Inénarrable, loufoque, tarabiscoté et absurde pavé de Tom Robbins …

Si vous avez apprécié même les cow-girls ont du vague à l’âme — porté à l’écran mais très très très réducteur forcément — vous  retrouverez avec frénésie l’intarissable auteur Tom Robbins qui nous raconte en un tome (de 638 pages drues) vingt-six mille aventures extraordinaires et extrêmement documentées sur une infinité de sujets tels la CIA, le Jugement Dernier, Fatima, la Vierge Marie, la Syrie, toutes sortes de mythologies, Matisse… Si vous ne connaissez pas cet énergumène, c’est l’occasion de vous y plonger.

Le héros, Switter, agent de la CIA, doit accomplir une mission pour plaire à sa grand-mère, femme de trempe et d’argent : remettre son perroquet chéri en liberté dans la partie du monde où ils sont le plus heureux. Et filmer l’affaire. Chemin faisant, il va accepter de rendre un autre service pas simple à un anthropologue anglais qui doit absolument lever un sort le concernant, un sort inavouable, jeté par un sorcier à tête de pyramide dans les environs de cet éden. Hélas pour tout le monde, lui, le perroquet et l’Anglais, il va bien rencontrer le chaman mais il sera à son tour victime d’un sort auquel il devra se soumettre sous peine de mort immédiate.
C’est donc en fauteuil roulant puis sur des échasses qu’il va nous balader jusqu’à un couvent au Moyen-Orient tenu par des nonnes légèrement défroquées, dont, à force de prière, l’une d’elles a retrouvé un hymen intact et une autre, a vu sa beauté inassumée saccagée par une excroissance miraculeuse.
Ces femmes, pas si chastes que ça, vont lui confier une nouvelle mission en accord avec son talent de décrypteur de codes secrets : interpréter une mystérieuse prophétie de Marie à Fatima et en rendre compte en haut lieu c’est à dire au pape himself.
Et bien d’autres péripéties qu’il est impossible de résumer et même d’évoquer tellement le bouquin est dense. Jusqu’à l’overdose parfois, mais c’est comme un super menu gastronomique : même au bord de l’indigestion, on n’a pas envie d’en laisser une miette car il est écrit d’une façon tellement drôle et réjouissante qu’on n’aimerait pas gâcher un si beau travail !

Féroces infirmes retour des pays chauds (Fierce invalids home from hot climates) de Tom Robbins 2000. 2012 pour la traduction française. Editions Gallmeister

Texte © dominique cozette

Le corps du délit

C’est qu’il est bavard, le héros de Daniel Pennac, il en raconte des histoires sur son corps !
Les hommes, sauf à être hypocondriaque, ont tendance à ne s’intéresser qu’au corps des femmes lorsque celui-ci est appétissant et qu’ils en feraient bien leur affaire. Mais le sien, à part les histoires de franche camaraderie virile qui tournent autour de la quéquette, de celui qui pisse le plus loin, qui a la plus grosse ou qui l’a fait cinq fois dans la nuit, ou alors au contraire quand plus rien ne marche, il s’en bat les flancs. Mais voici que Daniel Pennac, très inspiré, s’empare du sujet, superbe idée, et qu’il nous compte tout ce que peut vivre un organisme masculin de 13 à 87 ans. Et c’est pas triste. C’est même très amusant car il y décrit finement des petites choses qu’on a tous sans jamais en parler, il explore divers tabous et livre de curieuses recettes pour soigner des plaies, péter discrètement, anesthésier avec rien, éponger ses pollutions, entre autres. Il  nous montre comment tester tous ses sens car il trouve qu’on les sous-utilise. Mais attention, danger.
A travers son corps un peu chétif au départ mais qu’il apprendra à façonner, il nous raconte sa vie d’amant, de mari, de père, d’ami, de jeune, de vieux, de stressé, de malade. Il y redoute les prémisses de l’horrible Alzheimer, nous familiarise avec ses acouphènes, nous invite à son myélogramme. On va faire connaissance avec ses fonctions intestinales, sa paire d’organes intimes, ses problèmes urinaires, l’intérieur de son nez. Il va s’appliquer à décrire ses éjaculations et les effets de l’amour. Puis la perte du désir et l’impuissance.
C’est jouissif et réjouissant pour ne pas dire réjouissif et je l’aurais lu plus tôt si son passage à la Grande Librairie ne me l’avait dévendu. J’ai trouvé sa façon d’en parler  un peu fade. Et je m’aperçois avec ce billet, que la mienne l’est aussi. Pas facile, d’en parler mais allez-y, c’est très divertissant. Et instructif.

