Le noir est une couleur… putain de bouquin !

C’est Alphonse Boudard qui a trouvé ce titre « le noir est une couleur ».
Grisélidis Réal est connue comme prostituée activiste et écrivain, un peu peintre aussi. Elle préfère dire putain. Petite, elle n’était pas prédestinée à cela puisqu’elle a été élevée très strictement par une mère sévère et veuve. Mais qu’elle a fuie très vite. Elle s’est mise en ménage/mariée plusieurs fois, a eu quatre enfants de pères différents, a fréquenté une école d’art et pour gagner sa vie, était modèle. Entre autres.
Ce livre autobiographique écrit entre 1972 et 1973, édité en 74 puis réédité chez Verticales en 2005, commence ainsi : « J’ai toujours aimé les Noirs ». Et son histoire commence alors qu’elle réussit à faire sortir un Noir schizo d’un hôpital, pour vivre une belle une histoire avec lui. Et ses deux plus jeunes enfants. Ils sont en Allemagne, à Berlin, où les soldats américains, donc les Noirs, sont légion. Mais tout se passe mal. Le type ne fait que profiter d’elle, violemment, elle ne cesse de le fuir et il ne cesse de la retrouver. Elle passe la frontière en fraude et se retrouve sans papiers avec deux petits recherchés par les services sociaux, sans un sou, sans rien, qu’une vieille valise. Elle erre de refuges en cachettes, rien à bouffer, et finit par se prostituer pour survivre. C’est sordide, ce qu’on lui fait faire est dégueulasse, inquiétant ou spécial, mais elle ne peut rien faire d’autre. Un moment, elle se s’installe dans un hôtel où vivent les putains, chacune son petit monde, elle s’y fait des amies, c’est à peu près stable. On lui enlève ses gosses pour les mettre dans une institution protestante où ils ne parlent plus qu’un patois bavarois. Elle habite aussi parfois avec ses tziganes adorés mais les retours tonitruants du Noir la rendent vite tricarde.
Un jour, elle échafaude un voyage au Maroc pour créer son entreprise de trafic de drogue et y parvient, malgré une voiture brinquebalante et un chauffeur chelou. A ce moment là, elle est « avec » Rodwell, un autre Noir qu’elle adore et qui semble en pincer pour elle puisqu’ils doivent se marier.
Bien entendu, tout ne peut que mal tourner toujours tellement la misère, le malheur et le destin s’acharnent sur elle. Elle chope la syphilis, elle se retrouve avec des types qui veulent la tuer ou du moins la maltraitent terriblement mais elle espère toujours s’en sortir. Ce bouquin s’achève sur  la route de la prison.
Grisélidis Réal est une femme pleine d’amour, elle s’en explique très joliment dans la petite vidéo ici .
Elle s’en est sortie partiellement grâce à l’écriture puis au militantisme, défendant ses soeurs de misère, exigeant que les pouvoirs publiques cessent de les harceler, donnant des conférences un peu partout.
Ce livre montre que, malgré ce qu’elle dira plus tard pour défendre la prostitution et le regard plus artistique et intellectuel qu’elle y portera , ce fut loin d’être un choix. Son récit est bien sûr très trash, très dur, très acide mais son style est d’une beauté étonnante, frôlant une certaine poésie. Et l’épopée incandescente qu’elle a vécue, qu’elle nous raconte, n’a aucun équivalent. C’est bourré de suspense, de personnages hauts en couleurs, de lieux improbables et d’amours incertaines. C’est beau et désespéré, c’est un chant.

Le noir est une couleur par Grisélidis Réal aux éditions Verticales, 2005. 312 pages.

