Si t’es pas dans le Sattouf, t’as tout raté !

La vie secrète des jeunes III, c’est pas du tout secret si tu prends le tromé, si tu vas dans les bars de l’est parisien et les rues alentours. C’est comme les brèves de comptoir mais en BD, une page par anecdote et les anecdotes, c’est à base de toute la faune qu’on trouve dans ces quartiers de Paris avec quelques minuscules pointes ailleurs, donc les relous principalement, souvent hallal, les tassepés, les gros nases,  les cailleras, les petites vieilles autochtones, les mômes qui braillent, les p’tits cons et les jeunes filles en fleurs hum… en fait c’est la télé-réalité la pire mais comme c’est dessiné, c’est frais d’un seul coup !
Riad Sattouf (touffe de quoi, je vous demande) a un regard cash sur la société comme on dit et sait rendre poétique ce qu’on pourrait trouver glauque ou violent. On dirait des caricatures mais non, c’est du vécu, les idiomes sont transcrits tels quels, les comportements rapportés sans analyse, bref c’est du brut de coffrage. Et c’est vrai que c’est brut ! Je ne laisserai plus ma fille — ou ma mère — prendre seule le métro ! Je plaisante, ma fille a 40 ans, chienne de vie et ma mère est morte. Chienne de vie bis.
NB : Toutes les planches de l’ouvrage sont parues dans Charlie Hebdo entre 2010 et 2012.

Quelques strips pris au hasard sur le Web…

La vie secrète des jeunes III de Riad Sattouf. L’Association 2012. Avec une couverture au rouge scintillant, c’est très joli !

Texte © dominique cozette

Scotchant, Tran !

Le livre, c’est no présent, le pendant du no future punk, et c’est à vif, tranchant, cinglant. Ça fouette la tête et met le doigt où ça saigne. Le narrateur, lui, l’auteur, Lionel Tran a 18 ans. On est en 1989 et il gerbe avec une sidérance absolue tout ce qu’il a vu (subi ?) depuis sa naissance en 71. Tout y passe, les conneries de la télé, Action Directe, la génération Mitterrand, les hippies, Davina, SOS racisme, la salsa du démon… dans un rythme étourdissant.
Le garçon, juste bachelier, comprend immédiatement qu’il ne mettra pas les pieds une deuxième fois à la fac, ni au bureau ni à l’usine. Qu’il n’a rien à voir avec rien.
Par chance, ou pas, on leur file, à lui et à d’autres sortes de rebelles comme lui, un local vitrine, où ils s’installent. Aucune règle, surtout pas. Lui, il veut écrire. Il écrit mais c’est nul. Il n’y arrive pas.
Le local, c’est vite un vrai foutoir dégueulasse, personne ne se charge de rien, le moindre effort coûte et paraît démesuré. Alors, on fait quoi ? On deale et on se dope. On picole. On fait des collages, de l’art brut. On a beau s’appeler collectif, rien n’est collectif, chacun sa merde.
Néanmoins, notre héros s’escrime, cherche à comprendre, lit des trucs trapus. S’acharne à l’écriture. Mais rien. Rien n’est bien. Ça circule autour de lui, ça passe à des trips plus dangereux, on en meurt donc.
Un jour, on va décider de faire une expo de ce qu’ils ont produit. Nettoyage, aménagement, semblant d’organisation. Qui ne va pas durer. Il va bien falloir que ça s’arrête, qu’on passe à autre chose, ça fait des années que ça dure et rien ne vient, rien ne sort, il va finir par crever s’il ne réagit pas. Alors il va récupérer une autre piaule, celle d’un junky overdosé, et se mettre en quête d’un boulot. Imprimerie. Au moins, c’est là que commencent les livres.
Ce qui m’a scotchée, ce n’est pas cette sombre histoire, elle n’est pas sombre puisqu’il va finir par y arriver,  et que son acharnement est palpable. C’est la façon acérée de raconter tout ça. C’est extrêmement percutant. Ce sont des fragments terribles de précision, ou de réalisme, ou de véracité. En peu de mots, on y est. Pas de psychologie. Juste un clin de vue sur la situation. C’est très violent, claquant et interpellant.
Voulant en savoir plus sur Lionel Tran qui publie ce livre aujourd’hui, à 42 ans, j’apprends  qu’il a franchi la porte d’un atelier d’écriture et qu’il a été sauvé (lien ici avec un de ses mentors qui lui fait raconter longuement, en détail, son cheminement). Ce bouquin n’est pas un jet, contrairement à ce que j’avais pu croire, il a été extrêmement travaillé, recoupé, raccourci, pétri, récrit, sept fois en entier, et encore démembré une semaine avant l’impression. Un travail de dingue. Et ça vaut la peine. J’ai adoré.

No présent de Lionel Tran, chez Stock. 2012. 286 pages. (Je n’ai pas trouvé la bonne couverture sur Interne. Livre vert, sans bandeau).

Texte © dominique cozette

La force de Benameur

Oui, très fort, son dernier livre Profanes. J’y suis entrée sur la pointe des yeux car sa prestation à la Grande Librairie ne m’avait pas vraiment donné l’envie. J’ai pris le livre à la médiathèque et là, j’ai plongé. Un grand plongeon, pas de ceux qui font splash sur la chaîne du temps de cerveau disponible, ceux qui vous entraînent malgré vous vers un univers mystérieux, sensible et équivoque. Au plus profond du fragile et de l’intime.
Le héros est un vieux monsieur de 90 ans, ancien grand chirurgien du coeur , qui n’a pas digéré la mort de sa fille Claire à dix-huit ans et  le départ immédiat de sa femme qui, elle,  n’a pas compris son désir de retrouver la vie au fond de ses entrailles.
Il possède une grosse bâtisse qui aurait dû abriter une joyeuse famille mais la machine à bébés n’a plus fonctionné après la naissance de Claire. Le grand parc qui l’entoure recèle une cabane en bois, jamais rouverte, qui était celle de Claire. Il lui faudra pourtant y retourner avant le dernier grand saut.
Pour rouvrir le temps d’avant, ou percer le mystère de l’attachement, ou retrouver l’âme de ce qui a été vécu ou en retisser le lien, Octave Lassalle passe une étrange annonce pour trouver les quatre personnes qui vont, de leurs blessures jamais fermées, de leur pudeur mutique, de leur intuition secrète, l’accompagner dans la quête impossible de l’amour de sa fille, d’autant que la mère, pour le punir, a tout emporté d’elle, sauf une photo.
Tout ?
Ils l’aideront à se pencher sur le dernier vestige de Claire, comme un testament qui l’aidera, on non, à faire son deuil et vivre la toute dernière miette de sa vie.
Passionnant, attachant, original, sombre et lumineux, parfois friable aussi avec un côté éthéré dans le bon sens, comme un rêve puissant qui continue à  vivre malgré le réveil.

Profanes de Jeanne Bénameur, aux Editions Actes Sud, 2013. 280 pages.

