Virginie Despentes, poil à la fente

Moi, j’ai toujours aimé cette nana sévèrement clitoridée. Grande gueule, provoc-actrice, loin de la mièvrerie et de la féminitude molle des auteures chichiteuses. Avec forcément du poil aux guibolles comme Patti Smith car elle en a rien à foutre. Mais je m’avance peut-être… j’aime bien son côté bûcheronne des vanités et enculeuse de fines mouches, à l’affût des tendances craspecs de la société.
Dans ce bouquin qui date de 2002, Teenspirit, je trouve des expressions qu’on nous sert en boucle, genre c’est « c’est un type qu’on adore détester », des analyses toujours d’actu de notre société du spectacle : « Jamais propagande n’avait été mieux dispensée, et jamais propagande n’avait connu pareil cynisme. Même les pires bourrages de crâne, staliniens, hitlériens, sionistes ou palestiniens, catholiques ou scientologues, les professeurs avaient eux-mêmes été formatés, et croyaient en ce qu’ils dispensaient. On n’en était plus là, les directeurs de chaînes, les réalisateurs de clips, les producteurs de groupes, les cadres marketing, tous savaient pertinemment qu’ils escroquaient des innocents. Ils se croyaient modernes et durs, se comparant volontiers à de grands animaux féroces. Alors que c’était qu’un tas de corniauds voulant tous faire plaisir au chef, recevoir la petite caresse d’approbation.[…]. Barbouzes crétins voulant séduire des gosses, et prêts à tout pour ça. »
Et sur le boulot : « Il était désolé de devoir m’expliquer qu’ils cherchaient bien des traducteurs mais que le marché était tel qu’ils ne pouvaient pas bien les payer, il était le premier à le regretter mais voilà, il n’y pouvait rien. Il y pouvait parfaitement quelque chose, comme la plupart de ses collègues, il était à ce point pressé d’obéir qu’il en oubliait de réfléchir. Encore un de prêt à tout pour que le patron le félicite… Ça marchait à la menace d’être viré, bon à rien, dégagé. Le filon de l’expulsion avait été bien exploité : expulsion des beaux quartiers, expulsion des centres-villes, expulsion économique, expulsion du territoire, expulsion du droit à la santé, expulsion de l’entreprise, expulsion des appartements, expulsion des banques, expulsion des bonnes écoles, expulsion de la citoyenneté, expulsion de la jeunesse. La maltraitance des expulsés n’avait rien à voir avec le hasard, elle était spontanément encouragée par le corps social, doté d’un inconscient puissant, afin d’assagir les inclus. Tous ces gens avaient tellement la trouille d’être dégagés qu’ils devançaient les désirs du maître avec un zèle désespéré<; il n’y avait plus besoin  de les surveiller, les encadrer, les motiver… »
Et le pitch alors ? On a affaire à un trentenaire paumé et claustro qui finit par se faire virer de chez sa copine le jour où il apprend — redoutable —  sa paternité. Une ado de 13 ans, difficile. Il ne va pas se présenter sous son meilleur jour, forcément, sans une thune, sans bagnole, sans appart puisque squattant une  autre copine, et sans boulot fixe…
Comment je me suis laissée attraper par les analyses du « narrateur »  ! Ses vue sur la société dans son ensemble, les femmes, les filles, me disant tiens, quel type formidable de voir ainsi les choses ! Et me souvenant brusquement que l’auteur était une femme. Même violemment féministe, même homo, une femme. D’où quelques petites séquences sentimentales. Bon.
Mais c’est très plaisant comme roman, c’est très parisien, très râleur, très énervé, et très dialogué. En vacances, c’est bon, les livres dialogués

Teen Spirit de Virginie Despentes. 2002. Grasset & Fasquelle et J’ai lu.

Texte et dessin © dominique cozette

Lapeyre, y en a … deux !

Eh si, contrairement à la pub des fenêtres, le romancier nous en colle deux pour le prix d’un. Deux quoi ? deux amoureux de la même femme. Une femme éthérée, jamais là, qui s’en va sans prévenir, qui revient sans le dire, qui laisse deux ans mariner Louis Blériot, l’amant de Paris par ailleurs marié avec une femme assez tolérante et qui gagne suffisamment  sa vie pour activer la pompe à phynance de son adultérin de mari pendant que notre héroïne insouciante dicte sa loi à son compagnon de Londres, car elle est anglaise voyez-vous.
Pour écrire « la vie est brève et le désir sans fin », très joli titre, l’auteur s’est paraît-il inspiré de Manon Lescaut, qui comme elle, s’activait entre deux hommes. Ça rappelle aussi Jules et Jim mais Jeanne Moreau a trop de présence pour incarner la petite créature sans consistance qui a permis à Patrick Lapeyre de remporter le prix Femina.
Je ne dirai pas que je n’ai pas aimé le bouquin parce que ce serait faux. Je l’ai aimé jusqu’à une certaine page, vers le milieu, où j’ai fini par comprendre que notre héroïne, non contente de balader ses amoureux transis, nous menait par le bout de notre nez, pauvres lecteurs captifs. Disons que j’ai fini par lui dire de choisir d’en finir avec ses va-et-vient ridicules car ça va bien comme ça, ces types sont trop cons de marcher ainsi dans la combine et elle-même est une vraie petite tête à claques.
Ceci dit, ce bouquin est absolument bien écrit, les phrases sont chics et originales, c’est de la dentelle, comme on dit en refermant un Bobin. Sauf que la dentelle, on se prend les diams dedans et à force, ça lasse.
L’histoire finalement n’a pas grand intérêt, la fin est shuntée sur des considérations philosophiques qui laissent entendre exactement ce que vous avez envie d’entendre. Mais pour lire sur la plage, entre deux ballons qui vous assomment et trois mômes qui vous enjambent en vous ensablant, c’est tout à fait de circonstance. Je pense que s’il a eu ce prix, c’est qu’il a plus plu au jury qu’à moi. J’espère qu’il a moins plu sur votre plage que sur les pages du bouquin où, bizarrement, il tombe des cordes dès que Louis Blériot retrouve sa gredine. A noter qu’il a été écrit bien avant l’avènement de notre pluviofuge  président.

La vie est brève et le désir sans fin, Patrick Lapeyre, 2010 chez P.O.L. 345 pages imprimées très proprement en Normandie, pays pluvieux s’il en est.

Texte et image © dominique cozette

Je te prête ce livre mais il s’appelle … les revenants !

