Un livre pour l'été ? Le dernier Delacourt, forcément !

J’ai tendance à le renommer les quatre saisons de l’amour mais non, le titre est les quatre saisons de l’été. Indécrottable romantique, Grégoire Delacourt nous offre une ode à l’amour à travers les âges. Pas forcément joyeux, avec des renoncements, des larmes contenues, des projets contrariés, des absences, des non-dits. Tout ce qui fait que ça passe, ça casse ou ça lasse, mais ça embrasse et embrase aussi. Et trépasse peut-être.
C’est pendant la semaine du 14 juillet 1999 que se situent les histoires, dernière année de notre vie sur terre selon Nostradamus et Paco Rabanne réunis, avec l’énorme bug du millenium à son bout. C’est au Touquet, précisément, la plus grande plage du monde quand la mer se retire à des kilomètres — et dans d’autres endroits où sont advenus certains faits — mais où il pleut souvent. Chance : il fait beau. C’est un bel été de glaces et de gaufres, de sable et de serviettes de bain, de corps offerts au soleil et aux autres, de recherche d’aventure, d’envies de braise.
Quatre histoire se partagent le livre, quatre histoires indépendantes mais qui vont se croiser et s’infléchir, toutes avec un nom de fleur qui est parfois le nom de l’héroïne.
La première a 13 ans et son petit complice de jeux est fou amoureux d’elle, il n’y a qu’elle, c’est sa vie, elle est tout. Mais pour elle, il n’est rien de tout cela, elle voit plus loin, elle voit ailleurs, elle voit du côté de la femme qu’elle sera très vite, sans vergogne, séductrice avant l’âge légal.
La seconde a 35 ans, elle est seule avec son gamin de 9 ans, elle n’a pas de chance avec les hommes, ni avec son premier grand amour, ni avec son mari qui, un jour, part les mains dans les poches en disant c’est fini. Rien d’autre. Qui va t-elle rencontrer pendant cette fête des corps, va-t-elle pouvoir changer le regard qu’elle porte sur les hommes et l’amour ?
La troisième a 55 ans, c’est une belle femme fidèle, 35 ans de conjugo à son actif (et passif), trois garçons partis vivre leur vie, et des belles jambes. Puis d’un seul coup, son corps qui s’éveille, qui ressuscite, désirable, pétillant, magnifique comme son cœur, avide et affamé.
La quatrième, l’histoire particulièrement touchante d’un vieux couple qui s’est juré entre deux bombes, en 44, de rester et mourir ensemble. Un couple accroché par la main, provoquant l’attendrissement de ceux qu’il croise. Comment bien finir une belle histoire d’amour, joliment, modestement, tranquillement et passionnément ?
Un beau et bon livre, absolument pas gnan-gnan, au contraire, nerveux, fiévreux, douloureux parfois, qui rappelle notre vécu, dégage une belle ambiance et nous plante quelques chansons en tête. La plage à portée de main.

Les quatre saisons de l’été, de Grégoire Delacourt. Editions JCLattès, 2015. 270 pages, 18,50 €.

Les dommages collatéraux de Dan Fante et Grégoire Delacourt.

Dommages collatéraux, l’héritage de John Fante, par Dan Fante et On ne voyait que le bonheur, de Grégoire Delacourt, racontent des vies de malheur, des vies qui pourrissent, format bio ou roman, et qui puent très fort la misère intérieure. Dans ces deux livres, le malheur vient du haut, du géniteur, de la génitrice, de ceux qui auraient dû prendre soin des enfants, qui ne l’ont pas fait. De ces deux livres se dégage une force de vie  énorme que les héros voudront anéantir. Du sordide, du violent, du hard.

