Sale branding pour Brando

C’est pas que je raffole de Brando, j’apprécie surtout le verbe de François Forestier, spécialiste cinéma au Nouvel Obs. Enfin, du temps où je le lisais. FF vient donc de commettre un bouquin sur un si beau monstre qu’il présente « surtout pas » comme une biographie, mais le récit de la fabrication d’un monstre.
On en apprend en fait de bien belles qui ne sont pas du tout à l’honneur du personnage : c’est un craspec qui ne se lavait pas, puait donc, vivait dans un gourbi avec son raton laveur adoré, qu’il baladait partout mais dont il ne nettoyait jamais les déjections.
Il fallait avoir le coeur bien accroché dans tous les sens du terme pour oser entrer dans ses draps dégueu ! Il sautait sur tout ce qui bougeait, hommes et femmes, aimait particulièrement les brunettes typées, les Rita quoi. Il ne s’encombrait pas de savoir si c’était des femmes ou des mères d’amis et détestait les histoires sentimentales. Les hommes aussi tombaient comme des mouches, mais l’histoire ne durait pas. Tandis qu’avec les femmes et malgré lui, il entretenait diverses relations maritales, allait des unes aux autres sans état d’âme tout en se tapant la femme de ménage, la secrétaire, la barmaid qui passaient là.
Il a eu beaucoup d’enfants, on connaît la fin tragique de son fils Christian assassin, d’autres morts d’overdose ou suicidés, comme sa fille qui s’est pendue. Beaucoup de suicides d’ailleurs ont jalonné ses pas cruels. Il ne respectait rien, sauf parfois un réalisateur plus mâle dominant que lui et dont il craignait les coups. Il était lâche. Sinon, il a bousillé tous les tournages, il a humilié tous les metteurs en scène, producteurs, partenaires. Il faisait des blagues nases et vexantes pour écraser le moindre concurrent.
Bizarrement, il ne s’est jamais saoulé, il détestait l’alcool et les drogues. Au début, le sexe à haute dose suffisait à lui procurer sa dose. Plus tard, il a fallu compter avec la bouffe. Il est devenu addict aux ice creams et aux hamburgers que des voisins lui envoyaient par dessus sa clôture comme à un singe.
La seule chose positive, à part l’amour qu’il portait à sa mère avec qui a a dormi très longtemps, c’est l’amitié qu’il a entretenue avec Christian Marquant et sa soeur Nadine Trintignant. Il venait souvent à Paris faire la bringue avec eux. Il a même tourné docilement le long métrage très bizarre de son ami, qui a fait un sacré flop.
Bref, ce livre n’est qu’une énumération factuelle de turpitudes et j’ai été bien déçue de voir qu’il n’y avait aucune analyse sur la fabrication du monstre, et que le niveau d’écriture était plutôt plat. Un livre de commande ? Il reste les ragots un peu salés qui amusent un temps. Après tout, pourquoi pas why not. Pas chien, l’auteur donne les noms. Et il ne balance pas que sur Brando.

Un si beau monstre de François Forestier, 2013, chez Albin Michel. 280 pages de name dropping.

Texte © dominique cozette

Il y a cent ans, 14.

14 s’appelle le dernier ouvrage de Jean Echenoz. Un petit roman concentré et fulgurant sur la grande et terrible guerre. Je ne suis pas une fan absolue d’Echenoz et j’ai été scotchée par ce « torchage » d’histoire où, en 124 pages écrites très gros — pour les vieux peut-être — il narre une histoire personnelle, une rivalité fraternelle, une guerre impitoyable et une vie qui continue, semble -t-il, paisiblement.
L’espoir, le fleur au fusil, les pantalons rouges qui ne vont pas, le barda, la pluie, le froid, les poux, les rats, les bêtes qui crèvent et pourrissent, les hommes qui explosent sous les tirs, les morceaux d’eux partout, les rêves d’avoir une jambe ou un bras ou la moitié du visage arrachés pour sortir de ce merdier… Et pourtant, les descriptions sont là, de la ferme, de la gare, des lieux divers, des gens, les images sont prégnantes, c’est peut-être aussi d’elles que naissent les émotions.
C’est balèze.

