C’est mon deuxième Laura Kasischke, je n’avais pas fini mon premier. J’y suis entrée sur la foi d’un athée, ami de même goût, donc en confiance mais sans trop d’enthousiasme ! Ah, ces histoires de campus US avec ces petites garces aux cheveux lisses et épais qui font tourner les garçons en bourrique ! Ah, ces rituels de bizutage tous plus cruels les uns que les autres ! Et ah ! ces profs politically corrects qui font gaffe à ce qu’ils racontent. Mais peu à peu, je me suis laissée submerger par un implacable suspens.
A l’instar des romans américains issus de la grande vogue des ateliers d’écriture, les Revenants ne dérogent pas à la règle qui veut que lorsqu’on croise un personnage même secondaire ou marginal, on s’intéresse à lui, à ce qu’il a bouffé la la veille, comment s’entendaient ses parents et les relations qu’il entretenait avec le jules de sa baby-sitter. Donc, c’est vrai, ça fait du monde, ça fait du volume, ça fait de la lecture.
Selon le même principe, on s’attache à décrire — attention, je vais utiliser les italiques — précisément les décors, murs, sols, meubles, déco, odeur des bougies, vue de la fenêtre. Mais aussi les vêtements des protagonistes, leur parfum, leur démarche, leur voix. On dirait presque une intention de réalisation : tout y est pour faire le film. D’ailleurs, à ce propos, le montage est moderne très cut, découpé soigneusement pour nous laisser maronner tandis que l’on saute à l’action qui se passe à côté ou qui s’est passée avant, un peu comme dans les films d’Inarritu (Amours chiennes, 21 grammes) : il faut un petit temps d’adaptation à chaque fois. C’est pour la forme. Ce à quoi je peux ajouter que c’est de la belle écriture classique d’aujourd’hui, précise et sans gras. Avec des entrées de paragraphes pour aérer et des dialogues ni trop ni trop peu comme dans tout bon roman.
Pour le fond, c’est une histoire troublante de jeunes étudiantes mortes ou disparues, que l’on aperçoit parfois, de loin, à peine, dont on a voulu apparemment masquer l’accident ou la mort et on est aidées dans cette sorte d’enquêtes menées par un prof et un étudiant qui fut l’ami de l’héroïne depuis l’enfance et le coloc du fiancé qui a provoqué l’accident mortel.
Cette histoire est d’autant plus inquiétante et les soupçons de trafic de la mort d’autant plausible que la prof qui mène l’enquête fait son séminaire sur les rituels liés au deuil, la mort, les non-morts… On est en plein dedans. Et on y saute à pieds joints et après on veut absolument savoir ce qui se passe, on t’attache à deux ou trois personnages, leur femme ou leur mari, ou leur mère, ou les jumeaux pénibles qui ne parlent qu’en sabir etc…
C’est américain donc il y a de la morale, un zeste de sexe, des horreurs ! comme la drogue, l’homosexualité féminine, les bals de fin d’année, les groupes/clubs/ sororité et autres amalgames de gens interchangeables à la pensée unique. Ou inique.
Il y a des critiques qui font rien qu’à vous raconter le pitch comme Télérama, ou le Monde des Livres, allez sur Google si vous aimez savoir avant. Moi j’ai fini mon boulot. Vous avez 587 pages drues et mal reliées — car elles ont tendance à se détacher et pourtant il était presque neuf quand on me l’a donné — bref 587 pages d’une bonne littérature on va dire, très appliquée, super bien construite et carrément efficace. Voilà le mot : efficace.
©Les revenants par Laura Kasischke. Christian Bourgois editeur 2011.