Texte © dominique cozette

Que nos vies aient l’air d’un film parfait

C’est une chanson d’Elli et Jacno adaptée de Lonely Lovers des Stincky Toys. Mais c’est aussi le titre du petit livre de Carole Fives.  Plasticienne (site ici) et écrivain, elle nous offre un court récit sincère et extrêmement touchant en cette rentrée pléthorique.
Elle narre l’histoire d’un divorce — est-ce celui de ses parents ? — dans les années 80 qui déchire les quatre membres de la famille. Chacun a voie au chapitre, sauf le jeune garçon, et c’est ainsi que se développe cette affreuse cicatrice dans la vie des protagonistes.
La mère est impossible. Pénible. Capricieuse. Malade des nerfs. Son propre père, médecin, ne s’est jamais occupé de la soigner, a préféré s’en débarrasser auprès d’un  homme amoureux.
Le mari ou père des enfants, ne pouvant plus assumer, décide donc de se séparer d’elle, sans joie, avec une énorme culpabilité. Il s’entendait tellement bien avec son fils ! Mais il s’avère après quelques temps que la mère est incapable de s’occuper de ses enfants, elle fait tellement n’importe quoi, chantage permanent au suicide,  picole, dope, amants en série, que le père finit par les récupérer. Elle va alors s’installer dans une communauté hippy dans le midi où elle semble s’épanouir. Mais elle se rend compte que c’est louche de ne pas avoir ni enfant, ni compagnon près d’elle, alors elle va tenter de reprendre un de ses enfants, sans se poser la question du déchirement des sentiments.
Je ne vous raconte pas le livre, mais ce qui est remarquable dans ce texte, c’est que la douleur même muette y est clairement perçue, sans pathos. On suit le petit garçon dans la perte de repères et de sécurité qu’on lui inflige, ainsi que le sentiment grandissant de culpabilité dont la soeur  ne se remettra pas. C’est très bien écrit, la tristesse qui affleure n’est jamais larmoyante et, faute d’entendre la version du garçon, on imagine terriblement son désarroi.
La fin est étonnante. Elle pourrait s’inscrire dans la théorie  de la résilience.

Que nos vies aient l’air d’un film parfait de Carole Fives aux éditions Le Passage. 2012. 120 pages.

Texte © dominique cozette

Mark Safranko nous la joue poil de carotte et Cie

C’est pas que je critique le fait de raconter son enfance quand elle a été merdique, pour ne pas dire merdeuse comme celle de Céline, mais j’en attendais plus. Plus d’originalité ou alors un point de vue différent. Marc Safranko a publié Dieu bénisse l’Amérique (God bless Amerika) chez 13ème note, une édition très noire et captivante qui nous livre des Dan Fante, Buko, Burroughs junior formidables. En poche, la collection s’intitule  Pulse.
La préface, plus l’introduction du livre ont été overpromising, comme on dit dans la pub, la barre a été très haut placée et du coup je me suis sentie flouée. En même temps, c’est agréable à lire, les chapitres sont courts et les anecdotes amusantes. Peut-être qu’il faut lire ça avant sa majorité parce qu’il y a quelques crudités, rien de bien méchant.
A vrai dire, j’ai eu l’impression, en entrant dans l’enfance du héros, de connaître l’endroit, comme si j’y étais passée déjà plusieurs fois. Ben oui. C’est une famille pauvre d’émigrés polonais, pas juifs, qui tire le diable par la queue, sachant qu’elle ne s’en sortira jamais. Mais espère qu’au moins, Max, le gaillard,  porte un peu d’espoir, en Amérique, c’est possible. Mais Max, depuis qu’il a été conçu par accident, est devenu le bouc émissaire de ses parents, tabassé constamment et injurié par son père, dévalorisé par sa mère. Chétif, maladif, il n’en mène pas large avec les autres garçons et devient souvent leur souffre-douleur. Jusqu’à ce qu’un autre endosse l’habit et en devienne cruellement victime, à mort.
Chez lui, dans la vieille bicoque pourrie, rien ne va, tout ce qui arrive de pénible  est de sa faute. Les pannes de voiture, le temps qu’il fait, la mort du tonton…
En classe, ça ne marche pas fort. le père sort la boîte à gifles pour lui apprendre les maths et, comme de bien entendu, ce n’est pas une bonne méthode. C’est une école de soeurs très strictes, armées de baguettes pour les corriger — ou se faire corriger par eux—. Mais elle est mixte et l’enfant se découvre une passion insensée pour une fillette qui le détestera fermement.
Et puis la sexualité qui s’éveille, la quéquette qui n’arrête pas de jouer le redressement productif mais qui peine à entrer en contact avec la fente où mettre la pièce.
Pour aider à sortir la tête du sac, il doit bosser avant la classe et durant les vacances dans des endroits pourris : c’est une véritable petite Cosette maintenant, mal ou peu payé, enguirlandé, jamais remercié.
Ce qui est bizarre, c’est qu’il a un petit frère. A part nous le faire savoir une fois, on n’en entend plus jamais parler. Il n’existe plus. Et pourtant, on nous le montre en photo dans les pages du début, ils sont d’ailleurs assez jolis garçons tous les deux.
A la fin, on a droit à la postface qui explique encore pourquoi ce livre est formidable. Trop de com tue la com. Et, il faut bien le dire, ce livre est assez banal. Quant à la couverture, avec le  fessier plat d’un sexagénaire arborant un bikini taillé dans le drapeau US, il n’incite pas à l’achat.

