Lola nous fait chavirer

J’aime beaucoup Lola Lafon, elle a une gueule, elle a du style, elle m’épate. Chavirer est son dernier roman. Chavirer raconte la dérive de gamines rêvant de gloire, de paillettes et de réussite, tombant dans les griffes french-manucurées d’une rabatteuse chic et tellement gentille. Cléo va donc tomber dans le piège de Cathy lui vantant les mérites de la fondation Galatée auprès des jeunes très doués voulant faire carrière, et quelle carrière. Internationale, siouplaît. Pour Cléo, petite banlieusarde de classe moyenne basse, c’est la danse, la danse et rien que ça. Cathy n’a pas de peine à lui allumer les étoiles dans les yeux en l’emmenant dans les beaux endroits de Paris, lui montrant les belles choses, lui offrant de grands parfums et l’invitant dans de sublimes restaurants en compagnie d’une partie du jury. Des hommes, bien sûr, bien mis, polis, insistant sur le fait qu’elle doit gagner en maturité, tellement important ça, qu’il ne faut pas être « frigide ». Quand on a treize ans, des rêves bigger than life et aucune expérience, quand le monsieur lui demande gentiment si elle veut bien, la petite Cléo acquiesce : son avenir est en jeu, sa mère compte sur elle pour réussir, tout le reste, eh bien… Même si bizarrement, mais comment peut-on faire le lien à cet âge, le corps collectionne des souffrances, symptômes inexplicables pour le docteur.
Donc un réseau de pédophilie dont les acteurs, rusés, font de leurs proies des prédatrices. Devenir « assistante » de Cathy, c’est être douée pour repérer dans son collège d’autres jeunes filles dévorées par la réussite. Ainsi, de victime on devient coupable, ainsi plus tard, on n’osera jamais en parler, c’est tellement honteux d’avoir participé à ce marchandage. Car ça paye, des gros billets pour épater les copines, pour s’acheter des rêves, pour commencer à frimer.
Ce roman est formidable mais.
Je m’étais attachée à une critique qui me promettait de voir Cloé jusqu’à la petite cinquantaine, or on quitte Cloé pour aller en voir une autre, puis d’autres, à d’autres époques, une habilleuse de danseuses de revue, malproprement virée, un régisseur de shows, une jeune femme qui se prostitue dans des peep-shows… Le récit s’éparpille et même si cela est vraiment intéressant, je me sens frustrée de ne pas voir ma fillette grandir. Même si je retrouve son histoire en pièces détachées, surtout si elle change de prénom. Cela n’enlève rien à l’intérêt de ce livre extrêmement riche de détails sur la danse notamment, les années 80 aussi, au style très travaillé. Les allers et retours d’époques et de personnages à d’autres époques et personnages  complexifie la compréhension mais on finit par retomber sur ses … pointes. La fin nous amènera à nos années post me-too où les victimes, pas toutes, finiront par parler et où l’on apprend que tout ce petit monde de Galatée n’est en fait qu’un réseau de people désireux de se faire une petite comme on se fait une petite ligne.

Chavirer de Lola Lafon, 2020 aux éditions Actes Sud. 350 pages, 20,50 €

Texte © dominique cozette

Lola Lafon et Patty Hearst

Le livre de Lola Lafon s’intitule Mercy Mary Patti. Oubliez Mercy et Mari, deux très courtes références à des femmes elles aussi enlevées, et concentrons-nous sur Patti, alias Patricia Hearst, petite-fille d’un magnat de la presse, enlevée en 1974 par un groupe de révolutionnaires. L’affaire fit d’autant plus de bruit aux Etats-Unis, que Patti, qui égrenait ses vidéos dans l’actualité, se disait totalement libre de sa pensée et de son sort, car très vite, épousant la cause de ses geôliers, elle en fit  la propagande et obligea son richissime parent de, non pas envoyer de rançon, mais de nourrir les centaines ou milliers de pauvres qui peuplaient la Californie. Evidemment, les pouvoirs publics comme l’intelligentsia décrétèrent de conserve que la pauvre petite — elle avait 19 ans — était victime d’un lavage de cerveau. Malgré les dénégation de la jeune fille qui bientôt se débarrassa de ses signes extérieurs de richesse pour porter le treillis et manier la kalach. Elle participa à un hold-up armé qui entraîna une vaste chasse à l’homme contre elle et ses ravisseurs. Ceux-ci furent tués (brûlés vifs) mais pas elle. On l’emprisonna afin qu’elle fût jugée. Or ses parents, pas rancuniers malgré les injures qu’elle leur envoya, payèrent nombre d’avocats pour sa défense. Et l’un d’eux délégua à Gene Neveva, prof d’université US en résidence dans les Landes, la tâche de scruter et analyser tous les documents en leur possession pour plaider sa cause.
Le livre commence à ce moment-là. Gene, femme forte et sans vergogne, engagea la jeune Violaine pour défricher le binz, elles avaient peu de temps. Violaine, mal à l’aise, oie blanche mal dégrossie (par ailleurs anorexique), n’était pas souvent d’accord sur l’analyse des vidéos ou des témoignages de Patti mais d’un autre côté, cela ouvrait aussi d’autres perspectives. Voilà pour ces deux femmes, leurs façons de vivre et leurs questionnement.
Puis arrive une troisième personne, apparemment bien plus tard, qui évoque la Violaine d’aujourd’hui, cinquante ans, seule, et la suite de l’affaire.
C’est un livre passionnant mais…
Mais la forme est malaisée. Le pronom d’abord utilisé est le « vous », ce vous s’adresse à Gene Neveva, dans cette quête de documents à décharge. On ne sait pas qui parle et cette distanciation est assez difficile à intégrer. Et quand la troisième personne apparaît, c’est sous le pronom : »je ». Encore une fois, qui s’exprime ?
Il s’agit bien sûr de l’auteure, Lola Lafon, mais quelles complications pour un récit vraiment foisonnant, bourré de questions, de partis pris ou non, de considérations sur la liberté, et surtout très riche sur les détails définissant les deux personnalités. Ça n’empêche pas de trouver ce récit attachant, comme on peut le faire pour des gens qu’on ne comprend pas tout passant de superbes moments en leur compagnie.
Ce n’est pas un gros livre, les chapitre sont courts, la prose est plaisante, il se laisse lire avec plaisir.

Mercy Mary Patti de Lola Lafon, 2017, aux Editions Babel. 240 pages, 7,80 €.

Texte © dominique cozette

La petite communiste m’a bien eue !

La petite communiste qui ne souriait jamais est le dernier livre de Lola Lafon. Il raconte, de façon romancée, l’itinéraire de cette petite fée de 14 ans, Nadia Comaneci,  qui fut, en 1976, la reine des JO avec son implacable réussite à toutes les épreuves de gym, barres, poutre, sol. Tellement forte que sa note, 10/10 ne put jamais s’inscrire, l’ordinateur n’étant pas programmé pour ce chiffre.
Ce livre est passionnant parce qu’il nous replace dans le contexte de ces années-là, la guerre froide, les légendes des pays de l’est fermés à toute visite, l’entraînement de ces enfants en dépit de toute humanité, la faim au ventre, la souffrance permanente frôlant la torture. Nadia ne souffre pas, n’écoute pas son corps ni son cœur, elle ne fait que s’affuter pour devenir une machine de guerre sans aucun défaut. Personne ne s’en remettra et surtout pas les Russes qui se font tondre par cette petiote à couettes. Cette petite qui a confié sa réussite à un gros bonhomme créateur d’une école de gym performante. Plus tard, il restera aux Etats-Unis.
Et elle ? Elle attrape la « maladie ». La maladie, c’est de devenir femme, d’avoir des règles et des seins, des hanches. De se perdre dans sa graisse. On racontera qu’elle a une idylle forcée avec le fils Ceausescu. Puis un jour, elle aussi fuit son pays, aidée par un aventurier en toc, profiteur. Mais c’est juste avant la révolution et l’exécution du vieux couple Ceausescu, ces horribles dictateurs qui laissaient leurs sujets mourir de froid, de faim, régulaient la sexualité des filles pour qu’elles fassent cinq enfants, contrôlaient les calories de chacun à absorber, leur faisant vivre un enfer :  se lever la nuit pour cuisiner, ou aller faire la queue au magasin, dormir avec son manteau, ne rien pouvoir faire car les lampes autorisées n’étaient que de 15 W etc… Mais surtout, les surveillant partout jusque dans leur intimité, micros, délation, comme la Stasi, quoi. En revanche, théâtre et opéra gratuits.

L’auteure envoie à Nadia les brouillons des chapitres au fur et à mesure de son avancement. Nadia répond ou pas. Boude parfois. N’apprécie pas. Et surtout, n’admet pas que l’occident critique tellementce qui se passe chez eux car tout n’est pas si noir. D’ailleurs, quand elle est aux USA, elle voit bien que si les biens matériels foisonnent, les gens sont trop pauvres pour les acheter. Qu’avant, on n’avait pas le droit de quitter la Roumanie mais qu’aujourd’hui, on n’en a pas les moyens. Et fustige la façon dont sont traités les Roumains de nos jours. Elle évoque l’esclavage né du libélarisme, les gens qui travaillent comme des brutes pour pas grand chose. Et aussi, les sociétés minières étrangères qui vont détruire une partie des belles montagnes de son pays pour extraire le gaz de schiste !
Ce bouquin est vraiment passionnant et, bien que j’aie lu en exergue qu’il était romancé, je me suis laissé avoir, pensant que les échanges Nadia-Lola étaient eux bien réels. Bien non. Ceci posé, il est extrêmement documenté, les faits et les dates sont réels et il n’y a qu’à se laisser porter par cette haletante — oui, haletante — aventure peu banale et très bien écrite.

La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon aux éditions Actes Sud. 2014. 318 pages. 21 €.

NB :  Pour revoir ou voir sa prestation extraordinaire sur poutre en 1976, clic.
Aujourd’hui, Nadia est une belle femme de la cinquantaine qui mène une vie épanouie, mariée à un gymnaste champion US. Elle a eu son fils à 45 ans, et avec son mari, ils entraînent des petits sportifs et aident de jeunes handicapés. Voir google et leur site.

Texte © dominique cozette

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