14 par Jean Echenoz aux Editions de Minuit, 2012. 124 pages

Texte © dominique cozette

Invitez-vous à la table de Warhol et Burroughs…

… et je vous jure que vous allez vous marrer. La première conversation a lieu en février 80 au 65 Irving Street, près de la Factory. Elle réunit pour la première fois nos deux icônes qui deviendront amies, plus un journaliste de mode et l’instigateur de l’affaire, Victor Bockrisa. Et qu’est-ce qu’on raconte ? Rien de bien culturel, des gossips, des histoires de cul, des ragots sur les people, des considérations sur l’audace sexuelle des Anglaises et les dimensions de leur bite (sic) et de celle d’autres amis.
Le livre s’intitule Conversations et l’idée de Bockrisa, journaliste ayant travaillé à Interview puis à la Factory, était de se faire du fric en enregistrant des conversations avec des gens très en vue dans le milieu culturel et d’y inclure des photos de la scène. Pour faire un peu la nique à Truman Capote et à son style journalistique révolutionnaire.
Finalement, ça ne s’est pas réellement passé comme ça. Il a rallongé la sauce avec des anecdotes sur les uns et les autres, des choses intimes ou ordinaires plutôt intéressantes, drôles ou originales. En tout cas, la distance entre ces gloires et nous semblent définitivement abolies par ce point de vue. Les photos sont imprimées sur le même papier que le texte, et qui illustre exactement  : on y voit comment ils sont habillés, ce qu’il y a sur la table, quelle tête ils ont ce soir-là.

Le dîner d’après, organisé par Burroughs dans son « bunker », un loft sans fenêtre, est totalement raté. Le journaliste tenait à avoir Mick Jagger, familier de Warhol. Mais il n’a pas préparé d’interview et Mick lui en veut de se retrouver comme un con, avec Jerry Hall, devant un bout de pâté, un verre de piquette et une barquette de haricots verts froids. Alors le journaliste tente d’inventer un événement comme le 20ème anniversaire des Rolling Stones. Jagger dit que ce n’est pas possible, les années de concordent pas. L’autre se rattrape en évoquant les 20 ans du magazine Rolling Stone mais ça ne marche pas non plus. Des anges passent, l’ennui y est palpable comme on dit aujourd’hui, rien ne se dit d’intéressant, bref, la lose. Mais les photos sont marrantes, Jagger de de grosses joues.
Les deux autres fois  se passent mieux. On y croise Blondie, Lou Reed, Allen G. et quelques autres. On y parle de trucs assez hallucinants, on se décalque avec drogues et cocktails, le magnéto tourne… Même si un soir  Warhol s’isole dans son walkman, il participe quand on l’interpelle.
Les quatre rencontres entre le pape de la beat generation et le roi de la culture pop est fascinant par la spontanéité des échanges, la liberté des sujets et l’absence de formatage de l’ensemble. Et aussi pour les photos.
A avoir absolument quand on aime la culture américaine.

Williams S. Burroughs, Andy Warhol, Conversations, imprimé en police Tribute aux Editions Inculte Document, en 2012, 180 pages, 16 €. Ce qui ne fait pas cher la page !

Le dernier Winckler, livre d’humanité et d’engagement

Martin Winckler est médecin, vous le savez sûrement. Il a écrit des livres puissants (entre autres, le formidable choeur des femmes, et la maladie de Sachs, monté en spectacle et joué avec talent par Dupontel) comme ce dernier ouvrage, d’une sensibilité totale. Il porte sur la douleur, la fin de vie, l’apaisement final.
C’est un roman d’imagination — avant de voir l’entretien ci-dessous, j’avais cru à des souvenirs professionnels — qui met en scène un professeur de médecine, André, qui demande à un ancien élève de l’aider à passer le cap. Car il a besoin de quelqu’un comme lui pour se confier, confier son secret de vie, et partir en paix.
Le narrateur est un médecin engagé contre la douleur, quelle qu’elle soit, même dans la tête car une douleur reste une douleur. Il va prêter assistance aux patients qui l’appellent « en souvenir d’André », c’est le mot de passe, et qui ne passent pas forcément à l’acte une fois leur douleur éteinte. Car ce docteur va devenir une sorte de dépositaire de la grande affaire de leur vie : des choses vécues qu’ils n’ont jamais avouées, ou jamais digérées, des raisons de mourir que leurs proches ne pourraient comprendre, des abcès à crever afin de s’alléger.
Avec sa mémoire légendaire, il va relater leurs histoires comme des testaments précieux, dans des petits cahiers bien rangés chez lui. Mais il va aussi payer de sa personne car sa démarche n’a rien d’anodin. Il va faire des rencontres hasardeuses ou miraculeuses, et leur contraire, les voir disparaître de sa vie.
Très beau livre sur un des thèmes cruciaux de notre société.
« Je ne vous raconte pas le monde tel qu’il est mais comme  je voudrais qu’il soit » : Martin Winckler parle de son livre

En souvenir d’André de Martin Winckler chez P.O.L, 2012. 196 pages.

