Tout s’est bien passé pour moi aussi

Tout s’est bien passé est le titre du dernier livre d’Emmanuèle Bernheim et j’avoue que je n’avais pas trop envie de le lire, l’histoire du père qui demande à ses filles de l’aider à mourir après un accident vasculaire, merci bien ! Mais ce bouquin  était le seul à me tendre les bras sur la table des nouveautés de la médiathèque alors voilà.
Et finalement, tout s’est très bien passé pour moi aussi. Car ce bouquin n’est pas larmoyant, par la grâce du père qui était un être facétieux, cash et décidé et non pas ce vieux grabataire parcheminé dans une chambre puant l’urine qu’on pourrait imaginer. C’était un grand collectionneur d’art, homosexuel, père de deux filles et toujours marié à une femme distante, actif, mondain, sortant partout, le premier à tout connaître et tout savoir, homme de goût, connu comme le loup blanc dans tous les places to be.
Le voilà donc alité dans une clinique, le corps empêtré, la langue lourde et les doigts bloqués. En l’état de nourrisson à changer. Un corps qu’il ne reconnaît plus comme le sien et dont il veut résolument se séparer. Il a tout vu, tout vu, tout lu, il est temps de fuguer.
Pour les deux filles, c’est que de la douleur. Pour lui, c’est l’avenir radieux, la meilleure chose qui peut lui arriver. Elles doivent donc s’exécuter, trouver comment, prendre contact avec la bonne personne en Suisse, suivre les conseils d’un ami grand avocat pour ne pas se retrouver en tôle.
Mais ce dernier voyage va être tout différent de ce qu’ils avaient organisé car en France, ce genre d’opération est non seulement empêché, mais aussi durement puni par la loi. D’où des péripéties assez burlesques, complètement absurdes et pleines d’un macabre suspens.
C’est écrit de manière fluide, comme un compte-rendu fait au jour le jour, sans pathos, avec l’esprit pétillant du père qui veille au grain et que, bien involontairement, on se met à aimer !

Tout s’est bien passé d’Emmanuèle Bernheim, 2013 aux éditions Gallimard. 206 pages, 17,90 €

Texte © dominique cozette

Le dernier Winckler, livre d’humanité et d’engagement

Martin Winckler est médecin, vous le savez sûrement. Il a écrit des livres puissants (entre autres, le formidable choeur des femmes, et la maladie de Sachs, monté en spectacle et joué avec talent par Dupontel) comme ce dernier ouvrage, d’une sensibilité totale. Il porte sur la douleur, la fin de vie, l’apaisement final.
C’est un roman d’imagination — avant de voir l’entretien ci-dessous, j’avais cru à des souvenirs professionnels — qui met en scène un professeur de médecine, André, qui demande à un ancien élève de l’aider à passer le cap. Car il a besoin de quelqu’un comme lui pour se confier, confier son secret de vie, et partir en paix.
Le narrateur est un médecin engagé contre la douleur, quelle qu’elle soit, même dans la tête car une douleur reste une douleur. Il va prêter assistance aux patients qui l’appellent « en souvenir d’André », c’est le mot de passe, et qui ne passent pas forcément à l’acte une fois leur douleur éteinte. Car ce docteur va devenir une sorte de dépositaire de la grande affaire de leur vie : des choses vécues qu’ils n’ont jamais avouées, ou jamais digérées, des raisons de mourir que leurs proches ne pourraient comprendre, des abcès à crever afin de s’alléger.
Avec sa mémoire légendaire, il va relater leurs histoires comme des testaments précieux, dans des petits cahiers bien rangés chez lui. Mais il va aussi payer de sa personne car sa démarche n’a rien d’anodin. Il va faire des rencontres hasardeuses ou miraculeuses, et leur contraire, les voir disparaître de sa vie.
Très beau livre sur un des thèmes cruciaux de notre société.
« Je ne vous raconte pas le monde tel qu’il est mais comme  je voudrais qu’il soit » : Martin Winckler parle de son livre

En souvenir d’André de Martin Winckler chez P.O.L, 2012. 196 pages.

Texte © dominique cozette

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