Mark Safranko. Dieu bénisse l’Amérique. Edition Pulse 13ème note 2009. 396 pages.

Inénarrable, loufoque, tarabiscoté et absurde pavé de Tom Robbins …

Si vous avez apprécié même les cow-girls ont du vague à l’âme — porté à l’écran mais très très très réducteur forcément — vous  retrouverez avec frénésie l’intarissable auteur Tom Robbins qui nous raconte en un tome (de 638 pages drues) vingt-six mille aventures extraordinaires et extrêmement documentées sur une infinité de sujets tels la CIA, le Jugement Dernier, Fatima, la Vierge Marie, la Syrie, toutes sortes de mythologies, Matisse… Si vous ne connaissez pas cet énergumène, c’est l’occasion de vous y plonger.

Le héros, Switter, agent de la CIA, doit accomplir une mission pour plaire à sa grand-mère, femme de trempe et d’argent : remettre son perroquet chéri en liberté dans la partie du monde où ils sont le plus heureux. Et filmer l’affaire. Chemin faisant, il va accepter de rendre un autre service pas simple à un anthropologue anglais qui doit absolument lever un sort le concernant, un sort inavouable, jeté par un sorcier à tête de pyramide dans les environs de cet éden. Hélas pour tout le monde, lui, le perroquet et l’Anglais, il va bien rencontrer le chaman mais il sera à son tour victime d’un sort auquel il devra se soumettre sous peine de mort immédiate.
C’est donc en fauteuil roulant puis sur des échasses qu’il va nous balader jusqu’à un couvent au Moyen-Orient tenu par des nonnes légèrement défroquées, dont, à force de prière, l’une d’elles a retrouvé un hymen intact et une autre, a vu sa beauté inassumée saccagée par une excroissance miraculeuse.
Ces femmes, pas si chastes que ça, vont lui confier une nouvelle mission en accord avec son talent de décrypteur de codes secrets : interpréter une mystérieuse prophétie de Marie à Fatima et en rendre compte en haut lieu c’est à dire au pape himself.
Et bien d’autres péripéties qu’il est impossible de résumer et même d’évoquer tellement le bouquin est dense. Jusqu’à l’overdose parfois, mais c’est comme un super menu gastronomique : même au bord de l’indigestion, on n’a pas envie d’en laisser une miette car il est écrit d’une façon tellement drôle et réjouissante qu’on n’aimerait pas gâcher un si beau travail !

Féroces infirmes retour des pays chauds (Fierce invalids home from hot climates) de Tom Robbins 2000. 2012 pour la traduction française. Editions Gallmeister

Texte © dominique cozette

Le corps du délit

C’est qu’il est bavard, le héros de Daniel Pennac, il en raconte des histoires sur son corps !
Les hommes, sauf à être hypocondriaque, ont tendance à ne s’intéresser qu’au corps des femmes lorsque celui-ci est appétissant et qu’ils en feraient bien leur affaire. Mais le sien, à part les histoires de franche camaraderie virile qui tournent autour de la quéquette, de celui qui pisse le plus loin, qui a la plus grosse ou qui l’a fait cinq fois dans la nuit, ou alors au contraire quand plus rien ne marche, il s’en bat les flancs. Mais voici que Daniel Pennac, très inspiré, s’empare du sujet, superbe idée, et qu’il nous compte tout ce que peut vivre un organisme masculin de 13 à 87 ans. Et c’est pas triste. C’est même très amusant car il y décrit finement des petites choses qu’on a tous sans jamais en parler, il explore divers tabous et livre de curieuses recettes pour soigner des plaies, péter discrètement, anesthésier avec rien, éponger ses pollutions, entre autres. Il  nous montre comment tester tous ses sens car il trouve qu’on les sous-utilise. Mais attention, danger.
A travers son corps un peu chétif au départ mais qu’il apprendra à façonner, il nous raconte sa vie d’amant, de mari, de père, d’ami, de jeune, de vieux, de stressé, de malade. Il y redoute les prémisses de l’horrible Alzheimer, nous familiarise avec ses acouphènes, nous invite à son myélogramme. On va faire connaissance avec ses fonctions intestinales, sa paire d’organes intimes, ses problèmes urinaires, l’intérieur de son nez. Il va s’appliquer à décrire ses éjaculations et les effets de l’amour. Puis la perte du désir et l’impuissance.
C’est jouissif et réjouissant pour ne pas dire réjouissif et je l’aurais lu plus tôt si son passage à la Grande Librairie ne me l’avait dévendu. J’ai trouvé sa façon d’en parler  un peu fade. Et je m’aperçois avec ce billet, que la mienne l’est aussi. Pas facile, d’en parler mais allez-y, c’est très divertissant. Et instructif.