C’est mon deuxième Laura Kasischke, je n’avais pas fini mon premier. J’y suis entrée sur la foi d’un athée, ami de même goût, donc en confiance mais sans trop d’enthousiasme ! Ah, ces histoires de campus US avec ces petites garces aux cheveux lisses et épais qui font tourner les garçons en bourrique ! Ah, ces rituels de bizutage tous plus cruels les uns que les autres ! Et ah ! ces profs politically corrects qui font gaffe à ce qu’ils racontent. Mais peu à peu, je me suis laissée submerger par un implacable suspens.
A l’instar des romans américains issus de la grande vogue des ateliers d’écriture, les Revenants ne dérogent pas à la règle qui veut que lorsqu’on croise un personnage même secondaire ou marginal, on s’intéresse à lui, à ce qu’il a bouffé la la veille, comment s’entendaient ses parents et les relations qu’il entretenait avec le jules de sa baby-sitter. Donc, c’est vrai, ça fait du monde, ça fait du volume, ça fait de la lecture.
Selon le même principe, on s’attache à décrire — attention, je vais utiliser les italiques — précisément les décors, murs, sols, meubles, déco, odeur des bougies, vue de la fenêtre. Mais aussi les vêtements des protagonistes, leur parfum, leur démarche, leur voix. On dirait presque une intention de réalisation : tout y est pour faire le film. D’ailleurs, à ce propos, le montage est moderne très cut, découpé soigneusement pour nous laisser maronner tandis que l’on saute à l’action qui se passe à côté ou qui s’est passée avant, un peu comme dans les films d’Inarritu (Amours chiennes, 21 grammes) : il faut un petit temps d’adaptation à chaque fois. C’est pour la forme. Ce à quoi je peux ajouter que c’est de la belle écriture classique d’aujourd’hui, précise et sans gras. Avec des entrées de paragraphes pour aérer et des dialogues ni trop ni trop peu comme dans tout bon roman.
Pour le fond, c’est une histoire troublante de jeunes étudiantes mortes ou disparues, que l’on aperçoit parfois, de loin, à peine, dont on a voulu apparemment masquer l’accident ou la mort et on est aidées dans cette sorte d’enquêtes menées par un prof et un étudiant qui fut l’ami de l’héroïne depuis l’enfance et le coloc du fiancé qui a provoqué l’accident mortel.
Cette histoire est d’autant plus inquiétante et les soupçons de trafic de la mort d’autant plausible que la prof qui mène l’enquête fait son séminaire sur les rituels liés au deuil, la mort, les non-morts… On est en plein dedans. Et on y saute à pieds joints et après on veut absolument savoir ce qui se passe, on t’attache à deux ou trois personnages, leur femme ou leur mari, ou leur mère, ou les jumeaux pénibles qui ne parlent qu’en sabir etc…
C’est américain donc il y a de la morale, un zeste de sexe, des horreurs ! comme la drogue, l’homosexualité féminine, les bals de fin d’année, les groupes/clubs/ sororité et autres amalgames de gens interchangeables à la pensée unique. Ou inique.
Il y a des critiques qui font rien qu’à vous raconter le pitch comme Télérama, ou le Monde des Livres,  allez sur Google si vous aimez savoir avant. Moi j’ai fini mon boulot. Vous avez 587 pages drues et mal reliées  — car elles ont tendance à se détacher et pourtant il était presque neuf quand on me l’a donné — bref 587 pages d’une bonne littérature on va dire, très appliquée, super bien construite et carrément efficace. Voilà le mot : efficace.

©Les revenants par Laura Kasischke. Christian Bourgois editeur 2011.

Jack-Alain Léger fait son drôle de cirque !

Rien à voir avec Nathalie Léger et son Barbara Loden dont je vous causais il y a peu. JAL est plutôt un drôle de zèbre au passé mal digéré, aux regrets éternels. Dans ce torrent d’amertume qu’il déverse sans pause dans cet opus de 200 pages et qui, si l’on en croit quelques prévenus, est le premier d’une série vouée à son histoire personnelle, il nous raconte dans des phrases à rallonges et des sentences à tiroirs quelques affres de son enfance où on le traitait, non pas de bouboule ou de gros, mais de « la grosse », une pilule qui reste collée dans l’oesophage. C’était dans un noble lycée où il connut également un jeune homme maltraité par ses richissimes parents banquiers qui, avant de périr dans un crash, avaient pris soin de nihiliser le pauvre enfant en l’enfermant dans un cachot, le flagellant, l »humiliant. JAL nous montre, par la vie dissolue qu’il malmène ensuite, que ce genre d’éducation ne donne rien, on s’en serait douté.
JAL a des regrets. JAL aurait dû être un artiste géantissime du microsillon puisque son album, qui existe, reçut une belle récompense gage-de-talent mais qu’un petit trou de cul de commercial (sic) de sa maison de disque jugea inepte, décida de barrer la route de la gloire en faisant revenir tous ses vinyles pour les canarder. RIP la carrière.
Il aurait pu aussi, mais rien n’est perdu, devenir un écrivain star, il en avait le talent puisque primé là-aussi, le snobisme, les relations bref, le goût et le verbe. Il a quand même commis une quarantaine de bouquins depuis. Là encore il se fait niquer par la grosse (il parle d’une éditrice en surpoids) d’une célèbre édition Grasset, mais se venge en faisant quand même son petit succès ailleurs dont on tira un filmot (petit film).
Il nous raconte alors, dans son flot délirant frisant l’écholalie tsunamique de sa pensées turgescentes — je n’exagère pas —  quelques anecdotes vécues où se mêlent Françoise Sagan, Liz Taylor, David Niven Junior, Derrida etc… pas forcément pour leur plus grande gloire.
Une des clés de sa petite folie et de son style est sa bipolarité qui lui rend la vie si hargneuse.

Je vais vous dire le fond de ma pensée : ce bouquin est parfaitement illisible sauf si, comme moi, ça vous enchante d’entendre certains piliers non dénués d’humour et de tenue, bref de savoir-vivre, vous débiter leur histoire sans plan, sans queue ni tête, comme ça vient, à la va comme j’te pousse, j’dis ça j’dis rien,  und so weiter. Il y exhibe sa culture italianisante en V.O. farcie de quelques dialogues en anglais,en somme,  il nous prend pour ce que l’on est : un joyeux partenaire royal au bar.

Zanzaro Circus, 2012,  de Jack-Alain Léger chez l’Editeur. 200 pages sans paragraphes, pratiquement.

Une interview d’Ardisson en 2006 pour un autre livre ici

Texte © dominique cozette

Supplément (indispensable) à la vie…

Supplément à la vie de Barbara Loden, on en parle énormément car il vient de recevoir le prix des lectrices Inter. Je voulais le lire dès sa sortie mais il avait disparu de la médiathèque. Il était sur ma liste et puis, au fil des interviews de Nathalie Léger, son auteure, c’est devenu une envie pressante. J’avais vu le film Wanda quand il est ressorti en France il y a peu et j’avais été soufflée par l’ambiance qui s’en dégageait. Et par ce que j’avais lu sur Barbara Loden, sa réalisatrice- interprète, deuxième femme étouffée par son géant d’époux, Elia Kazan, dont elle a voulu, par ce film, s’affranchir.
Le film, d’abord : du noir et blanc sale, triste, déprimant. L’histoire d’une femme qui, sans préméditation, quitte son foyer, mari et enfant, bigoudis sous le foulard, sac en skaï blanc, pas d’argent. Puis qui fait une rencontre pas terrible. Etc. Allez le voir. L’idée de ce film est venue à Loden en lisant un fait divers : une femme, Edna, accepte de devenir complice d’un gangster à la manque pour braquer une banque. Il fait une liste très conne des choses à faire, ouvrir la porte, démarrer la voiture etc, mais elle rate une étape, se perd et lorsqu’elle arrive pour cueillir le gars, il est raide mort, tué par les flics. Elle est arrêtée et condamnée à 20 ans. Et elle remercie le juge pour cette sentence qui la met à l’abri de la vie, d’elle même, des décisions à prendre.
La passivité qui fait accepter beaucoup de choses, notamment par les femmes, semble être la trame du propos.
Donc Barbara Loden récrit une histoire brodée sur ce fait divers. Le tourne. Il sort en 70, un bide aux Etats-Unis où elle est prise à parti, forcément, par les féministes. Puis peu à peu, une « cultisation » de cet improbable objet cinématographique. En 1980, Barbara Loden meurt d’un cancer. On peut dire que c’est parce qu’elle n’a pas assez pleuré. Mais elle a fait beaucoup d’autres choses, en douce. Elle s’est beaucoup ennuyée, elle est partie tôt de son enfance pour jouer les pin-up de grande surface puis apparaître dans de petits rôles, et quelques autres, plus grands. Kazan la débusque à 25 ans, il en a 50, elle ne couche pas le premier soir. Je passe sur ce qui est dans le livre. Il l’épouse quand même plus tard, sinon, elle le quitte. Ils ont un fils qui ne voudra pas coopérer avec Nathalie Léger lorsqu’elle fera ses recherches.
Dans l’Arrangement, c’est d’elle qu’il s’agit. Son portrait, sa vie, par Kazan. Puis il va tourner l’histoire. Le problème, c’est qu’il ne va pas prendre sa femme qui EST le personnage pour l’incarner mais une autre actrice.
Tout cela s’imbrique dans l’esprit de Nathalie Léger quand on lui demande de rédiger une fiche cinéma sur cette femme. Elle ne pourra pas résumer la vie de Barbara Loden dans une page, il lui faut rencontrer cette femme, morte certes mais vivante quelque part. Hélas, peu d’écho, peu de bienveillance, des anciens du films ne veulent plus rouvrir cette page.
Alors, que reste t-il à dire ? Rien. Enormément. Car Barbara Loden, Edna, Wanda, et probablement Nathalie, c’est nous. C’est aussi la mère de Nathalie qui erre dans un centre commercial sans âme comme Wanda dans son paysage minier, l’horrible impression de ne rien faire de sa vie, de ne rien être de valable, de n’avoir aucune valeur et dont la seule puissance pour réussir à exister est de se laisser flotter, de ne pas lutter, de fuir nulle part, de rencontrer n’importe qui, de ne pas s’opposer au désir de l’autre.
Ce livre est passionnant car il génère de nombreuses réflexions sur tout : la vie, la mort, l’amour, le féminin, le corps, le mariage, la solitude, le désir, le viol. J’ai eu envie de souligner… toutes les phrases car toutes sont importantes. Nathalie Léger, pour illustrer certains propos, convoque Marguerite Duras, Emilie Dickinson, Virginia Woolf, et aussi des images, une femme d’un tableau de Hopper.
Il y a des passages hors sujet qui sont pile dans le sujet en même temps. Un long paragraphe où Nathalie qui a rendez-vous avec un jeune homme pour un document explique pourquoi elle n’aime pas les jeunes hommes. « je n’aime pas leur fraîcheur, leur raideur ou leur grâce, leur pétulance spermatique, leurs mains d’enfant.  Je regarde les jeunes hommes, je les regarde sous la ceinture, je les regarde très attentivement, je les détaille mais je ne les aime pas, on les fait rire facilement, c’est agréable, je fais rire celui-ci facilement, c’est agréable et ennuyeux, je ne voudrais pas mourir en compagnie d’un jeune homme. »
Sur la dynamique homme-femme : « L’homme que j’aimais m’avais reproché un jour ma passivité supposée avec d’autres. C’était dans la cuisine, au moment du petit déjeuner, il me dit avoir peur de cette façon propre aux femmes en général et à moi en particulier, pensait-il, de ne pas savoir ou ne pas vouloir s’opposer au désir encombrant des hommes, de se soumettre follement à leur demande. On dirait qu’il ne sait pas combien il est difficile de dire non, d’affronter la demande de l’autre et de la refuser — difficile et peut-être inutile. Pourquoi ne sait-il pas la nécessité parfois impérieuse de se couler dans le désir de l’autre pour mieux s’en échapper ? »
A lire absolument, 150 pages écrites gros mais dense, intense et sans aucun signe inutile.

Interview de Nathalie Léger ici.

Supplément à la vie de Barbara Loden par Nathalie Léger, 2012, chez P.O.L 150 pages imprimées dans la Nièvre.

Texte et dessin © dominique cozette

 

United colors of crime, superbe !

