Alain Pacadis Face B ça défonce !

Alain Pacadis Face b est un roman, pas une bio, écrit par Charles Salles qui en connaît un bout sur Alain Pacadis, ce chroniqueur punk de Libé devenu iconique tendance gonzo, au penchant plus que net pour toutes les addictions, drogues, sexe, alcool, clubs, nuit, déglingues diverses…
L’auteur s’attarde avec gourmandise sur la façon de vivre du mec, souvent de survivre, après le suicide de sa mère qui ne supportait pas qu’il trace à Katmandou, donc il le fera et ça ouvrira grave les pores de sa peau à tous les plaisirs (et douleurs) qu’apporte la défonce. On va suivre, non sans quelques hauts le cœur dûs à une large pratique du vomissement consécutif à ses ivresses récurrentes et trips insalubres, son parcours cahotique de mec moche amoureux des trans et autres travelos, qui tente tout et réussit à s’introduire dans les folles nuits parisiennes des années Palace, années de liberté totale où tout était non seulement permis, mais encouragé.
Trash et passionnant, du moins pour les nostalgiques de l’époque qui adorèrent les excès portés au pinacle, le glam, le sulfureux, l’outrancier, le pailleté, ça se dévore comme un mauvais plat savamment cuisiné par un chef habile en revenez-y. Car l’écriture de Charles Salles y est pour quelque chose. C’est brillant. Mêm si l’on se doute qu’il invente les détails car il ne vit pas dans le fute en cuir sale du héros qui n’a que faire de se laver, qui pue donc, qui s’oublie un peu partout et comble du comble, qui découvre un matin l’appartement où il a toujours vécu ravagé par un incendie. Et bien sûr, il n’était pas assuré. Il a tout perdu. Alors il ira de squatt en squatt, beaucoup de people à la dérive accueilleront cette épave tanguant au bout des nuit parce qu’on l’aime et qu’on ne le laisse pas par terre.
Pour en revenir au style, il faut lire comment il décrit la façon de chanter de Nico, son idole absolue, lors d’un concert mythique avec Jim Morrison. Enormément de name dropping aussi dans ce livre, on s’y croirait. Ne manque que le mien, ah ah ah ! Quelques mésaventures assez hard comme cette sale overdose accompagnée d’un suicide loupé. Et puis aussi la recherche de quelques ascendants juifs ou presque, émigrés ayant fait leur trou un peu partout dans le monde.
Certes il aura aussi des histoires d’amour, la plus violente étant la dernière où il demande à son amant d’être son bourreau, de l’étrangler. Ce que l’amant fait. Exit définitivement une icône, un héros, assassiné jeune avec amour entre adultes consentants. Drôle d’histoire.

Alain Pacadis Face b de Charles Salles, 2023 aux éditions de la Table Ronde. Prix du premier roman. 270 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Les petits fêtards

