Sacrée Vargas

On l’attend toujours avec impatience, cette chère Fred Vargas et ses flics hauts en couleurs, ses intrigues alambiquées, ses folklores régionaux. En piles immenses dans toutes les librairies comme si c’était l’ouvrage universel, mais ça l’est peut-être. Sur la dalle en est le titre.
Si vous êtes fan, vous serez pas déçu. Malgré des critiques mitigées, j’ai vibré tout au long de la lecture de ce polar bretonnant, pas trop au début remarquez, pendant la lente installation d’Adamsberg dans ce bled où ça tue à tout va, mais après ça dépote. Dans cette bourgade, il y a un dolmen sur la dalle duquel le flic aime à se ressourcer, à retrouver ses effilochées d’idées, de ressentis, d’intuitions dont il est sûr qu’ils vont dans le sens de la résolution des meurtres. Pas faciles, ces meurtres qui ont comme points communs d’être réalisés avec une marque précise de couteaux, portés par la main gauche d’un droitier et dont la victime présente trois ou quatre piqûres de puces récentes. Et parfois, un œuf de poule fécondé — mais pas toujours — brisé dans la main serrée de la victime. Qu’est-ce à dire ? Embryon ? Avortement ?
Pratiquement, tous les hommes d’Adamsberg sont là, dans ce petit bourg, au bons soins d’un aubergiste bienveillant, aidés par le commissaire régional. Mais aussi par quelques villageois comme Chateaubriand dont c’est le vrai nom et qui, de plus, est le portrait craché de son illustre ancêtre et auquel le maire est très attaché car il favorise un tourisme régulier. Or, les indices le désignent. Mais on ne va pas se laisser abuser.
Il y a aussi un flic hyper doué en bidouillage informatique mais dont le défaut est de s’endormir souvent car il est hypersomniaque. On retrouve aussi Danglard, resté à Paris, mais qui apporte sa contribution importante. Et puis surtout la grosse Bertha (c’est moi qui l’appelle ainsi), Violette Retancourt, l’indispensable, capable de pulvériser n’importe quel mâle malfaisant. C’est inattendu et surtout très humiliant pour les mâles par elle aplatis.
Je ne vais pas vous en dire plus, c’est du Vargas, une écriture classique parfois un peu datée mais c’est ce qu’on aime, quelques passages qui nous en apprennent long sur divers sujets, des meurtres pleins d’inventivité et une fin totalement insoupçonnable mais qui se tient.

Sur la dalle de Fred Vargas, 2023 aux éditions Flammarion. 510 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Vargas vient de sortir la recluse ! Chef d'œuvre !

Les Fred Vargas, je les ai tous lus. j’adore cette nana, sa façon de nous entraîner dans des univers très souvent bien fermés, ignorés ou bizarroïdes. Cette fois, avec Quand sort la recluse, elle nous raconte avec force détails, tout ce qu’il faut savoir sur cette petite araignée peureuse et secrète surnommée la recluse. Pourquoi ? Parce qu’un des flics de l’équipe d’Adamsberg s’y intéresse curieusement, parce que lui-même trouve louche cette histoire de vieux Nîmois mordus par cette bestiole et décédés juste après, alors qu’une dose de ses glandes ne peut faire de mal qu’à une mouche, façon de parler. Parce qu’il rencontre, chez le zoologue ès aranéides, une petite dame venue de là où elles crèchent et elle-même très curieuse en la matière. Et que donc, de fil (d’araignées) en aiguille (qui n’est pas un dard puisqu’elles mordent), il va dérouler une drôle d’histoire qui aurait pu se terminer en cold case s’il ne s’était pas entêté, avec ses supporters du burlingue sauf le fidèle Danglard qui se fâche avec lui, à percer tous les mystères.
Comme on le dit en anglais puisque le français est impuissant à traduire ce terme, c’est un vrai page turner, un clou chassant l’autre à la vitesse grand V. Je pourrais dire haletant. Palpitant aussi. On est content d’y retrouver le gros chat qui roupille sur la photocopieuse, mais aussi la fliquesse maousse costo à qui Adamsberg peut tout demander, et tout l’univers du commissaire et de la genèse de ses intuitions. Il n’y a pas à en dire plus, c’est un polar et, pour moi, c’est le meilleur bouquin de Fred. Quel talent, mais quel talent !!! Quand je pense qu’il va encore falloir attendre des années avant qu’un nouveau Vargas sorte, j’en pleure…

Quand sort la recluse de Fred Vargas, 2017 aux éditions Flammarion. 480 pages.

Texte © dominique cozette

Le dernier Vargas, d'urgence !