Daniel Pennac. Journal d’un corps. 2012 aux éditions Gallimard, 382 pages plus un index détaillé.

Texte et illustration © dominique cozette

Freedom, c’est le titre mais franchement, il aurait pu trouver mieux !

C’est un gros pavé de 2011 et de 700 pages de Jonathan Franzen dont je n’étais pas venue à bout des Corrections, parfois j’ai le cerveau si mollasson qu’il refuse toute course de fond, car c’en est une avec cet auteur prolixe. Sous le pavé, point de plage, hélas, mais une histoire terriblement american way of life qui compte trois générations de personnes de la middle-class à tendance variable, le noyau étant Patty, sorte de desperate housewife dont on nous conte les grands parents, les parents, puis l’enfance du mari, Walter, issu de Suédois. On assiste à des dialogues de sa jeunesse lorsqu’elle était preppy, puis à ses premiers pas dans l’amour où elle loupe le bad boy rocker, blasé et queutard, meilleur ami de Walter qu’elle épousera donc par capillarité. Puis on verra comment elle se demandera plus tard si elle n’a pas gâché sa vie en faisant le mauvais choix et si elle devrait pas, finalement, passer à l’acte avec cet homme toujours séduisant qui continue à lui faire du gringue. Mais je ne vous dirai rien.
Walter, le desperate houseband, c’est l’homme bien, digne et probe, non buveur ni fumeur, travailleur, rougissant facilement, bref un brin chiant, mais sûr. Qui un jour décidera de protéger la nature par le biais de tout petits piafs qui s’éteignent à cause de cette chierie de civilisation américaine. Ce qui va l’entraîner dans de drôle d’aventures où son désir jusqu’alors très sage, s’inscrira dans une sorte de redressement productif pour une jeune associée, partie très prenante dans ce combat écolo. C’est extrêmement documenté sur le problème (et divers autres) et je ne saurais trop conseiller à nos amis lecteurs, oui, toi, chère abonnée et toi, vieux facebooker, de ne plus laisser traîner ton chat adoré dehors* tant cela fait des ravages dans la faune fragile (150 millions d’oiseaux tués chaque année aux Etats-Unis, sans compter les petits orphelins crevant de fin dans leurs nids funéraires).
Bon, trêve d’endoctrinement, ce couple a des enfants. Devinez quoi  ? Un  gars, une fille. Totalement différents, au destin totalement opposé et pas complices. Naissance de moult problèmes avec eux car, comme vous le savez, la mère américaine a tout d’une mère juive en plus juive encore. Elle culpabilise très facilement, se pose mille questions dont on profite grave et se perd en conjectures heu je cherche un adjectif mais n’en trouve pas (je veux dire qui se renouvellent constamment comme les vagues de la mer, vous voyez le genre).
Si vous aimez vous noyer dans un flot de prose qui passe tout en détail, qui ne vous donne pas le confort de petits paragraphes et de lignes espacées, plongez dans ce bouquin — je ne sais pas s’il est sorti en poche (c’est plus une poche, c’est un cabas) —, si vous aimez décortiquer les noix, les crabes et les pattes de langoustines jusqu’au plus pointu du fond, cet ouvrage est pour vous. Autre avantage de poids, si je puis dire : il évite à la serviette de bain de s’envoler au premier coup de mistral.
Dernière remarque : quand on le finit, on émet un discret ouf car ce bouquin, c’est un peu comme avec les enfants en vacances : on est content quand ils arrivent mais on est content quand ils s’en vont. Je blague, bien sûr, un enfant, on est toujours obligé de le finir !!!

