Ce livre était sur « la liste de mes envies ».

Et voilà, il est dévoré. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de ralentir un peu, d’en garder la fin pour le lendemain, mais le lendemain devient vite la veille.
J’avais donc apprécié au-delà du raisonnable le premier opus de Grégoire Delacourt « l’écrivain de la famille » (mon article ici) paru l’an dernier, me disant qu’il allait falloir attendre un bail pour en savourer un autre — selon mon pessimisme optimiste — et toc ! me voilà avec le deuxième !
Ce qui est top, c’est que Grégoire Delacourt nous change de registre. Après avoir raconté son histoire de façon romancée, il fait dans la fiction totale en nous contant celle de Jocelyne, mercière à Arras, qui, poussée à jouer par des copines, gagne le gros lot. Puis décide de ne pas le claironner mais surtout de ne pas l’encaisser, de peur de perdre ses bonheurs tout simples. Je n’en dirai pas plus, l’auteur le raconte très bien.
Grégoire, que j’ai connu dans une autre vie, aime les gens de peu, les humbles, les simples et les gentils. Et puis le nord. Il nous introduit avec grâce dans la famille de Jocelyne, dans son couple, dans sa tête et ses rêves de jeunesse évaporés. Jocelyne qui, sans faire de philosophie, soupçonne qu’il y a plus à perdre qu’à gagner avec une telle somme. Jocelyne qui fait confiance aux autres, qui ne voit pas le mal, ou ne veut pas le voir, qui, sans être une sainte, aime bien rendre service. Elle tient d’ailleurs un blog sur les astuces, les trucs, les cent idées de la vie quotidienne via les travaux d’aiguilles. Elle pardonne assez facilement quand on lui fait des crasses mais attention, faut pas en remettre une couche ! C’est une pragmatique, pas une victime.
Bien sûr, c’est sentimental car Jocelyne est sentimentale. Elle lit et relit Belle du Seigneur tout en déplorant sa tragique issue. Et revient  sur le lieu d’un de ses bonheurs pour essayer, sans trop y croire mais on ne sait jamais, de le retrouver.
Et puis, grâce ou à cause de son gain, il y a la liste de ses envies, qu’elle refait de temps en temps, et qui nous met bien le nez dans l’incohérence de notre société bling-bling et autiste.
C’est un roman pas très épais, ça n’est pas une critique car tout est dit avec précision, acuité et sentiment.  C’est un roman suffisamment dense pour en faire un  film. Et pourquoi pas ?  Son premier livre a été couronné de plus d’une dizaine de prix. Et celui-ci « a déjà séduit les éditeurs du monde entier » comme c’est écrit sur le bandeau.
Bravo Grégoire ! Sans mettre la pression, j’attends le suivant…

Grégoire Delacourt « La liste de mes envies ». Editions JC Lattès. 2012. Imprimé développement durable. Presque 200 pages. 16 €.

Texte © dominique cozette

L’écrivain de la famille Delacourt, c’est Grégoire.

A sept ans, il a le malheur de pondre quatre rimes (cala)miteuses qui font s’extasier ses parents : il sera écrivain. C’est ainsi que naissent les fausses vocations, les fils à la patte, les mauvaises voies (de garage). Il vit dans le nord, avec des parents qui s’effilochent, un père qui, perdant son boulot, quittant sa femme pour une meilleure affaire et vieillissant mal, pète un fusible et se retrouve hébété avec les innocents baveux. Sa mère, l’amante qu’il l’appelle car un jour où elle rentre d’une virée, elle devient, pour le petit garçon, la séductrice, la fumeuse, la fêtarde, la Gena Rowlands. Mais son nouvel espoir, unijambiste onctueux, n’est pas Cassavetes. Et  la petite sœur qui rêve juste de rencontrer son prince, le vrai, avec qui on fait des petits consorts, mais qui  tombe  sur un vrai salaud puis sur un naufragé de l’amour, sans passion, comme elle. Et puis le petit frangin qui a un bug dans le crâne, qui ne sait pas déployer ses ailes et n’aura jamais le mode d’emploi de la vie.
Ecrivain vain, c’est d’abord ce qu’est notre jeune héros, écrasé par l’énorme responsabilité d’avoir à aligner des mots pour ne pas décevoir, pour mériter l’amour des autres. Il n’y arrive tout simplement pas. Pourtant Monique croira en lui. Monique, c’est la dévouée, la pas belle, celle qui bosse pour que son mec réussisse et qu’elle ait une vie de rêve, comme jadis les secrétaires avec les internes en médecine qui les plaquaient une fois le cabinet opérationnel. C’est extrêmement bancal entre eux, et d’ailleurs entre eux, il y a l’éternel bellâtre plus Francis Huster. Ça n’empêchera pas deux fillettes de naître, mais l’amour est aux abonnés absents.
Si le roman ne s’écrit pas, les mots trouvent un nouvel écrin : la pub. Bingo ! Seulement, on n’est pas dans du Beigbeder. On reste dans ses petites envergures : logements minables, vie de merde à juste travailler, quelques stagiaires à baiser. Si, une fois, une bouffeuse d’hommes, attachante et destructive comme le sida qu’elle attirera aussi.
C’est un livre de blues, rien ne va totalement, sauf la pub et le fric Mais ça ne fait pas le bonheur. Ça fait de sa femme une ex-femme : Monique devient Joy, sorte de pétasse de luxe qui claque tout. C’est un livre du nord où on a toujours envie de dire « ferme la porte », c’est plein de courants d’air froids, de plages grises et de sentiments qui cassent. Sauf qu’un jour, une fille assise sur la voiture…fin de la malédiction. Et voici le livre. L’écriture est incisive, le style est fringant, l’humour est sous les pavés, le charme opère. Ce récit est touchant, intime, sincère, bref attachant. S’il manque un peu de distance ou de poésie vis-à-vis de la publicité qui continue à le nourrir, le petit gars est enfin entré (encré) dans la cour des grands.

Grégoire Delacourt. L’écrivain de la famille,  JCLattès. 265 p. 17 euros. Sorti le 12 janvier 2011.

Texte ©dominiquecozette

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