Angot-ass.

Ce jeu de mot m’a échappé, je voulais dire : angoisse. Donc, le livre de Christine Angot. J’y suis allée de mauvaise grâce. J’ai trouvé ce bouquin sur le présentoir de ma médiathèque, mauvaise nouvelle pour l’auteure car il n’arrive jamais qu’on trouve une nouveauté disponible avant quelques mois. Je ne l’aurais pas acheté car je n’aime pas Christine Angot, sèche, cassante, peu amène et chiante finalement. Pour moi, c’était encore un truc pour se faire remarquer. Un texte en colonne mince comme une misère, écrit gros pour mal-voyants, fin comme carpaccio de flétan. En plus, pas un paragraphe, tout enchaîné pour ne pas y glisser son marque-pages
Oui mais le livre ??? Ah, oui. Ça commence mal puisqu’elle doit manger un peu jambon sur un sexe en érection dans des WC. On se dit que le monsieur a le sens de l’humour mais en fait non.  C’est de  l’amour bien placé. Le monsieur c’est papa, la jeune fille c’est Christine Angot qui, passant quelques jours de vacances avec lui dans un bled pluvieux, doit assouvir ses besoins récurrents et priapiques. C’est pas drôle, pas érotique, pas amusant. Monsieur papa se prend pour un homme délicat en ce sens qu’il éduque la sexualité de sa fille tout en respectant une sorte de promesse de bonne conscience : ne pas pénétrer son vagin avec le sexe pour en laisser la primauté au futur premier amant. Mais avec les doigts, il ne se prive pas.  Sexe oral tous les matins, la nuit aussi, l’empêchant de dormir, au volant, n’importe quand. Sexe anal, il fait de son mieux pour y arriver mais la petite est rétive et contractée.
Il lui parle en baisant de ses autres femmes, ce qu’elles aiment faire, comment elles sentent, et les compare à elle, sa petite préférée, celle à qui il peut tout dire sans crainte. D’elle, on ne sait rien. On devine à quelques hauts le coeur, positions inconfortables, demandes pour avoir une journée « sans » qu’elle vit très mal la chose, en même temps qu’elle n’aime pas que son père se fâche après elle (syndrome de Stockholm, ce genre), ce qui arrivera une première fois où elle rattrapera sa mauvaise volonté pour le faire revenir à elle, puis une seconde où, après lui avoir raconté un rêve qu’il n’apprécie pas du tout (on ne connaîtra pas le rêve), il décide que les vacances sont finies, réunit en toute hâte leurs affaires, l’abandonne sans un geste tendre à la gare  où elle devra attendre trois heures son train, sans argent pour manger. Alors elle parle à son sac.
Un livre très désespéré qui situe la victime de cette relation odieusement barbare au rang des objets sans intérêt, qu’elle décrit comme elle se décrit dans la chambre, la position de ses jambes, l’abat-jour, la pluie dehors. L’obsédé sans vergogne qui ne pense qu’à jouir — il ne pense vraiment qu’à ça — sans considérer le prix payé par sa fille pour son désir sans fin, l’asservissement total à la figure d’autorité qui par ailleurs lui parle culture et  littérature, tout en fait un livre extrêmement fort sur le mécanisme sexuel de l’inceste. Rien n’est dit du ressenti.
Mais comme il s’agit de Christine Angot, l’exhibitionniste Christine Angot, je ne peux m’empêcher d’y voir plus de provocation que de sincérité. Je me sens à mon tour manipulée par l’affaire, tombée dans le piège du voyeurisme malsain.  Littérairement parlant, ce n’est rien,  c’est propre, il y a des mots bien choisis, des virgules bien placées. Peu ou pas de points-virgules, ça tombe bien, je n’en suis pas fan. C’est vite lu, ça ne pèse pas dans le sac, et comme vous le constatez,  ça fait gloser.

Une semaine de vacances de Christine Angot aux éditions Flammarion, 2012. 140 pages.

texte © dominique cozette

La théorie de l’information par un geek de chez geek : passionnant !

