Coetzee, John, Maxwell…

Je voulais parler de son dernier opus, « l’été de la vie », 2009, puis comme mon dessin est nul, j’ai voulu y renoncer — mais  je le mets quand même. Vous verrez finalement que ça correspond bien au personnage du livre : petit, médiocre, ni fait ni à faire.
Oui, ce bouquin est très original car le procédé de la bio détournée m’a bien plu. Pas parce que c’est nouveau, d’autres l’ont fait, mais autrement.
Coetzee se dit mort et charge un biographe de retourner voir les quatre femmes qui ont compté pour lui dans les années 70. L’incongruité, c’est qu’il se présente —  par la bouche de ces femmes très réticentes à parler de lui — comme un  homme qui n’en est pas un, pas sexuel pour un sous, manquant de tout, de charisme, de corporéité, de personnalité, de sensualité, de présence… bref, il se décrit comme un personnage paumé, ce qui pourrait faire un excellent anti-héros mais Coetzee s’en garde bien,  se portraiturant comme un  raté improbable, vivant chichement avec un père maladif et fermé dans une baraque minable, ne laissant qu’une pauvre trace d’escargot dans le coeur de ces femmes (dont une Française) qui se fichent totalement qu’il soit devenu par la suite un grand écrivain. Puisqu’il n’était rien lorsqu’elles l’ont connu, il l’est resté et aucune n’a l’idée de se vanter de l’avoir fréquenté. Le personnage qu’elles esquissent en creux, s’il n’a pas d’envergure dans la vraie vie, ne manque pas d’épaisseur dans sa fadeur livresque.
Et c’est tellement rare qu’un écrivain se présente sous son plus mauvais jour que j’ai eu envie de vous en faire part. Rien n’est tenté pour rendre le personnage  un tant soit peu sympathique. Beau travail, mister Coetzee !

Une critique un peu plus pro sur le site de l’Express : ici

Suite à la constatation qu’il n’est qu’un intello au chômage ratant sa vie  : « comprendre les choses est une perte de temps; si on veut réussir dans la vie, être heureux avec sa petite famille, avoir une maison et une BMW, on ne devrait pas essayer de comprendre les choses mais se contenter d’additionner des chiffres, ou presser des boutons ou Dieu sait quoi, ce que font les gens du marketing qui leur vaut d’être grassement récompensés. »

Texte et dessin © dominiquecozette (remarquez, si vous me piquez le dessin, je ne vous en voudrai pas !)

Marie Billetdoux : vous m’en mettrez un gros kilo.

« De ma vie depuis que je vous connais, et pas plus depuis la naissance d’Augustin qu’avant, je n’ai demandé ni fleurs, ni compliments, ni serments, ni présence, ni amour, ni fidélité, ni sexe, ni comptes, sans jamais pour autant, que je sache, vous faire défaut. Aussi n’ayant rien demandé, n’ai-je rien — ou seulement ce que vous voulez bien me donner, seulement ce que vous voulez bien faire — et j’assure le reste.
Aujourd’hui 13 octobre 90, je demande :
– au motif que selon le rapport inverse, n’ayant rien demandé, je ne vous dois rien, même pas un garçon bien élevé. Je demande à ne pas être insultée ni condamnée devant lui dans mes actes, dans ce que je peux, dans ce que je demeure, dans ce que je survis au cours de ces quelques heures hebdomadaires où, tout à coup, vous nous jouez les grands chefs, les monsieur-je-sais-tout, au mépris de la vie de tous les jours et de son évolution un peu chaque jour.
Si ce petit garçon à l’heure du dîner exige « des bouchées en marchant », c’est peut-être aussi que sa maman ne va pas très bien tous les soirs, qu’ils y trouvent l’un et l’autre en votre absence un accord et une forme d’équilibre qui leur appartient.
Puisque je l’autorise à manger en marchant quand vous n’êtes pas là, je ne me vois pas tout à coup l’obliger à rester à table quand vous êtes là. A vous de vous adapter ou de changer quelque chose…. »