Dan Fante, histoire vécue,  a déversé dans son ouvrage le trop plein de mal être de la « fantittude », léguée de père en fils dans cette famille de Ritals râblés, irritables, érotophiles et rugueux, boostés par la déraisonnable coulée d’alcool et de dopes qu’ils étaient capables d’ingurgiter sans interruption, des jours entiers, jusqu’à des comas infernaux pour les proches. Et alors toutes sortes de dégueulasseries pouvaient arriver.
Dommages collatéraux est une confession sans pudeur, jusqu’aux détails sordides et puants de ce déchet humain que le fils Fante était devenu la majeure partie de son temps.  Quant à John, on peut se demander comment une femme cultivée et racée a pu lui rester fidèle malgré la vie de patachon qu’il menait, les violences qu’il perpétrait sur son entourage, les sommes folles qu’il claquait, jusqu’à son héritage à elle, en jeux d’argent, nuits de beuverie et consommation de putes. Et comment leur second fils, Dan, petit gros dyslexique, ratant tout, dénigré par son pater — qui porte aux nues l’aîné, enfant doué —  a pu ressentir autant d’amour pour ce géniteur mal aimant.
Bouquin qui dérange car on y voit la déchéance irrémédiable de deux êtres, père et fils, qui ne font rien pour la freiner. Par orgueil. Ne pas se plier aux lois, aux conventions, même si c’est la réussite assurée, boire jusqu’à l’inconscience parce que c’est plus facile que de se battre, ou de s’excuser, ou si on peut dire, de mettre de l’eau dans son vin. Et ruiner ses relations, ses amours, ses liens pour toutes ces raisons.
Bien sûr, on sait d’avance que Dan Fante finira par être un écrivain reconnu, que son père a été finalement reconnu, in extremis pour certaines de ses œuvres. Ça encourage la lecture mais c’est vraiment hard. Quant à la rédemption très morale américaine de notre héros par une sorte de foi envoyée par Dieu, hum.

On ne voyait que le bonheur, quatrième opus de Grégoire Delacourt est moins trash, quoi que,  mais d’une violence inouïe. La force de son héros est de ne pas en avoir, de force. C’est un lâche qui a tout fait pour ne pas l’être, ne surtout pas être comme son père qui avalait des couleuvres devant ses gosses. Manque de chance, cette tare tombe aussi sur lui, semant la honte en lui, le dévalorisant à ses yeux, ceux de sa femme et de ses gosses. Des hommes veules, des enfants malheureux de ne pas être aimés comme il faudrait, c’est ce que décrit très bien Delacourt.  Dans cette famille, on ne voyait que le bonheur car on ne montrait jamais le revers de la médaille, les mots d’amour jamais dits, les gestes d’amour jamais faits. Il n’y avait pas d’amour. Pas assez.
Trois générations tressent cette histoire. Le père du narrateur dont l’ambition de prix Nobel de chimie a fondu dans le coup de foudre pour sa femme qui ne le lui a jamais rendue. Il est devenu quincailler, préparateur de toutes sortes de lotions et potions dans sa petite ville du nord, blouse blanche et charme médiocre qui néanmoins agit sur ses clientes. Il ne saura pas, ni rendre sa femme heureuse, ni alimenter les sentiments de ses enfants après le drame.
Le narrateur, son fils, croit que lui saura y faire avec la vie. Il s’y entend en vie et en valeur des choses  puisqu’il est expert dans une compagnie d’assurance. Il  est expert pour déceler les triches et escroqueries et pour empêcher les versements de dommage. Cruel mais pro. Et puis les merdes arrivent, toutes ensemble. Enfin le geste insensé, terrible, pour effacer la malédiction. La fuite, ensuite, loin, où personne ne lui demandera rien, ou il ne demandera rien non plus.
Troisième génération, la jeune fille du narrateur, victime du drame, qui apportera sa voix à l’indicible et, aidée par des personnes extérieures, réussira peut-être, peut-être, à donner un sens à toutes ces vies, qu’elles soient finies ou pas.
Du pathos, bien sûr, et des passages formidables, notamment le début où Delacourt résume à sa façon une vie d’homme. Et la façon d’évaluer le prix des existences humaines. Mais aussi le manque des sentiments, l’atrocité de la faillite de l’amour, la vanité de nos vies, notre impuissance à la réussir. Sans oublier l’espoir, ce moteur.

– Dommages collatéraux, l’héritage de John Fante, par Dan Fante, 2014 pour la sortie en France, 2011 pour la première édition. Editions 13ème note,  448 pages.
– On ne voyait que le bonheur par Grégoire Delacourt, août 2014. Editions JC Lattès, 362 pages.

Texte © dominique cozette

 

La première chose, sont-ce les seins ?

