Qui n’a pas aimé les nouvelles de Raymond Carver, ce génial écrivain américain qui a su décrire son Amérique de son point de vue, celle des petits, des sans grades, des employés, des chômeurs, des alcooliques, des précaires, des malheurs de vivre ? Il avait de la matière pour cela, mais surtout, une détermination incroyable et une foi inextinguibleen lui comme écrivain.
Rodophe Barry s’est non seulement attelé à la tâche de retrouver le chemin sinueux parcouru par l’écrivain mais il nous a livré sa vie de souffrances sous forme d’un récit extraordinairement vivant, dans Devenir Carver.
Car oui, devenir Carver n’a pas été une mince affaire. Après une enfance moyennement heureuse entre un père taiseux, dépressif et une mère acariâtre qui sera longtemps un poids, il rencontre une jeune femme qu’il met enceinte puis épouse, il deviend père à 19 ans puis à nouveau à 20. Il lui faut alors subvenir aux besoins de cette petite famille qu’il aime mais qui est source de contraintes énormes.
Comment écrire alors quand il faut trouver des petits bouleaux merdeux, bosser comme un fou, déménager sans cesse pour tenter de repartir de zéro, trouver des logements pas trop glauques (mais ils le sont toujours), comment placer ses poèmes dans des revues quand il ne reste que la nuit pour écrire ?
Ce qu’il endure durant vingt ans est tellement difficile qu’il n’y a que l’alcool qui puisse le consoler. Un poison total, une descente aux enfers qu’il essaie souvent d’éradiquer mais n’y arrive pas. Sa femme l’aime, fait tout ce qu’elle peut pour assurer le quotidien, renonçant à ses études de droit, devenant serveuse ici et là.
Il pose néanmoins quelques mini- jalons sur la route du succès grâce à la foi que lui accorde un éditeur ami. Cet éditeur qui réussit à le faire publier en taillant dans ses textes, changeant des titres, des fins, des passages. Couleuvres à avaler. Et alcool, toujours. Mais sa cote monte. Et ses enfants trinquent, en plus, drogue et alcool et compagnon violent pour sa fille.
Un jour, il rencontre une autre femme. Et il arrête de boire. Totalement. Il change de vie. Les choses s’arrangent, sauf pour sa première femme si malheureuse d’être quittée (c’est dur, vu les sacrifices qu’elle a faits pour sauver leur couple et la vocation de son mari). Ils resteront toujours en bons termes.
Dorénavant, il donnera le meilleur de lui-même, non sans continuer à passer d’un état à l’autre, de bouger et de subvenir aux besoins de tous les membres de sa famille qui lui sucent le sang depuis qu’il a accédé à la gloire. Malheureusement, avec tout ce qu’il fume, il se tue à petit feu et mourra à cinquante ans, satisfait d’avoir réussi à mener sa vie d’une bonne façon.
Histoire dure et magnifique qui m’a donné envie de relire ses nouvelles, surtout la réédition de ce qu’il avait écrit à l’origine.
Devenir Carver par Rodolphe Barry, 2014. 304 pages, 21 €
texte © dominique cozette