C’est obligé de ranger, monsieur Perec ?

« Comment je classe. Mon problème avec les classements, c’est qu’ils ne durent pas ; à peine ai-je fini de mettre de l’ordre que cet ordre est déjà caduc. Comme tout le monde, je suppose, je suis pris parfois de frénésie de rangement ; l’abondance des choses à ranger, la quasi-impossibilité de les distribuer selon des critères vraiment satisfaisants font que je n’en viens jamais à bout, que je m’arrête à des rangements provisoires et flous, à peine plus efficaces que l’anarchie initiale. Le résultat de tout cela aboutit à des catégories vraiment étranges ; par exemple une chemise pleine de papiers divers et sur laquelle est écrit “à classer” ; ou bien un  tiroir étiqueté “urgent 1” et ne contenant rien (dans le tiroir “urgent 2” il y a quelques vieilles photographies, dans le tiroir “urgent 3” des cahiers neufs). Bref, je me débrouille. »
Texte © Georges Perec « Penser/classer »

Photo © dominiquecozette : chambre d’adolescente qui n’a jamais pu rien ranger. Aujourd’hui, elle est archiviste dans une grosse boîte d’assurances et il paraît qu’elle assure grave. Chez elle, c’est devenu nickel, elle a des boîtes pour tout, il y a d’abord eu les boîtes Habitat héritées de sa mère (à l’époque où Habitat était sympa et abordable), puis les boîtes Ikéa de toutes tailles et facilement réassortissables et enfin, pour changer du carton qui finit par s’écrouler, des boîtes Muji en plastique transparent. Quand vous lui demandez si elle a une aiguille, elle ouvre d’abord un placard où sont empilés de ces  grands tiroirs. Elle tire celui des « travaux manuels », elle en sort une boîte à chaussures Camper où est inscrit « couture » sur un morceau de gaffer, elle l’ouvre, sort une petite boîte translucide ou est marqué « aiguilles » et en sort plusieurs étuis à aiguilles de différentes tailles. Et tout comme ça. C’est tuant aussi, d’une certaine façon.

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