Malgré la rudesse du propos : épopée économique française, de l’invention du Minitel à l’arrivée des terminaux mobiles, de l’Internet au web 2.0 etc., ce livre, qui, dit-on, s’inspire de la vie de Xavier Niel, fondateur de Free, ex-nabab du Minitel rose, m’a passionnée. Ces 500 pages bourrées des technologies qu’on utilise tous ou qu’on a utilisées, et l’histoire de ce petit gars grassouillet seul comme le ver dont il essaiera de s’inspirer, sur la fin, pour encoder le monde à travers les utilisateurs de facebook  m’ont bluffée.
Ce qui me bluffe dans les livres, c’est la somme de boulot qu’il a été nécessaire d’ingurgiter pour en faire quelque chose de fluide, d’intéressant, de romançable. Moi qui n’y connais pas grand chose en théories diverses d’informations, en circulation de données, en informatique, j’ai suivi sans peine l’expansion de ce jeune puceau timide qui, surdoué, arrête les études pour monter sa boîtes en détournant les réseaux du Minitel, devient richissime à 20 ans, tombe amoureux d’une strip-teaseuse de peep-show qui lui apprendra la vie et le sexe, le présentera à un gros bonnet de la prostitution grâce à qui il pourra passer des étapes nécessaires à sa réussite.
Dans son ascension vers les sphères de la toute-puissance des nouvelles technologies, il rencontrera ou fera affaire avec des gens qu’on connaît bien comme Thierry Breton, ex-ministre, Jean-Marie Messier, Thierry Ehrmann le fondateur d’Art Price, ou Sarkozy. Il attirera à lui les plus forts dans leur domaine afin d’assurer sa mainmise sur tout. Il tombera peut-être suite à la découverte de sa proximité aux proxos mais, innocent de ce côté-là, rebondira sur un désir encore plus pointu et extrêmement fou.
Seul, obèse, vivant dans une pièce aveugle, une friche gardée ou une limousine aux vitres noires, Pascal Ertranger parviendra t-il à tenir l’univers entre ses mains ?

La théorie de l’information par Aurélien Bellanger, Gallimard, 2012.  487 pages

Texte © dominique cozette

Toujours aussi singulière, Jeanne Benameur !

Des amies m’ont fait découvrir cette auteure il n’y a pas si longtemps avec le superbe livre les demeurées qui contre les rapports d’amour entre une mère et sa fille, deux sauvageonnes marginales où vient se glisser la bonne conscience d’une assistante sociale pour leur grand malheur. Eloigner la fille de la mère par la différence du savoir qu’elle ramène de l’extérieur, et de l’extérieur aussi qu’elle rapporte à la maison, collé au petit cartable qui semble une muraille d’incommunicabilité définitive entre ces deux êtres exclus(ifs). La petite fille trouvera une très belle façon de se sacrifier pour sauvegarder le lien. A lire absolument, l’écriture est magnifique !
Les insurrections singulières sont taillées dans la même étoffe, les vies de peu, le lien ou le non-lien, les amours impossibles, le savoir et ses dégâts collatéraux. Le héros, Antoine, quarante ans, revient vivre chez ses parents, ouvriers à la retraite, parce qu’il s’est pris un énorme râteau avec celle qui semblait être la femme de sa vie, enseignante, touchée par le côté prolétaire de son amoureux. Parce qu’Antoine a refusé les études, contrairement à son frère qui a une belle situation, une femme, des enfants, une ligne de vie. Antoine a été plaquée parce que Karima, au bout de quatre ans, s’est lassée de l’ouvrier sans discours, sans militantisme, sans besoin d’en découdre, ne lisant pas non plus et toujours en retrait.
retourné à l’usine sur les traces de son père, menacé de licenciement pour  cause de délocalisation et mondialisation, usé de n’avoir plus de désir, laminé par la perte d’amour, il accompagne sa mère au marché de Montreuil où elle vend gaiement de la mercerie. A côté, un vieux sympa style bouquiniste qui réussit à le faire s’intéresser à quelque chose : l’histoire du fondateur de son usine qui créa une ville à son nom au Brésil. Le désir (de bouger) lui vient d’un coup. Il prend ses indemnités et, accompagné du vieux Marcel, se rend au Brésil où il va enfin vivre sa révolution personnelle.
Ce livre, c’est une ambiance, une sincérité, une vague tristesse et surtout une belle plume. Ses sans grades sont touchants, dignes et partageurs.

