Angot angoisse

Encore un livre sur l’inceste qu’elle a subi, de longues années, avec de longues pauses, mais que la puissance paternelle continue à imposer vaille que vaille, même lorsqu’elle est adulte et mariée, que son mari est au courant, qu’ils sont dans la même maison. Ce que veut la jeune Christine pas encore Angot ou déjà écrivaine ? Des relations « normales » avec un vrai papa, cet homme marié ailleurs qu’elle découvre à l’âge de treize ans et qui entreprend d’en faire sa chose dès le début. Il y va piano mais sano, et elle, petite, ignorante, admirative de ce monsieur si bien, si beau, si important, il est au Conseil de l’Europe et parle une trentaine de langues, ne cesse de l’aimer follement malgré ses glissements destructeurs. Toujours, lorsqu’ils se voient, elle lui fait promettre de ne pas la toucher mais c’est plus fort que lui, il continue d’avancer dans le corps de sa fillette, inventant des jeux sexuels qu’elle a « la chance » de vivre, la sodomisant sans vergogne car il est persuadé que c’est une expérience fantastique de l’être par lui, son père adoré.
Christine Angot a déjà raconté cela mais la nouveauté, ce n’est pas la description chirurgicale des agressions qu’elle passe sous silence mais leurs résultantes des années plus tard. Ses pathologies diverses, boulimie, anorexie, impossibilité d’avoir une ambition de vie. Elle est cassée de l’intérieur. Ses relations sexuelles sont généralement catastrophiques ou douloureuses. Elle s’est mariée à un homme patient, élégant, intellectuel et compréhensif mais après quelques années de relations calamiteuses, il a du mal à savoir s’il l’aime toujours. Pourtant, il est là et lui promet de toujours l’aider quoi qu’il arrive. Pourtant, il ne se battra pas contre le père quand il œuvrera jusque sous son toit, il laissera faire, pensant que c’est l’attitude séante.
Quand la mère de Christine, remariée,l’apprend, elle est immédiatement atteinte de salpingite.
Ce qu’Angot réussit dans ce livre, c’est l’analyse de l’inceste comme processus de destruction de la victime : « L’inceste est une mise en esclavage. Ça détricote les rapports sociaux, le langage, la pensée…vous ne savez plus qui vous êtes, lui, c’est qui, c’est votre père, votre compagnon, votre amant, celui du côté de la mère, le père de votre sœur ? L’inceste s’attaque aux premiers mots du bébé qui apprend à se situer, papa, maman, et détruit toute la vérité du vocabulaire dans la foulée. »
Il faut voir comment elle s’est décidée à porter plainte juste avant la limite de prescription de viol sur mineur, dix ans après la majorité. A 28 ans, donc. Elle a raconté toute l’histoire à un policier mais lorsqu’il lui apprend que, faute de preuve tangible, il pourrait y avoir un non-lieu, elle ne supporte pas. Un non-lieu, ça voudrait dire que rien de tout ça n’a existé, c’est impossible que tout cela disparaisse sans laisser de traces, à part sa propre destruction.
Ce livre devient donc très intéressant à partie de la deuxième partie, ce qu’on ne sait pas des viols subis, les raisons qui font que majeure, elle recommence malgré ses efforts à céder à son père, ce qu’il se passe dans sa tête, la souffrance qu’un tel inceste génère. Même si on n’est pas fan de la personne, on peut apprécier ce que son histoire nous laisse entrevoir sur le drame de ces enfants abusés.

Le voyage dans l’Est, de Christine Angot. 2021. Editions Flammarion. 216 pages, 19,50 €

texte © dominique cozette

 

Singulières amours impossibles d'Angot

Car dans le « roman » de Christine Angot, Un amour impossible, on note le singulier alors que l’auteure tente de démêler les pelotes dont sont faites les amours principales qu’elle vit ou dont elle est témoin : l’amour d’une fille pour sa mère, d’une mère pour sa fille, et d’une femme pour un homme, le père de sa fille donc qui est aussi son violeur.
Ça m’ennuie de dire du bien de cette écrivaine qui fut tellement arrogante à une époque mais je dois reconnaître qu’elle écrit terriblement bien. Si on ne connaissait le nœud de l’histoire, l’inceste, on aurait l’impression d’avoir le décor et les personnages mais sans l’histoire.
Car le début est sobre : la rencontre entre cet homme qui se veut d’un milieu élevé et de cette très belle femme. Ils s’aiment et il la prévient qu’il ne l’épousera jamais. Il est cependant d’accord pour lui faire un enfant, Christine, donc, qu’il mettra du temps à reconnaître. Ils ne vivent pas dans la même région, se voient peu, parfois pas du tout jusqu’au jour où elle apprend qu’il s’est marié et qu’il aura des enfants. Effondrement.
Christine vit sa vie d’enfant dans ce que Rachel, sa mère, appelle une famille, elles ne sont que toutes les deux, éprises l’une de l’autre et confiantes, même si elles doivent déménager de la belle maison de la grand-mère décédée pour un appartement de la ZUP. Puis l’installation à Reims où Christine n’est plus née de père inconnu, où elle passe de Schwartz à Angot. L’irréparable se profile alors.
Puis la sale période entre elles deux, Christine ne peut plus dire maman, rester avec elle, manger avec elle. A cause des non-dits concernant l’inceste. La mère essaie inlassablement de réparer cet amour, de s’excuser de n’avoir rien vu, rien dit, rien fait mais ça ne recoud pas la plaie.
Enfin, bien plus tard, quand la mère a 80 ans, elles s’expliquent, elles peuvent en parler, Christine a trouvé sa théorie sur le pourquoi de cet inceste. Qui a quelque chose à voir avec le fait que Rachel est juive et modeste, ce qui cadre parfaitement bien avec les souvenirs enfouis. Car, depuis l’inceste et aussi son mariage, Rachel n’a plus voulu évoquer cet homme qu’elle avait tant aimé. Sa mort l’a laissée indifférente.
C’est donc la fin du livre, sa résolution, pourrais-je dire, qui donne tout le piment à l’ouvrage, qui explicite la sorte de tranquillité apparente du début. C’est une très belle fin, c’est finalement un livre superbement construit, comme un film au montage très cut, très méticuleux, qui laisse parfois sur sa faim tant il est taillé « au plus près de l’os » (comme on dit aujourd’hui) et qui n’ennuie jamais.

Un amour impossible par Christine Angot chez Flammarion, 2015. 218 pages, 18 euros.

Texte © dominique cozette

Angot-ass.

Ce jeu de mot m’a échappé, je voulais dire : angoisse. Donc, le livre de Christine Angot. J’y suis allée de mauvaise grâce. J’ai trouvé ce bouquin sur le présentoir de ma médiathèque, mauvaise nouvelle pour l’auteure car il n’arrive jamais qu’on trouve une nouveauté disponible avant quelques mois. Je ne l’aurais pas acheté car je n’aime pas Christine Angot, sèche, cassante, peu amène et chiante finalement. Pour moi, c’était encore un truc pour se faire remarquer. Un texte en colonne mince comme une misère, écrit gros pour mal-voyants, fin comme carpaccio de flétan. En plus, pas un paragraphe, tout enchaîné pour ne pas y glisser son marque-pages
Oui mais le livre ??? Ah, oui. Ça commence mal puisqu’elle doit manger un peu jambon sur un sexe en érection dans des WC. On se dit que le monsieur a le sens de l’humour mais en fait non.  C’est de  l’amour bien placé. Le monsieur c’est papa, la jeune fille c’est Christine Angot qui, passant quelques jours de vacances avec lui dans un bled pluvieux, doit assouvir ses besoins récurrents et priapiques. C’est pas drôle, pas érotique, pas amusant. Monsieur papa se prend pour un homme délicat en ce sens qu’il éduque la sexualité de sa fille tout en respectant une sorte de promesse de bonne conscience : ne pas pénétrer son vagin avec le sexe pour en laisser la primauté au futur premier amant. Mais avec les doigts, il ne se prive pas.  Sexe oral tous les matins, la nuit aussi, l’empêchant de dormir, au volant, n’importe quand. Sexe anal, il fait de son mieux pour y arriver mais la petite est rétive et contractée.
Il lui parle en baisant de ses autres femmes, ce qu’elles aiment faire, comment elles sentent, et les compare à elle, sa petite préférée, celle à qui il peut tout dire sans crainte. D’elle, on ne sait rien. On devine à quelques hauts le coeur, positions inconfortables, demandes pour avoir une journée « sans » qu’elle vit très mal la chose, en même temps qu’elle n’aime pas que son père se fâche après elle (syndrome de Stockholm, ce genre), ce qui arrivera une première fois où elle rattrapera sa mauvaise volonté pour le faire revenir à elle, puis une seconde où, après lui avoir raconté un rêve qu’il n’apprécie pas du tout (on ne connaîtra pas le rêve), il décide que les vacances sont finies, réunit en toute hâte leurs affaires, l’abandonne sans un geste tendre à la gare  où elle devra attendre trois heures son train, sans argent pour manger. Alors elle parle à son sac.
Un livre très désespéré qui situe la victime de cette relation odieusement barbare au rang des objets sans intérêt, qu’elle décrit comme elle se décrit dans la chambre, la position de ses jambes, l’abat-jour, la pluie dehors. L’obsédé sans vergogne qui ne pense qu’à jouir — il ne pense vraiment qu’à ça — sans considérer le prix payé par sa fille pour son désir sans fin, l’asservissement total à la figure d’autorité qui par ailleurs lui parle culture et  littérature, tout en fait un livre extrêmement fort sur le mécanisme sexuel de l’inceste. Rien n’est dit du ressenti.
Mais comme il s’agit de Christine Angot, l’exhibitionniste Christine Angot, je ne peux m’empêcher d’y voir plus de provocation que de sincérité. Je me sens à mon tour manipulée par l’affaire, tombée dans le piège du voyeurisme malsain.  Littérairement parlant, ce n’est rien,  c’est propre, il y a des mots bien choisis, des virgules bien placées. Peu ou pas de points-virgules, ça tombe bien, je n’en suis pas fan. C’est vite lu, ça ne pèse pas dans le sac, et comme vous le constatez,  ça fait gloser.

Une semaine de vacances de Christine Angot aux éditions Flammarion, 2012. 140 pages.

texte © dominique cozette

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