Après avoir décrit et réalisé un film sur son enfance dévastée par une mère qui abusait de son innocence, Eva Ionesco nous raconte la suite dans Les Enfants de la nuit. Lorsque cela commence, elle a onze ans et est juchée sur des talons aiguilles. Elle veut faire femme, échapper à l’emprise de sa mère qui continue à lui faire faire des photos porno et à la présenter à des hommes dont Roman Polanski (qui n’a pas consommé car il l’a trouvée trop jeune), Eva n’a qu’une envie : rencontrer un ami, un vrai, et s’amuser. L’ami, elle le rencontrera au collège, bien qu’aucun des deux n’y aille très régulièrement, il s’appelle Christian Cricri Louboutin, il a deux ans de plus qu’elle et lui aussi adore s’amuser.
S’amuser, c’est quoi ? C’est s’offrir toute liberté, aller danser dans tous les endroits tops, s’habiller pour chaque sortie avec des vêtement luxueux qu’ils glanent chez les people que leurs mères fréquentent, couturiers, mannequins, gens de la mode… Puis, incidemment, consommer des cocktails et différentes substances. Eva va vite partager le lit de Cricri mais ils ne le font pas, lui ne peut pas avec une fille, ils rigolent tout le temps, ils piquent du pognon chez leurs amis nantis et vont d’une boîte (le Sept principalement, la Main Bleue) à l’autre, à la Coupole avec toute la bande de l’époque, des adultes bien sûr dont Alan Pacadis, dans des inaugurations, des événements… Parfois elle rentre dormir dans le mini studio de sa vieille mémé mais évite sa mère, d’ailleurs elle n’y a pas d’endroit à elle chez celle-ci, au grand dam d’une personne de la protection de l’enfance qui menace de la placer si elle ne s’amende pas.
Elle ne s’amende pas. Le clou du livre, c’est l’ouverture du Palace, elle a alors douze ans, où tous les nightclubbers et personnalités vont se retrouver, Mike Jagger, Andy Warhol, les égéries des couturiers, tout ce que compte Paris de stars, chanteurs, acteurs, dealers bien sûr,  la drogue circule et tous les excès sont permis. Pierre et Gilles, piliers de la boîte, la photographient pour la une de leur magazine hyperbranché Façade avec Dali, excusez du peu.
Le livre plutôt épais s’arrête lorsque qu’elle et sa mère sont rattrapées par les services de protection. Alors, elle passe sa nuit à danser comme une folle. Comme d’habitude en fait.
Cette histoire est une vraie collection de noms des célébrités de cette époque éméchée, effrénée, il y en a trois ou quatre par page, gentils, ou bourrés, ou défoncés, ou chouettes, ou …ou. L’histoire n’est pas vraiment pleine de suspense mais entre les lieux fréquentés par ces « enfants », les objets, les ambiances décrits ainsi que les musiques et les chansons rapportées, Eva nous remet dans cette période bénie pour beaucoup et complètement dingue. La photo de la couverture nous montre Eva alors qu’elle n’a que douze ans, hé oui, avec Christian Louboutin, encore loin de la pompe à semelle rouge… Sûr que ça n’intéressera pas tout le monde ! Mais c’est marrant.

Les Enfants de la nuit par Eva Ionesco, 2022 aux Editions Grasset. 444 pages, 24 €.

Texte © dominique cozette

Eva ou l'éternel féminin de Liberati

Eva Ionesco a cinquante ans. Je revois la petite fille et les photos qui paraissaient dans de beaux magazines, une petite fille aux allures de pute manipulée par sa mère, photographe glamchic de cette époque bains douches qui accoucha de nombreuses icônes dont beaucoup n’ont pas survécu. La mère était Irina Ionesco, nom d’emprunt. Jeune mère à cette époque, je ne comprenais pas qu’on puisse abuser de sa fille comme ça, en faire un objet sexuel pour hommes mal finis. Je m’inquiétais pour le sort de la petite.
C’est en partie pour ça que j’ai acheté le livre, Eva, et aussi parce que j’en ai eu de très bons échos. L’écriture, ou le style, m’a rappelé le plaisir que j’avais éprouvé à lire Ingrid Caven de Schuhl. On a aussi affaire à un dandy, ici, maniaque du beau, esthète du détail, inconditionnel du chic décadent. Le style s’en ressent, tout parfumé aux accents de ceux qui savent user de mots caressants et veloutés pour habiller une pensée banale. Sophistiquer une description. Enluminer la routine. Car il l’aime sa routine qu’Eva viendra casser, voire saccager. Salir ses beaux draps de lin à son chiffre, hurler pour un rien, foutre le bordel partout.
Et ça l’enchante en fait car Eva, c’est sa Lolita à lui. Il a fantasmé sur elle depuis les années Palace, inconsciemment, sans savoir qu’elle faisait son chemin dans son âme pour apparaître et se donner enfin à lui.
Ce n’est pas un livre biographique, c’est une quête. Il recherche avec opiniâtreté les souvenirs enfouis, car ils sont là, de rencontre en rencontre, planqués sous des poussières de cocaïne ou parmi d’épaisses vapeurs d’alcool. Pas assagis depuis. Buvant, se dopant, se hurlant dessus, s’aimant, se haïssant. Une relation sauvage et extravagante comme leur vie. On apprend au passage tout ce qu’elle a enduré, les viols, la prostitution forcée par la mère, les procès avec celle-ci pour récupérer son droit à l’image que sa mère continuait à brader aux pédophiles des cinq continents, la DASS, les TS, les OD, des trucs insensés. Sa mère, est-ce une excuse, était née de la relation incestueuse de sa propre mère avec le grand-père. Ambiance. Quant à son père, inconnu au bataillon, assassiné quand la gosse avait huit ans, déjà devenu un objet de convoitise, son enfance aussi assassinée. A l’époque, les années 70, on ne s’offusquait pas de si peu. Pensez-vous, c’était de l’art, madame Placard.
Bref, tout ce fond d’écran pour tenter de camper le personnage d’Eva dont il dit au début, même s’il ne trouve pas cela rebutant, qu’elle parlait peuple, qu’elle faisait charcutière, qu’elle transpirait et que ses propos orduriers auraient pu lui valoir un grand succès comme politicarde d’extrême-droite. Pour un dandy, c’était de l’inédit. Le personnage gardera les hurlements hystériques déjà remarqués chez la fillette lorsqu’on ne lui passait pas un caprice. Mais sera devenue pudique, voire mutique sur cette vie d’avant dont elle a conté l’histoire dans un film en 2011 où Isabelle Huppert jouait sa mère.
C’est un beau livre, un peu répétitif parfois, mais qui donne beaucoup de plaisir.

Eva par Simon Liberati, 2015, aux Editions Stock. 278 pages, 19,50 €.

Texte © dominique cozette

Les folles années 70/80 avec Pacaddicts

Il date de 2005 le gros pavé de plus de 800 pages qui regroupe les articles d’Alain Pacadis, le nightclubber le plus barge de l’histoire du journalisme français, mais aussi le plus fécond, le plus littéraire. Car même s’il se bourrait la gueule toutes les nuits jusqu’au coma, il écrivait sacrément bien, le p’tit père. Et il avait un beau bagage culturel.  A l’époque, je ne le suivais pas (je veux dire dans la presse, encore moins dans les virées), mais c’est drôle de retrouver toutes les  dingueries de cette époque clinquante et fêtarde, endopée et friquée, les énormes teufs du Palace, des Bains, du 7…
On y retrouve régulièrement ses potes et ses figures préférées de la nuit, Lagerfeld, Kalfon, Marc O, Bulle O., Garel, Jacno, Maria Schneider, Lio, Amanda Lear ou plus tard, Lavilliers, Tina Aumont.
Mais aussi Iggy, Buko, Andy, Burroughs, Gainsbourg dont il transcrit pour chacun d’eux des discussions-interviews-fleuves déjantées.
Il conte ses relations privilégiées avec le gratin du cinoche, de la mode, de la contre-culture, Nico et ceux du Velvet, les rockstars, les icônes punk et celles de la disco, puis du ska, la bande d’Actuel, bref de toutes les tendances qu’il attrape au gré de ses errances nocturnes, de ses shoots et de ses vomissures, de son manque et des descentes arides, ses addictions à tout ce qui fait le glitter de ces années-là, mélanges alcooliques, chimiques, toxiques, sexuels… Plus quelques articles de fantasmes trash très spéciaux qui ne pourraient sûrement plus paraître dans la presse classique de nos jours. A l’époque, c’était Façade, Libé, Palace Mag et quelques autres.
Ses chroniques prennent peu à peu la forme de journal intime où il y déverse son mal être et sa déchéance. Mais toujours d’une plume brillante.
On n’est pas obligé de tout lire, les très longs papiers sont croustillants, qui traitent de personnages littéraires, groupes musicaux, tendances nouvelles, drogues, socio des groupies…
On assiste à la soirée de vernissage du centre Pompidou avec VGE et toute la clique de ses ministres et amis présidents de Françafrique , au lancement d’endroits prétextes à de gigantesques fêtes à thèmes, généralement costumées, mariages branchés,  fiestas des fashion weeks qui ne s’appellent pas encore comme ça. L’énergumène, même en pleine déchéance physique, est toujours très sensible aux belles tenues, aux sublimes décors, à l’esthétique en général. Il cite volontiers les noms des couturiers qui ont paré les stars, les boutiques où beaucoup se sapent, les décorateurs, les peintres.
Dans la troisième partie du livre, après la mort de Fabrice Emaer, fondateur du 7 et du Palace, son protecteur, les chroniques de Pacadis s’orientent vers le compte-rendu sans trop d’intérêt avec juste l’intitulé du lieu, le prétexte de la fête et la liste des people croisés.
Ça se gâte de plus en plus avec les interviews  souvent bâclées de personnalités comme Distel, Macias, Rika Zaraï, Annie Cordy ou Line Renaud —  malgré tout le respect que je leur dois — et la décadence des toutes dernières années, quand sa route coupe invariablement celle de Jack Lang et de Monique, sa femme.

Nightclubbing, chroniques et articles 1973-1986 d’Alain Pacadis aux Editions Denoël. 2005. 836 pages.

Texte © dominique Cozette

 

 

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