Le Sauvage, quel sauvage !

Guillermo Arriaga est un créateur surdoué. Il a écrit plusieurs livres mais surtout de grands scénarios  comme 21 grammes, Babel, Amours chiennes (tous trois mis en scène brillamment par A.G. Inarritu) et quelques autres. Cette année, il nous offre une vaste fresque impressionnante, passionnante, métaphysique, conte initiatique si on veut. Le livre, un pavé, s’appelle le Sauvage. Mais qui est le sauvage ? Le narrateur, Juan Guillermo qui se fait la peau dure pour venger son frère assassiné ? Un grand loup mâle dominant traqué par un chasseur inuit parce qu’il veut être lui ? Les deux.
Le narrateur, Juan Guillermo a tué son jumeau dans le ventre de sa mère, il s’en remettrait mieux si les membres de sa famille et ses animaux ne mouraient les uns après les autres. D’abord son grand frère, un chic type hyper cultivé qui se fait un blé de ouf en élevant des chinchillas mais aussi en dealant, mais qui refuse de verser des pots de vin au chef de la police… police qui marche avec un groupuscule d’ultra-cathos réacs, les « bons garçons » : ceux-ci punissent ceux qui ne pensent pas comme il faut et ça arrange bien le flic  ripou en chef. Donc le grand frère sera assassiné de façon cruelle pendant que leurs parents se payent un super voyage en Europe. Ils ne s’en remettront pas et en mourront.
Juan Guillermo reste seul dans la maison, avec le vieux labrador et ses deux perruches qu’il laisse en liberté. Il vit plus ou moins avec une étudiante très libre, infidèle, plus mature, dont il tombe fou amoureux. En même temps, il décide de sauver de l’euthanasie un chien d’une force inouïe qui s’avère être un loup. La guerre entre ces deux sauvages va être épique, destructrice mais payante. Il n’a que 17 ans quand il met en place le plan pour venger son frère, une machine impitoyable, alimentée par les conseils d’un dresseur de fauves et d’un avocat retors.
Dans l’autre récit, l’Inuit va aller jusqu’au bout de ses forces pour « avoir » cet animal fabuleux, conseillé épisodiquement par son grand-père mort qui fait des apparitions. On va rencontrer d’autres personnages étonnants, les parents du chasseur qui vont se retrouver, un ingénieur père de trois enfants qui va brutalement en adopter trois autres…
Et puis, en intercalaires, des légendes sur les rites de diverses sociétés, des bribes de philosophie ou de religion, des allusions à Faulkner…
C’est tellement touffu mais tellement simple aussi qu’on se laisse porter par ce récit monté comme ses scénarios, cut et alternés. Formidable !

Le Sauvage de Guillermo Arriaga,2016. 2019 avec la traduction d’Alexandra Carrasco pour les éditions Fayard. 686 pages.

Texte © dominique cozette

Je te prête ce livre mais il s’appelle … les revenants !

C’est mon deuxième Laura Kasischke, je n’avais pas fini mon premier. J’y suis entrée sur la foi d’un athée, ami de même goût, donc en confiance mais sans trop d’enthousiasme ! Ah, ces histoires de campus US avec ces petites garces aux cheveux lisses et épais qui font tourner les garçons en bourrique ! Ah, ces rituels de bizutage tous plus cruels les uns que les autres ! Et ah ! ces profs politically corrects qui font gaffe à ce qu’ils racontent. Mais peu à peu, je me suis laissée submerger par un implacable suspens.
A l’instar des romans américains issus de la grande vogue des ateliers d’écriture, les Revenants ne dérogent pas à la règle qui veut que lorsqu’on croise un personnage même secondaire ou marginal, on s’intéresse à lui, à ce qu’il a bouffé la la veille, comment s’entendaient ses parents et les relations qu’il entretenait avec le jules de sa baby-sitter. Donc, c’est vrai, ça fait du monde, ça fait du volume, ça fait de la lecture.
Selon le même principe, on s’attache à décrire — attention, je vais utiliser les italiques — précisément les décors, murs, sols, meubles, déco, odeur des bougies, vue de la fenêtre. Mais aussi les vêtements des protagonistes, leur parfum, leur démarche, leur voix. On dirait presque une intention de réalisation : tout y est pour faire le film. D’ailleurs, à ce propos, le montage est moderne très cut, découpé soigneusement pour nous laisser maronner tandis que l’on saute à l’action qui se passe à côté ou qui s’est passée avant, un peu comme dans les films d’Inarritu (Amours chiennes, 21 grammes) : il faut un petit temps d’adaptation à chaque fois. C’est pour la forme. Ce à quoi je peux ajouter que c’est de la belle écriture classique d’aujourd’hui, précise et sans gras. Avec des entrées de paragraphes pour aérer et des dialogues ni trop ni trop peu comme dans tout bon roman.
Pour le fond, c’est une histoire troublante de jeunes étudiantes mortes ou disparues, que l’on aperçoit parfois, de loin, à peine, dont on a voulu apparemment masquer l’accident ou la mort et on est aidées dans cette sorte d’enquêtes menées par un prof et un étudiant qui fut l’ami de l’héroïne depuis l’enfance et le coloc du fiancé qui a provoqué l’accident mortel.
Cette histoire est d’autant plus inquiétante et les soupçons de trafic de la mort d’autant plausible que la prof qui mène l’enquête fait son séminaire sur les rituels liés au deuil, la mort, les non-morts… On est en plein dedans. Et on y saute à pieds joints et après on veut absolument savoir ce qui se passe, on t’attache à deux ou trois personnages, leur femme ou leur mari, ou leur mère, ou les jumeaux pénibles qui ne parlent qu’en sabir etc…
C’est américain donc il y a de la morale, un zeste de sexe, des horreurs ! comme la drogue, l’homosexualité féminine, les bals de fin d’année, les groupes/clubs/ sororité et autres amalgames de gens interchangeables à la pensée unique. Ou inique.
Il y a des critiques qui font rien qu’à vous raconter le pitch comme Télérama, ou le Monde des Livres,  allez sur Google si vous aimez savoir avant. Moi j’ai fini mon boulot. Vous avez 587 pages drues et mal reliées  — car elles ont tendance à se détacher et pourtant il était presque neuf quand on me l’a donné — bref 587 pages d’une bonne littérature on va dire, très appliquée, super bien construite et carrément efficace. Voilà le mot : efficace.

©Les revenants par Laura Kasischke. Christian Bourgois editeur 2011.

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