J’ai eu peur d’avoir encore acheté un livre morbide mais non, c’est un roman passionnant plein de rebondissements. Les Amants du Lutetia, d’Emilie Frèche, se fonde sur un fait divers réel à savoir le suicide de deux époux âgés dans cet hôtel de luxe qui, après guerre, accueillit les rescapés des camps. Mais tout le reste est inventé.
La fille du couple suicidé, divorcée du père de leur fils, est atterrée lorsque la police lui apprend le suicide de ses parents, Ezra et Maud, octogénaires, dans une mise en scène digne de la vie de luxe qu’ils avaient menée (smoking, belles chaussures, robe Issey Miyake). L’effarement de leur fille ne fait que s’amplifier lorsqu’elle s’aperçoit que la personne qui va lui apprendre toutes les dispositions qu’ils ont prises est leur homme de confiance depuis toujours, un homme qu’elle n’a jamais rencontré : qu’elle ne s’inquiète pas pour l’héritage car leur superbe maison de Ramatuelle, les Bulles, ne lui coûtera rien grâce à l’ouverture d’un trust, et que leur appartement parisien a été vendu en viager. Ce qu’elle ignorait. Leur propre cérémonie d’adieu au Père Lachaise, c’est encore eux qui l’ont mise en scène, dress code blanc (seule elle et son ex mari sont en noir), musiques disco, costumes clinquants des croque-mort et vidéos, films etc…
Plus elle avance, plus elle en veut à ses parents, qui ne voulaient pas d’enfants et qui ne l’ont donc pas vraiment choyée, d’avoir ourdi leur mort depuis des mois, jusqu’à la veille du suicide où ils n’ont rien laissé transparaître. Elle ne cesse de critiquer leur égoïsme, leur vie de patachon, leur attachement à une image superficielle qu’ils voulaient toujours donner en très célèbres publicitaires qu’ils étaient devenus. Il n’y en avait que pour la galerie, les fêtes, les agapes, les potes, tout ce qui était tendance, chic et cher. Pour elle, rien. Juste une jeune fille au pair.
Pour leur défense, Maud et Ezra furent les seuls survivants de leurs deux familles. Ils se sont connus très jeunes, pris en charge ensemble, et petit à petit ont construits une relation indéfectible jusqu’à la mort : c’était leur pacte.
Peu à peu, elle va découvrir divers éléments de leur vie, en comprendre certains et, après s’être fâchée avec son fils qui adorait ses grands-parents, se faire aider pour tenter d’avaler le fait qu’ils l’aient une ultime fois abandonnée.
Notons que ce livre concoure à la réflexion sur le suicide assisté.
C’est un roman passionnant, les portraits sont complexes, les incursions dans le monde de la publicité y sont réalistes et la façon de faire renaître les années fastes, les années de liberté et de joyeuseté m’ont donné beaucoup de plaisir.
Les Amants du Lutetia d’Emilie Frèche, 2023 aux Editions Albin Michel. 380 pages, 21,90 €
Texte © dominique cozette