Richard Morgièvre est un mec que j’aime bien. Quand je publiais des livres, on était dans la même écurie. C’est un homme plein de charme, de gentillesse, d’empathie. Toutes les nanas de l’éditions — et les autres —  tombaient amoureuses de lui. Cependant, à part Un petit homme de dos, très beau livre sur son père, et quelques rares autres, ses livres me paraissaient assez hermétiques, zarbi, trash. Aujourd’hui, il reconnaît lui-même que ce n’était pas très lisible. Je pense à celui sans ponctuation  (et dont Djian va reproduire le système à la rentrée). Donc ça, l’expérimental, le torturé, le cérébral, c’est fait.
Ce qui n’était pas fait, c’était une grande fresque, comme on dit, qui nous laisse exsangues et orphelins,  une fois le dernier paragraphe avalé tout rond. Une véritable épopée que cet United colors of crime qui se déroule dans le rugueux grand ouest (ou middle) américain, enfer rugueux où les bons et les méchants se catapultent inexorablement en  d’infernales tribulations tendance sanglante.
Le héros s’appelle Chaim Chlebeck, c’est un Polak qui a volé l’identité d’un combattant mort près de lui, en 44. Se refaire une virginité, c’est partir là-bas, où l’herbe, comme le dollar, est plus verte. Petit détour par la grosse pomme, en plein coeur de la mafia dont il devient un électron. Pas pour longtemps car prendre l’oseille et se tirer, c’est garder l’épée de Damoclès au-dessus du scalp. Il se fait rattraper par des tueurs, est laissé pour mort et s’éveille sous les soins méticuleux d’une Indienne borgne et énergique mariée à un vieux type cool, ex-espion des Allemands. Il est en charpie, sa jolie gueule d’amour devient gueule de casting, il ne rêve que d’une chose : prendre l’Indienne et se tirer avec le pèze planqué, là-bas au Mexique. Mais c’est sans compter sur les aléas d’une vie pleine de trous, de trompe-la- mort, de feu et pétards en tout genre, des blessures chelou, de petits loups recueillis puis tirés comme des lapins, de contrats sur sa tête, de cow-boys qui vouent une haine puante aux blancs qui couchent avec des squaws. Et de vieilles caisses américaines pus ou moins rutilantes, explosives, décaties.
C’est sans compter surtout sans ce talent inédit de Richard Morgièvre qui nous installe devant l’écran de ce western cahotique, caillouteux, cailleratesque, karchérique, qui prend aux tripes, au coeur et au crâne. C’est comme je vous le dis ! C’est sensass, vraiment, et Dallas, l’Indienne borgne, on a envie d’être elle pour être aimée comme ça. Et réciproquement quand on est un homme, me souffle ma part masculine. Car mon cerveau respecte parfois la parité.

United of Crime de Richard Morgièvre , 2012, aux Editions Montparnasse.  320 pages joliment imprimées.

Texte © dominique cozette

Du cul ! Du cul ! Du cul ? Enfin… du Léautaud.

Léautaud qui, comme chacun sait, n’était pas le roi du glam. A soixante balais, il est abordé dans un pince-fesses par une dame qui lui demande de faire un bout de chemin. l’affaire est dans le sac mais ça ne le ravit pas. Parce qu’il a déjà une longue histoire avec « le Fléau », maîtresse plus âgée que lui plutôt jolie mais sans esprit ni coquetterie, ce qui lui fait dire qu’elle est sotte. Et puis jalouse et tyrannique alors qu’en ménage ailleurs. Deuxièmement, cette nouvelle dame, de vingt ans sa cadette, n’habite pas tout près. Il est de Fontenay les Roses, elle de Fontenay sous Bois, alors ça nous fait une trotte pour un petit coup tiré pas forcément bien, parfois pas du tout. Troisièmement, elle est moche, son visage est ingrat surtout pendant l’affaire, elle est comme un petit tonneau, sans taille ni hanches ni fesses, n’a pas un joli teint, mais il trouve sa poitrine jolie et abondante. Son sexe est petit, mal épilé, pas beau alors que celui du Fléau est généreux et charnu.
En revanche, elle est cultivée, travaille dans une librairie proche du Mercure où il se rend tous les jours, a été (est peut-être encore) la maîtresse d’hommes importants et riches, elle-même gagnant très bien sa vie. Mais, encore un mais, elle a une santé très précaire, toujours un pet de travers, des règles, des trucs quoi qui empêche son triste amant de l’enfiler (c’est comme ça qu’il appelle ça).  Elle le siffle par courrier (en 1930, on envoie des lettres un soir qui sont distribuées le lendemain matin) et il accourt bien souvent à contre-coeur parce qu’il doit s’occuper de ses chats, ou que c’est loin ou le plus souvent qu’il sent que ça ne va pas être la fête à Popaul. Lui-même est peine à jouir (alors qu’avec le Fléau !)…
Bref, on se demande pourquoi ils se forcent autant tous les deux puisqu’en exergue, on apprend qu’elle le trouve moche, que sa bouche édentée la dégoûte, que son hygiène laisse à désirer et qu’en plus, il n’est pas très gentil. Néanmoins, elle s’arrange pour lui confectionner de bons petits frichtis à rapporter chez lui — il se nourrit si mal — mais le harcèle pour qu’il mette son journal au secret dans une bibliothèque loin des indiscrets. ce qu’il ne trouve pas très pratique.
On ne sait pas comment l’histoire va se terminer puisque ça semble s’arranger. Au détriment du Fléau qui, rentrant de 5 mois de vacances, ne semble ni pressée de le voir, ni empressée sur le sexe, qu’elle est toujours aussi peu coquette et encore plus pénible qu’avant. Marie elle, devient presque jolie. En tout cas il apprécie mieux sa compagnie.
Ça s’appelle « Journal particulier », c’est écrit à part du Journal, c’est assez drôle d’une certaine façon quand on a l’esprit un peu anthropo-sociologique. Ce n’est pas du tout érotique, à mon sens, mais enfin, chacun ses goûts.

Journal particulier de Paul Léautaug, 1933, Mercure de France, 165 pages écrites gros.

Texte et dessin (qui n’a rien à voir)  © dominique cozette

Ce faucon n’est pas maltais mais super écrit. Crews, encore

Ça commence par l’emmerdement de devoir refaire une capote à une VW, avec ses capitons de plafond et ses coutures compliquées, contrairement à la capote d’américaine qui se fait les doigts dans le nez. Mais comme tous les profs de l’université voisine possèdent au moins une VW et qu’ils sont contents de te faire une fleur en te l’amenant, c’est une vraie calamité que d’être sellier dans ce garage de merde, avec cette secrétaire aux dents pourries qui ne jouit même pas quand tu l’honores, et ce patron qui se mêle de tes affaires. Tes affaires ! D’abord, y a la frangine, une nana sans histoire aux fesses ultra-plates qui s’est fait larguer par le maousse costo père de son fils, oh, un joli gars blond, fin, pas pénible,  qui ne parle que par mono-mot n’ayant aucun rapport avec le T-bone et que George essaie d’élever. Mais surtout, il y a … le faucon.
Car George n’a qu’une passion dans la vie : la fauconnerie. Il sait tout sur l’affaire, il s’est goinfré les 3000 pages écrites par le premier fanatique de cet art : l’empereur Frédéric II du Saint Empire. Le problème, c’est que le dressage — l’affaitage — est une vraie torture pour l’oiseau et  que beaucoup préfèrent mourir de faim  plutôt que de se laisser apprivoiser. Mais enfin, George tient la bonne bête, une superbe femelle sauvage avec laquelle il va rester éveillé des jours et des nuits, l’oiseau rivé à son poignet, malgré la mort de son neveu, l’enterrement avec toute la famille, les tentatives de se voir interner, et bien d’autres scènes incroyables.
Comme dans Body dont je vous ai parlé récemment, le style de Crews est nickel, le récit hyper documenté et les personnages complètement déjantés. C’est assez dur pour une personne sensible comme moi sur la question animale, mais ce n’est qu’une fiction. Me dis-je in petto, après tout.

Harry Crews. Le faucon va mourir. Nrf Gallimard série noire 1973.

Texte et dessin approximatif  © dominique cozette

« Second tour », oui, c’est fait, mais le roman éponyme est formidable !

Il s’appelle en réalité « Second tour ou les bons sentiments » et narre les retrouvailles d’une bande de cops pour les 50 ans de l’un d’eux. C’est d’abord une histoire sentimentale. Deux d’entre eux se sont loupés dans leur jeunesse, l’une était en pré-mariage avec un homme stricte et entier, l’autre ne l’a pas convaincue de rester avec lui et s’est engagé comme photographe grand reporter de guerre. Se passera-t-il un événement suffisamment fort pour qu’elle fasse fi de sa vie conjugale et vive enfin cet amour ?
Et puis il y a tous les autres, hommes plus ou moins chauves et ventripotents qui se tortillent gentiment sur la musique des Clash ou de Téléphone, femmes qui se racontent, autres qui se bourrent la gueule,  bref qui se marrent.
Et puis il y a le traitre, sorte de Besson passé à l’autre camp attiré par le pouvoir et ses avantages, qu’on invite poliment en sachant qu’il ne viendra pas. Mais si, il vient, puant d’arrogance avec ses gardes du corps et sa suffisance. Et cette impression de saleté qu’il donne à ressentir à ses anciens amis. Vont-ils faire comme si de rien n’était ou lui crier casse-toi pauv’ con ?
La scène se passe le samedi 5 mai dans la nuit. Le 6, tout va peut-être changer. Ou pas. L’auteure, Isabelle Monnin, n’est pas une pythie mais on ne peut  s’empêcher de penser que ça ne pouvait pas être autrement.

Second tour ou les bons sentiments d’Isabelle Monnin chez JC Lattès 220 pages. Imprimé développement durable en Mayenne.

Texte et dessin © dominique cozette

Lennon raconté par David « Fan »kinos

David Foenkinos, qui devient tellement populaire que c’en est gênant de dire qu’on l’aime bien quand on est snob, a écrit en 2010 Lennon, une biographie extrêmement documentée sur cet artiste qu’il idolâtre depuis son assassinat, alors qu’il n’avait pas 7 ans. Comme il le dit, Lennon était très prolixe, il adorait les interviews, se lâchait facilement. Il a tout lu, relu, entendu, réentendu. En boucle. C’est vous dire s’il était bien placé pour se mettre dans la peau de John, s’allonger sur la canapé d’un psy imaginaire et raconter en 18 séances toniques ce que fut sa vie, de très malheureuse à complètement dingue.
Parfois on y croit tellement qu’on se dit quand, même, il a la grosse tête, Lennon ! Se prendre pour un tel génie ! Et puis non, flûte, c’est un autre qui parle à sa place. Mais ça doit être vrai quelque part, tout ça. Les faits le sont. L’abandon de sa mère, de son père, le retour de son père bien plus tard, auprès des médias, pour lui pourrir la vie, le mariage calamiteux pour réparer la grossesse de Cynthia, toujours à la traîne, témoin de ses frasques les plus cruelles, la rencontre avec les autres Beatles, le rejet de certains (un batteur, un bassiste) sans égard, la rencontre lumineuse avec Paul, puis, plus tard, leur séparation, la dope, la re-dope, les souleries, les filles, toutes les filles possibles, tout y passe avec une aisance bien rythmée. Puis vient la rencontre avec Yoko, « l’homme » de sa vie, leurs déchirures, puis le bébé, Sean,  pour lequel il se met en retrait de la vie publique durant 5 ans. Alors que son premier fils, Julian, c’est à peine s’il le voyait. Et la folie que l’hyper-célébrité a engendrée, les dangers auxquels il s’expose en prenant parti, leur lutte pour la paix.
C’est vif, enlevé, découpé comme il faut. All we need is that, mayby.

Lennon, par David Foenkinos, J’ai lu 2010. 5,70 €. Achevé d’imprimer en Espagne en 2012, comme quoi on aide les pays dans la mouise.

Dessin (j’ai oublié le bras droit) © dominique cozette

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