Les Insurrections singulières de Jeanne Benameur chez Actes Sud 2011, 200 pages. Les Demeurées, Denoël 2001.

Texte © dominique cozette

Le noir est une couleur… putain de bouquin !

C’est Alphonse Boudard qui a trouvé ce titre « le noir est une couleur ».
Grisélidis Réal est connue comme prostituée activiste et écrivain, un peu peintre aussi. Elle préfère dire putain. Petite, elle n’était pas prédestinée à cela puisqu’elle a été élevée très strictement par une mère sévère et veuve. Mais qu’elle a fuie très vite. Elle s’est mise en ménage/mariée plusieurs fois, a eu quatre enfants de pères différents, a fréquenté une école d’art et pour gagner sa vie, était modèle. Entre autres.
Ce livre autobiographique écrit entre 1972 et 1973, édité en 74 puis réédité chez Verticales en 2005, commence ainsi : « J’ai toujours aimé les Noirs ». Et son histoire commence alors qu’elle réussit à faire sortir un Noir schizo d’un hôpital, pour vivre une belle une histoire avec lui. Et ses deux plus jeunes enfants. Ils sont en Allemagne, à Berlin, où les soldats américains, donc les Noirs, sont légion. Mais tout se passe mal. Le type ne fait que profiter d’elle, violemment, elle ne cesse de le fuir et il ne cesse de la retrouver. Elle passe la frontière en fraude et se retrouve sans papiers avec deux petits recherchés par les services sociaux, sans un sou, sans rien, qu’une vieille valise. Elle erre de refuges en cachettes, rien à bouffer, et finit par se prostituer pour survivre. C’est sordide, ce qu’on lui fait faire est dégueulasse, inquiétant ou spécial, mais elle ne peut rien faire d’autre. Un moment, elle se s’installe dans un hôtel où vivent les putains, chacune son petit monde, elle s’y fait des amies, c’est à peu près stable. On lui enlève ses gosses pour les mettre dans une institution protestante où ils ne parlent plus qu’un patois bavarois. Elle habite aussi parfois avec ses tziganes adorés mais les retours tonitruants du Noir la rendent vite tricarde.
Un jour, elle échafaude un voyage au Maroc pour créer son entreprise de trafic de drogue et y parvient, malgré une voiture brinquebalante et un chauffeur chelou. A ce moment là, elle est « avec » Rodwell, un autre Noir qu’elle adore et qui semble en pincer pour elle puisqu’ils doivent se marier.
Bien entendu, tout ne peut que mal tourner toujours tellement la misère, le malheur et le destin s’acharnent sur elle. Elle chope la syphilis, elle se retrouve avec des types qui veulent la tuer ou du moins la maltraitent terriblement mais elle espère toujours s’en sortir. Ce bouquin s’achève sur  la route de la prison.
Grisélidis Réal est une femme pleine d’amour, elle s’en explique très joliment dans la petite vidéo ici .
Elle s’en est sortie partiellement grâce à l’écriture puis au militantisme, défendant ses soeurs de misère, exigeant que les pouvoirs publiques cessent de les harceler, donnant des conférences un peu partout.
Ce livre montre que, malgré ce qu’elle dira plus tard pour défendre la prostitution et le regard plus artistique et intellectuel qu’elle y portera , ce fut loin d’être un choix. Son récit est bien sûr très trash, très dur, très acide mais son style est d’une beauté étonnante, frôlant une certaine poésie. Et l’épopée incandescente qu’elle a vécue, qu’elle nous raconte, n’a aucun équivalent. C’est bourré de suspense, de personnages hauts en couleurs, de lieux improbables et d’amours incertaines. C’est beau et désespéré, c’est un chant.

Le noir est une couleur par Grisélidis Réal aux éditions Verticales, 2005. 312 pages.