Daniel Pennac. Journal d’un corps. 2012 aux éditions Gallimard, 382 pages plus un index détaillé.

Texte et illustration © dominique cozette

Freedom, c’est le titre mais franchement, il aurait pu trouver mieux !

C’est un gros pavé de 2011 et de 700 pages de Jonathan Franzen dont je n’étais pas venue à bout des Corrections, parfois j’ai le cerveau si mollasson qu’il refuse toute course de fond, car c’en est une avec cet auteur prolixe. Sous le pavé, point de plage, hélas, mais une histoire terriblement american way of life qui compte trois générations de personnes de la middle-class à tendance variable, le noyau étant Patty, sorte de desperate housewife dont on nous conte les grands parents, les parents, puis l’enfance du mari, Walter, issu de Suédois. On assiste à des dialogues de sa jeunesse lorsqu’elle était preppy, puis à ses premiers pas dans l’amour où elle loupe le bad boy rocker, blasé et queutard, meilleur ami de Walter qu’elle épousera donc par capillarité. Puis on verra comment elle se demandera plus tard si elle n’a pas gâché sa vie en faisant le mauvais choix et si elle devrait pas, finalement, passer à l’acte avec cet homme toujours séduisant qui continue à lui faire du gringue. Mais je ne vous dirai rien.
Walter, le desperate houseband, c’est l’homme bien, digne et probe, non buveur ni fumeur, travailleur, rougissant facilement, bref un brin chiant, mais sûr. Qui un jour décidera de protéger la nature par le biais de tout petits piafs qui s’éteignent à cause de cette chierie de civilisation américaine. Ce qui va l’entraîner dans de drôle d’aventures où son désir jusqu’alors très sage, s’inscrira dans une sorte de redressement productif pour une jeune associée, partie très prenante dans ce combat écolo. C’est extrêmement documenté sur le problème (et divers autres) et je ne saurais trop conseiller à nos amis lecteurs, oui, toi, chère abonnée et toi, vieux facebooker, de ne plus laisser traîner ton chat adoré dehors* tant cela fait des ravages dans la faune fragile (150 millions d’oiseaux tués chaque année aux Etats-Unis, sans compter les petits orphelins crevant de fin dans leurs nids funéraires).
Bon, trêve d’endoctrinement, ce couple a des enfants. Devinez quoi  ? Un  gars, une fille. Totalement différents, au destin totalement opposé et pas complices. Naissance de moult problèmes avec eux car, comme vous le savez, la mère américaine a tout d’une mère juive en plus juive encore. Elle culpabilise très facilement, se pose mille questions dont on profite grave et se perd en conjectures heu je cherche un adjectif mais n’en trouve pas (je veux dire qui se renouvellent constamment comme les vagues de la mer, vous voyez le genre).
Si vous aimez vous noyer dans un flot de prose qui passe tout en détail, qui ne vous donne pas le confort de petits paragraphes et de lignes espacées, plongez dans ce bouquin — je ne sais pas s’il est sorti en poche (c’est plus une poche, c’est un cabas) —, si vous aimez décortiquer les noix, les crabes et les pattes de langoustines jusqu’au plus pointu du fond, cet ouvrage est pour vous. Autre avantage de poids, si je puis dire : il évite à la serviette de bain de s’envoler au premier coup de mistral.
Dernière remarque : quand on le finit, on émet un discret ouf car ce bouquin, c’est un peu comme avec les enfants en vacances : on est content quand ils arrivent mais on est content quand ils s’en vont. Je blague, bien sûr, un enfant, on est toujours obligé de le finir !!!