* le dialogue est absolument réjouissant entre une voisine revêche et Walter dans leur environnement de nature préservée où chacun fourbit ses arguments pour et contre les errements félins, morceau d’anthologie sur le comportement type  je-fais-ce-que-je-veux-et-je-t’emmerde, en moins discourtois mais tout aussi agressif.

Freedom de Jonathan Franzen aux Editions de l’Olivier, 2011.

Texte et illustration © dominique cozette

Où je décide que Wallander ne sera pas qu’un simple amour d’été

Même si ce n’est pas James Bond (je n’aime pas James Bond, qu’on se le dise) ou San Antonio (qui m’a refilé pas mal de maladies textuellement transmissibles), hé bien je suis tombée sous le charme décadent de l’inspecteur Wallander, un fatigué désabusé porté sur le gorgeon.  Et aux amours inexistantes ou lointaines, un peu négligé sur lui, qui ne fait pas le ménage et doit puer l’oignon.
Ce bouquin « la lionne blanche » de 1993 est le premier que je lis de son auteur Henning Mankell, qui a pondu énormément de trucs depuis, théâtre, contes philosophiques, bouquins pour enfants et polars avec Wallander.
Cette enquête commence mollement : il s’agit d’une femme honnête, scrupuleuse, fidèle qui disparaît en allant visiter une maison pour son agence immobilière, dans la cambrousse. Elle se perd et, voulant demander son chemin, reçoit une balle entre les deux yeux. Aucune trace d’elle, aucune raison, aucun mobile. En cherchant dans les environs de la baraque, on découvre une maison juste explosée avec reste de matos hyper-sophistiqué dedans et un doigt de Noir fraîchement coupé.
Wallander, par compassion pour le mari et les deux fillettes orphelines, va se jeter à fond dans une enquête d’abord sans queue ni tête, puis avec un vague lien qui se noue tout au bout de la terre, en Afrique du Sud, où se concocte un attentat contre une personnalité des plus haut placées. Comme il s’agit de de Klerk ou de Mandela, on sait qu’il n’aura pas lieu. Mais n’empêche que le suspens, complexe et rebondissant, fait son oeuvre en tenant en haleine la pauvre lectrice désarmée que je suis.
On y apprend pas mal de choses sur les Boers, l’anti-apartheid et ses relations avec les mouvements d’extrême-droite russe et on y découvre des personnages ultra pointus et invincibles qui nous collent la peur au ventre.
C’est écrit sans chichi, de façon classique et fluide et la construction est bien menée. Ça me rappelle un peu les bouquins de Fred Vargas avec son fameux Adamsberg qui, comme Wallander, refuse de marcher dans les clous, cafouille et se plante bien souvent. Mais je les ai tous lus, ceux de Vargas. Je vais donc enquiller les Mankell car on m’a dit qu’ils étaient vraiment super, j’ai envie de continuer avec lui.

La lionne blanche de Henning Mankell 1993. 430 p. chez Seuil Policier. Et en poche.