Extrait d’une des centaines de lettres de cette énorme somme de Marie (ex-Raphaëlle) Billetdoux qui rassemble ici 40 ans de sa vie par le biais de correspondance avec les siens, de l’amour fusionnel à la haine ou la rupture finale, de coupures de presses, de lettres d’admirateurs, de correspondance cahotiques avec ses éditeurs, de relevés de comptes d’auteur, de mises en demeures, de demandes d’aides à l’écriture ou aux distinctions, d’attestations de sa vie de couple, de  compte-rendus de procès, de bulletins scolaires, d’examens médicaux, bref tout ce qu’on peut amasser. On subit ses éclats de voix, ses jérémiades, ses larmes, son fiel mais aussi sa pathétique détresse et ses tentatives de tout vouloir expliquer, ses intimités, son autisme social, sa personnalité paranoïde, sa sensibilité versus sa grande force de caractère, son dénuement parfois qui l’oblige à quémander, ses démêlés avec des producteurs, des réalisateurs, des notaires, sa famille, ses maisons d’éditions, des biographes et tant d’autres. Elle ne cesse d’être procédurière et méfiante et harcèle jusqu’à avoir la réponse aux manquements.
Je ne la trouve pas sympathique mais on peut s’apitoyer sur cette sorte de monstre de la solitude sempiternellement victimisée par les autres et se battant pour rétablir un amour, un honneur, une droiture.
L’un des intérêts de cette somme de 1500 page et 1,3 kg qui fatigue le bras dans le lit est de voir l’évolution de cette personnalité dans ce métier aride d’écrivain. On y arrive en survolant de nombreuses pages mais d’autres sont passionnantes notamment les lettres de et avec sa mère.

Marie Billetdoux dans  C’est encore moi qui vous écris (1968-2008), Stock, 2010.  1481 pages. 1,3 kg.
Libé en parle assez bien ici mais aussi le Nouvel Obs et quelques autres (voir sur Google)

Texte et dessin © dominiquecozette. Pourquoi un panier à oeufs ? Je n’avais rien d’autre qui se rapprochât du sujet. je ne sais même quand comment est Marie B ni quel est le son de sa voix. C’est vous dire si je suis arrivée dans cette friche sans aucun a priori.

Le chauffe-eau de Michel Houellebecq

« De fait, il tournait en rond, c’est le moins qu’on puisse dire. Il était tellement désoeuvré que, depuis quelques semaines, il s’était mis à parler à son chauffe-eau. Et le plus inquiétant — il en avait pris conscience l’avant-veille — était qu’il s’attendait maintenant à ce que le chauffe-eau lui réponde. L’appareil produisait il est vrai des bruits de plus en plus variés : gémissements, ronflements, claquements secs, sifflements de tonalité et de volume variées ; on pouvait s’attendre un jour ou l’autre à ce qu’il accède au langage articulé. Il était, en somme, son plus ancien compagnon. »

Cet extrait est au livre de Houellebecq ce que le corps de l’auteur au désir féminin, c’est à dire pas grand-chose. C’est juste que ce petit bout de l’excellent « la carte et le territoire » m’a interpellée alors que j’étais dans mon lit, me disant merde, il me reste tout au plus une trentaine de pages et je l’aurai bientôt fini, c’est inexorable, dans le même temps que mon époux ronronnait dans sa chaleur d’homme, que le voisin de couloir, celui qui descend et monte au rythme d’une toux catharreuse , kickait sur le bidule qui démarre — ou pas — son trois roues, ces nouveaux engins qui jouissent plutôt d’un démarreur à main en y réfléchissant bien, et que les jeunes enfants du fond de la résidence usinesque faisaient rouler leurs cartables dans un bruit de ferraillo-plastique insupportable pour la voisine du premier qui essayait de rendormir son bébé. Tout ça pour dire que ce bouquin est topissime et que je suis bien incapable d’en faire une critique …heu, bon, l’adjectif a foutu le camp, je ne le retrouverai pas. Alors je vous mets à la place un paragraphe de son interview dans les Inrocks :
« J’ai observé en France une chose très bizarre : on procède comme si on était de toute éternité, et en quelque sorte de droit divin, un pays riche. C’est faux et le capitalisme ne fonctionne pas ainsi. Les médias donnent une image fallacieuse de la Chine car ils s’intéressent à sa modernité, or la Chine actuelle ressemble à la France des trente glorieuses. Sa puissance économique n’en est qu’à ses débuts et il me paraît évident qu’ils vont gagner et que les emplois industriels vont disparaître en Europe. Il se rait temps qu’on se déprenne de l’idée qu’on est un pays riche, car cette notion va de moins en moins correspondre à la réalité. En France, à l’heure actuelle, il y a de plus en plus de touristes chinois. Le luxe, c’est de se marier dans un château de la Loire, et le top, c’est qu’Alain Delon vienne vous serrer la main. Car oui, il paraît qu’on peut louer Alain Delon… »
Personnellement, je loue Michel Houellebecq, ça ne me coûte pas un radis, et si je ne lui serre pas la main,  c’est la soupe que je lui sers avec grand plaisir.

la carte et le territoire de Michel Houellebecq

Texte additionnel © dominiquecozette – Photo Vincent Ferrané.

Années soixante, le point de vue d’Henry Miller

« Dans notre espèce de communauté, et en tout lieu que marque la griffe impérieuse du « Progrès », cette hydre à cent têtes fait de nous un terrible carnage. Nous sommes ravagés par le téléphone, la radio, la télévision, l’automobile, la pollution atmosphérique, les insecticides, les émeutes raciales, la technologie, les voyages interspatiaux, la recherche nucléaire, l’alcool, le tabac, les aliments frelatés et empoisonnés, la publicité (à mort les réclames !). Sans compter, bien entendu, le reste, — les menus soucis tels que le cancer, les maladies de coeur, les impôts, les assurances contre ceci ou cela, l’assassinat, le viol, l’incendie volontaire, une guerre ou deux, la bombe atomique, la  Chine et autres formes, sortes ou manières de rougeoles et de scarlatines idéologiques qui font rage de ce côté-ci du paradis ou de l’autre
Bref, tu vois, la vie à Pacific Palisades n’est pas très différente de ce qu’elle est dans n’importe quelle région de l’Occident. La vie, pour l’artiste, c’est toujours l’enfer, même si et quand il lui arrive d’être subventionné par l’Etat. Si, à 70 ans, tu réussis péniblement un beau coup à la roulette de l’existence, le gouvernement ou l’Etat s’empresse de t’arracher le pain de la bouche. Bien que, selon les statistiques, il y ait quelques 90 000 milliardaires (en anciens francs) aux Etats-Unis, la grande majorité de la population est criblée de dettes. »

C’est un livre charmant « Ma vie et moi » où Heny Miller résume son parcours de vie, ses aspirations, ses passions, ses amours, ses voyages, ses femmes, son enfance. Même quand il a gagné de l’argent, il a toujours vécu avec peu, souvent avec rien, squattant ici et là mais recevant aussi. Ce passage en post-face a été écrit pour un magazine en 65, Henry Miller avait 74 ans. Le livre a été  publié en 71. Edition Bartillat 2010.

Texte © Heny Miller. Dessin d’après une photo du livre © dominiquecozette (en vrai, il ne ressemble pas à VGE, c’est mon stylo qui a ripé)

Andy Warhol pas mort.

VIES D’ANDY. Olivia van Hoegarden nous parle du nouveau roman de Philippe Lafitte.

Quand Andy Warhol joue à cache cache, va t-il  droit dans le mur ?

Andy Warhol est mort à New York le 22 février 1987. Mais qui s’en soucie puisque son œuvre l’a immortalisé?  Warhol, lui-même peut-être et Philippe Lafitte qui, avec Vies d’Andy, exhume le génial albinos pour lui offrir un nouveau moment de célébrité. L’auteur dont c’est le 4e roman, révèle que Warhol est bien là où on ne l’attend pas : non pas de l’autre côté du miroir mais de l’autre côté du mur.

Disparu avant la chute du mur de Berlin, Warhol n’aura pas connu la libération des pays de l’Est dont sa famille était originaire . Disparu, oui mais mort ? En est-on bien certain ? Philippe Lafitte avance que le roi du pop art se serait  tout simplement dépouillé de son enveloppe androgyne pour adopter une apparence résolument féminine. Une transformation que n’aurait pas reniée Mary Shelley tant Vies d’Andy conte l’histoire d’une créature de Frankenstein qui aurait bénéficié de toutes les techniques modernes que permet l’argent (une fortune de cinq cent millions de dollars, quand même) pour devenir Sandy Vazhoda.

