage avec Patrick, une montagne de chair tatouée aux cheveux longs, adepte des Harley Davidson dont il connaît tout. Ils s’entendent plutôt bien mais il y a l’heure gênante où le mastard fait son gros popo en racontant ses trucs sous le nez du coloc. A part cet épisode de fin de journée, Paul s’est fait au régime puant et dégueu de cette geôle québecoise  où il ne s’abaissera pas à demander pardon pour ce qu’il a fait — ce qui pourrait réduire sa peine  — regrettant même de ne pas avoir tué le sale type. Donc, de là, on apprend peu à peu son histoire : élevé par un père pasteur danois plutôt rigide et une mère joyeuse tenancière d’un ciné d’art et d’essai de plus en plus pointu puisqu’elle y programmera fièrement Gorge profonde, the porno scandaleux de l’époque. Son père est viré du presbytère, plus ou moins radié de France, alors il s’en va au Canada, dans une petite église sans histoire. Le fils le suit péniblement. Je passe la vie du père qui se fourvoie aux jeux du hasard…
Paul, devenu adulte, est le superintendant de l’Excelsior, une résidence haut de gamme où les gens vivent tranquillement puis vieillissent, comme ailleurs, mais où ils lui font tellement confiance qu’il devient indispensable, apprécié de tous et surtout de toutes, même après avoir rencontré la femme de sa vie, une Irlando-Algonquine, pilote d’un aéronef hors d’âge. Hélas, le gentil proprio de l’Exelsior meurt et est remplacé par un type sans âme, sans états d’âme, sans pitié, rabiotant sur tout et même sur la vie des gens. C’est là que Paul va dérailler.

C’est un bouquin extrêmement attachant, fait de mille anecdotes étonnantes, de détails techniques ahurissants, de personnages atypiques comme ce Read qui est adjuster, c’est à dire qu’il doit évaluer le prix des morts pour que l’assurance qui l’emploie verse le minimum d’indemnités aux ayants-droit. Patrick, le codétenu est particulièrement émouvant avec ses peurs et ses phobies qui choquent dans un corps si énorme et si craint. Et la petite chienne de Winonna et de Paul tellement craquante qu’on a envie d’avoir la même chez soi.
Lire Dubois, c’est un vrai bonheur ! Et puis comme je le trouve sexy, je vous offre son portrait.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois, 2019 aux éditions de l’Olivier. 250 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

La succession qui ne se refuse pas

je suis d’une tristesse infinie quand je termine un livre que je trouve formidable. Je viens de refermer La succession de Jean-Paul Dubois. Et j’aime trop bien cette tristesse qui me fait garder ce livre en moi le plus longtemps possible avec son héros désabusé, non, pas désabusé, plutôt hyper conscient de la vanité de tout ça (la vie etc). Après seulement je lis les critiques et je vois que Télérama trouve ce livre drôle, en partie. Désolée, pas moi. Je le trouve émouvant, touchant, sombre, plein de dérision (c’est peut-être ça, l’humour), fort, dense, profond, léger, chaud froid. Drôle, non.
Dubois nous entraîne cette fois dans la folie passionnée de ce qui n’est pas la pelote basque mais qui y ressemble pour une béotienne comme moi, c’est la cesta punta, une industrie en Floride et tout ce qui va avec : le fric, les paris, le bling bling, sorte de paradis pour certains. En tout cas, le héros adore ça. Il est diplômé de médecine mais refuse la succession de son père, un médecin très apprécié qui consulte en short et ne parle pas à sa famille, sans pour autant la maltraiter. Notre héros préfèrejeter la balle de toutes ses forces sur les frontons américains.
Sa famille, ce sont tous des suicidés, des metteurs en scène de leur propre suicide. Il n’en veut pas. Il veut oublier les folies russes de son grand-père qui se trimballe avec une tranche du cerveau de Staline (qu’il a autopsié), la folie muette de sa mère qui vivait collée à son propre frère dans la maison familiale pour se tuer après qu’il l’ai fait, chacun à sa façon.
Pour lui, à Miami, tout va bien, il a ses potes, sa vieille caisse, son vieux bateau et le chien qu’il a sauvé des flots. Puis son père se suicide à Toulouse, l’univers joyeux de la cesta punta se délite et la femme qu’il aime, bien plus âgée, le plaque sans explication. Il faut retourner à Toulouse. Puis revient à Miami, repart etc…
Ça ne sert à rien de raconter tout ça. La prégnance du livre tient dans la façon de Dubois de nous raconter les choses les plus simples, les plus graves, les plus poignantes.
Les héros est si désespérément attachant qu’on a peur du mal qu’on va peut être lui faire dans cette histoire où, dans la deuxième partie, son cas s’aggrave puisqu’il doit soigner et aider. Se faire son éthique, savoir si on a le doit de donner la mort.
Je ne sais pas parler mieux de ce livre. J’ai essayé de ne pas le dévorer car chaque paragraphe est riche, nourri, senti. Mais voilà, il est fini, et je suis jalouse de vous tous qui n’avez pas encore eu le plaisir intense de le lire ! Bande de veinard(e)s !