Texte et dessin © dominique cozette

Virginie Despentes, poil à la fente

Moi, j’ai toujours aimé cette nana sévèrement clitoridée. Grande gueule, provoc-actrice, loin de la mièvrerie et de la féminitude molle des auteures chichiteuses. Avec forcément du poil aux guibolles comme Patti Smith car elle en a rien à foutre. Mais je m’avance peut-être… j’aime bien son côté bûcheronne des vanités et enculeuse de fines mouches, à l’affût des tendances craspecs de la société.
Dans ce bouquin qui date de 2002, Teenspirit, je trouve des expressions qu’on nous sert en boucle, genre c’est « c’est un type qu’on adore détester », des analyses toujours d’actu de notre société du spectacle : « Jamais propagande n’avait été mieux dispensée, et jamais propagande n’avait connu pareil cynisme. Même les pires bourrages de crâne, staliniens, hitlériens, sionistes ou palestiniens, catholiques ou scientologues, les professeurs avaient eux-mêmes été formatés, et croyaient en ce qu’ils dispensaient. On n’en était plus là, les directeurs de chaînes, les réalisateurs de clips, les producteurs de groupes, les cadres marketing, tous savaient pertinemment qu’ils escroquaient des innocents. Ils se croyaient modernes et durs, se comparant volontiers à de grands animaux féroces. Alors que c’était qu’un tas de corniauds voulant tous faire plaisir au chef, recevoir la petite caresse d’approbation.[…]. Barbouzes crétins voulant séduire des gosses, et prêts à tout pour ça. »
Et sur le boulot : « Il était désolé de devoir m’expliquer qu’ils cherchaient bien des traducteurs mais que le marché était tel qu’ils ne pouvaient pas bien les payer, il était le premier à le regretter mais voilà, il n’y pouvait rien. Il y pouvait parfaitement quelque chose, comme la plupart de ses collègues, il était à ce point pressé d’obéir qu’il en oubliait de réfléchir. Encore un de prêt à tout pour que le patron le félicite… Ça marchait à la menace d’être viré, bon à rien, dégagé. Le filon de l’expulsion avait été bien exploité : expulsion des beaux quartiers, expulsion des centres-villes, expulsion économique, expulsion du territoire, expulsion du droit à la santé, expulsion de l’entreprise, expulsion des appartements, expulsion des banques, expulsion des bonnes écoles, expulsion de la citoyenneté, expulsion de la jeunesse. La maltraitance des expulsés n’avait rien à voir avec le hasard, elle était spontanément encouragée par le corps social, doté d’un inconscient puissant, afin d’assagir les inclus. Tous ces gens avaient tellement la trouille d’être dégagés qu’ils devançaient les désirs du maître avec un zèle désespéré<; il n’y avait plus besoin  de les surveiller, les encadrer, les motiver… »
Et le pitch alors ? On a affaire à un trentenaire paumé et claustro qui finit par se faire virer de chez sa copine le jour où il apprend — redoutable —  sa paternité. Une ado de 13 ans, difficile. Il ne va pas se présenter sous son meilleur jour, forcément, sans une thune, sans bagnole, sans appart puisque squattant une  autre copine, et sans boulot fixe…
Comment je me suis laissée attraper par les analyses du « narrateur »  ! Ses vue sur la société dans son ensemble, les femmes, les filles, me disant tiens, quel type formidable de voir ainsi les choses ! Et me souvenant brusquement que l’auteur était une femme. Même violemment féministe, même homo, une femme. D’où quelques petites séquences sentimentales. Bon.
Mais c’est très plaisant comme roman, c’est très parisien, très râleur, très énervé, et très dialogué. En vacances, c’est bon, les livres dialogués

Teen Spirit de Virginie Despentes. 2002. Grasset & Fasquelle et J’ai lu.

Texte et dessin © dominique cozette

Lapeyre, y en a … deux !

Eh si, contrairement à la pub des fenêtres, le romancier nous en colle deux pour le prix d’un. Deux quoi ? deux amoureux de la même femme. Une femme éthérée, jamais là, qui s’en va sans prévenir, qui revient sans le dire, qui laisse deux ans mariner Louis Blériot, l’amant de Paris par ailleurs marié avec une femme assez tolérante et qui gagne suffisamment  sa vie pour activer la pompe à phynance de son adultérin de mari pendant que notre héroïne insouciante dicte sa loi à son compagnon de Londres, car elle est anglaise voyez-vous.
Pour écrire « la vie est brève et le désir sans fin », très joli titre, l’auteur s’est paraît-il inspiré de Manon Lescaut, qui comme elle, s’activait entre deux hommes. Ça rappelle aussi Jules et Jim mais Jeanne Moreau a trop de présence pour incarner la petite créature sans consistance qui a permis à Patrick Lapeyre de remporter le prix Femina.
Je ne dirai pas que je n’ai pas aimé le bouquin parce que ce serait faux. Je l’ai aimé jusqu’à une certaine page, vers le milieu, où j’ai fini par comprendre que notre héroïne, non contente de balader ses amoureux transis, nous menait par le bout de notre nez, pauvres lecteurs captifs. Disons que j’ai fini par lui dire de choisir d’en finir avec ses va-et-vient ridicules car ça va bien comme ça, ces types sont trop cons de marcher ainsi dans la combine et elle-même est une vraie petite tête à claques.
Ceci dit, ce bouquin est absolument bien écrit, les phrases sont chics et originales, c’est de la dentelle, comme on dit en refermant un Bobin. Sauf que la dentelle, on se prend les diams dedans et à force, ça lasse.
L’histoire finalement n’a pas grand intérêt, la fin est shuntée sur des considérations philosophiques qui laissent entendre exactement ce que vous avez envie d’entendre. Mais pour lire sur la plage, entre deux ballons qui vous assomment et trois mômes qui vous enjambent en vous ensablant, c’est tout à fait de circonstance. Je pense que s’il a eu ce prix, c’est qu’il a plus plu au jury qu’à moi. J’espère qu’il a moins plu sur votre plage que sur les pages du bouquin où, bizarrement, il tombe des cordes dès que Louis Blériot retrouve sa gredine. A noter qu’il a été écrit bien avant l’avènement de notre pluviofuge  président.

La vie est brève et le désir sans fin, Patrick Lapeyre, 2010 chez P.O.L. 345 pages imprimées très proprement en Normandie, pays pluvieux s’il en est.

Texte et image © dominique cozette

Je te prête ce livre mais il s’appelle … les revenants !

C’est mon deuxième Laura Kasischke, je n’avais pas fini mon premier. J’y suis entrée sur la foi d’un athée, ami de même goût, donc en confiance mais sans trop d’enthousiasme ! Ah, ces histoires de campus US avec ces petites garces aux cheveux lisses et épais qui font tourner les garçons en bourrique ! Ah, ces rituels de bizutage tous plus cruels les uns que les autres ! Et ah ! ces profs politically corrects qui font gaffe à ce qu’ils racontent. Mais peu à peu, je me suis laissée submerger par un implacable suspens.
A l’instar des romans américains issus de la grande vogue des ateliers d’écriture, les Revenants ne dérogent pas à la règle qui veut que lorsqu’on croise un personnage même secondaire ou marginal, on s’intéresse à lui, à ce qu’il a bouffé la la veille, comment s’entendaient ses parents et les relations qu’il entretenait avec le jules de sa baby-sitter. Donc, c’est vrai, ça fait du monde, ça fait du volume, ça fait de la lecture.
Selon le même principe, on s’attache à décrire — attention, je vais utiliser les italiques — précisément les décors, murs, sols, meubles, déco, odeur des bougies, vue de la fenêtre. Mais aussi les vêtements des protagonistes, leur parfum, leur démarche, leur voix. On dirait presque une intention de réalisation : tout y est pour faire le film. D’ailleurs, à ce propos, le montage est moderne très cut, découpé soigneusement pour nous laisser maronner tandis que l’on saute à l’action qui se passe à côté ou qui s’est passée avant, un peu comme dans les films d’Inarritu (Amours chiennes, 21 grammes) : il faut un petit temps d’adaptation à chaque fois. C’est pour la forme. Ce à quoi je peux ajouter que c’est de la belle écriture classique d’aujourd’hui, précise et sans gras. Avec des entrées de paragraphes pour aérer et des dialogues ni trop ni trop peu comme dans tout bon roman.
Pour le fond, c’est une histoire troublante de jeunes étudiantes mortes ou disparues, que l’on aperçoit parfois, de loin, à peine, dont on a voulu apparemment masquer l’accident ou la mort et on est aidées dans cette sorte d’enquêtes menées par un prof et un étudiant qui fut l’ami de l’héroïne depuis l’enfance et le coloc du fiancé qui a provoqué l’accident mortel.
Cette histoire est d’autant plus inquiétante et les soupçons de trafic de la mort d’autant plausible que la prof qui mène l’enquête fait son séminaire sur les rituels liés au deuil, la mort, les non-morts… On est en plein dedans. Et on y saute à pieds joints et après on veut absolument savoir ce qui se passe, on t’attache à deux ou trois personnages, leur femme ou leur mari, ou leur mère, ou les jumeaux pénibles qui ne parlent qu’en sabir etc…
C’est américain donc il y a de la morale, un zeste de sexe, des horreurs ! comme la drogue, l’homosexualité féminine, les bals de fin d’année, les groupes/clubs/ sororité et autres amalgames de gens interchangeables à la pensée unique. Ou inique.
Il y a des critiques qui font rien qu’à vous raconter le pitch comme Télérama, ou le Monde des Livres,  allez sur Google si vous aimez savoir avant. Moi j’ai fini mon boulot. Vous avez 587 pages drues et mal reliées  — car elles ont tendance à se détacher et pourtant il était presque neuf quand on me l’a donné — bref 587 pages d’une bonne littérature on va dire, très appliquée, super bien construite et carrément efficace. Voilà le mot : efficace.

©Les revenants par Laura Kasischke. Christian Bourgois editeur 2011.

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