Du Woody Allen en bande dessinée…

C’est pas le livre le plus gai du monde puisqu’il s’agit du vieillissement puis de la mort des parents de l’auteure mais ça ne manque pas d’humour, de sel et de piquant. C’est assez touchant aussi de voir comment ces deux personnes ont vécu collées l’une à l’autre depuis des siècles, mais poignant quand l’un des deux se retrouve à l’hosto.
Roz Chast, illustratrice, raconte ici la lente chute de ses parents vers le dernier voyage  dont ils n’ont jamais voulu parler. Ils ont habité le même vieil appartement dans le Brooklyn le plus pourri (sa description en dessins est très drôle) et y ont entassé des tonnes de saloperies qu’il lui faudra trier. Ce sont des juifs encroûtés dans leur routine adorée. Tous les efforts de Roz pour  faire accepter à sa mère — femme dominante — une simple aide ménagère sont voués à l’échec. Alors, leur proposer une maison médicalisée est hors de question.
Pourtant, il faudra bien trouver une solution quand ils, ou du moins elle, ne pourra plus rien faire seule. Roz habite dans la lointaine banlieue de New York et ne veut pas conduire jusqu’à chez eux. Ça lui prend un temps fou, tout ça.
Parfois, elle est obligée de prendre son père chez elle (elle a un mari et une fille qu’on ne voit jamais), un père atteint d’alzheimer qui ne comprend rien d’autre que la vie avec sa femme (hospitalisée après fracture de la hanche) ou lorsqu’elle accueille brièvement sa mère. Ça se passe assez mal.
Puis enfin, elle raconte sa mère dans une maison médicale très confortable, pas loin de chez elle, qui leur coûte les yeux de la tête. Sa mère qui, bien que ne vivant plus rien, s’accroche et s’accroche pour éviter le grand saut, à la surprise de tous les soignants de l’unité de soins palliatifs où elle s’éternise.

C’est une histoire d’aujourd’hui, réaliste, avec tous les problèmes que rencontrent les enfants de parents très âgés qui partent doucement à la dérive. Non, ce n’est pas très gai mais c’est bien fichu, bien raconté, avec les sentiments de culpabilité de la fille, la barrière d’incompréhension mère-fille, les obsessions de son père pour ses livrets (des livrets d’épargne hors d’usage) qu’il craint de se faire voler. Ça permet de relativiser, de se sentir moins seul face à cet énorme problème de la fin de vie.

Est-ce qu’on pourrait parler d’autre chose ? par Roz Chast chez Gallimard bande dessinée. 2015. Traduit par Alice Marchand. 238 pages, 25 €. (Can’t we  talk about something more pleasant ? 2014)

Texte © dominique cozette

Le dernier Winckler, livre d’humanité et d’engagement

Martin Winckler est médecin, vous le savez sûrement. Il a écrit des livres puissants (entre autres, le formidable choeur des femmes, et la maladie de Sachs, monté en spectacle et joué avec talent par Dupontel) comme ce dernier ouvrage, d’une sensibilité totale. Il porte sur la douleur, la fin de vie, l’apaisement final.
C’est un roman d’imagination — avant de voir l’entretien ci-dessous, j’avais cru à des souvenirs professionnels — qui met en scène un professeur de médecine, André, qui demande à un ancien élève de l’aider à passer le cap. Car il a besoin de quelqu’un comme lui pour se confier, confier son secret de vie, et partir en paix.
Le narrateur est un médecin engagé contre la douleur, quelle qu’elle soit, même dans la tête car une douleur reste une douleur. Il va prêter assistance aux patients qui l’appellent « en souvenir d’André », c’est le mot de passe, et qui ne passent pas forcément à l’acte une fois leur douleur éteinte. Car ce docteur va devenir une sorte de dépositaire de la grande affaire de leur vie : des choses vécues qu’ils n’ont jamais avouées, ou jamais digérées, des raisons de mourir que leurs proches ne pourraient comprendre, des abcès à crever afin de s’alléger.
Avec sa mémoire légendaire, il va relater leurs histoires comme des testaments précieux, dans des petits cahiers bien rangés chez lui. Mais il va aussi payer de sa personne car sa démarche n’a rien d’anodin. Il va faire des rencontres hasardeuses ou miraculeuses, et leur contraire, les voir disparaître de sa vie.
Très beau livre sur un des thèmes cruciaux de notre société.
« Je ne vous raconte pas le monde tel qu’il est mais comme  je voudrais qu’il soit » : Martin Winckler parle de son livre

En souvenir d’André de Martin Winckler chez P.O.L, 2012. 196 pages.

Texte © dominique cozette

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