L’événement. Les fans de Fred Vargas le guettent et le fêtent, le dernier opus puisqu’il se retrouve toujours dans la liste des meilleures ventes. Et c’est mérité, c’est pas de la gnognotte, c’est toujours extrêmement original, minutieusement documenté, maladivement complexe.
Dans celui-ci, Temps glaciaires, des séries de meurtres lancent l’équipe d’Adamsberg sur deux pistes dont on se demande sans arrêt si elles ont réellement un tronc commun, à part les cadavres, ce qui n’est pas rien. Une dissension naît au sein de l’équipe, beaucoup reprochent à Adamsberg d’aller où ce n’est plus nécessaire, perte de temps, etc… alors que les morts s’accumulent sur l’autre piste.
La première, c’est l’Islande avec un énorme secret, un énorme danger, un énorme no man’s land qu’est une toute petite île assassine dont on ressort mal ou pas. La seconde, c’est la filière Robespierre, une asso qui fait revivre les assemblées révolutionnaires qui en conduiront beaucoup à l’échafaud.
Le truc très agaçant pour les enquêteurs, c’est qu’on ne sait pas les noms de tous gens qui ont participé au voyage islandais ni ceux des 700 membres du clan Robespierre. Il faudra « juste » trouver des liens.
Moi qui ne suis pas une passionnée d’histoire — c’était ma matière faible, j’en ai gardé une détestation des films en costume, c’est dire ! — je suis entrée dans cette lourde intrigue avec plaisir et curiosité. C’est vraiment extra !
Il n’y a pas plus à en dire, c’est un polar, ça démarre avec une petite vieille qui tombe dans une petite rue d’une petite ville.
(Evitez la critique de l’Express qui, connement et malgré un enthousiasme de bon aloi, dévoile un élément primordial qu’on n’apprend que vers la fin).

Temps glaciaires de Fred Vargas aux éditions Flammarion, 2015. 490 pages, 19,90 €.

Texte © dominique cozette

Où je décide que Wallander ne sera pas qu’un simple amour d’été

Même si ce n’est pas James Bond (je n’aime pas James Bond, qu’on se le dise) ou San Antonio (qui m’a refilé pas mal de maladies textuellement transmissibles), hé bien je suis tombée sous le charme décadent de l’inspecteur Wallander, un fatigué désabusé porté sur le gorgeon.  Et aux amours inexistantes ou lointaines, un peu négligé sur lui, qui ne fait pas le ménage et doit puer l’oignon.
Ce bouquin « la lionne blanche » de 1993 est le premier que je lis de son auteur Henning Mankell, qui a pondu énormément de trucs depuis, théâtre, contes philosophiques, bouquins pour enfants et polars avec Wallander.
Cette enquête commence mollement : il s’agit d’une femme honnête, scrupuleuse, fidèle qui disparaît en allant visiter une maison pour son agence immobilière, dans la cambrousse. Elle se perd et, voulant demander son chemin, reçoit une balle entre les deux yeux. Aucune trace d’elle, aucune raison, aucun mobile. En cherchant dans les environs de la baraque, on découvre une maison juste explosée avec reste de matos hyper-sophistiqué dedans et un doigt de Noir fraîchement coupé.
Wallander, par compassion pour le mari et les deux fillettes orphelines, va se jeter à fond dans une enquête d’abord sans queue ni tête, puis avec un vague lien qui se noue tout au bout de la terre, en Afrique du Sud, où se concocte un attentat contre une personnalité des plus haut placées. Comme il s’agit de de Klerk ou de Mandela, on sait qu’il n’aura pas lieu. Mais n’empêche que le suspens, complexe et rebondissant, fait son oeuvre en tenant en haleine la pauvre lectrice désarmée que je suis.
On y apprend pas mal de choses sur les Boers, l’anti-apartheid et ses relations avec les mouvements d’extrême-droite russe et on y découvre des personnages ultra pointus et invincibles qui nous collent la peur au ventre.
C’est écrit sans chichi, de façon classique et fluide et la construction est bien menée. Ça me rappelle un peu les bouquins de Fred Vargas avec son fameux Adamsberg qui, comme Wallander, refuse de marcher dans les clous, cafouille et se plante bien souvent. Mais je les ai tous lus, ceux de Vargas. Je vais donc enquiller les Mankell car on m’a dit qu’ils étaient vraiment super, j’ai envie de continuer avec lui.

La lionne blanche de Henning Mankell 1993. 430 p. chez Seuil Policier. Et en poche.

Texte et dessin © dominique cozette

Fred Vargas : nous y sommes. (De plus en plus)

Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l’incurie de l’humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d’insouciance.
Nous avons chanté, dansé. chantons, dansons.*
Quand je dis « nous », entendons un quart de l’humanité tandis que le reste était est à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté jetons nos pesticides à l’eau, nos fumées dans l’air, nous avons conduit conduisons trois voitures, nous avons vidé vidons les mines, nous avons mangé mangeons des fraises du bout monde, nous avons voyagé voyageons en tous sens, nous avons éclairé éclairons les nuits, nous  chaussons des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons  grossi grossissons, nous avons mouillé mouillons lle désert, acidifié acidifions la pluie, créé créons des clones, franchement on peut dire qu’on s’est bien amusés. s’amuse bien.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l’atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s’est marrés. se marre bien.
Franchement on a bien profité profite bien.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu’il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu’on ne l’a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.
C’est la mère Nature qui l’a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l’exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d’ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Evidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n’a pas le choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on s’excuse, affolés et honteux.
D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l’humanité n’en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l’avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n’en a plus, on a tout pris dans les mines, on s’est quand même bien marrés).
S’efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l’Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d’échappatoire, allons-y.
Encore qu’il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l’ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n’empêche en rien de danser le soir venu, ce n’est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l’homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

Texte ©Fred Vargas. Archéologue et écrivain. Ce texte date d’il y a deux ans je crois. Je trouve important nous de le remettre en mémoire.
Dessin © dominiquecozette

* Je me suis permis de conjuguer au présent certains verbes qui laissaient croire que c’était du passé. Hélas !

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter