La petite communiste qui ne souriait jamais est le dernier livre de Lola Lafon. Il raconte, de façon romancée, l’itinéraire de cette petite fée de 14 ans, Nadia Comaneci, qui fut, en 1976, la reine des JO avec son implacable réussite à toutes les épreuves de gym, barres, poutre, sol. Tellement forte que sa note, 10/10 ne put jamais s’inscrire, l’ordinateur n’étant pas programmé pour ce chiffre.
Ce livre est passionnant parce qu’il nous replace dans le contexte de ces années-là, la guerre froide, les légendes des pays de l’est fermés à toute visite, l’entraînement de ces enfants en dépit de toute humanité, la faim au ventre, la souffrance permanente frôlant la torture. Nadia ne souffre pas, n’écoute pas son corps ni son cœur, elle ne fait que s’affuter pour devenir une machine de guerre sans aucun défaut. Personne ne s’en remettra et surtout pas les Russes qui se font tondre par cette petiote à couettes. Cette petite qui a confié sa réussite à un gros bonhomme créateur d’une école de gym performante. Plus tard, il restera aux Etats-Unis.
Et elle ? Elle attrape la « maladie ». La maladie, c’est de devenir femme, d’avoir des règles et des seins, des hanches. De se perdre dans sa graisse. On racontera qu’elle a une idylle forcée avec le fils Ceausescu. Puis un jour, elle aussi fuit son pays, aidée par un aventurier en toc, profiteur. Mais c’est juste avant la révolution et l’exécution du vieux couple Ceausescu, ces horribles dictateurs qui laissaient leurs sujets mourir de froid, de faim, régulaient la sexualité des filles pour qu’elles fassent cinq enfants, contrôlaient les calories de chacun à absorber, leur faisant vivre un enfer : se lever la nuit pour cuisiner, ou aller faire la queue au magasin, dormir avec son manteau, ne rien pouvoir faire car les lampes autorisées n’étaient que de 15 W etc… Mais surtout, les surveillant partout jusque dans leur intimité, micros, délation, comme la Stasi, quoi. En revanche, théâtre et opéra gratuits.
L’auteure envoie à Nadia les brouillons des chapitres au fur et à mesure de son avancement. Nadia répond ou pas. Boude parfois. N’apprécie pas. Et surtout, n’admet pas que l’occident critique tellementce qui se passe chez eux car tout n’est pas si noir. D’ailleurs, quand elle est aux USA, elle voit bien que si les biens matériels foisonnent, les gens sont trop pauvres pour les acheter. Qu’avant, on n’avait pas le droit de quitter la Roumanie mais qu’aujourd’hui, on n’en a pas les moyens. Et fustige la façon dont sont traités les Roumains de nos jours. Elle évoque l’esclavage né du libélarisme, les gens qui travaillent comme des brutes pour pas grand chose. Et aussi, les sociétés minières étrangères qui vont détruire une partie des belles montagnes de son pays pour extraire le gaz de schiste !
Ce bouquin est vraiment passionnant et, bien que j’aie lu en exergue qu’il était romancé, je me suis laissé avoir, pensant que les échanges Nadia-Lola étaient eux bien réels. Bien non. Ceci posé, il est extrêmement documenté, les faits et les dates sont réels et il n’y a qu’à se laisser porter par cette haletante — oui, haletante — aventure peu banale et très bien écrite.
La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon aux éditions Actes Sud. 2014. 318 pages. 21 €.
NB : Pour revoir ou voir sa prestation extraordinaire sur poutre en 1976, clic.
Aujourd’hui, Nadia est une belle femme de la cinquantaine qui mène une vie épanouie, mariée à un gymnaste champion US. Elle a eu son fils à 45 ans, et avec son mari, ils entraînent des petits sportifs et aident de jeunes handicapés. Voir google et leur site.
Texte © dominique cozette