Si elle modifie l’aspect d’Andy, la chirurgie et les hormones sont impuissantes à résoudre les angoisses existentielles de Sandy qui noie ses incertitudes dans le Valium et les alcools forts. Elle entame un périple qui la mène dans les plus grands musées du monde, sans se douter qu’elle est suivie par Valérie, une gauchiste revancharde qui avait déjà attenté à ses jours vingt ans plus tôt. Jusqu’au jour où dans une galerie parisienne, Sandy découvre un tableau et la réponse à sa quête. Ce n’est pas « en bas » que quelque chose lui manque désormais, c’est à gauche où se situe le cœur exactement ou plutôt l’âme de sa mère tchèque. Dès lors, Sandy n’aura de cesse de retrouver le berceau familial ; que lui importe le Rideau de fer, au travers d’une gueule de bois permanente, elle n’a qu’à dire : « Je veux ».  A Paris, à New York, à Berlin-Est, des « ombres » se démènent et négocient sur le fil,  la réalisation de cette lubie extravagante, somme toute très warholienne. Pour Sandy rien n’est trop cher, rien n’est impossible.

Toute l’aventure est du même tabac. Sandy, toujours imprévisible,  se laisse transporter sans aucun sens du danger afin de retourner dans les contrées ruthènes où jadis sa maman….On ne va tout de même pas tout vous raconter. Mais soyez sûrs que vous ne regarderez plus jamais de la même façon, une boîte de soupe Campbell sérigraphiée…

Avec son style, façon polar drôlatique, Philippe Lafitte nous livre les détails insensés de cette haletante course aux étoiles sur fond de poussière de rêve. Extrêmement bien documenté, l’auteur nous restitue l’exacte ambiance de la fin de la guerre froide  en anecdotes cocasses et situations loufoques. Pour son 4e roman, Lafitte qui édite cette fois chez le Serpent à plumes invente un genre nouveau : l’Eastern, sorte de conquête de l’Est qui inspire à sa plume  cette exploration en warholie sur un mode caustique et drôlatique

A mettre entre toutes les mains, Vies d’Andy se lit d’une traite comme un thriller. Probablement le meilleur opus de Lafitte. Alors Andy ? Dites-lui « Oui ».

© Olivia van Hoegarden

Vies d’Andy de Philippe Lafitte, 17,50 euro
Chez le Serpent à plumes.
Sortie le 26 aout.

Fred Vargas : nous y sommes. (De plus en plus)

Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l’incurie de l’humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d’insouciance.
Nous avons chanté, dansé. chantons, dansons.*
Quand je dis « nous », entendons un quart de l’humanité tandis que le reste était est à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté jetons nos pesticides à l’eau, nos fumées dans l’air, nous avons conduit conduisons trois voitures, nous avons vidé vidons les mines, nous avons mangé mangeons des fraises du bout monde, nous avons voyagé voyageons en tous sens, nous avons éclairé éclairons les nuits, nous  chaussons des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons  grossi grossissons, nous avons mouillé mouillons lle désert, acidifié acidifions la pluie, créé créons des clones, franchement on peut dire qu’on s’est bien amusés. s’amuse bien.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l’atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s’est marrés. se marre bien.
Franchement on a bien profité profite bien.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu’il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu’on ne l’a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.
C’est la mère Nature qui l’a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l’exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d’ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Evidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n’a pas le choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on s’excuse, affolés et honteux.
D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l’humanité n’en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l’avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n’en a plus, on a tout pris dans les mines, on s’est quand même bien marrés).
S’efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l’Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d’échappatoire, allons-y.
Encore qu’il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l’ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n’empêche en rien de danser le soir venu, ce n’est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l’homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

Texte ©Fred Vargas. Archéologue et écrivain. Ce texte date d’il y a deux ans je crois. Je trouve important nous de le remettre en mémoire.
Dessin © dominiquecozette

* Je me suis permis de conjuguer au présent certains verbes qui laissaient croire que c’était du passé. Hélas !

Un extrait de fragment de passage de texte.

« Chez moi, tout est noir sauf le catalogue de l’exposition du moment au Guggemheim qui trône sur la table basse. Je fais partie des « Amis du musée », une amitié à 10 000 dollars l’an. Je n’y mets jamais les pieds mais reçois tous les beaux livres de l’institution. Le dernier, celui de l’exposition Bill Viola, est parfaitement aligné avec deux pots d’orchidées blanches et une pile de magazines. Toujours les mêmes, au même endroit, dans le même ordre. André le majordome les change chaque lundi. Je ne les ouvre jamais. Il y a aussi  Risk Magazine, la bible du trader, dont j’ai souvent fait la couverture. Quand je prends quelques vacances, j’emmène André. C’est la dame de compagnie. Du haut de son mètre soixante, il me sauve des contingences de la vie.
Chaque matin, à l’aube, je cours une heure sur le tapis d’entraînement. Casque sur les oreilles, j’écoute Bon Jovi ou Mozart, zappe de Bloomberg à CNBC. J’enfile un pantalon de flanelle sombre et une chemise bleu ciel — bleu banquier — et suis l’évolution des Bourses asiatiques. En quittant l’île de la Jatte, je connais déjà tout de ma journée.
Je gare la Lamborghini Countach au niveau -6 de la défense. Vingt types veillent sur ce parking en permanence. On entre sur empreintes digitales. C’est un perk, un avantage en nature offert par le Crédit Général. Comme l’accès à la salle de sport du Ritz, la loge à Roland-Garros, les concerts privés de Barbara Hendricks à la Salle Pleyel, les caisses de champagne à chaque clôture d’exercice. Ce parking est notre coffre-fort. Nous y entreposons nos jouets. »
{…}
« Mes copains de promo de l’X sont englués dans leur quotidien de cadre de direction. Ils sont des salaires de misère, partent en vacances à l’île de Ré. Leurs maîtresses lisent People or not People. Elles traversent l’existence avec un distributeur de sucrettes dessiné par Karl Lagerfeld. Ils passent leur vie à tenter de la gagner. La mienne n’a aucun sens. Je suis une machine à cash, un cerveau-serveur, un père absent, un amant qui paie. J’ai la rémunération de Brad Pitt. Lui a un vrai métier. »

Cet extrait un peu cliché sur les traders est tiré du livre de Flore Vasseur —  spécialiste du monde de la finance — »Comment j’ai liquidé le siècle ». Livre formidable.
Dessin  dominiquecozette

Yannick Noam Chomsky

« Si vous vous conformez, vous commencez à obtenir les privilèges que confère le conformisme. Bientôt, parce qu’il est utile de le croire, vous en venez à croire ce que vous dites et vous intériorisez le système d’endoctrinement, de distorsions et de mensonges. Vous devenez ainsi un membre consentant de cette élite privilégiée* qui exerce son contrôle sur la pensée et l’endoctrinement : tout cela se produit très couramment, jusqu’aux plus hauts échelons. Il est en fait très rare — c’est à peine si cela existe — qu’une personne puisse endurer ce qu’on appelle la « dissonance cognitive » — dire une chose et en croire une autre. Vous commencez donc à dire certaines choses parce qu’il est nécessaire de les dire et bientôt vous les croyez parce que vous devez les croire. »

Texte © Noam Chomsky. Dessin © dominiquecozette

*élite privilégiée : pléonasme, non ?

Ce dessin se trouve aux Frigos, à la galerie l’Aiguillage. Voir + J’y suis ce dimanche.


Résumé succinct de la littérature occidentale.

Pour écrire un chef d’oeuvre de la littérature occidentale, c’est facile. Vous disposez de 26 lettres. Il suffit de les mettre dans un ordre particulier pour en tirer des mots, des phrases, puis des chapitres, le tout composant le volume. Vraiment à la portée du premier imbécile. N’oubliez pas aussi d’y placer des signes qu’on appelle la ponctuation, qui sont principalement le point et sa famille (point-virgule, d’exclamation,d’interrogation, de suspension, les deux points),  la virgule, les tirets, les guillemets, les parenthèses. Ne pas confondre ces deux derniers — combien d’ignares disent « entre parenthèses » au lieu de « entre guillemets » avec le geste doigts crochus en plus  — et utilisez bien les capitales et les bas de casse.
Si vous voulez faire du genre, maniez l’italique à bon escient (il gravissait lentement la colline : ça en jette, non ?).
Notez quand même que pour écrire une merde, la recette est la même. Personnellement, je pèse mes mots*, je mesure mes propos et je châtie mon style dans la mesure du possible (*Je cède mon vieux pèse-mots pour quelques euros, ayant mis la main sur une balance extraordinaire, capable d’isoler la cellulite du texte, tout ce qui, en gros, n’est pas du muscle et de l’os, comme les adverbes, les périphrases, les adjectifs oiseux et les etc… Etc).
Maintenant, si vous ne vous sentez pas d’attaque, préférez la musique. Il n’y a que sept notes plus cinq demi-tons, ce qui ne fait que douze sons à combiner. Bon, après il faut jouer sur leur durée et leur intonation mais ce n’est pas plus difficile que de crier : Ouille ! C’est même plus facile car on n’a jamais pu transcrire les interjections sur une portée. Enfin, ceux qui ont essayé. Et ils ne sont pas nombreux.

Texte et peinture © dominiquecozette

Si vous voulez voir ce tableau en grand, il sera exposé avec tous les autres  à  l’Aiguillage, la galerie des Frigos, du 26 mai au 12 juin. Plus de détails ici.

Billet dur de Billetdoux

« Ça commence à la crèche, puis au CP, puis au lycée, puis en prépa, puis douze puis treize, puis quinze heures, et trois moyens de transport encore sans lever le nez, pour quoi… Pour arriver o% ?… C’est de l’endormissement de conscience ! On comprend bien : il leur faut calmer tout ce monde là, il y a de plus en plus de monde !… Si ça se mettait à vivre, tout ça ? … A vouloir vivre, vraiment ? … et à réfléchir ? Et à devenir créatif ? Et à s’organiser ? Et à regarder les comptes ? Et à réclamer sa part … Vous imaginez ? Non… Y a pas d’arrivée… Y a pas de départ…. Y a pas d’avenir… Y a plus de forêts, y a plus de prés, y a plus d’eau, y a plus d’air, y a plus de temps, y a plus de silence… Le troupeau avance, il avance… On nous dit qu’il avance, mais plus on avance, moins on en sait ! Ils ne savent pas plus, en tête, là où ils nous mènent, que là où ils vont eux-mêmes… Les vents soufflent, les étés sont des automnes, les gros oiseaux des villes sont de plus en plus familiers, les enfants ont commencé à violer et à braquer, les animaux sont infectés, les tuyaux des hôpitaux, des usines à déchets, des centrales nucléaires se peuplent de milliards de crevettes inconnues, le temps de survie maximum sur la bande d’arrêt d’urgence est de vingt minutes !… Ils ont fait, en cinquante ans, plus de mal à cette planète que dans toute l’histoire de l’humanité !… Non, le monde n’avance plus, le monde se déglingue !…Le monde était juste un carrosse fou acheminé par personne !… Quand nous étions enfants, docteur, vous vous souvenez ? … L’avenir, c’était nous ! Alors, aujourd’hui, l’avenir, c’est maintenant, non ?… Parce quie si ce n’est pas maintenant, tout de suite, c’est  quand ? C’est quand ?… »

© Raphaëlle Billetdoux qui s’appelle maintenant Marie, mais je ne sais pas pourquoi, dans un  roman de 2002, De l’air.

Je vous concède que ce bout de texte n’est pas très gai, bon. Mais en 2002 on avait 8 ans de moins, pas le même président et je bossais encore dans la pub, dans un agence en pleine descente d’organe avec une fusion absorption qui s’est tellement bien passée qu’il ne reste rien ni de l’une, ni de l’autre.
C’est pas que j’aime Marie Billetdoux mais j’ai emprunté ce livre pour voir comment c’était, rapport à l’énooooooooorme somme qu’elle vient de sortir où elle a mis tout son vide-grenier, sa correspondance, les histoires de ses proches, les bouts de vie qu’on garde dans un carton jusqu’à ce que nos enfants les découvrent après notre mort et se demandent bien qui pouvait être telle personne. Alors celles de MB, vous pensez bien ! Du coup, non, j’ai pas acheté son livre/boîte, je le prendrai si ma médiathèque l’achète. Et puis, si c’est vraiment très bien, je l’achèterai car j’aime bien que les auteurs que j’aime ne soient pas privés de mon écot dans leurs relevés de droits d’auteur.

Dessin © dominiquecozette. Non, ce n’est pas Raphaëlle/Marie Billetdoux. Peut-être une petite dame qui comprend rien à la vie d’aujourd’hui…

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