La succession de Jean-Paul Dubois, 2016 aux éditions de l’Olivier. 234 pages, 19 €.
Texte © dominique cozette

Dubois dont on fait les meilleurs bouquins… bravo m’sieur Jean-Paul

Quelle toujours super bonne nouvelle la sortie d’un nouveau Dubois. Celui-ci, le cas Sneijder (vous jure, ce nom !) bat tous les records de mon admiration. C’est l’histoire d’un homme lâche, enfin ça ne saute pas aux yeux tout de suite, mais il est extraordinairement lâche, au point de sacrifier sa fille à ses deux exécrables jumeaux. Sa deuxième femme, une vraie pouffiasse, je veux dire une wonderwoman qui vit selon les codes actuels : efficacité, ambition, soin maniaque de son image n’a que  mépris pour tout le reste, pour les sentiments, la curiosité intellectuelle, le bonheur ou son semblant.
Monsieur S…machin a suivi sa mégère et ses « univitellins »  — car ils ne sont pas dizygotes —  au Canada où s’épanouit sa carrière (à elle). Lui fait ce qu’il peut jusqu’à ce dramatique accident d’ascenseur. Je n’en dirai pas plus. On s’en fout, vous le lirez vous-même. L’intérêt de ce bouquin, c’est que Dubois nous donne à considérer la vie, ou la société, ou le couple, enfin tout, avec un regard différent du nôtre. Il réussit à mettre des mots là où il n’y en avait pas. Chaque paragraphe est d’une précision d’entomologiste. Ça nous (quand je dis nous, j’attige car je parle pour moi) met en position de l’ignare, du sauvage, du mal éduqué, celui qui ne sait pas nommer ce qui titille et donc qu’il ne nomme pas, donc qu’il tait. Et ça n’existe pas. Avec Dubois, plein de choses se mettent à exister parce qu’il met le doigt dessus. Ce n’est pas le moindre de ses talents.
Car c’est toujours bien documenté, dans ses histoires. Monsieur S…bidule, après cet accident que personne ne peut expliquer parce qu’il ne peut pas se produire, se met à étudier tout ce qu’il trouve sur les ascenseurs du monde entier et nous en apprend de bien bonnes. Et nous montre comment notre société verticale s’articule autour de ce moyen de transport sans lequel rien ne serait possible ce qui fait notre présent. Il y a aussi un délire sur les nombres premiers qui deviennent des palindromes quand on les multiplie, et quelques anecdotes sur les promeneurs de chiens, dogwalkers.
C’est passionnant. C’est simple. C’est spirituel. C’est un super bon roman. Un seul défaut et il est de taille : p. 215, douzième ligne, trois mots sont mal imprimés, un peu bouffés. Franchement, l’Olivier… Bon, allez, ça ira pour cette fois.

Jean-Paul Dubois. Le cas Sneijder. L’olivier, 2011. 218 pages.

Texte et dessin © dominique cozette

A quoi rêve JP Dubois ?

« Tu veux savoir de quoi je rêvais ? d’une femme qui me trompe, qui me fasse voir les pierres, qui laisse du rouge à lèvres sur tous ses mégots de cigarettes, qui se douche en talons aiguilles, qui se teigne en blonde, qui roule dans des cabriolets, qui croise ses jambes très haut, qui passe sa langue sur ses dents, qui vive en lingerie et qui me traite comme un domestique. Et je vis avec toi, brune, réservée, douce, toi qui ne m’as jamais  donné autre chose que quatre enfants de taille moyenne et des repas à heure fixe. »

Texte Jean-Paul Dubois (« Parfois, je ris tout seul »)

« Moi, c’est le contraire. J’ai toujours rêvé d’une belle brune ardente, chaude comme une braise mais fidèle, très sexuelle avec moi mais très sage et très timide, qui fasse un petit boulot de secrétaire chez le comptable d’à côté, qui finisse tous les soirs à la même heure, passe faire les courses et prépare mon repas en chantant, m’apporte mes pantoufles en me demandant comment s’est passée ma journée, et qui m’annonce fiévreusement un soir qu’elle attend un bébé, notre bébé. Au lieu de quoi je n’ai rencontré que des harpies belles et vénéneuses, de ces nanas qui font rêver les hommes mais sont invivables, qui n’aiment pas baiser, qui bousillent ta voiture en allant s’acheter des cigarettes, qui les laissent se consumer sur la commode ancienne, qui ne savent pas faire le lit ni le café, qui te piquent de l’argent dans tes poches et te quittent en te traitant de pauvre type. »
Moi je dis : on est toujours à lorgner ailleurs si y aurait pas autre chose que ce qu’on a. Par exemple, on est à Milan et on se dit que ça aurait été plus sympa d’être à Rome, au lieu de se dire que ça aurait pu être pire si on avait atterri à Hénin-Liétard. Non ? Ben si, moi je trouve.

Texte et dessin © dominiquecozette

Citation débridée

« Un soir, en faisant ses courses, elle a interrogé l’épicier chinois pour savoir si c’était pas trop gênant d’avoir les yeux bridés « vu qu’on voit moins de choses, forcément puisque la fente est plus petite ». Le lendemain, je demandais le divorce. »

Jean-Paul Dubois (Parfois je ris tout seul).
Photo © dominiquecozette

(Vous allez me dire : elle s’est pas cassée, pourquoi pas un texte d’une ligne tant qu’on y est, elle aurait pu bosser un peu plus… Ce que vous ignorez et que je ne savais pas en initiant ce blog, c’est qu’il est beaucoup plus long de recopier un texte que de le créer directement. Il faut d’abord le trouver, puis le trouver sympa, puis regarder le texte puis ses doigts qui tapent puis on perd la ligne à copier, il faut relire avant de la retrouver, et il faut se montrer très rigoureux avec les ponctuations. Ne s’agit pas de trahir un auteur. Et puis je voulais placer mon minimarket La Madone. Il est chou, non ?) Bien à vous.
(D’ailleurs, juste au-dessus du minimarket La Madone se trouve un miniloft. Trop cute, non ? Je ne pense pas que ce soit un duplex, encore moins un triplex, si ça tombe c’est une cité dortoir avec plein de petits hamsters qui tournent toute la nuit pour alimenter les minifrigos du minimagasin de La Madone. Bon, j’ai dépassé le bas de la photo, je vous laisse).

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