Belle plume américaine, Rick Bass retrace dans ce livre l’histoire d’un immense groupe tombé aux oubliettes, the Brows, un frère et deux soeurs, qui grimpèrent au top des tops dans les 50’s avec, pour grand copain et fiancé… Elvis, encore débutant. Le livre n’est pas la restitution plate des dates, des faits. C’est beaucoup plus que ça, c’est un bouquet d’émotions et d’ecchymoses du coeur, plusieurs vies revues à l’aune de ce qui en fait le matériau : les sentiments. Et ils sont d’une grande richesse dans cette famille nombreuse — d’autres enfants y sont nés — vivant de la forêt et de leur scierie. Il se trouve que Rick Bass, l’auteur, est un écrivain bûcheron et que le coeur qu’il met à cet ouvrage n’est pas étranger à sa passion de la coupe.
Très tôt, les voix des trois aînés sont repérés. Larges d’esprit, les parents les encouragent à suivre la voix artistique en participant à de nombreux radio-crochets. C’est là que le grand méchant loup les bouffe tout crus : il leur fait signer une décharge de tous leurs droits et bien que le groupe et les chansons que compose Maxine, l’ainée, soit toujours en tête des ventes, ils ne touchent pas un radis et dorment dans leur voiture alors que le producteur véreux se pavane dans les palaces.
Elvis, jeune glandu vocal, admire ces voisins à voix d’or et devient copain comme cochon avec la famille, accompagnant le groupe et chantant avec eux, partageant pêche à la truite et BBQ. Et s’éprenant de la plus jeune. Leur immense succès s’appelle « the three bells », il s’agit des « trois cloches » d’Edith Piaf à la sauce soul. A écouter sur leur page ici. (Il paraîtrait que Lennon venait juste d’en enregistrer sa version quand il a été assassiné).
Souvent, par manque d’argent, ils viennent se refaire à la scierie où le frère guitariste laissera deux doigts, leur père une guibolle, et un autre frère la vie. Peu à peu, ils se dispersent, et se retrouvent. Ils remboursent la fausse dette du véreux voleur mais d’autres styles musicaux ont pris la place. La vague Beatles — avec le premier batteur desquels ils ont bossé — finissent de balayer leurs espoirs de grand retour. La jeune soeur a préféré un médecin de campagne a moitié sourd au King, le frangin annonce à Maxine que le groupe doit se dissoudre et Maxine, après un mariage calamiteux, se retrouve seule avec ses questionnements sur la gloire loupée, le bonheur raté et la retombée dans l’anonymat. Elle s’afflige de ce que les Brown n’ont pas un film sur eux et décide, à son grand âge, d’y remédier.
Formidable épopée superbement écrite comme tous les Rick Bass, qui nous conte l’Amérique profonde amoureuse de musique.
Nashville Chrome de Rick Bass 2010, chez Christian Bourgois en 2012. 380 pages.
texte © dominique cozette