Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

C’est le titre. J’aurais pas trouvé mieux pour vous accrocher. J’aurais mis au féminin  puisque cette une femme et qu’en anglais, la question ne s’est pas posée.
Un livre très fort avec quelques faiblesses. Comme tous les forts. En fait cette nana, Jeanette Winterson, l’auteur, écrit sa bio, enfin la continue puisqu’elle l’a déjà commencée  dans Les oranges ne sont pas les seuls fruits, qu’elle cite assez souvent et que je n’ai pas lu. Pas encore. Elle explique quelque part dans le bouquin qu’elle ne sait jamais à l’avance ce que le livre qu’elle commence deviendra, elle écrit comme ça vient et voilà. Ça se sent car il y a des passages un peu bof MAIS mais mais, le livre est quand même franchement bien.
Le début démarre en trombe avec une causticité énorme pour évoquer son enfance minable dans sa famille (ce mot ne convient vraiment pas) adoptive. La mère est une ménagère frigide qui fait tout un tas de choses la nuit pour éviter d’être dans le lit conjugal, une bigote déplorable et cruelle qui ne cesse de punir cette enfant qu’elle regrette d’avoir prise. Car ils se sont trompés de berceau comme elle dit. Ah, si ça avait été Paul (mais qui est ce Paul), comme la vie aurait été plus belle ! Donc Jeannette passe beaucoup de temps dehors, à la porte, comme on dit au coin, dans le froid et la misère. Le père, lui, est un être falot qui n’ose rien dire à ça, il craint la harpie. Harpie qui a deux dentiers : l’un, mat, pour la vie de tous les jours, l’autre, « perlé », pour les sauteries à la paroisse.
Et puis, à l’adolescence, Jeanette se découvre homosexuelle. Déjà que sexuelle c’est la fin du monde, homo c’est pire que tout, ce qui lui vaut d’être virée de chez elle à 16 ans, sans rien, sans savoir où aller. Bref, galère.
Là où le livre, perdant de son acidité, devient émouvant, c’est lorsqu’elle se met en quête de sa mère biologique. Mais beaucoup plus tard, passé la quarantaine. Une mère qui ne l’a pas jetée si malproprement que ça puisqu’elle l’a allaitée six semaines, apprend-elle des services sociaux. N’empêche. Elle retrouvera sa trace mais c’est un vrai chemin de croix. Le livre devient terriblement émouvant quand elle appuie là où ça fait mal, ce terrible « on ne m’a pas voulue » dont on ne guérit pas,  quand sa souffrance est niée par l’administration qui ne lui ouvre pas le dossier qui est là, sur la table, quand la peur de voir celle qui l’a mise au monde la cloue littéralement au moment d’y aller. Quand elle touche du doigt l’amour après la profonde blessure qui ne lui a pas permis de bien se construire. Quand elle se rend compte qu’on l’attend, que c’était à elle de faire le chemin. Mais sans trop d’effusions, avec méfiance quand même, la route a été tellement rude.

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeanette Winterson aux éditions de l’Olivier, 2012. 268 pages.

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