Texte © dominique cozette

Les folles années 70/80 avec Pacaddicts

Il date de 2005 le gros pavé de plus de 800 pages qui regroupe les articles d’Alain Pacadis, le nightclubber le plus barge de l’histoire du journalisme français, mais aussi le plus fécond, le plus littéraire. Car même s’il se bourrait la gueule toutes les nuits jusqu’au coma, il écrivait sacrément bien, le p’tit père. Et il avait un beau bagage culturel.  A l’époque, je ne le suivais pas (je veux dire dans la presse, encore moins dans les virées), mais c’est drôle de retrouver toutes les  dingueries de cette époque clinquante et fêtarde, endopée et friquée, les énormes teufs du Palace, des Bains, du 7…
On y retrouve régulièrement ses potes et ses figures préférées de la nuit, Lagerfeld, Kalfon, Marc O, Bulle O., Garel, Jacno, Maria Schneider, Lio, Amanda Lear ou plus tard, Lavilliers, Tina Aumont.
Mais aussi Iggy, Buko, Andy, Burroughs, Gainsbourg dont il transcrit pour chacun d’eux des discussions-interviews-fleuves déjantées.
Il conte ses relations privilégiées avec le gratin du cinoche, de la mode, de la contre-culture, Nico et ceux du Velvet, les rockstars, les icônes punk et celles de la disco, puis du ska, la bande d’Actuel, bref de toutes les tendances qu’il attrape au gré de ses errances nocturnes, de ses shoots et de ses vomissures, de son manque et des descentes arides, ses addictions à tout ce qui fait le glitter de ces années-là, mélanges alcooliques, chimiques, toxiques, sexuels… Plus quelques articles de fantasmes trash très spéciaux qui ne pourraient sûrement plus paraître dans la presse classique de nos jours. A l’époque, c’était Façade, Libé, Palace Mag et quelques autres.
Ses chroniques prennent peu à peu la forme de journal intime où il y déverse son mal être et sa déchéance. Mais toujours d’une plume brillante.
On n’est pas obligé de tout lire, les très longs papiers sont croustillants, qui traitent de personnages littéraires, groupes musicaux, tendances nouvelles, drogues, socio des groupies…
On assiste à la soirée de vernissage du centre Pompidou avec VGE et toute la clique de ses ministres et amis présidents de Françafrique , au lancement d’endroits prétextes à de gigantesques fêtes à thèmes, généralement costumées, mariages branchés,  fiestas des fashion weeks qui ne s’appellent pas encore comme ça. L’énergumène, même en pleine déchéance physique, est toujours très sensible aux belles tenues, aux sublimes décors, à l’esthétique en général. Il cite volontiers les noms des couturiers qui ont paré les stars, les boutiques où beaucoup se sapent, les décorateurs, les peintres.
Dans la troisième partie du livre, après la mort de Fabrice Emaer, fondateur du 7 et du Palace, son protecteur, les chroniques de Pacadis s’orientent vers le compte-rendu sans trop d’intérêt avec juste l’intitulé du lieu, le prétexte de la fête et la liste des people croisés.
Ça se gâte de plus en plus avec les interviews  souvent bâclées de personnalités comme Distel, Macias, Rika Zaraï, Annie Cordy ou Line Renaud —  malgré tout le respect que je leur dois — et la décadence des toutes dernières années, quand sa route coupe invariablement celle de Jack Lang et de Monique, sa femme.

Nightclubbing, chroniques et articles 1973-1986 d’Alain Pacadis aux Editions Denoël. 2005. 836 pages.

Texte © dominique Cozette

 

 

Heureux les heureux, OK, mais moi ?

La question primordiale que je me pose après lecture du livre de Yasmina Reza est : Est-ce un bon  livre ?
Au début, après quelques chapitres, je me disais :  elle s’est pas cassé le tronc ! Oui, ça semble facile ces petites saynètes enfilées les unes derrière les autres sans rapport entre elles apparemment.
Erreur : elles concernent toutes des personnes qui ont un lien, dont on parle ici et là, dont il est question ailleurs ou dont une facette s’annule avec le point de vue d’après.
C’est vrai qu’elle aurait pu éviter de compacter chaque saynète en un bloc sans respiration. Pas de retours à la ligne, pas de paragraphes, ça n’aide pas toujours à comprendre qui parle ou qui pense même si ça fait joli.
Je vous donne un truc mais vous en faites ce que vous voulez surtout si vous avez une super mémoire contrairement à moi : notez la composition des familles ou des relations sur une fiche, ça aide à rendre le bouquin savoureux. Car l’écriture de YR est une belle écriture. Son observation des gens, des couples, est aiguisée, voire cruelle. Ses petites scènes de la vie domestiques sont jouissives.
Heureux les heureux, d’après une citation de Borges, est un livre du jour, bobo et parisien mais sans arrogance, le manque de lien fort entre les protagonistes fait qu’il s’oublie aussitôt lu, mais après tout, on s’en fout. C’est un livre de train, de métro même, qui atteint les meilleures places dans la liste des best-sellers, c’est quand même mieux que Musso et comparses.
Fabienne Pascaud, de Télérama, l’a aimé, Patrick Grainville, dans le Figaro, traite YR de Becket en bigoudis, un blogueur de L’Express la place au sommet de son art ainsi que Jean Birnbaum du Monde des Livres pour qui c’est le plus beau texte. Ailleurs, les avis sont partagés…
Heureux les heureux de Yasmina Reza chez  Flammarion 2013. 186 pages.

Texte © dominique cozette

Nashville chrome, belle musique !

Belle plume américaine, Rick Bass retrace dans ce livre l’histoire d’un immense groupe tombé aux oubliettes, the Brows, un frère et deux soeurs, qui grimpèrent au top des tops dans les 50’s avec, pour grand copain et fiancé… Elvis, encore débutant. Le livre n’est pas la restitution plate des dates, des faits. C’est beaucoup plus que ça, c’est un bouquet d’émotions et d’ecchymoses du coeur, plusieurs vies revues à l’aune de ce qui en fait le matériau : les sentiments. Et ils sont d’une grande richesse dans cette famille nombreuse — d’autres enfants y sont nés — vivant  de la forêt et de leur scierie. Il se trouve que Rick Bass, l’auteur, est un écrivain bûcheron et que le coeur qu’il met à cet ouvrage n’est pas étranger à sa passion de la coupe.
Très tôt, les voix des trois aînés sont repérés. Larges d’esprit, les parents les encouragent à suivre la voix artistique en participant à de nombreux radio-crochets. C’est là que le grand méchant loup les bouffe tout crus : il leur fait signer une décharge de tous leurs droits et bien que le groupe et les chansons que compose Maxine, l’ainée, soit toujours en tête des ventes, ils ne touchent pas un radis et dorment dans leur voiture alors que le producteur véreux se pavane dans les palaces.
Elvis, jeune glandu vocal, admire ces voisins à voix d’or et devient copain comme cochon avec la famille, accompagnant le groupe et chantant avec eux, partageant pêche à la truite et BBQ. Et s’éprenant de la plus jeune. Leur immense succès s’appelle « the three bells », il s’agit des « trois cloches » d’Edith Piaf à la sauce soul. A écouter sur leur page ici. (Il paraîtrait que Lennon venait juste d’en enregistrer sa version quand il a été assassiné).
Souvent, par manque d’argent, ils viennent se refaire à la scierie où le frère guitariste laissera deux doigts, leur père une guibolle, et un autre frère la vie. Peu à peu, ils se dispersent, et se retrouvent. Ils remboursent la fausse dette du véreux voleur mais d’autres styles musicaux ont pris la place. La vague Beatles —  avec le premier batteur desquels ils ont bossé — finissent de balayer leurs espoirs de grand retour. La jeune soeur a préféré un médecin de campagne a moitié sourd au King, le frangin annonce à Maxine que le groupe doit se dissoudre et Maxine, après un mariage calamiteux, se retrouve seule avec ses questionnements sur la gloire loupée, le bonheur raté et la retombée dans l’anonymat. Elle s’afflige de ce que les Brown n’ont pas un film sur eux et décide, à son grand âge, d’y remédier.
Formidable épopée superbement écrite comme tous les Rick Bass, qui nous conte l’Amérique profonde amoureuse de musique.

Nashville Chrome de Rick Bass 2010,  chez Christian Bourgois en 2012. 380 pages.

texte © dominique cozette

Les souris dans un labyrinthe c’est toi, c’est moi.

On nous manipule ! On nous dirige ! On nous oblige ! On nous contraint ! Partout ! Jusque dans l’intimité, on nous exhorte à nous comporter comme ça a été décidé en haut lieu. On nous a mis de la musique dans les hyper pour qu’on achète plus, on n’a mis que quelques caissières pour qu’il y ait une petite file d’attente — trop serait démotivant, pas assez serait dévalorisant — on a supprimé les guichets de la poste et c’est nous qui faisons tout le boulot mais dans un espace tellement plus sympa qu’on aime ça. On laisse les cuisiniers des Mc Do visibles pour leur mettre la pression en nous donnant l’impression que c’est nous qui contrôlons. Mais si l’on s’attarde à table, un petit système se met en place pour nous virer plus vite que ça.
On créé des endroits pratiques en voiture, zones commerciales et lotissements afin de ne pas nous entraîner sur d’autres voies que celles de la consommation, on fait des routes avec ronds-points, c’est vrai que c’est commode et plus safe mais il n’y a plus moyen de stopper quelque part sauf à aller dans les endroits faits pour. On ouvre tous les espaces, il n’y a plus de confidentialité dans les échanges, donc moins de conflits possibles. Dans les open spaces, l’intimité a disparu pour le grand confort du supérieur hiérarchique qui craint moins le dilettantisme, le favoritisme, la triche. A la place, l’anonymat,  le manque de relationnel, de repères, le bruit : donc l’insécurité.
Tout se brouille partout, l’espace comme le temps. Il n’y a plus de bureau ou d’horaires, de lieu de loisir ou de commerce, nous sommes dans la bulle imaginée par les maîtres du grand ordonnancement planétaire !
C’est un petit bouquin qui a le mérite de nous faire réviser toutes les notions sur l’organisation sociale avec une solide documentation. Et qui nous fait rire de celui ou celle qui dit :  je suis libre !

Par Elisabeth Pelgrin-Génel Des souris dans un labyrinthe, décrypter les ruses et manipulations de nos espaces quotidiens, réédition 2012, à la Découverte Poche.

Sale branding pour Brando

C’est pas que je raffole de Brando, j’apprécie surtout le verbe de François Forestier, spécialiste cinéma au Nouvel Obs. Enfin, du temps où je le lisais. FF vient donc de commettre un bouquin sur un si beau monstre qu’il présente « surtout pas » comme une biographie, mais le récit de la fabrication d’un monstre.
On en apprend en fait de bien belles qui ne sont pas du tout à l’honneur du personnage : c’est un craspec qui ne se lavait pas, puait donc, vivait dans un gourbi avec son raton laveur adoré, qu’il baladait partout mais dont il ne nettoyait jamais les déjections.
Il fallait avoir le coeur bien accroché dans tous les sens du terme pour oser entrer dans ses draps dégueu ! Il sautait sur tout ce qui bougeait, hommes et femmes, aimait particulièrement les brunettes typées, les Rita quoi. Il ne s’encombrait pas de savoir si c’était des femmes ou des mères d’amis et détestait les histoires sentimentales. Les hommes aussi tombaient comme des mouches, mais l’histoire ne durait pas. Tandis qu’avec les femmes et malgré lui, il entretenait diverses relations maritales, allait des unes aux autres sans état d’âme tout en se tapant la femme de ménage, la secrétaire, la barmaid qui passaient là.
Il a eu beaucoup d’enfants, on connaît la fin tragique de son fils Christian assassin, d’autres morts d’overdose ou suicidés, comme sa fille qui s’est pendue. Beaucoup de suicides d’ailleurs ont jalonné ses pas cruels. Il ne respectait rien, sauf parfois un réalisateur plus mâle dominant que lui et dont il craignait les coups. Il était lâche. Sinon, il a bousillé tous les tournages, il a humilié tous les metteurs en scène, producteurs, partenaires. Il faisait des blagues nases et vexantes pour écraser le moindre concurrent.
Bizarrement, il ne s’est jamais saoulé, il détestait l’alcool et les drogues. Au début, le sexe à haute dose suffisait à lui procurer sa dose. Plus tard, il a fallu compter avec la bouffe. Il est devenu addict aux ice creams et aux hamburgers que des voisins lui envoyaient par dessus sa clôture comme à un singe.
La seule chose positive, à part l’amour qu’il portait à sa mère avec qui a a dormi très longtemps, c’est l’amitié qu’il a entretenue avec Christian Marquant et sa soeur Nadine Trintignant. Il venait souvent à Paris faire la bringue avec eux. Il a même tourné docilement le long métrage très bizarre de son ami, qui a fait un sacré flop.
Bref, ce livre n’est qu’une énumération factuelle de turpitudes et j’ai été bien déçue de voir qu’il n’y avait aucune analyse sur la fabrication du monstre, et que le niveau d’écriture était plutôt plat. Un livre de commande ? Il reste les ragots un peu salés qui amusent un temps. Après tout, pourquoi pas why not. Pas chien, l’auteur donne les noms. Et il ne balance pas que sur Brando.

Un si beau monstre de François Forestier, 2013, chez Albin Michel. 280 pages de name dropping.

Texte © dominique cozette

Il y a cent ans, 14.

14 s’appelle le dernier ouvrage de Jean Echenoz. Un petit roman concentré et fulgurant sur la grande et terrible guerre. Je ne suis pas une fan absolue d’Echenoz et j’ai été scotchée par ce « torchage » d’histoire où, en 124 pages écrites très gros — pour les vieux peut-être — il narre une histoire personnelle, une rivalité fraternelle, une guerre impitoyable et une vie qui continue, semble -t-il, paisiblement.
L’espoir, le fleur au fusil, les pantalons rouges qui ne vont pas, le barda, la pluie, le froid, les poux, les rats, les bêtes qui crèvent et pourrissent, les hommes qui explosent sous les tirs, les morceaux d’eux partout, les rêves d’avoir une jambe ou un bras ou la moitié du visage arrachés pour sortir de ce merdier… Et pourtant, les descriptions sont là, de la ferme, de la gare, des lieux divers, des gens, les images sont prégnantes, c’est peut-être aussi d’elles que naissent les émotions.
C’est balèze.

14 par Jean Echenoz aux Editions de Minuit, 2012. 124 pages

Texte © dominique cozette

Invitez-vous à la table de Warhol et Burroughs…

… et je vous jure que vous allez vous marrer. La première conversation a lieu en février 80 au 65 Irving Street, près de la Factory. Elle réunit pour la première fois nos deux icônes qui deviendront amies, plus un journaliste de mode et l’instigateur de l’affaire, Victor Bockrisa. Et qu’est-ce qu’on raconte ? Rien de bien culturel, des gossips, des histoires de cul, des ragots sur les people, des considérations sur l’audace sexuelle des Anglaises et les dimensions de leur bite (sic) et de celle d’autres amis.
Le livre s’intitule Conversations et l’idée de Bockrisa, journaliste ayant travaillé à Interview puis à la Factory, était de se faire du fric en enregistrant des conversations avec des gens très en vue dans le milieu culturel et d’y inclure des photos de la scène. Pour faire un peu la nique à Truman Capote et à son style journalistique révolutionnaire.
Finalement, ça ne s’est pas réellement passé comme ça. Il a rallongé la sauce avec des anecdotes sur les uns et les autres, des choses intimes ou ordinaires plutôt intéressantes, drôles ou originales. En tout cas, la distance entre ces gloires et nous semblent définitivement abolies par ce point de vue. Les photos sont imprimées sur le même papier que le texte, et qui illustre exactement  : on y voit comment ils sont habillés, ce qu’il y a sur la table, quelle tête ils ont ce soir-là.

Le dîner d’après, organisé par Burroughs dans son « bunker », un loft sans fenêtre, est totalement raté. Le journaliste tenait à avoir Mick Jagger, familier de Warhol. Mais il n’a pas préparé d’interview et Mick lui en veut de se retrouver comme un con, avec Jerry Hall, devant un bout de pâté, un verre de piquette et une barquette de haricots verts froids. Alors le journaliste tente d’inventer un événement comme le 20ème anniversaire des Rolling Stones. Jagger dit que ce n’est pas possible, les années de concordent pas. L’autre se rattrape en évoquant les 20 ans du magazine Rolling Stone mais ça ne marche pas non plus. Des anges passent, l’ennui y est palpable comme on dit aujourd’hui, rien ne se dit d’intéressant, bref, la lose. Mais les photos sont marrantes, Jagger de de grosses joues.
Les deux autres fois  se passent mieux. On y croise Blondie, Lou Reed, Allen G. et quelques autres. On y parle de trucs assez hallucinants, on se décalque avec drogues et cocktails, le magnéto tourne… Même si un soir  Warhol s’isole dans son walkman, il participe quand on l’interpelle.
Les quatre rencontres entre le pape de la beat generation et le roi de la culture pop est fascinant par la spontanéité des échanges, la liberté des sujets et l’absence de formatage de l’ensemble. Et aussi pour les photos.
A avoir absolument quand on aime la culture américaine.

Williams S. Burroughs, Andy Warhol, Conversations, imprimé en police Tribute aux Editions Inculte Document, en 2012, 180 pages, 16 €. Ce qui ne fait pas cher la page !

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