* le dialogue est absolument réjouissant entre une voisine revêche et Walter dans leur environnement de nature préservée où chacun fourbit ses arguments pour et contre les errements félins, morceau d’anthologie sur le comportement type  je-fais-ce-que-je-veux-et-je-t’emmerde, en moins discourtois mais tout aussi agressif.

Freedom de Jonathan Franzen aux Editions de l’Olivier, 2011.

Texte et illustration © dominique cozette

Où je décide que Wallander ne sera pas qu’un simple amour d’été

Même si ce n’est pas James Bond (je n’aime pas James Bond, qu’on se le dise) ou San Antonio (qui m’a refilé pas mal de maladies textuellement transmissibles), hé bien je suis tombée sous le charme décadent de l’inspecteur Wallander, un fatigué désabusé porté sur le gorgeon.  Et aux amours inexistantes ou lointaines, un peu négligé sur lui, qui ne fait pas le ménage et doit puer l’oignon.
Ce bouquin « la lionne blanche » de 1993 est le premier que je lis de son auteur Henning Mankell, qui a pondu énormément de trucs depuis, théâtre, contes philosophiques, bouquins pour enfants et polars avec Wallander.
Cette enquête commence mollement : il s’agit d’une femme honnête, scrupuleuse, fidèle qui disparaît en allant visiter une maison pour son agence immobilière, dans la cambrousse. Elle se perd et, voulant demander son chemin, reçoit une balle entre les deux yeux. Aucune trace d’elle, aucune raison, aucun mobile. En cherchant dans les environs de la baraque, on découvre une maison juste explosée avec reste de matos hyper-sophistiqué dedans et un doigt de Noir fraîchement coupé.
Wallander, par compassion pour le mari et les deux fillettes orphelines, va se jeter à fond dans une enquête d’abord sans queue ni tête, puis avec un vague lien qui se noue tout au bout de la terre, en Afrique du Sud, où se concocte un attentat contre une personnalité des plus haut placées. Comme il s’agit de de Klerk ou de Mandela, on sait qu’il n’aura pas lieu. Mais n’empêche que le suspens, complexe et rebondissant, fait son oeuvre en tenant en haleine la pauvre lectrice désarmée que je suis.
On y apprend pas mal de choses sur les Boers, l’anti-apartheid et ses relations avec les mouvements d’extrême-droite russe et on y découvre des personnages ultra pointus et invincibles qui nous collent la peur au ventre.
C’est écrit sans chichi, de façon classique et fluide et la construction est bien menée. Ça me rappelle un peu les bouquins de Fred Vargas avec son fameux Adamsberg qui, comme Wallander, refuse de marcher dans les clous, cafouille et se plante bien souvent. Mais je les ai tous lus, ceux de Vargas. Je vais donc enquiller les Mankell car on m’a dit qu’ils étaient vraiment super, j’ai envie de continuer avec lui.

La lionne blanche de Henning Mankell 1993. 430 p. chez Seuil Policier. Et en poche.

Texte et dessin © dominique cozette

Virginie Despentes, poil à la fente

Moi, j’ai toujours aimé cette nana sévèrement clitoridée. Grande gueule, provoc-actrice, loin de la mièvrerie et de la féminitude molle des auteures chichiteuses. Avec forcément du poil aux guibolles comme Patti Smith car elle en a rien à foutre. Mais je m’avance peut-être… j’aime bien son côté bûcheronne des vanités et enculeuse de fines mouches, à l’affût des tendances craspecs de la société.
Dans ce bouquin qui date de 2002, Teenspirit, je trouve des expressions qu’on nous sert en boucle, genre c’est « c’est un type qu’on adore détester », des analyses toujours d’actu de notre société du spectacle : « Jamais propagande n’avait été mieux dispensée, et jamais propagande n’avait connu pareil cynisme. Même les pires bourrages de crâne, staliniens, hitlériens, sionistes ou palestiniens, catholiques ou scientologues, les professeurs avaient eux-mêmes été formatés, et croyaient en ce qu’ils dispensaient. On n’en était plus là, les directeurs de chaînes, les réalisateurs de clips, les producteurs de groupes, les cadres marketing, tous savaient pertinemment qu’ils escroquaient des innocents. Ils se croyaient modernes et durs, se comparant volontiers à de grands animaux féroces. Alors que c’était qu’un tas de corniauds voulant tous faire plaisir au chef, recevoir la petite caresse d’approbation.[…]. Barbouzes crétins voulant séduire des gosses, et prêts à tout pour ça. »
Et sur le boulot : « Il était désolé de devoir m’expliquer qu’ils cherchaient bien des traducteurs mais que le marché était tel qu’ils ne pouvaient pas bien les payer, il était le premier à le regretter mais voilà, il n’y pouvait rien. Il y pouvait parfaitement quelque chose, comme la plupart de ses collègues, il était à ce point pressé d’obéir qu’il en oubliait de réfléchir. Encore un de prêt à tout pour que le patron le félicite… Ça marchait à la menace d’être viré, bon à rien, dégagé. Le filon de l’expulsion avait été bien exploité : expulsion des beaux quartiers, expulsion des centres-villes, expulsion économique, expulsion du territoire, expulsion du droit à la santé, expulsion de l’entreprise, expulsion des appartements, expulsion des banques, expulsion des bonnes écoles, expulsion de la citoyenneté, expulsion de la jeunesse. La maltraitance des expulsés n’avait rien à voir avec le hasard, elle était spontanément encouragée par le corps social, doté d’un inconscient puissant, afin d’assagir les inclus. Tous ces gens avaient tellement la trouille d’être dégagés qu’ils devançaient les désirs du maître avec un zèle désespéré<; il n’y avait plus besoin  de les surveiller, les encadrer, les motiver… »
Et le pitch alors ? On a affaire à un trentenaire paumé et claustro qui finit par se faire virer de chez sa copine le jour où il apprend — redoutable —  sa paternité. Une ado de 13 ans, difficile. Il ne va pas se présenter sous son meilleur jour, forcément, sans une thune, sans bagnole, sans appart puisque squattant une  autre copine, et sans boulot fixe…
Comment je me suis laissée attraper par les analyses du « narrateur »  ! Ses vue sur la société dans son ensemble, les femmes, les filles, me disant tiens, quel type formidable de voir ainsi les choses ! Et me souvenant brusquement que l’auteur était une femme. Même violemment féministe, même homo, une femme. D’où quelques petites séquences sentimentales. Bon.
Mais c’est très plaisant comme roman, c’est très parisien, très râleur, très énervé, et très dialogué. En vacances, c’est bon, les livres dialogués

Teen Spirit de Virginie Despentes. 2002. Grasset & Fasquelle et J’ai lu.

Texte et dessin © dominique cozette

Lapeyre, y en a … deux !

Eh si, contrairement à la pub des fenêtres, le romancier nous en colle deux pour le prix d’un. Deux quoi ? deux amoureux de la même femme. Une femme éthérée, jamais là, qui s’en va sans prévenir, qui revient sans le dire, qui laisse deux ans mariner Louis Blériot, l’amant de Paris par ailleurs marié avec une femme assez tolérante et qui gagne suffisamment  sa vie pour activer la pompe à phynance de son adultérin de mari pendant que notre héroïne insouciante dicte sa loi à son compagnon de Londres, car elle est anglaise voyez-vous.
Pour écrire « la vie est brève et le désir sans fin », très joli titre, l’auteur s’est paraît-il inspiré de Manon Lescaut, qui comme elle, s’activait entre deux hommes. Ça rappelle aussi Jules et Jim mais Jeanne Moreau a trop de présence pour incarner la petite créature sans consistance qui a permis à Patrick Lapeyre de remporter le prix Femina.
Je ne dirai pas que je n’ai pas aimé le bouquin parce que ce serait faux. Je l’ai aimé jusqu’à une certaine page, vers le milieu, où j’ai fini par comprendre que notre héroïne, non contente de balader ses amoureux transis, nous menait par le bout de notre nez, pauvres lecteurs captifs. Disons que j’ai fini par lui dire de choisir d’en finir avec ses va-et-vient ridicules car ça va bien comme ça, ces types sont trop cons de marcher ainsi dans la combine et elle-même est une vraie petite tête à claques.
Ceci dit, ce bouquin est absolument bien écrit, les phrases sont chics et originales, c’est de la dentelle, comme on dit en refermant un Bobin. Sauf que la dentelle, on se prend les diams dedans et à force, ça lasse.
L’histoire finalement n’a pas grand intérêt, la fin est shuntée sur des considérations philosophiques qui laissent entendre exactement ce que vous avez envie d’entendre. Mais pour lire sur la plage, entre deux ballons qui vous assomment et trois mômes qui vous enjambent en vous ensablant, c’est tout à fait de circonstance. Je pense que s’il a eu ce prix, c’est qu’il a plus plu au jury qu’à moi. J’espère qu’il a moins plu sur votre plage que sur les pages du bouquin où, bizarrement, il tombe des cordes dès que Louis Blériot retrouve sa gredine. A noter qu’il a été écrit bien avant l’avènement de notre pluviofuge  président.

La vie est brève et le désir sans fin, Patrick Lapeyre, 2010 chez P.O.L. 345 pages imprimées très proprement en Normandie, pays pluvieux s’il en est.

Texte et image © dominique cozette

Je te prête ce livre mais il s’appelle … les revenants !

C’est mon deuxième Laura Kasischke, je n’avais pas fini mon premier. J’y suis entrée sur la foi d’un athée, ami de même goût, donc en confiance mais sans trop d’enthousiasme ! Ah, ces histoires de campus US avec ces petites garces aux cheveux lisses et épais qui font tourner les garçons en bourrique ! Ah, ces rituels de bizutage tous plus cruels les uns que les autres ! Et ah ! ces profs politically corrects qui font gaffe à ce qu’ils racontent. Mais peu à peu, je me suis laissée submerger par un implacable suspens.
A l’instar des romans américains issus de la grande vogue des ateliers d’écriture, les Revenants ne dérogent pas à la règle qui veut que lorsqu’on croise un personnage même secondaire ou marginal, on s’intéresse à lui, à ce qu’il a bouffé la la veille, comment s’entendaient ses parents et les relations qu’il entretenait avec le jules de sa baby-sitter. Donc, c’est vrai, ça fait du monde, ça fait du volume, ça fait de la lecture.
Selon le même principe, on s’attache à décrire — attention, je vais utiliser les italiques — précisément les décors, murs, sols, meubles, déco, odeur des bougies, vue de la fenêtre. Mais aussi les vêtements des protagonistes, leur parfum, leur démarche, leur voix. On dirait presque une intention de réalisation : tout y est pour faire le film. D’ailleurs, à ce propos, le montage est moderne très cut, découpé soigneusement pour nous laisser maronner tandis que l’on saute à l’action qui se passe à côté ou qui s’est passée avant, un peu comme dans les films d’Inarritu (Amours chiennes, 21 grammes) : il faut un petit temps d’adaptation à chaque fois. C’est pour la forme. Ce à quoi je peux ajouter que c’est de la belle écriture classique d’aujourd’hui, précise et sans gras. Avec des entrées de paragraphes pour aérer et des dialogues ni trop ni trop peu comme dans tout bon roman.
Pour le fond, c’est une histoire troublante de jeunes étudiantes mortes ou disparues, que l’on aperçoit parfois, de loin, à peine, dont on a voulu apparemment masquer l’accident ou la mort et on est aidées dans cette sorte d’enquêtes menées par un prof et un étudiant qui fut l’ami de l’héroïne depuis l’enfance et le coloc du fiancé qui a provoqué l’accident mortel.
Cette histoire est d’autant plus inquiétante et les soupçons de trafic de la mort d’autant plausible que la prof qui mène l’enquête fait son séminaire sur les rituels liés au deuil, la mort, les non-morts… On est en plein dedans. Et on y saute à pieds joints et après on veut absolument savoir ce qui se passe, on t’attache à deux ou trois personnages, leur femme ou leur mari, ou leur mère, ou les jumeaux pénibles qui ne parlent qu’en sabir etc…
C’est américain donc il y a de la morale, un zeste de sexe, des horreurs ! comme la drogue, l’homosexualité féminine, les bals de fin d’année, les groupes/clubs/ sororité et autres amalgames de gens interchangeables à la pensée unique. Ou inique.
Il y a des critiques qui font rien qu’à vous raconter le pitch comme Télérama, ou le Monde des Livres,  allez sur Google si vous aimez savoir avant. Moi j’ai fini mon boulot. Vous avez 587 pages drues et mal reliées  — car elles ont tendance à se détacher et pourtant il était presque neuf quand on me l’a donné — bref 587 pages d’une bonne littérature on va dire, très appliquée, super bien construite et carrément efficace. Voilà le mot : efficace.

©Les revenants par Laura Kasischke. Christian Bourgois editeur 2011.

Jack-Alain Léger fait son drôle de cirque !

Rien à voir avec Nathalie Léger et son Barbara Loden dont je vous causais il y a peu. JAL est plutôt un drôle de zèbre au passé mal digéré, aux regrets éternels. Dans ce torrent d’amertume qu’il déverse sans pause dans cet opus de 200 pages et qui, si l’on en croit quelques prévenus, est le premier d’une série vouée à son histoire personnelle, il nous raconte dans des phrases à rallonges et des sentences à tiroirs quelques affres de son enfance où on le traitait, non pas de bouboule ou de gros, mais de « la grosse », une pilule qui reste collée dans l’oesophage. C’était dans un noble lycée où il connut également un jeune homme maltraité par ses richissimes parents banquiers qui, avant de périr dans un crash, avaient pris soin de nihiliser le pauvre enfant en l’enfermant dans un cachot, le flagellant, l »humiliant. JAL nous montre, par la vie dissolue qu’il malmène ensuite, que ce genre d’éducation ne donne rien, on s’en serait douté.
JAL a des regrets. JAL aurait dû être un artiste géantissime du microsillon puisque son album, qui existe, reçut une belle récompense gage-de-talent mais qu’un petit trou de cul de commercial (sic) de sa maison de disque jugea inepte, décida de barrer la route de la gloire en faisant revenir tous ses vinyles pour les canarder. RIP la carrière.
Il aurait pu aussi, mais rien n’est perdu, devenir un écrivain star, il en avait le talent puisque primé là-aussi, le snobisme, les relations bref, le goût et le verbe. Il a quand même commis une quarantaine de bouquins depuis. Là encore il se fait niquer par la grosse (il parle d’une éditrice en surpoids) d’une célèbre édition Grasset, mais se venge en faisant quand même son petit succès ailleurs dont on tira un filmot (petit film).
Il nous raconte alors, dans son flot délirant frisant l’écholalie tsunamique de sa pensées turgescentes — je n’exagère pas —  quelques anecdotes vécues où se mêlent Françoise Sagan, Liz Taylor, David Niven Junior, Derrida etc… pas forcément pour leur plus grande gloire.
Une des clés de sa petite folie et de son style est sa bipolarité qui lui rend la vie si hargneuse.

Je vais vous dire le fond de ma pensée : ce bouquin est parfaitement illisible sauf si, comme moi, ça vous enchante d’entendre certains piliers non dénués d’humour et de tenue, bref de savoir-vivre, vous débiter leur histoire sans plan, sans queue ni tête, comme ça vient, à la va comme j’te pousse, j’dis ça j’dis rien,  und so weiter. Il y exhibe sa culture italianisante en V.O. farcie de quelques dialogues en anglais,en somme,  il nous prend pour ce que l’on est : un joyeux partenaire royal au bar.

Zanzaro Circus, 2012,  de Jack-Alain Léger chez l’Editeur. 200 pages sans paragraphes, pratiquement.