Texte © dominique cozette

Mieux que mélo, Patricia Melo

C’est le troisième polar de cette nana que je lis et franchement, je m’en félicite comme ils disent dans les milieux politiques pour se faire mousser à propos de choses qu’ils n’ont pas faites. Mais moi, je l’ai lu et bien lu sous l’oeil suspicieux de mon voisin de pieu qui craignait que je ne l’appréciasse pas suffisamment, me demandant souvent, tel un tomtom ou à la rigueur un ancien de la Stasi, où j’en étais car c’est vrai que même si tout est très fort, il arrive un moment où le héros nous instille une trouille de tous les diables et on a vraiment les chocottes pour lui. Faut dire qu’il est train de se mettre dans un pétrin, mes amis, qui ne ressemble pas à celui de votre mitron de noël préféré.
Pourtant, ça commence gentiment, aux confins du Brésil et du Paraguay où il s’est réfugié , fuyant une faute professionnelle involontaire mais grave, qui a ruiné sa carrière. Se reposant près du fleuve, il entend un énorme bruit. Se précipite et découvre un avion de tourisme échoué dans l’eau. Il veut sauver le pilote, touché au front, mais celui meurt dans ses bras. Ne réussissant pas à ramener le corps à terre, il part chercher du secours. Mais lorsqu’il revient, le corps a disparu. Reste un sac à dos. Dedans, de la dope. Qu’il va planquer  en attendant de voir  comment se remettre en selle.
En même temps, il fréquente une jeune femme amoureuse et probe, flic devenue chef du service médico-légal, et craque pour une dingue, malgré lui toujours, qui fout un sacré bordel dans sa vie. Et c’est tout a fait par hasard qu’il est engagé comme chauffeur des riches parents du pilote disparu. Evidemment, il ne leur dit rien, même s’il éprouve une sérieuse empathie pour la pauvre mère désespérée qui ne peut faire son deuil et espère son fils vivant.
Un peu comme dans la série Braco, à chaque fois qu’il entreprend une action pour se tirer de d’embarras, il creuse un trou de plus en plus profond, de plus en plus dangereux et de moins en moins moral alors qu’il est l’honnêteté même. N’oublions pas que le business de la drogue qui s’épanouit dans cette jungle hostile n’est pas fait pour les mauviettes. Et que la corruption, il n’y a que les nouveaux-nés qui ne la pratiquent pas.
Extra.

Le voleur de cadavres, 2012 pour l’édition française chez actes noirs d’Acte Sud. 220 pages.

Texte © dominique cozette

Nick Flynn et son torture-test

C’est le deuxième opus de notre homme Flynn qui avait commis le très fort  « encore une nuit de merde dans cette ville pourrie » où il racontait comment il avait retrouvé son père dans un carton à la rue alors qu’il bossait dans un samu social.
De nouveau, il écrit sur lui, il écrit surtout sur ses questionnement. Une enfance pourrie, une mère qui s’est suicidée, une vie d’addiction à toutes sortes de saloperies, un père idem mais en pire, qu’il ramasse dans la rue dans le livre précédent et qu’il essaie de sauver encore dans celui-ci.
Actuellement clean, à part quelques petits rails par ci par là, il attend avec angoisse son premier enfant. C’est une fille. L’angoisse, c’est de ne pas savoir s’y attacher, de rester indifférent. Il aime la mère, il l’a aimée en même temps qu’une autre femme, c’est la grossesse qui a déterminé du choix entre elles.
Mais le thème majeur du livre est la torture. Lorsqu’il découvre que non seulement la torture est largement pratiquée par son pays, mais encore étudiée, peaufinée, il na de cesse de se renseigner sur le sujet, la prison irakienne d’Abou Ghraïb, les soldats hommes et femmes humiliant les prisonniers par des techniques éprouvées. Pour se laver de cette extrême mauvaise conscience, il se rend à Istanbul pour y interviewer des victimes de ces actes sans nom.
Ce livre est composés de fragments, il n’est pas linéaire. La date apparaît à chaque début de chapitre et l’ordre chronologique n’est pas respecté mais qu’importe, on ressent d’autant plus fort l’humanité impuissante de l’auteur. On y touche aussi du doigt l’évolution psychologique du futur père par rapport au sien qui n’avait pas l’air si  heureux de le tenir sur ses genoux sur une photo retrouvée. Alors que de lui émane un tel bonheur total …  sur les toutes premières photos. Car ensuite, plombé par les nuits blanches, c’est visible, il se demande si son père n’était pas juste fatigué, comme lui.
Très beau livre.

Nick Flynn. Contes à rebours, 2010. 2012 pour l’édition française chez Gallimard. 324 pages dont plein de notes intéressantes à la fin.

Texte © dominique cozette

Le premier livre de Julia Deck : sanglant !

C’est un petit livre de la collection de minuit, le titre est pénible à retenir car il s’agit d’un  nom composé de  trois : Viviane Elisabeth Fauville, mais on y rentre comme dans du beurre battu en Chantilly, bien sûr je sais que c’est avec de la crème fraîche, mais entrer dans la crème fraîche, ça ne se dit pas, et puis la confusion mentale fait partie du livre.
Donc on suit cette nana trentenaire dans son petit trois pièces où elle essaie de harponner quelques faits de sa mémoire flanchante tandis qu’apprend à vivre sa petite de deux mois, sage et ordonnée. Que s’est-il donc passé ? Oh, de sacrées choses ! Figurez-vous qu’elle a trucidé son psy avec le couteau que sa mère lui avait acheté, jadis, et qu’elle avait récupéré subrepticement chez son mari qui venait juste de la plaquer pour une jeunette.
Comment vivre avec ça ? C’est tout le problème de Viviane. Elle passe tellement inaperçue, elle est tellement transparente, insignifiante, dispensable que les soupçons sur elle sont plus que légers. Et ça, c’est pas bon pour le moral.
Et puis il n’y a pas que ça, il y a cette fille de talent qui l’a remplacée durant son congé maternité et que son patron trouve efficace, il y a ces vertiges qui surviennent et la font transporter dans des lieux de soin, il y a son ex à qui elle n’a rien demandé bien que ce fût le fuyard mais qui réclame le bébé et veut lui rendre le chat de sa mère, il y a que sa mère ne peut pas lui servir d’alibi, et pour cause, la pauvre.
Alors pourquoi va -t-elle, sous le nom d’Elisabeth, trouver d’autres patients du psy, suspects autant qu’elle, ou sa veuve qui s’envoyait en l’air avec quelqu’un d’autre, ou cette patiente par lui engrossée et sur le point d’accoucher ?
Un livre bien foutraque, amusant, incisif où la narratrice peut devenir la spectatrice, ou la victime muette de l’histoire, où l’on picore à loisir des miettes de thriller psychologique, de roman noir, de récit de société.
Bref, un très bon premier roman !

Viviane Elisabeth Fauville de Julia Deck, chez Minuit, 2012. 156 pages.

Texte © dominique cozette

Venez nombreux, OK, mais comment qu’on fait ?

Quelle drôle d’expression ! Qu’on m’incite à venir habillée, nue, maquillée, repue, fatiguée, en couple, avec mes enfants, en métro, pas trop tard, comme je suis — mais ça c’est Mc Do et je ne vais jamais au Mc Do —à petits pas, les mains vides, à la bonne franquette, sans rien préparer, vite …  tout ça, je sais faire, ça roule.
Je suis même parfois venue sans qu’on m’attende, c’est très gênant pour les deux parties, je suis aussi venue avec armes et bagages mais c’était durant une guerre sans nom, la guerre des sexes si vous préférez. Je suis venue comme ça, oui, comme ça, c’est gonflé mais je l’ai fait. Je suis venue la gueule enfarinée, ce qui est le plus sûr moyen de repartir la queue entre les jambes. Je suis venue te dire que je m’en vais, parfaitement, il n’y avait pas de SMS ni de tweet pour l’annoncer, fallait le faire de visu pour bien l’entériner. Puis je suis venue à maturité, très récemment et sans savoir pourquoi, je ne sais pas comment je dois le prendre.
Si on me demande de venir en rang(s) serré(s), ça devient limite car est-ce un rang qui est serré ou plusieurs. Quoi qu’il en soit, ça présuppose la formation d’un groupe pour réussir le truc, or je déteste me balader en troupeau.
Reste le « venez nombreux », fréquemment entendu à la télé pour des promos portes ouvertes, destockages massifs et autres événements exceptionnels. J’ai bien essayé, une fois. Je me suis dit : viens nombreuse, viens nombreuse. Quoi que bizarre comme injonction, je me suis postée devant la glace en la serinant pour voir si je devenais nombreuse. Que pouic. Je demeurai seule et unique. Je ne suis donc pas venue et d’ailleurs, tout le monde a fait comme  moi : on n’est  pas venus nombreux, ce fut un flop total.

Mais que ceci ne vous empêche pas de venir nombreux mercredi 19 à la librairie du théâtre du Rond-Point, de 19 à 20h. 30, où aura lieu la fête de lancement du livre « Vents Contraires », blog agité du théâtre dans lequel j’ai l’heur d’apparaître aux côtés de sacrées pointures et de gros niqueurs qui seront forcément venus nombreux, sinon, tu la vois celle-là ?

Texte © dominique cozette

Pauline Klein, faussaire de faux airs

En quatrième de couv, il y a juste une chiure de mouche :  Qu’est-ce qu’on y peut. Pauline Klein.
Pauline Klein s’affranchit d’une ponctuation bien pensante qui appellerait des guillemets et au moins un point d’interrogation. Bon début.
Alice Kahn, titre de ce livre, est son premier roman. J’avais adoré (et partagé récemment sur ce blog) son second ouvrage d’où intérêt vers le premier. Hé bien je ne suis pas déçue. Pauline Klein est une écrivaine du vide à remplir, de la transparence à révéler, de l’identité à réinventer, de l’art conceptuel à appliquer. C’est de la dentelle de cerveau qu’elle nous envoie phrase après phrase, du bizarre, de l’incongru, de l’inventif, du réjouissif.
Quand ça commence, elle est au bistro d’en bas, en short, en rien. Un type s’approche d’elle en disant Anna ? Elle dit oui. Et s’empare de cette vie de faussaire à créer, de faux airs à ajuster, à construire en fonction des attentes du  jeune homme, photographe, en tentant de deviner ce qu’il sait déjà et ce qu’elle peut façonner. Tout ce petit monde gravite dans l’artistique. Ce qui permet à la fausse Anna de lancer sa fausse Alice Kahn, une artiste qu’elle invente chaque fois qu’on lui pose des questions sur ses préférences artistiques.
Un jour, elle décide de rendre sa liberté à Anna, après que William lui ait donné une photo d’elle, d’Anna en fait. Elle l’encadre la place subrepticement dans une galerie. Puis va l’acheter (cher). Puis reprendre sa vie transparente, sans relief, sans intérêt et constater que c’est le moment que choisit William pour enfin la prendre en photo.
Il y a toutes sortes de niveaux de lecture dans ce petit livre très riche, plein de signifiants, de tiroirs, d’entrelacs. C’est un réel plaisir que de les déchiffrer  !

Alice Kahn par Pauline Klein, chez Allia. 2010. 126 pages

Texte © dominique cozette

 

Un peu de Duchamp dans ce monde d’art brut

C’est un livre de Serge Bramly qui raconte un épisode de la vie de Marcel, à partir de 1942, lorsqu’il s’évade du pays en guerre pour se poser un moment à Casablanca avant de se fixer aux Etats-Unis où ses oeuvres ont connu un vif succès. Le livre n’est pas un fragment de biographie, c’est biaisé.
Alors je recommence. C’est l’histoire d’un monsieur qui tient un bar au Maroc où ses amis, juifs marocains, jouent aux cartes tous les jours. Cet homme affable et élégant accueille Duchamp dont il ne connaît pas la réputation d’artiste, dans une grande salle de bain inoccupée où Marcel va entasser des choses dans la baignoire pour y dormir. En même temps,  ce lieu est un QG de résistance où se trament quelques actions secrètes que personne ne doit connaître. Ce sera l’occasion pour Duchamp d’aller voir ailleurs s’il y est, notamment au bordel d’où il tirera de nouvelles inspiration. Le jeune homme qui l’y emmène est le fils du propriétaire du café.
Mais un tiroir s’ouvre dans le livre. C’est encore une autre histoire : celle de la petite-fille du jeune-homme devenu vieux, auquel un biographe de Duchamp essaie de tirer les souvenirs de ses trois semaines marocaines. Et voilà-t-il pas que la petite-fille, une jeune femme, que cette histoire n’intéressait pas, apprend que son grand-père possède quelque chose de Duchamp. De plus, elle s’éprend du biographe et sait qu’ils auront une belle histoire ensemble.
C’est un roman très alerte, original, dépaysant, on apprend pas mal de choses sur l’artiste lui-même et on voit du pays. Quoi de plus pour passe un excellent moment?

Orchidée fixe de Serge Bramly chez JC Lattès, 2012, 286 pages.

Texte © dominique cozette

 

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