C’est ce que suggère la première ligne du nouvel opus de Grégoire Delacourt dans la première chose qu’on regarde : « Arthur Dreyfuss aimait les gros seins ». La suite prouve qu’il sait aussi regarder d’autres choses.
Incroyable casting pour ce livre d’action amoureuse filmé dans un lieu de brumes où vivent les blondes ! Celle qui occupe l’écran est une star planétaire, Scarlett Johansson, qui vient chercher refuge chez le jeune et beau garagiste d’un bled de la Somme, dont on tombe amoureuses car franchement quand on est une femme…
La bande-son va nous illustrer tout ça pour que le rêve s’y incarne, et si Céline Dion n’est pas notre tasse de thé, on y croise aussi Bach, Barbara, Piaf et d’autres que je ne connais pas. Scarlett nous fait la grâce de s’exprimer dans un joli français avec accent, jusqu’à ce qu’elle devienne Jeanine.
Dans ce film-livre, tous les détails de tout complètent le décor puisque décrits avec précision : les mensurations, les dates de naissance et de mort, les kilomètres, les marques des choses, les caractéristiques techniques, les nombres d’habitants, les réalisateurs ou acteurs des films , les symptômes des maladies, plus plein de  noms connus et inconnus et de références de toutes sortes. Et en cerise sur le gâteau : de la poésie.
Dans cet univers s’écrit la brève et intense passion de deux paumés cabossés issus de quatre paumés cabossés — la vie n’est pas rose en baie de Somme, surtout quand on est d’une indicible beauté comme Jeanine, sosie de la femme la plus belle du monde, et que rien d’autre que ses seins, son visage, ses jambes, sa gloire n’intéressent l’humanité. A part notre jeune héros qui voit l’intérieur des gens comme l’intérieur des machines qu’il sait déchiffrer, démonter, réparer.
Il y a du vent, de la pluie, des étangs, des mères brisées, des gens de peu, de la Ricorée, eh oui, on est chez Grégoire-la-France-du-Nord-Delacourt.
Mais il y a aussi des très grands sentiments, et le bonheur, enfin, à portée de coeur, de main, de vie. Si ce n’est qu’on saura, assez vite, que tout ça finira mal. On a beau se dire mais non, j’ai mal compris, c’est juste pour mettre du suspense qu’il nous prévient, force est de constater que l’unhappy end s’approche à vitesse grand V pour briser ce fol amour qu’ils méritaient pourtant de savourer. Pour une connerie, en plus. Une connerie qu’il n’a même pas imprimée dans son cerveau saturé d’émotion(s).

Pour finir de lire ce roman comme on regarde un film, vous pouvezvaller voir les images qui l’illustrent dans le site de l’auteur, ici. Grégoire n’est pas publicitaire pour rien !

La première chose qu’on regarde, de Grégoire Delacourt aux édtions JCLattès,  mars 2013. 264 pages, 17 euros.

Texte © dominique cozette

Ce livre était sur « la liste de mes envies ».

Et voilà, il est dévoré. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de ralentir un peu, d’en garder la fin pour le lendemain, mais le lendemain devient vite la veille.
J’avais donc apprécié au-delà du raisonnable le premier opus de Grégoire Delacourt « l’écrivain de la famille » (mon article ici) paru l’an dernier, me disant qu’il allait falloir attendre un bail pour en savourer un autre — selon mon pessimisme optimiste — et toc ! me voilà avec le deuxième !
Ce qui est top, c’est que Grégoire Delacourt nous change de registre. Après avoir raconté son histoire de façon romancée, il fait dans la fiction totale en nous contant celle de Jocelyne, mercière à Arras, qui, poussée à jouer par des copines, gagne le gros lot. Puis décide de ne pas le claironner mais surtout de ne pas l’encaisser, de peur de perdre ses bonheurs tout simples. Je n’en dirai pas plus, l’auteur le raconte très bien.
Grégoire, que j’ai connu dans une autre vie, aime les gens de peu, les humbles, les simples et les gentils. Et puis le nord. Il nous introduit avec grâce dans la famille de Jocelyne, dans son couple, dans sa tête et ses rêves de jeunesse évaporés. Jocelyne qui, sans faire de philosophie, soupçonne qu’il y a plus à perdre qu’à gagner avec une telle somme. Jocelyne qui fait confiance aux autres, qui ne voit pas le mal, ou ne veut pas le voir, qui, sans être une sainte, aime bien rendre service. Elle tient d’ailleurs un blog sur les astuces, les trucs, les cent idées de la vie quotidienne via les travaux d’aiguilles. Elle pardonne assez facilement quand on lui fait des crasses mais attention, faut pas en remettre une couche ! C’est une pragmatique, pas une victime.
Bien sûr, c’est sentimental car Jocelyne est sentimentale. Elle lit et relit Belle du Seigneur tout en déplorant sa tragique issue. Et revient  sur le lieu d’un de ses bonheurs pour essayer, sans trop y croire mais on ne sait jamais, de le retrouver.
Et puis, grâce ou à cause de son gain, il y a la liste de ses envies, qu’elle refait de temps en temps, et qui nous met bien le nez dans l’incohérence de notre société bling-bling et autiste.
C’est un roman pas très épais, ça n’est pas une critique car tout est dit avec précision, acuité et sentiment.  C’est un roman suffisamment dense pour en faire un  film. Et pourquoi pas ?  Son premier livre a été couronné de plus d’une dizaine de prix. Et celui-ci « a déjà séduit les éditeurs du monde entier » comme c’est écrit sur le bandeau.
Bravo Grégoire ! Sans mettre la pression, j’attends le suivant…

Grégoire Delacourt « La liste de mes envies ». Editions JC Lattès. 2012. Imprimé développement durable. Presque 200 pages. 16 €.

Texte © dominique cozette

L’écrivain de la famille Delacourt, c’est Grégoire.

A sept ans, il a le malheur de pondre quatre rimes (cala)miteuses qui font s’extasier ses parents : il sera écrivain. C’est ainsi que naissent les fausses vocations, les fils à la patte, les mauvaises voies (de garage). Il vit dans le nord, avec des parents qui s’effilochent, un père qui, perdant son boulot, quittant sa femme pour une meilleure affaire et vieillissant mal, pète un fusible et se retrouve hébété avec les innocents baveux. Sa mère, l’amante qu’il l’appelle car un jour où elle rentre d’une virée, elle devient, pour le petit garçon, la séductrice, la fumeuse, la fêtarde, la Gena Rowlands. Mais son nouvel espoir, unijambiste onctueux, n’est pas Cassavetes. Et  la petite sœur qui rêve juste de rencontrer son prince, le vrai, avec qui on fait des petits consorts, mais qui  tombe  sur un vrai salaud puis sur un naufragé de l’amour, sans passion, comme elle. Et puis le petit frangin qui a un bug dans le crâne, qui ne sait pas déployer ses ailes et n’aura jamais le mode d’emploi de la vie.
Ecrivain vain, c’est d’abord ce qu’est notre jeune héros, écrasé par l’énorme responsabilité d’avoir à aligner des mots pour ne pas décevoir, pour mériter l’amour des autres. Il n’y arrive tout simplement pas. Pourtant Monique croira en lui. Monique, c’est la dévouée, la pas belle, celle qui bosse pour que son mec réussisse et qu’elle ait une vie de rêve, comme jadis les secrétaires avec les internes en médecine qui les plaquaient une fois le cabinet opérationnel. C’est extrêmement bancal entre eux, et d’ailleurs entre eux, il y a l’éternel bellâtre plus Francis Huster. Ça n’empêchera pas deux fillettes de naître, mais l’amour est aux abonnés absents.
Si le roman ne s’écrit pas, les mots trouvent un nouvel écrin : la pub. Bingo ! Seulement, on n’est pas dans du Beigbeder. On reste dans ses petites envergures : logements minables, vie de merde à juste travailler, quelques stagiaires à baiser. Si, une fois, une bouffeuse d’hommes, attachante et destructive comme le sida qu’elle attirera aussi.
C’est un livre de blues, rien ne va totalement, sauf la pub et le fric Mais ça ne fait pas le bonheur. Ça fait de sa femme une ex-femme : Monique devient Joy, sorte de pétasse de luxe qui claque tout. C’est un livre du nord où on a toujours envie de dire « ferme la porte », c’est plein de courants d’air froids, de plages grises et de sentiments qui cassent. Sauf qu’un jour, une fille assise sur la voiture…fin de la malédiction. Et voici le livre. L’écriture est incisive, le style est fringant, l’humour est sous les pavés, le charme opère. Ce récit est touchant, intime, sincère, bref attachant. S’il manque un peu de distance ou de poésie vis-à-vis de la publicité qui continue à le nourrir, le petit gars est enfin entré (encré) dans la cour des grands.

Grégoire Delacourt. L’écrivain de la famille,  JCLattès. 265 p. 17 euros. Sorti le 12 janvier 2011.

Texte ©dominiquecozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter