Lucia Berlin, c'est comme du Carver, en différent.

Elle est américaine, morte en 2004 à 68 ans, et un peu connue depuis qu’est sortie récemment une compile de ses récits et nouvelles. En commençant ce gros livre, Manuel à l’usage des femmes de ménage, je croyais qu’il s’agissait du roman de sa vie tumultueuse, or ce sont des nouvelles, des récits, dont les sujets sont largement empruntés à son expérience. Mais pas que (expression idiote). La bio de la dame se trouvant bêtement en fin de livre, on se fait des idées fausses. Mais en tout cas, l’écriture, c’est du brillantissime. Les portraits, le cadre, les événements sont brossés avec un réalisme très original, très agréable, qui nous donne à voir des petites choses pointues, des petites couleurs, des sons. On la compare à Carver, non parce qu’elle lui ressemble mais par le talent qu’elle déploie à raconter des choses simples.
Elle nous plonge dans un univers très personnel et attachant car c’est beaucoup d’elle qu’il s’agit. Un oncle trop sympa, un grand-père farfelu, sa sœur, dont elle fut longtemps séparée puis jalouse, victime d’un cancer, qui lui demande de venir vivre près d’elle à Mexico. L’amour va naître entre elles deux de belle façon. Son grand-père, riche dentiste bordélique, lui demande un jour de l’aider à s’arracher toutes ses dents !
On retrouvera aussi l’univers hospitalier où elle a travaillé, parfois du côté des soignants, parfois du petit personnel, parfois des victimes, crack, mauvais traitements. Bien qu’elle ait vécu quelques temps avec les moyens, elle raconte plutôt les précaires, les univers décadents, les difficultés de la vie, qu’elle a beaucoup côtoyés. Il y a de tout.
En vrai, elle a épousé plusieurs hommes, souvent des artistes, sculpteurs, musiciens dont elle a eu plusieurs fils, mais elle néglige ces milieux aisés, en tout cas dans ce recueil, et nous montre des compagnons moins enviables. Cependant, le corset horrible qu’elle doit porter en permanence depuis l’enfance trouve place dans ses histoires, comme la prison et ses ateliers d’écriture, l’alcoolisme, dont elle-même comme son entourage furent victimes. Ce livre est aussi l’état des lieux décapant d’une certaine Amérique, étalé sur une vingtaine d’années, de 77 à 99.

Manuel à l’usage des femmes de ménage (A manual for cleaning women), de Lucia Berlin, de 1977 à 1999. Traduit de l’anglais par Valérie Malfoy.  2017 aux éditions Grasset. 558 p., 23 €.

Ciseaux : un livre pour les fans de Raymond Carver

Raymond Carver est un auteur de nouvelles aussi  appréciées que le sont les peintures de Hopper. Tout le monde les aiment.
Un livre, Ciseaux, vient de sortir et l’auteur, Stéphane Michaka, nous fait revivre, de manière  semi-fictionnelle, les relations entre Carver — Raymond dans le livre —  et son éditeur. Et aussi ses deux femmes. Chaque protagoniste racontera une part de l’histoire. Deux nouvelles de Carver sont intégrées au livre.
L’éditeur de Carver est surnommé Ciseaux dans le milieu car il est réputé pour enlever la graisse, toute la graisse, des nouvelles qu’il édite. Il peut aller jusqu’à l’os et ça fait mal. Ça fait mal à Raymond qui ne reconnaît plus ses petits, ça fait mal à sa femme qui a toujours cru en son talent et qui voit dans ces coupes une mutilations, ça fait mal à la deuxième femme qu’il aura, pas longtemps puisqu’il mourra très vite.
Mais c’est grâce à Ciseaux que Raymond jouit d’une grande notoriété, d’où les rapports ambigus entre deux personnages. Même quand Raymond le supplie de ne pas toucher à un texte, il le retrouve, quelques temps après, amputé de plus de la moitié, avec un titre qui ne lui plaît pas.
Et Raymond boit. Boit trop. Marianne, sa première femme qui a abandonné ses études à cause de la naissance précoce de leurs deux enfants, subit avec patience les infidélités et les absences de celui qu’elle aimera inconditionnellement.
Raymond boit et c’est pour ça qu’il ne peut pas se lancer dans le roman : trop d’attention qu’il ne possède plus.
Il rencontre une femme, une fan, qui va lui redonner le goût neuf de la vie et de l’amour.
Mais cela ne résout pas ses problèmes avec Ciseaux. Un peu avec l’alcool puisqu’il finit par y renoncer. Mais, atteint d’un cancer du poumon qu’il sait incurable, il va épouser cette femme avant de mourir.
Cette poétesse devient ainsi son exécutrice testamentaire, coutisée par Ciseaux  pour qu’elle lui cède les inédits de Raymond. Elle refuse et déclare qu’elle fera publier les textes de Raymond dans leur intégralité.
( Ces textes originels existent, ils sont sortis en France l’an dernier, je ne les ai pas encore lus. Je ne connais que les nouvelles de Carver éditées par « Ciseaux ».)
Je vous parle de ce livre d’une façon assez plate, il y a des jours où je suis moins en verve, mais je vous assure qu’il est pétillant, plein d’esprit et d’une écriture plus qu’agréable.

Ciseaux de Stéphane Michaka aux éditions Fayard, 2012. 264 pages.
Interview de l’auteur ici

Texte © dominique cozette

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