La belle inconnue

C’est un livre mince qui se lit facilement. C’est une quête aussi, mais pas la première ni la dernière car l’auteur, comme beaucoup d’autres avant lui, Supervielle, Aragon, Blanchot,  Nabokov etc, s’est entiché de la pure beauté de la jeune femme, retrouvée noyée dans la Seine en 1901 avant d’être amenée à la morgue. Son visage était tellement pur qu’on décida aussitôt de le mouler afin de l’immortaliser. Depuis, on le retrouve partout, notamment dans les écoles d’art.
Donc l’auteur, Didier Blonde nous conte cette quête d’un libraire spécialisé en éditions rares tentant d’en savoir plus sur l’inconnue. Il se rend à la morgue, l’autre puisque la première a disparu, collecte des infos, va au théâtre car une pièce de Horvath raconte son histoire — l’actrice a le visage dissimulé sous un masque en latex qui représente l’inconnue — passe un temps fou à la BN à lire les articles de l’époque sous forme de micro-fiches. Et, stupeur, il aperçoit sur l’une des tables, tout une documentation sur elle. Il guette la personne qui réalise l’étude et s’installe en face pour l’observer. Enfin, se décide à l’aborder. C’est une thésarde allemande qui travaille sur le sujet depuis des années.
Le narrateur s’entiche d’elle qui le laisse faire ses quatre voluptés sur son corps. Mais, la thèse finie, elle repart en Allemagne retrouver fils et mari. Non sans lui laisser lire la somme écrite par elle.
Il se rend compte que cette quête est vaine, que personne n’en saura plus, que les pistes sont fermées. Une première fois, un faisceau de présomptions l’avait amené en 1930, ensuite il apprit qu’il s’agissait d’un jeune modèle mort de tuberculose en 1875.
Néanmoins, hanté par elle, il ne peut l’abandonner et retournera à la Bibliothèque pour chercher, encore et encore…

Ces peintures au nez de travers ont été réalisées lors de cours que je prenais il y a quelques années où  tout le monde se demandait qui était cette mystérieuse jeune femme.

L’inconnue de la Seine de Didier Blonde, Gallimard 2012. Il est retouché par rapport  à sa première édition en 1988 chez Régine Desforges sous le titre Le nom de l’inconnue. 125 pages.

Texte et dessins © dominique cozette

Le seul organe qui peut ne pas vieillir : le cerveau.

L’être humain, quand il naît, possède un cerveau qui n’est pas fini. Ce qui le distingue des autres animaux et surtout lui permet d’échapper à la dure loi de son ADN. Car en se construisant, chaque cerveau se singularise. Il est tellement élastique qu’il peut détourner les tâches d’une de ses parties vers une autres, notamment en cas d’AVC.
Contre la croyance  selon laquelle nous perdrions 100 000 neurones chaque jour, il est démontré que notre cerveau est capable de refaire des neurones à partir de cellules souches, à condition de bien l’entraîner. Comment ? Par des stimulations nouvelles, le plaisir, la curiosité et l’émerveillement. Mais tous les plaisirs n’ont pas le même degré du bénéfice. Quand on lit un livre,  c’est l’imaginaire qui s’emballe et on engage 85 % de son activité mentale. Oui, 85% ! Enorme. Par contre, quand on regarde un film, on reste passif, et seulement 15 % de l’activité mentale est en action. Même s’il s’agit de la même histoire. Pauvre cerveau dans ce cas…
Ce qui va contre le rajeunissement cérébral, qui est même nocif, c’est le stress permanent, la tristesse,  l’inquiétude, la routine, tout ce qui se rapproche de la dépression. Après autopsie, on a constaté que les cerveaux des suicidés ne possédait aucun nouveau neurone.
Je viens d’apprendre tout ceci dans le livre « le cerveau sur mesure » de deux médecins neurobiologistes dont l’un a été invité à l’émission d’Inter : les savanturiers et l’autre dans une conférence en ligne.
Une interview (à lire) très pragmatique ici vous en dira plus car le bouquin est assez technique, notamment dans la première moitié qui détaille ses fonctionnalités. On passe ensuite à la régénérescence cellulaire, la plasticité, le cerveau augmenté. Puis le dopage cérébral. Enfin,  on arrive aux nanotechnologies avec l’éventail de tout ce qui nous attend dans le futur, sans compter les imprévus. Annexe sur le neuro feeback ou gonflette cérébrale.
Bourré de notes explicatives et bibliographiques et quelques liens plus « pratiques » pour les néophytes qui souhaitent seulement bénéficier de conseils à mettre en oeuvre. A voir aussi sur Google

Le cerveau sur mesure de Jean-Didier Vincent et Pierre-Marie LLedo chez Odile Jacob, 2012.

Texte © dominique cozette

Claro nous ramène Lucy from the sky with diamonds !

Claro est un écrivain et un sacré traducteur, pas de n’importe qui : Rushdie, Palahniuk, Selby, T. Vollmann, Pynchon…
Avec son dernier livre Tous les diamants de ciel, je vacille dans une friche de mots, d’idées, d’inventions, d’hallucinations inouies. D’ailleurs, pas étonnant, le personnage principal en est le L.S.D qui transite autour des deux marionnettes d’un destin foireux. Pour les deux, l’histoire commence en 1951. Antoine, pauvre moineau orphelin limite mytho, mitron à Pont Saint Esprit, jolie bourgade d’Ardèche, se prend de plein fouet l’incroyable trip qui va mettre à mal toute la population sans qu’on sache exactement comment le pain qu’il a peloté  a pu produire ces hallus mortelles. Il y serait question d’une manip de la CIA qui teste ainsi, sur des cobayes lambdas, des sortes d’armes chimiques.
Très loin de là, Lucy, barrée de chez elle à 15 ans, petite pute junkie, est repérée par un homme de cette même entreprise pour d’autres essais sur ses clients. Là, je vous dis pas, c’est d’un sordide accompli qu’en termes poético-créativo-rocks l’auteur nous narre.
Puis on saute en 67, à San Francisco, où la jeune beauté, protégée par son démon-gardien, s’est réfugiée incognito. Elle se marie, fait un môme, adopte une posture bourgeoise, bref, disparaît de la terrible liste létale de la CIA. Puis elle est priée d’aller tester ailleurs, de toute façon c’est sa vie et elle n’aime pas son gosse. On la retrouve un peu partout où se joue l’histoire de la dope et des bouillonnements culturels pointus, Berlin, Londres et Paris, où elle tient la première sex-shop de France. Toujours entre deux shoots, elle rencontre Antoine entré par erreur dans l’échoppe. Lui, c’est plutôt les églises, le divin, pas le divan et surtout pas le cul. Naîtra un sentiment fort, mêlé et entêtant, sans rapport avec ce qu’on connaît (enfin, je dis ça, je ne sais pas pour vous). Antoine raconte ce qu’il a fait entre-temps, il aurait été parmi les premiers bidasses à assister aux essais atomiques français, cobaye encore… Ce n’est pas aussi vrai.
Je ne vais pas vous raconter l’histoire, c’est de la dentelle hérissée de noeuds, bouffie de grumeaux, concoctée à partir d’un écheveau emmêlé, c’est tordu, c’est plein d’âcreté, d’odeurs, de chair, de volutes et de conspirations, de soupçons, de défonces, de détails réels embringués dans des délires de ouf. C’est dingue. Je vous jure ! Un sacré trip !

Claro. Tous les diamants du ciel chez Actes Sud, 2012, 250 pages.

Texte © dominique cozette

Ciseaux : un livre pour les fans de Raymond Carver

Raymond Carver est un auteur de nouvelles aussi  appréciées que le sont les peintures de Hopper. Tout le monde les aiment.
Un livre, Ciseaux, vient de sortir et l’auteur, Stéphane Michaka, nous fait revivre, de manière  semi-fictionnelle, les relations entre Carver — Raymond dans le livre —  et son éditeur. Et aussi ses deux femmes. Chaque protagoniste racontera une part de l’histoire. Deux nouvelles de Carver sont intégrées au livre.
L’éditeur de Carver est surnommé Ciseaux dans le milieu car il est réputé pour enlever la graisse, toute la graisse, des nouvelles qu’il édite. Il peut aller jusqu’à l’os et ça fait mal. Ça fait mal à Raymond qui ne reconnaît plus ses petits, ça fait mal à sa femme qui a toujours cru en son talent et qui voit dans ces coupes une mutilations, ça fait mal à la deuxième femme qu’il aura, pas longtemps puisqu’il mourra très vite.
Mais c’est grâce à Ciseaux que Raymond jouit d’une grande notoriété, d’où les rapports ambigus entre deux personnages. Même quand Raymond le supplie de ne pas toucher à un texte, il le retrouve, quelques temps après, amputé de plus de la moitié, avec un titre qui ne lui plaît pas.
Et Raymond boit. Boit trop. Marianne, sa première femme qui a abandonné ses études à cause de la naissance précoce de leurs deux enfants, subit avec patience les infidélités et les absences de celui qu’elle aimera inconditionnellement.
Raymond boit et c’est pour ça qu’il ne peut pas se lancer dans le roman : trop d’attention qu’il ne possède plus.
Il rencontre une femme, une fan, qui va lui redonner le goût neuf de la vie et de l’amour.
Mais cela ne résout pas ses problèmes avec Ciseaux. Un peu avec l’alcool puisqu’il finit par y renoncer. Mais, atteint d’un cancer du poumon qu’il sait incurable, il va épouser cette femme avant de mourir.
Cette poétesse devient ainsi son exécutrice testamentaire, coutisée par Ciseaux  pour qu’elle lui cède les inédits de Raymond. Elle refuse et déclare qu’elle fera publier les textes de Raymond dans leur intégralité.
( Ces textes originels existent, ils sont sortis en France l’an dernier, je ne les ai pas encore lus. Je ne connais que les nouvelles de Carver éditées par « Ciseaux ».)
Je vous parle de ce livre d’une façon assez plate, il y a des jours où je suis moins en verve, mais je vous assure qu’il est pétillant, plein d’esprit et d’une écriture plus qu’agréable.

Ciseaux de Stéphane Michaka aux éditions Fayard, 2012. 264 pages.
Interview de l’auteur ici

Texte © dominique cozette

Angot-ass.

Ce jeu de mot m’a échappé, je voulais dire : angoisse. Donc, le livre de Christine Angot. J’y suis allée de mauvaise grâce. J’ai trouvé ce bouquin sur le présentoir de ma médiathèque, mauvaise nouvelle pour l’auteure car il n’arrive jamais qu’on trouve une nouveauté disponible avant quelques mois. Je ne l’aurais pas acheté car je n’aime pas Christine Angot, sèche, cassante, peu amène et chiante finalement. Pour moi, c’était encore un truc pour se faire remarquer. Un texte en colonne mince comme une misère, écrit gros pour mal-voyants, fin comme carpaccio de flétan. En plus, pas un paragraphe, tout enchaîné pour ne pas y glisser son marque-pages
Oui mais le livre ??? Ah, oui. Ça commence mal puisqu’elle doit manger un peu jambon sur un sexe en érection dans des WC. On se dit que le monsieur a le sens de l’humour mais en fait non.  C’est de  l’amour bien placé. Le monsieur c’est papa, la jeune fille c’est Christine Angot qui, passant quelques jours de vacances avec lui dans un bled pluvieux, doit assouvir ses besoins récurrents et priapiques. C’est pas drôle, pas érotique, pas amusant. Monsieur papa se prend pour un homme délicat en ce sens qu’il éduque la sexualité de sa fille tout en respectant une sorte de promesse de bonne conscience : ne pas pénétrer son vagin avec le sexe pour en laisser la primauté au futur premier amant. Mais avec les doigts, il ne se prive pas.  Sexe oral tous les matins, la nuit aussi, l’empêchant de dormir, au volant, n’importe quand. Sexe anal, il fait de son mieux pour y arriver mais la petite est rétive et contractée.
Il lui parle en baisant de ses autres femmes, ce qu’elles aiment faire, comment elles sentent, et les compare à elle, sa petite préférée, celle à qui il peut tout dire sans crainte. D’elle, on ne sait rien. On devine à quelques hauts le coeur, positions inconfortables, demandes pour avoir une journée « sans » qu’elle vit très mal la chose, en même temps qu’elle n’aime pas que son père se fâche après elle (syndrome de Stockholm, ce genre), ce qui arrivera une première fois où elle rattrapera sa mauvaise volonté pour le faire revenir à elle, puis une seconde où, après lui avoir raconté un rêve qu’il n’apprécie pas du tout (on ne connaîtra pas le rêve), il décide que les vacances sont finies, réunit en toute hâte leurs affaires, l’abandonne sans un geste tendre à la gare  où elle devra attendre trois heures son train, sans argent pour manger. Alors elle parle à son sac.
Un livre très désespéré qui situe la victime de cette relation odieusement barbare au rang des objets sans intérêt, qu’elle décrit comme elle se décrit dans la chambre, la position de ses jambes, l’abat-jour, la pluie dehors. L’obsédé sans vergogne qui ne pense qu’à jouir — il ne pense vraiment qu’à ça — sans considérer le prix payé par sa fille pour son désir sans fin, l’asservissement total à la figure d’autorité qui par ailleurs lui parle culture et  littérature, tout en fait un livre extrêmement fort sur le mécanisme sexuel de l’inceste. Rien n’est dit du ressenti.
Mais comme il s’agit de Christine Angot, l’exhibitionniste Christine Angot, je ne peux m’empêcher d’y voir plus de provocation que de sincérité. Je me sens à mon tour manipulée par l’affaire, tombée dans le piège du voyeurisme malsain.  Littérairement parlant, ce n’est rien,  c’est propre, il y a des mots bien choisis, des virgules bien placées. Peu ou pas de points-virgules, ça tombe bien, je n’en suis pas fan. C’est vite lu, ça ne pèse pas dans le sac, et comme vous le constatez,  ça fait gloser.

Une semaine de vacances de Christine Angot aux éditions Flammarion, 2012. 140 pages.

texte © dominique cozette

La théorie de l’information par un geek de chez geek : passionnant !

Malgré la rudesse du propos : épopée économique française, de l’invention du Minitel à l’arrivée des terminaux mobiles, de l’Internet au web 2.0 etc., ce livre, qui, dit-on, s’inspire de la vie de Xavier Niel, fondateur de Free, ex-nabab du Minitel rose, m’a passionnée. Ces 500 pages bourrées des technologies qu’on utilise tous ou qu’on a utilisées, et l’histoire de ce petit gars grassouillet seul comme le ver dont il essaiera de s’inspirer, sur la fin, pour encoder le monde à travers les utilisateurs de facebook  m’ont bluffée.
Ce qui me bluffe dans les livres, c’est la somme de boulot qu’il a été nécessaire d’ingurgiter pour en faire quelque chose de fluide, d’intéressant, de romançable. Moi qui n’y connais pas grand chose en théories diverses d’informations, en circulation de données, en informatique, j’ai suivi sans peine l’expansion de ce jeune puceau timide qui, surdoué, arrête les études pour monter sa boîtes en détournant les réseaux du Minitel, devient richissime à 20 ans, tombe amoureux d’une strip-teaseuse de peep-show qui lui apprendra la vie et le sexe, le présentera à un gros bonnet de la prostitution grâce à qui il pourra passer des étapes nécessaires à sa réussite.
Dans son ascension vers les sphères de la toute-puissance des nouvelles technologies, il rencontrera ou fera affaire avec des gens qu’on connaît bien comme Thierry Breton, ex-ministre, Jean-Marie Messier, Thierry Ehrmann le fondateur d’Art Price, ou Sarkozy. Il attirera à lui les plus forts dans leur domaine afin d’assurer sa mainmise sur tout. Il tombera peut-être suite à la découverte de sa proximité aux proxos mais, innocent de ce côté-là, rebondira sur un désir encore plus pointu et extrêmement fou.
Seul, obèse, vivant dans une pièce aveugle, une friche gardée ou une limousine aux vitres noires, Pascal Ertranger parviendra t-il à tenir l’univers entre ses mains ?

La théorie de l’information par Aurélien Bellanger, Gallimard, 2012.  487 pages

Texte © dominique cozette

Toujours aussi singulière, Jeanne Benameur !

Des amies m’ont fait découvrir cette auteure il n’y a pas si longtemps avec le superbe livre les demeurées qui contre les rapports d’amour entre une mère et sa fille, deux sauvageonnes marginales où vient se glisser la bonne conscience d’une assistante sociale pour leur grand malheur. Eloigner la fille de la mère par la différence du savoir qu’elle ramène de l’extérieur, et de l’extérieur aussi qu’elle rapporte à la maison, collé au petit cartable qui semble une muraille d’incommunicabilité définitive entre ces deux êtres exclus(ifs). La petite fille trouvera une très belle façon de se sacrifier pour sauvegarder le lien. A lire absolument, l’écriture est magnifique !
Les insurrections singulières sont taillées dans la même étoffe, les vies de peu, le lien ou le non-lien, les amours impossibles, le savoir et ses dégâts collatéraux. Le héros, Antoine, quarante ans, revient vivre chez ses parents, ouvriers à la retraite, parce qu’il s’est pris un énorme râteau avec celle qui semblait être la femme de sa vie, enseignante, touchée par le côté prolétaire de son amoureux. Parce qu’Antoine a refusé les études, contrairement à son frère qui a une belle situation, une femme, des enfants, une ligne de vie. Antoine a été plaquée parce que Karima, au bout de quatre ans, s’est lassée de l’ouvrier sans discours, sans militantisme, sans besoin d’en découdre, ne lisant pas non plus et toujours en retrait.
retourné à l’usine sur les traces de son père, menacé de licenciement pour  cause de délocalisation et mondialisation, usé de n’avoir plus de désir, laminé par la perte d’amour, il accompagne sa mère au marché de Montreuil où elle vend gaiement de la mercerie. A côté, un vieux sympa style bouquiniste qui réussit à le faire s’intéresser à quelque chose : l’histoire du fondateur de son usine qui créa une ville à son nom au Brésil. Le désir (de bouger) lui vient d’un coup. Il prend ses indemnités et, accompagné du vieux Marcel, se rend au Brésil où il va enfin vivre sa révolution personnelle.
Ce livre, c’est une ambiance, une sincérité, une vague tristesse et surtout une belle plume. Ses sans grades sont touchants, dignes et partageurs.

Les Insurrections singulières de Jeanne Benameur chez Actes Sud 2011, 200 pages. Les Demeurées, Denoël 2001.

Texte © dominique cozette

Le noir est une couleur… putain de bouquin !

C’est Alphonse Boudard qui a trouvé ce titre « le noir est une couleur ».
Grisélidis Réal est connue comme prostituée activiste et écrivain, un peu peintre aussi. Elle préfère dire putain. Petite, elle n’était pas prédestinée à cela puisqu’elle a été élevée très strictement par une mère sévère et veuve. Mais qu’elle a fuie très vite. Elle s’est mise en ménage/mariée plusieurs fois, a eu quatre enfants de pères différents, a fréquenté une école d’art et pour gagner sa vie, était modèle. Entre autres.
Ce livre autobiographique écrit entre 1972 et 1973, édité en 74 puis réédité chez Verticales en 2005, commence ainsi : « J’ai toujours aimé les Noirs ». Et son histoire commence alors qu’elle réussit à faire sortir un Noir schizo d’un hôpital, pour vivre une belle une histoire avec lui. Et ses deux plus jeunes enfants. Ils sont en Allemagne, à Berlin, où les soldats américains, donc les Noirs, sont légion. Mais tout se passe mal. Le type ne fait que profiter d’elle, violemment, elle ne cesse de le fuir et il ne cesse de la retrouver. Elle passe la frontière en fraude et se retrouve sans papiers avec deux petits recherchés par les services sociaux, sans un sou, sans rien, qu’une vieille valise. Elle erre de refuges en cachettes, rien à bouffer, et finit par se prostituer pour survivre. C’est sordide, ce qu’on lui fait faire est dégueulasse, inquiétant ou spécial, mais elle ne peut rien faire d’autre. Un moment, elle se s’installe dans un hôtel où vivent les putains, chacune son petit monde, elle s’y fait des amies, c’est à peu près stable. On lui enlève ses gosses pour les mettre dans une institution protestante où ils ne parlent plus qu’un patois bavarois. Elle habite aussi parfois avec ses tziganes adorés mais les retours tonitruants du Noir la rendent vite tricarde.
Un jour, elle échafaude un voyage au Maroc pour créer son entreprise de trafic de drogue et y parvient, malgré une voiture brinquebalante et un chauffeur chelou. A ce moment là, elle est « avec » Rodwell, un autre Noir qu’elle adore et qui semble en pincer pour elle puisqu’ils doivent se marier.
Bien entendu, tout ne peut que mal tourner toujours tellement la misère, le malheur et le destin s’acharnent sur elle. Elle chope la syphilis, elle se retrouve avec des types qui veulent la tuer ou du moins la maltraitent terriblement mais elle espère toujours s’en sortir. Ce bouquin s’achève sur  la route de la prison.
Grisélidis Réal est une femme pleine d’amour, elle s’en explique très joliment dans la petite vidéo ici .
Elle s’en est sortie partiellement grâce à l’écriture puis au militantisme, défendant ses soeurs de misère, exigeant que les pouvoirs publiques cessent de les harceler, donnant des conférences un peu partout.
Ce livre montre que, malgré ce qu’elle dira plus tard pour défendre la prostitution et le regard plus artistique et intellectuel qu’elle y portera , ce fut loin d’être un choix. Son récit est bien sûr très trash, très dur, très acide mais son style est d’une beauté étonnante, frôlant une certaine poésie. Et l’épopée incandescente qu’elle a vécue, qu’elle nous raconte, n’a aucun équivalent. C’est bourré de suspense, de personnages hauts en couleurs, de lieux improbables et d’amours incertaines. C’est beau et désespéré, c’est un chant.

Le noir est une couleur par Grisélidis Réal aux éditions Verticales, 2005. 312 pages.

Texte © dominique cozette

Que nos vies aient l’air d’un film parfait

C’est une chanson d’Elli et Jacno adaptée de Lonely Lovers des Stincky Toys. Mais c’est aussi le titre du petit livre de Carole Fives.  Plasticienne (site ici) et écrivain, elle nous offre un court récit sincère et extrêmement touchant en cette rentrée pléthorique.
Elle narre l’histoire d’un divorce — est-ce celui de ses parents ? — dans les années 80 qui déchire les quatre membres de la famille. Chacun a voie au chapitre, sauf le jeune garçon, et c’est ainsi que se développe cette affreuse cicatrice dans la vie des protagonistes.
La mère est impossible. Pénible. Capricieuse. Malade des nerfs. Son propre père, médecin, ne s’est jamais occupé de la soigner, a préféré s’en débarrasser auprès d’un  homme amoureux.
Le mari ou père des enfants, ne pouvant plus assumer, décide donc de se séparer d’elle, sans joie, avec une énorme culpabilité. Il s’entendait tellement bien avec son fils ! Mais il s’avère après quelques temps que la mère est incapable de s’occuper de ses enfants, elle fait tellement n’importe quoi, chantage permanent au suicide,  picole, dope, amants en série, que le père finit par les récupérer. Elle va alors s’installer dans une communauté hippy dans le midi où elle semble s’épanouir. Mais elle se rend compte que c’est louche de ne pas avoir ni enfant, ni compagnon près d’elle, alors elle va tenter de reprendre un de ses enfants, sans se poser la question du déchirement des sentiments.
Je ne vous raconte pas le livre, mais ce qui est remarquable dans ce texte, c’est que la douleur même muette y est clairement perçue, sans pathos. On suit le petit garçon dans la perte de repères et de sécurité qu’on lui inflige, ainsi que le sentiment grandissant de culpabilité dont la soeur  ne se remettra pas. C’est très bien écrit, la tristesse qui affleure n’est jamais larmoyante et, faute d’entendre la version du garçon, on imagine terriblement son désarroi.
La fin est étonnante. Elle pourrait s’inscrire dans la théorie  de la résilience.

Que nos vies aient l’air d’un film parfait de Carole Fives aux éditions Le Passage. 2012. 120 pages.

Texte © dominique cozette

Mark Safranko nous la joue poil de carotte et Cie

C’est pas que je critique le fait de raconter son enfance quand elle a été merdique, pour ne pas dire merdeuse comme celle de Céline, mais j’en attendais plus. Plus d’originalité ou alors un point de vue différent. Marc Safranko a publié Dieu bénisse l’Amérique (God bless Amerika) chez 13ème note, une édition très noire et captivante qui nous livre des Dan Fante, Buko, Burroughs junior formidables. En poche, la collection s’intitule  Pulse.
La préface, plus l’introduction du livre ont été overpromising, comme on dit dans la pub, la barre a été très haut placée et du coup je me suis sentie flouée. En même temps, c’est agréable à lire, les chapitres sont courts et les anecdotes amusantes. Peut-être qu’il faut lire ça avant sa majorité parce qu’il y a quelques crudités, rien de bien méchant.
A vrai dire, j’ai eu l’impression, en entrant dans l’enfance du héros, de connaître l’endroit, comme si j’y étais passée déjà plusieurs fois. Ben oui. C’est une famille pauvre d’émigrés polonais, pas juifs, qui tire le diable par la queue, sachant qu’elle ne s’en sortira jamais. Mais espère qu’au moins, Max, le gaillard,  porte un peu d’espoir, en Amérique, c’est possible. Mais Max, depuis qu’il a été conçu par accident, est devenu le bouc émissaire de ses parents, tabassé constamment et injurié par son père, dévalorisé par sa mère. Chétif, maladif, il n’en mène pas large avec les autres garçons et devient souvent leur souffre-douleur. Jusqu’à ce qu’un autre endosse l’habit et en devienne cruellement victime, à mort.
Chez lui, dans la vieille bicoque pourrie, rien ne va, tout ce qui arrive de pénible  est de sa faute. Les pannes de voiture, le temps qu’il fait, la mort du tonton…
En classe, ça ne marche pas fort. le père sort la boîte à gifles pour lui apprendre les maths et, comme de bien entendu, ce n’est pas une bonne méthode. C’est une école de soeurs très strictes, armées de baguettes pour les corriger — ou se faire corriger par eux—. Mais elle est mixte et l’enfant se découvre une passion insensée pour une fillette qui le détestera fermement.
Et puis la sexualité qui s’éveille, la quéquette qui n’arrête pas de jouer le redressement productif mais qui peine à entrer en contact avec la fente où mettre la pièce.
Pour aider à sortir la tête du sac, il doit bosser avant la classe et durant les vacances dans des endroits pourris : c’est une véritable petite Cosette maintenant, mal ou peu payé, enguirlandé, jamais remercié.
Ce qui est bizarre, c’est qu’il a un petit frère. A part nous le faire savoir une fois, on n’en entend plus jamais parler. Il n’existe plus. Et pourtant, on nous le montre en photo dans les pages du début, ils sont d’ailleurs assez jolis garçons tous les deux.
A la fin, on a droit à la postface qui explique encore pourquoi ce livre est formidable. Trop de com tue la com. Et, il faut bien le dire, ce livre est assez banal. Quant à la couverture, avec le  fessier plat d’un sexagénaire arborant un bikini taillé dans le drapeau US, il n’incite pas à l’achat.

Mark Safranko. Dieu bénisse l’Amérique. Edition Pulse 13ème note 2009. 396 pages.

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