Dingue ce livre !

Guillermo Arriaga est une sacrée plume, un sacré storyteller. Il a imaginé des scénarios époustouflants pour Alejandro Inarritu comme, entre autres, 21 grammes, Babel ou Les amours chiennes. Ce roman, Sauver le feu, est du même tonneau. Une densité extraordinaire, une inventivité énorme, des situations insensées, des rebondissements incroyables, tout ceci baignant dans la violence terrifiante, explosive, du Mexique, en proie à la guerre des cartels, des combines des prisons et de la corruption politique.
Au milieu de cette pourriture, vibrionnant dans les bas-fonds du pays, une histoire d’amour insensée, totalement taboue, entre un puissant condamné craint de tous, ayant assassiné son père (un sale type) de façon cruelle, d’un charisme au-delà de l’humain et une riche bourgeoise, belle, mariée et mère, cheffe d’un ballet expérimental dont elle va présenter la dernière œuvre à la prison. Où se fera la rencontre improbable mais indéfectible.
Ce qui est passionnant ici, c’est l’alternance entre les différentes voix des narrateurs. Il y a le « je », c’est elle Marina qui raconte sa partie. Il y a les pages en italique qui sont celles du frère de l’assassin : il s’adresse à leur père assassiné, il retrace la cruauté de l’éducation, du dressage plus justement, qu’il a exercé sur eux, comprenant outre la violence physique, le bourrage de crâne car il voulait que ses enfants sachent tout : latin, philo, maths et tout ce qu’il faut connaître pour être les meilleurs. Parce qu’il était descendant des Indiens assassinés par les Espagnols, d’où besoin de vengeance… La troisième voix est celle du narrateur, neutre, informative sur les événements qui se déroulent tambour battant. Et la quatrième, sur le mode typewriter, celle de prisonniers lors des ateliers d’écriture.
Comment vivre des amours interdites et clandestines quand l’un est enfermé sous haute surveillance et l’autre libre mais coincée par ses devoirs maternels et sociaux ? Ils auront des aides, dont le couple gay ami de Marina, mais des ennemis implacables. Les têtes vont tomber autour d’eux, les gangs vont se trahir à tour de bras mais surtout de dollars, ça n’arrête pas, c’est trépidant et je dois dire que, vu le vocabulaire utilisé dans certains groupes, je tire mon chapeau à la traductrice qui a réussi à caser « ça m’en touche une sans faire bouger l’autre » parmi l’étendue de son vocabulaire déjanté. Chapeau (mexicain) les artistes ! Ce roman qui en contient plusieurs est palpitant, addictif, un des meilleurs que j’aie lu cette année. Un exploit, je dirai, tellement il nous apprend de choses, aussi. Seul petit hic : il est lourd, faut avoir des biscottos ! Bon, on en a, ça tombe bien.

Sauver le feu par Guillermo Arriaga, traduit pas Alexandra Carrasco. 2023 pour la version française aux Editions Fayard. 760 pages, 26 euros.

Texte © dominique cozette

Le Sauvage, quel sauvage !

Guillermo Arriaga est un créateur surdoué. Il a écrit plusieurs livres mais surtout de grands scénarios  comme 21 grammes, Babel, Amours chiennes (tous trois mis en scène brillamment par A.G. Inarritu) et quelques autres. Cette année, il nous offre une vaste fresque impressionnante, passionnante, métaphysique, conte initiatique si on veut. Le livre, un pavé, s’appelle le Sauvage. Mais qui est le sauvage ? Le narrateur, Juan Guillermo qui se fait la peau dure pour venger son frère assassiné ? Un grand loup mâle dominant traqué par un chasseur inuit parce qu’il veut être lui ? Les deux.
Le narrateur, Juan Guillermo a tué son jumeau dans le ventre de sa mère, il s’en remettrait mieux si les membres de sa famille et ses animaux ne mouraient les uns après les autres. D’abord son grand frère, un chic type hyper cultivé qui se fait un blé de ouf en élevant des chinchillas mais aussi en dealant, mais qui refuse de verser des pots de vin au chef de la police… police qui marche avec un groupuscule d’ultra-cathos réacs, les « bons garçons » : ceux-ci punissent ceux qui ne pensent pas comme il faut et ça arrange bien le flic  ripou en chef. Donc le grand frère sera assassiné de façon cruelle pendant que leurs parents se payent un super voyage en Europe. Ils ne s’en remettront pas et en mourront.
Juan Guillermo reste seul dans la maison, avec le vieux labrador et ses deux perruches qu’il laisse en liberté. Il vit plus ou moins avec une étudiante très libre, infidèle, plus mature, dont il tombe fou amoureux. En même temps, il décide de sauver de l’euthanasie un chien d’une force inouïe qui s’avère être un loup. La guerre entre ces deux sauvages va être épique, destructrice mais payante. Il n’a que 17 ans quand il met en place le plan pour venger son frère, une machine impitoyable, alimentée par les conseils d’un dresseur de fauves et d’un avocat retors.
Dans l’autre récit, l’Inuit va aller jusqu’au bout de ses forces pour « avoir » cet animal fabuleux, conseillé épisodiquement par son grand-père mort qui fait des apparitions. On va rencontrer d’autres personnages étonnants, les parents du chasseur qui vont se retrouver, un ingénieur père de trois enfants qui va brutalement en adopter trois autres…
Et puis, en intercalaires, des légendes sur les rites de diverses sociétés, des bribes de philosophie ou de religion, des allusions à Faulkner…
C’est tellement touffu mais tellement simple aussi qu’on se laisse porter par ce récit monté comme ses scénarios, cut et alternés. Formidable !

Le Sauvage de Guillermo Arriaga,2016. 2019 avec la traduction d’Alexandra Carrasco pour les éditions Fayard. 686 pages.

Texte © dominique cozette

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