Les dommages collatéraux de Dan Fante et Grégoire Delacourt.

Dommages collatéraux, l’héritage de John Fante, par Dan Fante et On ne voyait que le bonheur, de Grégoire Delacourt, racontent des vies de malheur, des vies qui pourrissent, format bio ou roman, et qui puent très fort la misère intérieure. Dans ces deux livres, le malheur vient du haut, du géniteur, de la génitrice, de ceux qui auraient dû prendre soin des enfants, qui ne l’ont pas fait. De ces deux livres se dégage une force de vie  énorme que les héros voudront anéantir. Du sordide, du violent, du hard.

Dan Fante, histoire vécue,  a déversé dans son ouvrage le trop plein de mal être de la « fantittude », léguée de père en fils dans cette famille de Ritals râblés, irritables, érotophiles et rugueux, boostés par la déraisonnable coulée d’alcool et de dopes qu’ils étaient capables d’ingurgiter sans interruption, des jours entiers, jusqu’à des comas infernaux pour les proches. Et alors toutes sortes de dégueulasseries pouvaient arriver.
Dommages collatéraux est une confession sans pudeur, jusqu’aux détails sordides et puants de ce déchet humain que le fils Fante était devenu la majeure partie de son temps.  Quant à John, on peut se demander comment une femme cultivée et racée a pu lui rester fidèle malgré la vie de patachon qu’il menait, les violences qu’il perpétrait sur son entourage, les sommes folles qu’il claquait, jusqu’à son héritage à elle, en jeux d’argent, nuits de beuverie et consommation de putes. Et comment leur second fils, Dan, petit gros dyslexique, ratant tout, dénigré par son pater — qui porte aux nues l’aîné, enfant doué —  a pu ressentir autant d’amour pour ce géniteur mal aimant.
Bouquin qui dérange car on y voit la déchéance irrémédiable de deux êtres, père et fils, qui ne font rien pour la freiner. Par orgueil. Ne pas se plier aux lois, aux conventions, même si c’est la réussite assurée, boire jusqu’à l’inconscience parce que c’est plus facile que de se battre, ou de s’excuser, ou si on peut dire, de mettre de l’eau dans son vin. Et ruiner ses relations, ses amours, ses liens pour toutes ces raisons.
Bien sûr, on sait d’avance que Dan Fante finira par être un écrivain reconnu, que son père a été finalement reconnu, in extremis pour certaines de ses œuvres. Ça encourage la lecture mais c’est vraiment hard. Quant à la rédemption très morale américaine de notre héros par une sorte de foi envoyée par Dieu, hum.

On ne voyait que le bonheur, quatrième opus de Grégoire Delacourt est moins trash, quoi que,  mais d’une violence inouïe. La force de son héros est de ne pas en avoir, de force. C’est un lâche qui a tout fait pour ne pas l’être, ne surtout pas être comme son père qui avalait des couleuvres devant ses gosses. Manque de chance, cette tare tombe aussi sur lui, semant la honte en lui, le dévalorisant à ses yeux, ceux de sa femme et de ses gosses. Des hommes veules, des enfants malheureux de ne pas être aimés comme il faudrait, c’est ce que décrit très bien Delacourt.  Dans cette famille, on ne voyait que le bonheur car on ne montrait jamais le revers de la médaille, les mots d’amour jamais dits, les gestes d’amour jamais faits. Il n’y avait pas d’amour. Pas assez.
Trois générations tressent cette histoire. Le père du narrateur dont l’ambition de prix Nobel de chimie a fondu dans le coup de foudre pour sa femme qui ne le lui a jamais rendue. Il est devenu quincailler, préparateur de toutes sortes de lotions et potions dans sa petite ville du nord, blouse blanche et charme médiocre qui néanmoins agit sur ses clientes. Il ne saura pas, ni rendre sa femme heureuse, ni alimenter les sentiments de ses enfants après le drame.
Le narrateur, son fils, croit que lui saura y faire avec la vie. Il s’y entend en vie et en valeur des choses  puisqu’il est expert dans une compagnie d’assurance. Il  est expert pour déceler les triches et escroqueries et pour empêcher les versements de dommage. Cruel mais pro. Et puis les merdes arrivent, toutes ensemble. Enfin le geste insensé, terrible, pour effacer la malédiction. La fuite, ensuite, loin, où personne ne lui demandera rien, ou il ne demandera rien non plus.
Troisième génération, la jeune fille du narrateur, victime du drame, qui apportera sa voix à l’indicible et, aidée par des personnes extérieures, réussira peut-être, peut-être, à donner un sens à toutes ces vies, qu’elles soient finies ou pas.
Du pathos, bien sûr, et des passages formidables, notamment le début où Delacourt résume à sa façon une vie d’homme. Et la façon d’évaluer le prix des existences humaines. Mais aussi le manque des sentiments, l’atrocité de la faillite de l’amour, la vanité de nos vies, notre impuissance à la réussir. Sans oublier l’espoir, ce moteur.

– Dommages collatéraux, l’héritage de John Fante, par Dan Fante, 2014 pour la sortie en France, 2011 pour la première édition. Editions 13ème note,  448 pages.
– On ne voyait que le bonheur par Grégoire Delacourt, août 2014. Editions JC Lattès, 362 pages.

Texte © dominique cozette

 

La vie si mooch de Dan Fante

Mooch est le titre original du bouquin de Dan Fante, « la tête hors de l’eau », qui nous conte ici l’exténuante épopée de Bruno Dante — le double officiel de l’écrivain — en proie à deux irrésistibles démons : l’alcool et le sexe-avec-Jimmi, Jimmi étant la nana la plus bandante du monde et de tous les temps et à laquelle, bien qu’elle soit une sale pute junkie et même pas amoureuse – il est impossible de résister.
Voilà donc Bruno, abstinent depuis quatre mois, qui se retient de se bourrer la gueule après avoir été viré de son sale job de vendeur d’aspirateurs. Sauvé par un gentil des Alcooliques Anonymes, il poursuit sa rehab en 21 étapes en télévendant des toners. Très doué. Il se refait vite, il va s’en sortir mais ah, merde ! il y a cette damnée call-girl qui le rend dingue. Dès lors, nous nous mettons avec lui, derrière lui, lui crions : attention Bruno ! Non, fais pas ça !!! Brunooooooo !!! Mais c’est sa croix, c’est son histoire. Il va s’enquiller toutes les conneries qui se présentent pourvu qu’il assouvisse ce vieux désir charnel de posséder cette salope qui ne veut pas de lui. Juste son fric. Et alors, trois verres, une bouteille pour oublier qu’elle est partie, ou qu’elle est revenue, ou qu’elle est enceinte, ou qu’elle suce quelqu’un d’autre, ou qu’elle fait la fête avec ses potes et du crack, ou quoi encore ? Et la ruine, la honte, viré comme un malpropre, dégueulant partout, suppliant, faisant n’importe quoi… Et puis repartant, clean, promettant… L’enfer.
C’est l’Amérique des Fante, Dan c’est l’un des fils du grand John. C’est les motels pourris, la vue sur Venice Beach, les boutanches cachées dans des sacs en kraft, les bagnoles qui pètent sous le soleil de plomb, les pépées pathétiques et sublimes qui fouillent dans ton ben à la recherche de ton fric et de ton zob, les clopes bogartées au son du cliquetis de l’Underwood, le sang qui gicle sous n’importe quel prétexte, les faux amis qui te niquent et l’amour qui te nargue tel un mirage dans le désert de la mort.
L’exergue, déjà, donne le ton : « ce livre est dédié à mon frère aîné, Nicholas Joseph Fante, 1942-1997. Mort d’alcoolisme. Ecrasé comme un chien dans la rue. »

Ce bouquin me donne envie de lire ses autres et surtout de relire tout son père, car d’un seul coup, Bandini me manque terriblement. Arturo Bandini, le double de John Fante.
Dan Fante. « La tête hors de l’eau ». 1988. Paru en 2001 chez Christian Bourgois.
Pour en savoir plus sur les Fante, relire l’excellent article d’Emeline Ancel-Pirouelle sur l’excellent blog de Pierre-Arnaud Gillet qui est un fan absolu. C’est ici.

Texte et dessins © dominiquecozette

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