Texte © dominique cozette

Que nos vies aient l’air d’un film parfait

C’est une chanson d’Elli et Jacno adaptée de Lonely Lovers des Stincky Toys. Mais c’est aussi le titre du petit livre de Carole Fives.  Plasticienne (site ici) et écrivain, elle nous offre un court récit sincère et extrêmement touchant en cette rentrée pléthorique.
Elle narre l’histoire d’un divorce — est-ce celui de ses parents ? — dans les années 80 qui déchire les quatre membres de la famille. Chacun a voie au chapitre, sauf le jeune garçon, et c’est ainsi que se développe cette affreuse cicatrice dans la vie des protagonistes.
La mère est impossible. Pénible. Capricieuse. Malade des nerfs. Son propre père, médecin, ne s’est jamais occupé de la soigner, a préféré s’en débarrasser auprès d’un  homme amoureux.
Le mari ou père des enfants, ne pouvant plus assumer, décide donc de se séparer d’elle, sans joie, avec une énorme culpabilité. Il s’entendait tellement bien avec son fils ! Mais il s’avère après quelques temps que la mère est incapable de s’occuper de ses enfants, elle fait tellement n’importe quoi, chantage permanent au suicide,  picole, dope, amants en série, que le père finit par les récupérer. Elle va alors s’installer dans une communauté hippy dans le midi où elle semble s’épanouir. Mais elle se rend compte que c’est louche de ne pas avoir ni enfant, ni compagnon près d’elle, alors elle va tenter de reprendre un de ses enfants, sans se poser la question du déchirement des sentiments.
Je ne vous raconte pas le livre, mais ce qui est remarquable dans ce texte, c’est que la douleur même muette y est clairement perçue, sans pathos. On suit le petit garçon dans la perte de repères et de sécurité qu’on lui inflige, ainsi que le sentiment grandissant de culpabilité dont la soeur  ne se remettra pas. C’est très bien écrit, la tristesse qui affleure n’est jamais larmoyante et, faute d’entendre la version du garçon, on imagine terriblement son désarroi.
La fin est étonnante. Elle pourrait s’inscrire dans la théorie  de la résilience.

Que nos vies aient l’air d’un film parfait de Carole Fives aux éditions Le Passage. 2012. 120 pages.

Texte © dominique cozette

Mark Safranko nous la joue poil de carotte et Cie

C’est pas que je critique le fait de raconter son enfance quand elle a été merdique, pour ne pas dire merdeuse comme celle de Céline, mais j’en attendais plus. Plus d’originalité ou alors un point de vue différent. Marc Safranko a publié Dieu bénisse l’Amérique (God bless Amerika) chez 13ème note, une édition très noire et captivante qui nous livre des Dan Fante, Buko, Burroughs junior formidables. En poche, la collection s’intitule  Pulse.
La préface, plus l’introduction du livre ont été overpromising, comme on dit dans la pub, la barre a été très haut placée et du coup je me suis sentie flouée. En même temps, c’est agréable à lire, les chapitres sont courts et les anecdotes amusantes. Peut-être qu’il faut lire ça avant sa majorité parce qu’il y a quelques crudités, rien de bien méchant.
A vrai dire, j’ai eu l’impression, en entrant dans l’enfance du héros, de connaître l’endroit, comme si j’y étais passée déjà plusieurs fois. Ben oui. C’est une famille pauvre d’émigrés polonais, pas juifs, qui tire le diable par la queue, sachant qu’elle ne s’en sortira jamais. Mais espère qu’au moins, Max, le gaillard,  porte un peu d’espoir, en Amérique, c’est possible. Mais Max, depuis qu’il a été conçu par accident, est devenu le bouc émissaire de ses parents, tabassé constamment et injurié par son père, dévalorisé par sa mère. Chétif, maladif, il n’en mène pas large avec les autres garçons et devient souvent leur souffre-douleur. Jusqu’à ce qu’un autre endosse l’habit et en devienne cruellement victime, à mort.
Chez lui, dans la vieille bicoque pourrie, rien ne va, tout ce qui arrive de pénible  est de sa faute. Les pannes de voiture, le temps qu’il fait, la mort du tonton…
En classe, ça ne marche pas fort. le père sort la boîte à gifles pour lui apprendre les maths et, comme de bien entendu, ce n’est pas une bonne méthode. C’est une école de soeurs très strictes, armées de baguettes pour les corriger — ou se faire corriger par eux—. Mais elle est mixte et l’enfant se découvre une passion insensée pour une fillette qui le détestera fermement.
Et puis la sexualité qui s’éveille, la quéquette qui n’arrête pas de jouer le redressement productif mais qui peine à entrer en contact avec la fente où mettre la pièce.
Pour aider à sortir la tête du sac, il doit bosser avant la classe et durant les vacances dans des endroits pourris : c’est une véritable petite Cosette maintenant, mal ou peu payé, enguirlandé, jamais remercié.
Ce qui est bizarre, c’est qu’il a un petit frère. A part nous le faire savoir une fois, on n’en entend plus jamais parler. Il n’existe plus. Et pourtant, on nous le montre en photo dans les pages du début, ils sont d’ailleurs assez jolis garçons tous les deux.
A la fin, on a droit à la postface qui explique encore pourquoi ce livre est formidable. Trop de com tue la com. Et, il faut bien le dire, ce livre est assez banal. Quant à la couverture, avec le  fessier plat d’un sexagénaire arborant un bikini taillé dans le drapeau US, il n’incite pas à l’achat.

Mark Safranko. Dieu bénisse l’Amérique. Edition Pulse 13ème note 2009. 396 pages.

Inénarrable, loufoque, tarabiscoté et absurde pavé de Tom Robbins …

Si vous avez apprécié même les cow-girls ont du vague à l’âme — porté à l’écran mais très très très réducteur forcément — vous  retrouverez avec frénésie l’intarissable auteur Tom Robbins qui nous raconte en un tome (de 638 pages drues) vingt-six mille aventures extraordinaires et extrêmement documentées sur une infinité de sujets tels la CIA, le Jugement Dernier, Fatima, la Vierge Marie, la Syrie, toutes sortes de mythologies, Matisse… Si vous ne connaissez pas cet énergumène, c’est l’occasion de vous y plonger.

Le héros, Switter, agent de la CIA, doit accomplir une mission pour plaire à sa grand-mère, femme de trempe et d’argent : remettre son perroquet chéri en liberté dans la partie du monde où ils sont le plus heureux. Et filmer l’affaire. Chemin faisant, il va accepter de rendre un autre service pas simple à un anthropologue anglais qui doit absolument lever un sort le concernant, un sort inavouable, jeté par un sorcier à tête de pyramide dans les environs de cet éden. Hélas pour tout le monde, lui, le perroquet et l’Anglais, il va bien rencontrer le chaman mais il sera à son tour victime d’un sort auquel il devra se soumettre sous peine de mort immédiate.
C’est donc en fauteuil roulant puis sur des échasses qu’il va nous balader jusqu’à un couvent au Moyen-Orient tenu par des nonnes légèrement défroquées, dont, à force de prière, l’une d’elles a retrouvé un hymen intact et une autre, a vu sa beauté inassumée saccagée par une excroissance miraculeuse.
Ces femmes, pas si chastes que ça, vont lui confier une nouvelle mission en accord avec son talent de décrypteur de codes secrets : interpréter une mystérieuse prophétie de Marie à Fatima et en rendre compte en haut lieu c’est à dire au pape himself.
Et bien d’autres péripéties qu’il est impossible de résumer et même d’évoquer tellement le bouquin est dense. Jusqu’à l’overdose parfois, mais c’est comme un super menu gastronomique : même au bord de l’indigestion, on n’a pas envie d’en laisser une miette car il est écrit d’une façon tellement drôle et réjouissante qu’on n’aimerait pas gâcher un si beau travail !

Féroces infirmes retour des pays chauds (Fierce invalids home from hot climates) de Tom Robbins 2000. 2012 pour la traduction française. Editions Gallmeister

Texte © dominique cozette

Le corps du délit

C’est qu’il est bavard, le héros de Daniel Pennac, il en raconte des histoires sur son corps !
Les hommes, sauf à être hypocondriaque, ont tendance à ne s’intéresser qu’au corps des femmes lorsque celui-ci est appétissant et qu’ils en feraient bien leur affaire. Mais le sien, à part les histoires de franche camaraderie virile qui tournent autour de la quéquette, de celui qui pisse le plus loin, qui a la plus grosse ou qui l’a fait cinq fois dans la nuit, ou alors au contraire quand plus rien ne marche, il s’en bat les flancs. Mais voici que Daniel Pennac, très inspiré, s’empare du sujet, superbe idée, et qu’il nous compte tout ce que peut vivre un organisme masculin de 13 à 87 ans. Et c’est pas triste. C’est même très amusant car il y décrit finement des petites choses qu’on a tous sans jamais en parler, il explore divers tabous et livre de curieuses recettes pour soigner des plaies, péter discrètement, anesthésier avec rien, éponger ses pollutions, entre autres. Il  nous montre comment tester tous ses sens car il trouve qu’on les sous-utilise. Mais attention, danger.
A travers son corps un peu chétif au départ mais qu’il apprendra à façonner, il nous raconte sa vie d’amant, de mari, de père, d’ami, de jeune, de vieux, de stressé, de malade. Il y redoute les prémisses de l’horrible Alzheimer, nous familiarise avec ses acouphènes, nous invite à son myélogramme. On va faire connaissance avec ses fonctions intestinales, sa paire d’organes intimes, ses problèmes urinaires, l’intérieur de son nez. Il va s’appliquer à décrire ses éjaculations et les effets de l’amour. Puis la perte du désir et l’impuissance.
C’est jouissif et réjouissant pour ne pas dire réjouissif et je l’aurais lu plus tôt si son passage à la Grande Librairie ne me l’avait dévendu. J’ai trouvé sa façon d’en parler  un peu fade. Et je m’aperçois avec ce billet, que la mienne l’est aussi. Pas facile, d’en parler mais allez-y, c’est très divertissant. Et instructif.

Daniel Pennac. Journal d’un corps. 2012 aux éditions Gallimard, 382 pages plus un index détaillé.

Texte et illustration © dominique cozette

Freedom, c’est le titre mais franchement, il aurait pu trouver mieux !

C’est un gros pavé de 2011 et de 700 pages de Jonathan Franzen dont je n’étais pas venue à bout des Corrections, parfois j’ai le cerveau si mollasson qu’il refuse toute course de fond, car c’en est une avec cet auteur prolixe. Sous le pavé, point de plage, hélas, mais une histoire terriblement american way of life qui compte trois générations de personnes de la middle-class à tendance variable, le noyau étant Patty, sorte de desperate housewife dont on nous conte les grands parents, les parents, puis l’enfance du mari, Walter, issu de Suédois. On assiste à des dialogues de sa jeunesse lorsqu’elle était preppy, puis à ses premiers pas dans l’amour où elle loupe le bad boy rocker, blasé et queutard, meilleur ami de Walter qu’elle épousera donc par capillarité. Puis on verra comment elle se demandera plus tard si elle n’a pas gâché sa vie en faisant le mauvais choix et si elle devrait pas, finalement, passer à l’acte avec cet homme toujours séduisant qui continue à lui faire du gringue. Mais je ne vous dirai rien.
Walter, le desperate houseband, c’est l’homme bien, digne et probe, non buveur ni fumeur, travailleur, rougissant facilement, bref un brin chiant, mais sûr. Qui un jour décidera de protéger la nature par le biais de tout petits piafs qui s’éteignent à cause de cette chierie de civilisation américaine. Ce qui va l’entraîner dans de drôle d’aventures où son désir jusqu’alors très sage, s’inscrira dans une sorte de redressement productif pour une jeune associée, partie très prenante dans ce combat écolo. C’est extrêmement documenté sur le problème (et divers autres) et je ne saurais trop conseiller à nos amis lecteurs, oui, toi, chère abonnée et toi, vieux facebooker, de ne plus laisser traîner ton chat adoré dehors* tant cela fait des ravages dans la faune fragile (150 millions d’oiseaux tués chaque année aux Etats-Unis, sans compter les petits orphelins crevant de fin dans leurs nids funéraires).
Bon, trêve d’endoctrinement, ce couple a des enfants. Devinez quoi  ? Un  gars, une fille. Totalement différents, au destin totalement opposé et pas complices. Naissance de moult problèmes avec eux car, comme vous le savez, la mère américaine a tout d’une mère juive en plus juive encore. Elle culpabilise très facilement, se pose mille questions dont on profite grave et se perd en conjectures heu je cherche un adjectif mais n’en trouve pas (je veux dire qui se renouvellent constamment comme les vagues de la mer, vous voyez le genre).
Si vous aimez vous noyer dans un flot de prose qui passe tout en détail, qui ne vous donne pas le confort de petits paragraphes et de lignes espacées, plongez dans ce bouquin — je ne sais pas s’il est sorti en poche (c’est plus une poche, c’est un cabas) —, si vous aimez décortiquer les noix, les crabes et les pattes de langoustines jusqu’au plus pointu du fond, cet ouvrage est pour vous. Autre avantage de poids, si je puis dire : il évite à la serviette de bain de s’envoler au premier coup de mistral.
Dernière remarque : quand on le finit, on émet un discret ouf car ce bouquin, c’est un peu comme avec les enfants en vacances : on est content quand ils arrivent mais on est content quand ils s’en vont. Je blague, bien sûr, un enfant, on est toujours obligé de le finir !!!

* le dialogue est absolument réjouissant entre une voisine revêche et Walter dans leur environnement de nature préservée où chacun fourbit ses arguments pour et contre les errements félins, morceau d’anthologie sur le comportement type  je-fais-ce-que-je-veux-et-je-t’emmerde, en moins discourtois mais tout aussi agressif.

Freedom de Jonathan Franzen aux Editions de l’Olivier, 2011.

Texte et illustration © dominique cozette

Où je décide que Wallander ne sera pas qu’un simple amour d’été

Même si ce n’est pas James Bond (je n’aime pas James Bond, qu’on se le dise) ou San Antonio (qui m’a refilé pas mal de maladies textuellement transmissibles), hé bien je suis tombée sous le charme décadent de l’inspecteur Wallander, un fatigué désabusé porté sur le gorgeon.  Et aux amours inexistantes ou lointaines, un peu négligé sur lui, qui ne fait pas le ménage et doit puer l’oignon.
Ce bouquin « la lionne blanche » de 1993 est le premier que je lis de son auteur Henning Mankell, qui a pondu énormément de trucs depuis, théâtre, contes philosophiques, bouquins pour enfants et polars avec Wallander.
Cette enquête commence mollement : il s’agit d’une femme honnête, scrupuleuse, fidèle qui disparaît en allant visiter une maison pour son agence immobilière, dans la cambrousse. Elle se perd et, voulant demander son chemin, reçoit une balle entre les deux yeux. Aucune trace d’elle, aucune raison, aucun mobile. En cherchant dans les environs de la baraque, on découvre une maison juste explosée avec reste de matos hyper-sophistiqué dedans et un doigt de Noir fraîchement coupé.
Wallander, par compassion pour le mari et les deux fillettes orphelines, va se jeter à fond dans une enquête d’abord sans queue ni tête, puis avec un vague lien qui se noue tout au bout de la terre, en Afrique du Sud, où se concocte un attentat contre une personnalité des plus haut placées. Comme il s’agit de de Klerk ou de Mandela, on sait qu’il n’aura pas lieu. Mais n’empêche que le suspens, complexe et rebondissant, fait son oeuvre en tenant en haleine la pauvre lectrice désarmée que je suis.
On y apprend pas mal de choses sur les Boers, l’anti-apartheid et ses relations avec les mouvements d’extrême-droite russe et on y découvre des personnages ultra pointus et invincibles qui nous collent la peur au ventre.
C’est écrit sans chichi, de façon classique et fluide et la construction est bien menée. Ça me rappelle un peu les bouquins de Fred Vargas avec son fameux Adamsberg qui, comme Wallander, refuse de marcher dans les clous, cafouille et se plante bien souvent. Mais je les ai tous lus, ceux de Vargas. Je vais donc enquiller les Mankell car on m’a dit qu’ils étaient vraiment super, j’ai envie de continuer avec lui.

La lionne blanche de Henning Mankell 1993. 430 p. chez Seuil Policier. Et en poche.

Texte et dessin © dominique cozette

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