Une interview d’Ardisson en 2006 pour un autre livre ici

Texte © dominique cozette

Supplément (indispensable) à la vie…

Supplément à la vie de Barbara Loden, on en parle énormément car il vient de recevoir le prix des lectrices Inter. Je voulais le lire dès sa sortie mais il avait disparu de la médiathèque. Il était sur ma liste et puis, au fil des interviews de Nathalie Léger, son auteure, c’est devenu une envie pressante. J’avais vu le film Wanda quand il est ressorti en France il y a peu et j’avais été soufflée par l’ambiance qui s’en dégageait. Et par ce que j’avais lu sur Barbara Loden, sa réalisatrice- interprète, deuxième femme étouffée par son géant d’époux, Elia Kazan, dont elle a voulu, par ce film, s’affranchir.
Le film, d’abord : du noir et blanc sale, triste, déprimant. L’histoire d’une femme qui, sans préméditation, quitte son foyer, mari et enfant, bigoudis sous le foulard, sac en skaï blanc, pas d’argent. Puis qui fait une rencontre pas terrible. Etc. Allez le voir. L’idée de ce film est venue à Loden en lisant un fait divers : une femme, Edna, accepte de devenir complice d’un gangster à la manque pour braquer une banque. Il fait une liste très conne des choses à faire, ouvrir la porte, démarrer la voiture etc, mais elle rate une étape, se perd et lorsqu’elle arrive pour cueillir le gars, il est raide mort, tué par les flics. Elle est arrêtée et condamnée à 20 ans. Et elle remercie le juge pour cette sentence qui la met à l’abri de la vie, d’elle même, des décisions à prendre.
La passivité qui fait accepter beaucoup de choses, notamment par les femmes, semble être la trame du propos.
Donc Barbara Loden récrit une histoire brodée sur ce fait divers. Le tourne. Il sort en 70, un bide aux Etats-Unis où elle est prise à parti, forcément, par les féministes. Puis peu à peu, une « cultisation » de cet improbable objet cinématographique. En 1980, Barbara Loden meurt d’un cancer. On peut dire que c’est parce qu’elle n’a pas assez pleuré. Mais elle a fait beaucoup d’autres choses, en douce. Elle s’est beaucoup ennuyée, elle est partie tôt de son enfance pour jouer les pin-up de grande surface puis apparaître dans de petits rôles, et quelques autres, plus grands. Kazan la débusque à 25 ans, il en a 50, elle ne couche pas le premier soir. Je passe sur ce qui est dans le livre. Il l’épouse quand même plus tard, sinon, elle le quitte. Ils ont un fils qui ne voudra pas coopérer avec Nathalie Léger lorsqu’elle fera ses recherches.
Dans l’Arrangement, c’est d’elle qu’il s’agit. Son portrait, sa vie, par Kazan. Puis il va tourner l’histoire. Le problème, c’est qu’il ne va pas prendre sa femme qui EST le personnage pour l’incarner mais une autre actrice.
Tout cela s’imbrique dans l’esprit de Nathalie Léger quand on lui demande de rédiger une fiche cinéma sur cette femme. Elle ne pourra pas résumer la vie de Barbara Loden dans une page, il lui faut rencontrer cette femme, morte certes mais vivante quelque part. Hélas, peu d’écho, peu de bienveillance, des anciens du films ne veulent plus rouvrir cette page.
Alors, que reste t-il à dire ? Rien. Enormément. Car Barbara Loden, Edna, Wanda, et probablement Nathalie, c’est nous. C’est aussi la mère de Nathalie qui erre dans un centre commercial sans âme comme Wanda dans son paysage minier, l’horrible impression de ne rien faire de sa vie, de ne rien être de valable, de n’avoir aucune valeur et dont la seule puissance pour réussir à exister est de se laisser flotter, de ne pas lutter, de fuir nulle part, de rencontrer n’importe qui, de ne pas s’opposer au désir de l’autre.
Ce livre est passionnant car il génère de nombreuses réflexions sur tout : la vie, la mort, l’amour, le féminin, le corps, le mariage, la solitude, le désir, le viol. J’ai eu envie de souligner… toutes les phrases car toutes sont importantes. Nathalie Léger, pour illustrer certains propos, convoque Marguerite Duras, Emilie Dickinson, Virginia Woolf, et aussi des images, une femme d’un tableau de Hopper.
Il y a des passages hors sujet qui sont pile dans le sujet en même temps. Un long paragraphe où Nathalie qui a rendez-vous avec un jeune homme pour un document explique pourquoi elle n’aime pas les jeunes hommes. « je n’aime pas leur fraîcheur, leur raideur ou leur grâce, leur pétulance spermatique, leurs mains d’enfant.  Je regarde les jeunes hommes, je les regarde sous la ceinture, je les regarde très attentivement, je les détaille mais je ne les aime pas, on les fait rire facilement, c’est agréable, je fais rire celui-ci facilement, c’est agréable et ennuyeux, je ne voudrais pas mourir en compagnie d’un jeune homme. »
Sur la dynamique homme-femme : « L’homme que j’aimais m’avais reproché un jour ma passivité supposée avec d’autres. C’était dans la cuisine, au moment du petit déjeuner, il me dit avoir peur de cette façon propre aux femmes en général et à moi en particulier, pensait-il, de ne pas savoir ou ne pas vouloir s’opposer au désir encombrant des hommes, de se soumettre follement à leur demande. On dirait qu’il ne sait pas combien il est difficile de dire non, d’affronter la demande de l’autre et de la refuser — difficile et peut-être inutile. Pourquoi ne sait-il pas la nécessité parfois impérieuse de se couler dans le désir de l’autre pour mieux s’en échapper ? »
A lire absolument, 150 pages écrites gros mais dense, intense et sans aucun signe inutile.

