Le noir est une couleur… putain de bouquin !

C’est Alphonse Boudard qui a trouvé ce titre « le noir est une couleur ».
Grisélidis Réal est connue comme prostituée activiste et écrivain, un peu peintre aussi. Elle préfère dire putain. Petite, elle n’était pas prédestinée à cela puisqu’elle a été élevée très strictement par une mère sévère et veuve. Mais qu’elle a fuie très vite. Elle s’est mise en ménage/mariée plusieurs fois, a eu quatre enfants de pères différents, a fréquenté une école d’art et pour gagner sa vie, était modèle. Entre autres.
Ce livre autobiographique écrit entre 1972 et 1973, édité en 74 puis réédité chez Verticales en 2005, commence ainsi : « J’ai toujours aimé les Noirs ». Et son histoire commence alors qu’elle réussit à faire sortir un Noir schizo d’un hôpital, pour vivre une belle une histoire avec lui. Et ses deux plus jeunes enfants. Ils sont en Allemagne, à Berlin, où les soldats américains, donc les Noirs, sont légion. Mais tout se passe mal. Le type ne fait que profiter d’elle, violemment, elle ne cesse de le fuir et il ne cesse de la retrouver. Elle passe la frontière en fraude et se retrouve sans papiers avec deux petits recherchés par les services sociaux, sans un sou, sans rien, qu’une vieille valise. Elle erre de refuges en cachettes, rien à bouffer, et finit par se prostituer pour survivre. C’est sordide, ce qu’on lui fait faire est dégueulasse, inquiétant ou spécial, mais elle ne peut rien faire d’autre. Un moment, elle se s’installe dans un hôtel où vivent les putains, chacune son petit monde, elle s’y fait des amies, c’est à peu près stable. On lui enlève ses gosses pour les mettre dans une institution protestante où ils ne parlent plus qu’un patois bavarois. Elle habite aussi parfois avec ses tziganes adorés mais les retours tonitruants du Noir la rendent vite tricarde.
Un jour, elle échafaude un voyage au Maroc pour créer son entreprise de trafic de drogue et y parvient, malgré une voiture brinquebalante et un chauffeur chelou. A ce moment là, elle est « avec » Rodwell, un autre Noir qu’elle adore et qui semble en pincer pour elle puisqu’ils doivent se marier.
Bien entendu, tout ne peut que mal tourner toujours tellement la misère, le malheur et le destin s’acharnent sur elle. Elle chope la syphilis, elle se retrouve avec des types qui veulent la tuer ou du moins la maltraitent terriblement mais elle espère toujours s’en sortir. Ce bouquin s’achève sur  la route de la prison.
Grisélidis Réal est une femme pleine d’amour, elle s’en explique très joliment dans la petite vidéo ici .
Elle s’en est sortie partiellement grâce à l’écriture puis au militantisme, défendant ses soeurs de misère, exigeant que les pouvoirs publiques cessent de les harceler, donnant des conférences un peu partout.
Ce livre montre que, malgré ce qu’elle dira plus tard pour défendre la prostitution et le regard plus artistique et intellectuel qu’elle y portera , ce fut loin d’être un choix. Son récit est bien sûr très trash, très dur, très acide mais son style est d’une beauté étonnante, frôlant une certaine poésie. Et l’épopée incandescente qu’elle a vécue, qu’elle nous raconte, n’a aucun équivalent. C’est bourré de suspense, de personnages hauts en couleurs, de lieux improbables et d’amours incertaines. C’est beau et désespéré, c’est un chant.

Le noir est une couleur par Grisélidis Réal aux éditions Verticales, 2005. 312 pages.

Texte © dominique cozette

Toit toit mon toit !

Joy Sorman, dans son livre Gros Oeuvre (2009) raconte 13 habitations.  Précaires, artistiques, mobiles, bricolées qui posent la même question : c’est quoi, habiter ?
Elle y parle de  Sam qui a passé 27 ans à construire sa maison seul,  au soleil du sud, afin d’y être père et qui a utilisé les meilleurs matériaux pour qu’elle dure le plus longtemps possible.
Elle y livre le défi selon lequel il fallait construire sa maison en une nuit pour qu’elle vous appartienne.
Elle vous décrit comment on vit dans un mobil home dans la friche de la Goutte d’Or ou dans les capsules japonaises toutes faites.
Elle nous apprend ou nous rappelle la folle aventure de Jean-Pierre Raynaud, très grand artiste contemporain, qui a cessé d’aimer sa femme le jour où ils ont emménagé dans la maison  qu’ils avaient faite ensemble pour y accueillir les futurs enfants : ils se sont séparés , et il a tout refait au cordeau, il a maçonné tout le mobilier, obturé les fenêtres et a tout recouvert, tout, de carrelage blanc. Il y a vécu. Parallèlement, en tant qu’artiste, il est devenu célèbre. Sa maison étant alors considérée comme une œuvre, il l’a fait visiter. Mais ça l’a vite dégoûté, toutes les souillures des gens sur ses carreaux blancs. Il a alors tout repeint  en kaki et a entouré sa maison de barbelés pour en interdire l’accès. Son entourage appréciant moyennement, il l’a de nouveau repeinte, tout en blanc et s’est installé à Paris, laissant tout tel quel. Quelques années plus tard, il y est revenu et a tout détruit, tout réduit en gravats qu’il a placés dans des pots pour en faire  … des oeuvres d’art.
Joy Sorman décrit aussi l’horreur à Sangatte, comment on y traite les migrants, comment ils sont contraints de vivre dans les bois.
Puis elle demande à passer une nuit dans la salle du comité central du parti communiste. On lui accorde une nuit mémorable.
Elle évoque la vie de Samir, ouvrier spécialisé dans les toitures, qui habite en clandestin dans les Sonacotra de chantier. Il y trouve son confort et parfois il y emmène une fille admirer les toits de Paris.
Elle imagine la suite de la vie de Grisélidis Real, la célèbre prostituée militante : elle aurait acheté un camping-car Mercedes avec un confort insensé, et elle y ferait quelques passes avec un vieux client, dans le plus grand chic.
Elle nous fait découvrir deux jeunes qui fabriquent des cabanes à base de palettes et de cartons, qu’ils installent près des sorties de métro pour qu’on les voie bien. Et qui sont vite récupérés par des sans logis et transportées dans des lieux plus discrets.
On rencontre GMT, un artiste découpeur de maisons qui fait des trous de formes variables dans les maisons ou les immeubles abandonnés. Et aussi un soldat allemand qui vit dans un bunker sur une plage normande
Enfin, elle nous raconte comment un collectif réussit à monter un projet avec les échafaudages Layher. Au début, ils font une sorte de jeu de meccano entre deux immeubles, puis une idée germe : pendant deux mois, 450 volontaires vont s’installer par trois dans des sortes de cases suspendues qu’ils vont construire et aménager avec le matériel fourni, un pack d’affaires défini, plus quelques objets personnels. Aucune intimité d’où nombreux échanges de partenaires, problèmes de proximité et de bruit difficiles à régler puisqu’il n’y a pas de chef, mais une belle aventure de jeunes l’espace d’un été.
Original.

Texte © dominiquecozette d’après le livre de Joy Sorman.
Peinture © dominiquecozette

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