La force de Benameur

Oui, très fort, son dernier livre Profanes. J’y suis entrée sur la pointe des yeux car sa prestation à la Grande Librairie ne m’avait pas vraiment donné l’envie. J’ai pris le livre à la médiathèque et là, j’ai plongé. Un grand plongeon, pas de ceux qui font splash sur la chaîne du temps de cerveau disponible, ceux qui vous entraînent malgré vous vers un univers mystérieux, sensible et équivoque. Au plus profond du fragile et de l’intime.
Le héros est un vieux monsieur de 90 ans, ancien grand chirurgien du coeur , qui n’a pas digéré la mort de sa fille Claire à dix-huit ans et  le départ immédiat de sa femme qui, elle,  n’a pas compris son désir de retrouver la vie au fond de ses entrailles.
Il possède une grosse bâtisse qui aurait dû abriter une joyeuse famille mais la machine à bébés n’a plus fonctionné après la naissance de Claire. Le grand parc qui l’entoure recèle une cabane en bois, jamais rouverte, qui était celle de Claire. Il lui faudra pourtant y retourner avant le dernier grand saut.
Pour rouvrir le temps d’avant, ou percer le mystère de l’attachement, ou retrouver l’âme de ce qui a été vécu ou en retisser le lien, Octave Lassalle passe une étrange annonce pour trouver les quatre personnes qui vont, de leurs blessures jamais fermées, de leur pudeur mutique, de leur intuition secrète, l’accompagner dans la quête impossible de l’amour de sa fille, d’autant que la mère, pour le punir, a tout emporté d’elle, sauf une photo.
Tout ?
Ils l’aideront à se pencher sur le dernier vestige de Claire, comme un testament qui l’aidera, on non, à faire son deuil et vivre la toute dernière miette de sa vie.
Passionnant, attachant, original, sombre et lumineux, parfois friable aussi avec un côté éthéré dans le bon sens, comme un rêve puissant qui continue à  vivre malgré le réveil.

Profanes de Jeanne Bénameur, aux Editions Actes Sud, 2013. 280 pages.

Texte © dominique cozette

Toujours aussi singulière, Jeanne Benameur !

Des amies m’ont fait découvrir cette auteure il n’y a pas si longtemps avec le superbe livre les demeurées qui contre les rapports d’amour entre une mère et sa fille, deux sauvageonnes marginales où vient se glisser la bonne conscience d’une assistante sociale pour leur grand malheur. Eloigner la fille de la mère par la différence du savoir qu’elle ramène de l’extérieur, et de l’extérieur aussi qu’elle rapporte à la maison, collé au petit cartable qui semble une muraille d’incommunicabilité définitive entre ces deux êtres exclus(ifs). La petite fille trouvera une très belle façon de se sacrifier pour sauvegarder le lien. A lire absolument, l’écriture est magnifique !
Les insurrections singulières sont taillées dans la même étoffe, les vies de peu, le lien ou le non-lien, les amours impossibles, le savoir et ses dégâts collatéraux. Le héros, Antoine, quarante ans, revient vivre chez ses parents, ouvriers à la retraite, parce qu’il s’est pris un énorme râteau avec celle qui semblait être la femme de sa vie, enseignante, touchée par le côté prolétaire de son amoureux. Parce qu’Antoine a refusé les études, contrairement à son frère qui a une belle situation, une femme, des enfants, une ligne de vie. Antoine a été plaquée parce que Karima, au bout de quatre ans, s’est lassée de l’ouvrier sans discours, sans militantisme, sans besoin d’en découdre, ne lisant pas non plus et toujours en retrait.
retourné à l’usine sur les traces de son père, menacé de licenciement pour  cause de délocalisation et mondialisation, usé de n’avoir plus de désir, laminé par la perte d’amour, il accompagne sa mère au marché de Montreuil où elle vend gaiement de la mercerie. A côté, un vieux sympa style bouquiniste qui réussit à le faire s’intéresser à quelque chose : l’histoire du fondateur de son usine qui créa une ville à son nom au Brésil. Le désir (de bouger) lui vient d’un coup. Il prend ses indemnités et, accompagné du vieux Marcel, se rend au Brésil où il va enfin vivre sa révolution personnelle.
Ce livre, c’est une ambiance, une sincérité, une vague tristesse et surtout une belle plume. Ses sans grades sont touchants, dignes et partageurs.

Les Insurrections singulières de Jeanne Benameur chez Actes Sud 2011, 200 pages. Les Demeurées, Denoël 2001.

Texte © dominique cozette

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