Interview de Nathalie Léger ici.

Supplément à la vie de Barbara Loden par Nathalie Léger, 2012, chez P.O.L 150 pages imprimées dans la Nièvre.

Texte et dessin © dominique cozette

 

United colors of crime, superbe !

Richard Morgièvre est un mec que j’aime bien. Quand je publiais des livres, on était dans la même écurie. C’est un homme plein de charme, de gentillesse, d’empathie. Toutes les nanas de l’éditions — et les autres —  tombaient amoureuses de lui. Cependant, à part Un petit homme de dos, très beau livre sur son père, et quelques rares autres, ses livres me paraissaient assez hermétiques, zarbi, trash. Aujourd’hui, il reconnaît lui-même que ce n’était pas très lisible. Je pense à celui sans ponctuation  (et dont Djian va reproduire le système à la rentrée). Donc ça, l’expérimental, le torturé, le cérébral, c’est fait.
Ce qui n’était pas fait, c’était une grande fresque, comme on dit, qui nous laisse exsangues et orphelins,  une fois le dernier paragraphe avalé tout rond. Une véritable épopée que cet United colors of crime qui se déroule dans le rugueux grand ouest (ou middle) américain, enfer rugueux où les bons et les méchants se catapultent inexorablement en  d’infernales tribulations tendance sanglante.
Le héros s’appelle Chaim Chlebeck, c’est un Polak qui a volé l’identité d’un combattant mort près de lui, en 44. Se refaire une virginité, c’est partir là-bas, où l’herbe, comme le dollar, est plus verte. Petit détour par la grosse pomme, en plein coeur de la mafia dont il devient un électron. Pas pour longtemps car prendre l’oseille et se tirer, c’est garder l’épée de Damoclès au-dessus du scalp. Il se fait rattraper par des tueurs, est laissé pour mort et s’éveille sous les soins méticuleux d’une Indienne borgne et énergique mariée à un vieux type cool, ex-espion des Allemands. Il est en charpie, sa jolie gueule d’amour devient gueule de casting, il ne rêve que d’une chose : prendre l’Indienne et se tirer avec le pèze planqué, là-bas au Mexique. Mais c’est sans compter sur les aléas d’une vie pleine de trous, de trompe-la- mort, de feu et pétards en tout genre, des blessures chelou, de petits loups recueillis puis tirés comme des lapins, de contrats sur sa tête, de cow-boys qui vouent une haine puante aux blancs qui couchent avec des squaws. Et de vieilles caisses américaines pus ou moins rutilantes, explosives, décaties.
C’est sans compter surtout sans ce talent inédit de Richard Morgièvre qui nous installe devant l’écran de ce western cahotique, caillouteux, cailleratesque, karchérique, qui prend aux tripes, au coeur et au crâne. C’est comme je vous le dis ! C’est sensass, vraiment, et Dallas, l’Indienne borgne, on a envie d’être elle pour être aimée comme ça. Et réciproquement quand on est un homme, me souffle ma part masculine. Car mon cerveau respecte parfois la parité.

United of Crime de Richard Morgièvre , 2012, aux Editions Montparnasse.  320 pages joliment imprimées.

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter