Le dernier Winckler, livre d’humanité et d’engagement

Martin Winckler est médecin, vous le savez sûrement. Il a écrit des livres puissants (entre autres, le formidable choeur des femmes, et la maladie de Sachs, monté en spectacle et joué avec talent par Dupontel) comme ce dernier ouvrage, d’une sensibilité totale. Il porte sur la douleur, la fin de vie, l’apaisement final.
C’est un roman d’imagination — avant de voir l’entretien ci-dessous, j’avais cru à des souvenirs professionnels — qui met en scène un professeur de médecine, André, qui demande à un ancien élève de l’aider à passer le cap. Car il a besoin de quelqu’un comme lui pour se confier, confier son secret de vie, et partir en paix.
Le narrateur est un médecin engagé contre la douleur, quelle qu’elle soit, même dans la tête car une douleur reste une douleur. Il va prêter assistance aux patients qui l’appellent « en souvenir d’André », c’est le mot de passe, et qui ne passent pas forcément à l’acte une fois leur douleur éteinte. Car ce docteur va devenir une sorte de dépositaire de la grande affaire de leur vie : des choses vécues qu’ils n’ont jamais avouées, ou jamais digérées, des raisons de mourir que leurs proches ne pourraient comprendre, des abcès à crever afin de s’alléger.
Avec sa mémoire légendaire, il va relater leurs histoires comme des testaments précieux, dans des petits cahiers bien rangés chez lui. Mais il va aussi payer de sa personne car sa démarche n’a rien d’anodin. Il va faire des rencontres hasardeuses ou miraculeuses, et leur contraire, les voir disparaître de sa vie.
Très beau livre sur un des thèmes cruciaux de notre société.
« Je ne vous raconte pas le monde tel qu’il est mais comme  je voudrais qu’il soit » : Martin Winckler parle de son livre

En souvenir d’André de Martin Winckler chez P.O.L, 2012. 196 pages.

Texte © dominique cozette

Mieux que mélo, Patricia Melo

C’est le troisième polar de cette nana que je lis et franchement, je m’en félicite comme ils disent dans les milieux politiques pour se faire mousser à propos de choses qu’ils n’ont pas faites. Mais moi, je l’ai lu et bien lu sous l’oeil suspicieux de mon voisin de pieu qui craignait que je ne l’appréciasse pas suffisamment, me demandant souvent, tel un tomtom ou à la rigueur un ancien de la Stasi, où j’en étais car c’est vrai que même si tout est très fort, il arrive un moment où le héros nous instille une trouille de tous les diables et on a vraiment les chocottes pour lui. Faut dire qu’il est train de se mettre dans un pétrin, mes amis, qui ne ressemble pas à celui de votre mitron de noël préféré.
Pourtant, ça commence gentiment, aux confins du Brésil et du Paraguay où il s’est réfugié , fuyant une faute professionnelle involontaire mais grave, qui a ruiné sa carrière. Se reposant près du fleuve, il entend un énorme bruit. Se précipite et découvre un avion de tourisme échoué dans l’eau. Il veut sauver le pilote, touché au front, mais celui meurt dans ses bras. Ne réussissant pas à ramener le corps à terre, il part chercher du secours. Mais lorsqu’il revient, le corps a disparu. Reste un sac à dos. Dedans, de la dope. Qu’il va planquer  en attendant de voir  comment se remettre en selle.
En même temps, il fréquente une jeune femme amoureuse et probe, flic devenue chef du service médico-légal, et craque pour une dingue, malgré lui toujours, qui fout un sacré bordel dans sa vie. Et c’est tout a fait par hasard qu’il est engagé comme chauffeur des riches parents du pilote disparu. Evidemment, il ne leur dit rien, même s’il éprouve une sérieuse empathie pour la pauvre mère désespérée qui ne peut faire son deuil et espère son fils vivant.
Un peu comme dans la série Braco, à chaque fois qu’il entreprend une action pour se tirer de d’embarras, il creuse un trou de plus en plus profond, de plus en plus dangereux et de moins en moins moral alors qu’il est l’honnêteté même. N’oublions pas que le business de la drogue qui s’épanouit dans cette jungle hostile n’est pas fait pour les mauviettes. Et que la corruption, il n’y a que les nouveaux-nés qui ne la pratiquent pas.
Extra.

Le voleur de cadavres, 2012 pour l’édition française chez actes noirs d’Acte Sud. 220 pages.

Texte © dominique cozette

Nick Flynn et son torture-test

C’est le deuxième opus de notre homme Flynn qui avait commis le très fort  « encore une nuit de merde dans cette ville pourrie » où il racontait comment il avait retrouvé son père dans un carton à la rue alors qu’il bossait dans un samu social.
De nouveau, il écrit sur lui, il écrit surtout sur ses questionnement. Une enfance pourrie, une mère qui s’est suicidée, une vie d’addiction à toutes sortes de saloperies, un père idem mais en pire, qu’il ramasse dans la rue dans le livre précédent et qu’il essaie de sauver encore dans celui-ci.
Actuellement clean, à part quelques petits rails par ci par là, il attend avec angoisse son premier enfant. C’est une fille. L’angoisse, c’est de ne pas savoir s’y attacher, de rester indifférent. Il aime la mère, il l’a aimée en même temps qu’une autre femme, c’est la grossesse qui a déterminé du choix entre elles.
Mais le thème majeur du livre est la torture. Lorsqu’il découvre que non seulement la torture est largement pratiquée par son pays, mais encore étudiée, peaufinée, il na de cesse de se renseigner sur le sujet, la prison irakienne d’Abou Ghraïb, les soldats hommes et femmes humiliant les prisonniers par des techniques éprouvées. Pour se laver de cette extrême mauvaise conscience, il se rend à Istanbul pour y interviewer des victimes de ces actes sans nom.
Ce livre est composés de fragments, il n’est pas linéaire. La date apparaît à chaque début de chapitre et l’ordre chronologique n’est pas respecté mais qu’importe, on ressent d’autant plus fort l’humanité impuissante de l’auteur. On y touche aussi du doigt l’évolution psychologique du futur père par rapport au sien qui n’avait pas l’air si  heureux de le tenir sur ses genoux sur une photo retrouvée. Alors que de lui émane un tel bonheur total …  sur les toutes premières photos. Car ensuite, plombé par les nuits blanches, c’est visible, il se demande si son père n’était pas juste fatigué, comme lui.
Très beau livre.

Nick Flynn. Contes à rebours, 2010. 2012 pour l’édition française chez Gallimard. 324 pages dont plein de notes intéressantes à la fin.

Texte © dominique cozette

Le premier livre de Julia Deck : sanglant !

C’est un petit livre de la collection de minuit, le titre est pénible à retenir car il s’agit d’un  nom composé de  trois : Viviane Elisabeth Fauville, mais on y rentre comme dans du beurre battu en Chantilly, bien sûr je sais que c’est avec de la crème fraîche, mais entrer dans la crème fraîche, ça ne se dit pas, et puis la confusion mentale fait partie du livre.
Donc on suit cette nana trentenaire dans son petit trois pièces où elle essaie de harponner quelques faits de sa mémoire flanchante tandis qu’apprend à vivre sa petite de deux mois, sage et ordonnée. Que s’est-il donc passé ? Oh, de sacrées choses ! Figurez-vous qu’elle a trucidé son psy avec le couteau que sa mère lui avait acheté, jadis, et qu’elle avait récupéré subrepticement chez son mari qui venait juste de la plaquer pour une jeunette.
Comment vivre avec ça ? C’est tout le problème de Viviane. Elle passe tellement inaperçue, elle est tellement transparente, insignifiante, dispensable que les soupçons sur elle sont plus que légers. Et ça, c’est pas bon pour le moral.
Et puis il n’y a pas que ça, il y a cette fille de talent qui l’a remplacée durant son congé maternité et que son patron trouve efficace, il y a ces vertiges qui surviennent et la font transporter dans des lieux de soin, il y a son ex à qui elle n’a rien demandé bien que ce fût le fuyard mais qui réclame le bébé et veut lui rendre le chat de sa mère, il y a que sa mère ne peut pas lui servir d’alibi, et pour cause, la pauvre.
Alors pourquoi va -t-elle, sous le nom d’Elisabeth, trouver d’autres patients du psy, suspects autant qu’elle, ou sa veuve qui s’envoyait en l’air avec quelqu’un d’autre, ou cette patiente par lui engrossée et sur le point d’accoucher ?
Un livre bien foutraque, amusant, incisif où la narratrice peut devenir la spectatrice, ou la victime muette de l’histoire, où l’on picore à loisir des miettes de thriller psychologique, de roman noir, de récit de société.
Bref, un très bon premier roman !

Viviane Elisabeth Fauville de Julia Deck, chez Minuit, 2012. 156 pages.

Texte © dominique cozette

Venez nombreux, OK, mais comment qu’on fait ?

Quelle drôle d’expression ! Qu’on m’incite à venir habillée, nue, maquillée, repue, fatiguée, en couple, avec mes enfants, en métro, pas trop tard, comme je suis — mais ça c’est Mc Do et je ne vais jamais au Mc Do —à petits pas, les mains vides, à la bonne franquette, sans rien préparer, vite …  tout ça, je sais faire, ça roule.
Je suis même parfois venue sans qu’on m’attende, c’est très gênant pour les deux parties, je suis aussi venue avec armes et bagages mais c’était durant une guerre sans nom, la guerre des sexes si vous préférez. Je suis venue comme ça, oui, comme ça, c’est gonflé mais je l’ai fait. Je suis venue la gueule enfarinée, ce qui est le plus sûr moyen de repartir la queue entre les jambes. Je suis venue te dire que je m’en vais, parfaitement, il n’y avait pas de SMS ni de tweet pour l’annoncer, fallait le faire de visu pour bien l’entériner. Puis je suis venue à maturité, très récemment et sans savoir pourquoi, je ne sais pas comment je dois le prendre.
Si on me demande de venir en rang(s) serré(s), ça devient limite car est-ce un rang qui est serré ou plusieurs. Quoi qu’il en soit, ça présuppose la formation d’un groupe pour réussir le truc, or je déteste me balader en troupeau.
Reste le « venez nombreux », fréquemment entendu à la télé pour des promos portes ouvertes, destockages massifs et autres événements exceptionnels. J’ai bien essayé, une fois. Je me suis dit : viens nombreuse, viens nombreuse. Quoi que bizarre comme injonction, je me suis postée devant la glace en la serinant pour voir si je devenais nombreuse. Que pouic. Je demeurai seule et unique. Je ne suis donc pas venue et d’ailleurs, tout le monde a fait comme  moi : on n’est  pas venus nombreux, ce fut un flop total.

Mais que ceci ne vous empêche pas de venir nombreux mercredi 19 à la librairie du théâtre du Rond-Point, de 19 à 20h. 30, où aura lieu la fête de lancement du livre « Vents Contraires », blog agité du théâtre dans lequel j’ai l’heur d’apparaître aux côtés de sacrées pointures et de gros niqueurs qui seront forcément venus nombreux, sinon, tu la vois celle-là ?

Texte © dominique cozette

Pauline Klein, faussaire de faux airs

En quatrième de couv, il y a juste une chiure de mouche :  Qu’est-ce qu’on y peut. Pauline Klein.
Pauline Klein s’affranchit d’une ponctuation bien pensante qui appellerait des guillemets et au moins un point d’interrogation. Bon début.
Alice Kahn, titre de ce livre, est son premier roman. J’avais adoré (et partagé récemment sur ce blog) son second ouvrage d’où intérêt vers le premier. Hé bien je ne suis pas déçue. Pauline Klein est une écrivaine du vide à remplir, de la transparence à révéler, de l’identité à réinventer, de l’art conceptuel à appliquer. C’est de la dentelle de cerveau qu’elle nous envoie phrase après phrase, du bizarre, de l’incongru, de l’inventif, du réjouissif.
Quand ça commence, elle est au bistro d’en bas, en short, en rien. Un type s’approche d’elle en disant Anna ? Elle dit oui. Et s’empare de cette vie de faussaire à créer, de faux airs à ajuster, à construire en fonction des attentes du  jeune homme, photographe, en tentant de deviner ce qu’il sait déjà et ce qu’elle peut façonner. Tout ce petit monde gravite dans l’artistique. Ce qui permet à la fausse Anna de lancer sa fausse Alice Kahn, une artiste qu’elle invente chaque fois qu’on lui pose des questions sur ses préférences artistiques.
Un jour, elle décide de rendre sa liberté à Anna, après que William lui ait donné une photo d’elle, d’Anna en fait. Elle l’encadre la place subrepticement dans une galerie. Puis va l’acheter (cher). Puis reprendre sa vie transparente, sans relief, sans intérêt et constater que c’est le moment que choisit William pour enfin la prendre en photo.
Il y a toutes sortes de niveaux de lecture dans ce petit livre très riche, plein de signifiants, de tiroirs, d’entrelacs. C’est un réel plaisir que de les déchiffrer  !

Alice Kahn par Pauline Klein, chez Allia. 2010. 126 pages

Texte © dominique cozette

 

Un peu de Duchamp dans ce monde d’art brut

C’est un livre de Serge Bramly qui raconte un épisode de la vie de Marcel, à partir de 1942, lorsqu’il s’évade du pays en guerre pour se poser un moment à Casablanca avant de se fixer aux Etats-Unis où ses oeuvres ont connu un vif succès. Le livre n’est pas un fragment de biographie, c’est biaisé.
Alors je recommence. C’est l’histoire d’un monsieur qui tient un bar au Maroc où ses amis, juifs marocains, jouent aux cartes tous les jours. Cet homme affable et élégant accueille Duchamp dont il ne connaît pas la réputation d’artiste, dans une grande salle de bain inoccupée où Marcel va entasser des choses dans la baignoire pour y dormir. En même temps,  ce lieu est un QG de résistance où se trament quelques actions secrètes que personne ne doit connaître. Ce sera l’occasion pour Duchamp d’aller voir ailleurs s’il y est, notamment au bordel d’où il tirera de nouvelles inspiration. Le jeune homme qui l’y emmène est le fils du propriétaire du café.
Mais un tiroir s’ouvre dans le livre. C’est encore une autre histoire : celle de la petite-fille du jeune-homme devenu vieux, auquel un biographe de Duchamp essaie de tirer les souvenirs de ses trois semaines marocaines. Et voilà-t-il pas que la petite-fille, une jeune femme, que cette histoire n’intéressait pas, apprend que son grand-père possède quelque chose de Duchamp. De plus, elle s’éprend du biographe et sait qu’ils auront une belle histoire ensemble.
C’est un roman très alerte, original, dépaysant, on apprend pas mal de choses sur l’artiste lui-même et on voit du pays. Quoi de plus pour passe un excellent moment?

Orchidée fixe de Serge Bramly chez JC Lattès, 2012, 286 pages.

Texte © dominique cozette

 

Fermer l’oeil de la nuit ? Jamais, avec Pauline Klein !

Une petite merveille de petit livre. Le titre, déjà. La forme ensuite : un petit objet de 128 pages, satiné du dehors et du dedans, couleur crème, avec un visuel de couverture qui montre une scène inquiétante, du moins étrange, sans grand rapport avec l’histoire.
Il s’agit d’une femme poreuse, vide, qui semble très peu exister. Elle emménage dans un immeuble. En sortant du métro, elle suit un homme involontairement. Il habite juste au-dessus de chez elle. Elle découvre qu’il vit avec une femme, enceinte. Elle les entend, elle les guette à son oeilleton (l’oeil de la nuit ?), elle épie l’homme au café qui finit par lui parler. C’est un artiste. Son propos tourne autour de l’art contemporain, il lui décrit des concepts intéressants ou extravagants, dont il ne parle pas à sa femme. Sa femme, il la trouve un peu en-dessous, un peu vulgaire avec ses jupes courtes. Elle est écrivain. Un jour, il emmène notre héroïne dans son atelier. Ça pue grave. Normal, il travaille sur de la viande avariée, des têtes de poulets dressés etc.
Parallèlement, elle a appris sans en être sûre qu’elle a un demi-frère de son père. Son père est mort, sa mère aussi. Elle tente d’en savoir plus par une tante qui ne veut rien lui dire mais elle finit par trouver Denis. Denis est en prison. Elle attend d’être prête pour l’aborder. Puis entame une correspondance assez intello voire philosophique avec lui. Il est boucher…Mais ça marche, ils se comprennent, il va lui apprendre à ne pas vivre au travers des autres, à sortir d’elle-même comme lui s’extrait de son univers carcéral.
C’est un livre bourré de phrases inventives, d’idées suspectes, d’anecdote étranges. Une sorte de petit bijou qui donne envie de connaître l’auteure. L’auteure a écrit un livre avant celui-ci : Alice Kahn.  Avec le même éditeur.

Pauline Klein. Fermer l’oeil de la nuit, chez Allia. 128 pages, août 2012.

Texte © dominique cozette

La belle Hélène de Lionel Duroy

Le cahier de Turin, paru en 2003, tente de raconter  l’histoire de la petite famille de Lionel Duroy  avec sa seconde femme adorée, Hélène,  après dix ans de vie commune.
Il a connue Hélène par voisinage : sa fenêtre donnait sur le petit jardin de Duroy, au coeur de Belleville. Il avait d’abord remarqué le bel homme avec qui elle vivait et n’osait pas penser une seconde qu’elle pourrait s’intéresser à lui. Pourtant, elle le fit. Il était en convalescence de la rupture d’avec sa première épouse partie avec un métèque en emportant leurs deux enfants — Duroy est un homme qui adore ses enfants et s’en occupe comme une maman.
Au début du livre, il enjolive. Il dit à son ami qu’il est tombé amoureux très vite. Pourtant, il n’était pas curieux d’Hélène. C’est dix ans après, d’un seul coup, que ça le taraude car lui revient en mémoire que lors de leur première escapade, dans un hôtel de Turin, Hélène lui avait donné un cahier écrit tout fin où elle se racontait afin qu’il sache à qui il aurait affaire. Mais il négligea le cahier et s’en veut terriblement.
Dix ans après, il confesse à Hélène que pour écrire son roman sur elle, il faudrait qu’il retrouve le cahier, qu’elle l’avait sûrement rangé quelque part. Et là, il provoque deux vexations qui l’accablent : non seulement il a oublié le cahier à l’hôtel, mais en plus, elle le lui a déjà dit. Il est pétrifié.
En même temps, il conte ce qui se passe au quotidien, Hélène qui travaille pour une députée, rentre tard, circule pas mal, s’habille flashy, ne l’écoute pas quand il parle, mais possède une grâce qu’il n’arrive pas à définir et qui la rend craquante. Leurs deux fillettes qui ne s’entendent pas, la petite étant trop cool et joyeuse pour son aînée qui ne supporte pas qu’on ne se plie pas à tous les usages. Le grand fils du premier mariage apparaît parfois pour foutre son bordel de jeune homme mal réveillé.
Et puis la voisine, petite nana ronde pas très futée, qui a « succédé » à Hélène à son ancienne fenêtre, dont Duroy fait la connaissance et que la jalousie d’Hélène pousse à considérer comme un irrésistible objet de désir. Classique.
Mais il faut démarrer le roman et sans le cahier de Turin, rien n’est possible. Duroy va téléphoner à l’hôtel. Il a changé de propriétaire,  on lui donne le numéro de l’ancien. Cet homme est hospitalisé mais, comme lui dit sa fille, il ne jette rien donc il y a de fortes chances qu’il ait gardé le cahier. Il donne rendez-vous à cette femme à Turin le lundi suivant, on est jeudi. Et précisément ce jeudi, Hélène convainc son mari d’aller le week-end dans les environs de Pontarlier revoir la maison de son père. Qu’après, il peut les déposer au train pour continuer sur Turin.
Ce n’est pas une maison abandonnée ni en ruines, c’est là où vit sommairement un des frères d’Hélène. C’est là que Duroy va comprendre l’infime chose qu’il possède et qui a séduit sa femme, et c’est là aussi que le mystère du cahier va se dénouer.
Formidable livre qui montre qu’avec un talent exceptionnel, n’importe quelle histoire quotidienne peut devenir une merveille. (Ah que j’aurais aimé qu’un écrivain sensible comme lui fasse mon portrait ! Vanité !)

Colères, que j’avais lu en mars, résumé et vidéo ici vous donnera la suite de cette histoire, la douloureuse séparation d’avec Hélène, l’explosion de la famille et la triste rupture avec son fils devenu toxicomane.

Le cahier de Turin de Lionel Duroy, édition J’ai lu 2012, 247 pages, 7,10 €. La photo de couverture ne reflète absolument pas la légèreté du récit.

Texte © dominique cozette

 

 

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

C’est le titre. J’aurais pas trouvé mieux pour vous accrocher. J’aurais mis au féminin  puisque cette une femme et qu’en anglais, la question ne s’est pas posée.
Un livre très fort avec quelques faiblesses. Comme tous les forts. En fait cette nana, Jeanette Winterson, l’auteur, écrit sa bio, enfin la continue puisqu’elle l’a déjà commencée  dans Les oranges ne sont pas les seuls fruits, qu’elle cite assez souvent et que je n’ai pas lu. Pas encore. Elle explique quelque part dans le bouquin qu’elle ne sait jamais à l’avance ce que le livre qu’elle commence deviendra, elle écrit comme ça vient et voilà. Ça se sent car il y a des passages un peu bof MAIS mais mais, le livre est quand même franchement bien.
Le début démarre en trombe avec une causticité énorme pour évoquer son enfance minable dans sa famille (ce mot ne convient vraiment pas) adoptive. La mère est une ménagère frigide qui fait tout un tas de choses la nuit pour éviter d’être dans le lit conjugal, une bigote déplorable et cruelle qui ne cesse de punir cette enfant qu’elle regrette d’avoir prise. Car ils se sont trompés de berceau comme elle dit. Ah, si ça avait été Paul (mais qui est ce Paul), comme la vie aurait été plus belle ! Donc Jeannette passe beaucoup de temps dehors, à la porte, comme on dit au coin, dans le froid et la misère. Le père, lui, est un être falot qui n’ose rien dire à ça, il craint la harpie. Harpie qui a deux dentiers : l’un, mat, pour la vie de tous les jours, l’autre, « perlé », pour les sauteries à la paroisse.
Et puis, à l’adolescence, Jeanette se découvre homosexuelle. Déjà que sexuelle c’est la fin du monde, homo c’est pire que tout, ce qui lui vaut d’être virée de chez elle à 16 ans, sans rien, sans savoir où aller. Bref, galère.
Là où le livre, perdant de son acidité, devient émouvant, c’est lorsqu’elle se met en quête de sa mère biologique. Mais beaucoup plus tard, passé la quarantaine. Une mère qui ne l’a pas jetée si malproprement que ça puisqu’elle l’a allaitée six semaines, apprend-elle des services sociaux. N’empêche. Elle retrouvera sa trace mais c’est un vrai chemin de croix. Le livre devient terriblement émouvant quand elle appuie là où ça fait mal, ce terrible « on ne m’a pas voulue » dont on ne guérit pas,  quand sa souffrance est niée par l’administration qui ne lui ouvre pas le dossier qui est là, sur la table, quand la peur de voir celle qui l’a mise au monde la cloue littéralement au moment d’y aller. Quand elle touche du doigt l’amour après la profonde blessure qui ne lui a pas permis de bien se construire. Quand elle se rend compte qu’on l’attend, que c’était à elle de faire le chemin. Mais sans trop d’effusions, avec méfiance quand même, la route a été tellement rude.

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeanette Winterson aux éditions de l’Olivier, 2012. 268 pages.

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