Ah, comme on serait mieux à Key West !

… avec la toute jeune Françoise Sagan et sa sœur, invitées par Tennesse Williams et son compagnon Frank Merlo qui héberge aussi leur grande amie Carson McCullers, la toute brisée écrivaine culte de 38 ans seulement. Jours brûlants à Key West de Brigitte Kernel se situe en 55. Sagan qui a 19 ans est exténuée par sa tournée de promo américaine pour Bonjour tristesse, Tennesse peaufine sa Chatte sur un toit brûlant face à Carson qui tape des pages et des pages, de conserve avec lui. Il y fait une chaleur torride, insupportable, qui assèche même les cactus, rien n’est agréable à faire à part boire, boire, boire et discuter dans le jardin. L’eau de la piscine est  polluée à cause d’un oiseau mort mais impossible d’avoir le technicien. Aller à la plage toute proche est tout une affaire surtout que Carson ne peut plus marcher. N’empêche, on rit beaucoup, on joue à l’insouciance car on a du talent, on crée parfois des petits scandales, on côtoie ceux qu’il faut côtoyer pour être dans les potins, on déguste de bons gros poissons tout frais pêchés par le beau captain du port voisin… C’est le paradis. S’il n’y avait cette foutue canicule.
Mais aussi ces foutues attirances, ces envies, ces regards, ces tentatives de séduction, ces frustration de ne plus être le centre d’intérêt depuis que Françoise est là, qui attire et attise les désirs. Chacun pense que l’autre est totalement amoureux d’elle ou qu’elle est amoureuse de lui/elle, en dépit de toute préférence sexuelle. Le duel amoureux a surtout lieu entre Carson et Frank qui souffrent d’être plus ou moins délaissés par Tenn en faveur de la jeune femme.
L’intérêt supplémentaire de ces histoires d’ego et de cœur envoûtantes et sensuelles réside dans le fait qu’elles nous sont contées par Frank Merlo lui-même, huit ans plus tard, mourant, plaqué par Tenn depuis ces vacances et se consumant encore d’amour pour lui. Et elle. Il a choisi de raconter ce douloureux épisode à une éditrice française, lui demandant de remettre le livre fini à Tennessee et à Françoise Sagan. Ce style de narration ajoute du piment car Frank ne veut pas tout dire, il veut garder des secrets, mais si près de disparaître, il va peut-être les livrer à la Française venue de Paris pour l’écouter et l’accompagner dans ses derniers moments.
C’est passionnant de voir comment vécurent ces monstres sacrés, surtout lorsque c’est détaillé avec une telle finesse, un tel réalisme qui m’ont ressentir cette maudite chaleur jusque dans la fraîcheur de mes draps. En exergue du livre : « Cette histoire est vraie sauf tout ce que j’ai inventé ».

Jours brûlants à Key West, de Brigitte Kernel. 2018 aux Editions Flammarion et J’ai Lu : 250 pages, 7,10 €.

Texte © dominique cozette

 

Des livres pour Nabilla #5

FRANÇOISE SAGAN. BONJOUR TRISTESSE

C’est une belle maison au bord de la grande bleue avec Cécile, 17 ans, son papa veuf qui l’a élevée, et sa fidèle amie.
Tout baigne jusqu’à l’arrivée d’Anne, la classe, qui drague le père, enquiquine la fille et finit par avoir sa demande en mariage.
Pour empêcher ça, Cécile envoie son flirt draguer Anne. Pécho Anne, si t’aimes mieux. Le père les surprend et patatras, les beaux projets d’avenir tombent à l’eau.
Alors Anne, désespérée, repart de la maison au volant de sa voiture. Elle se tue dans un accident. A l’époque, y avait pas d’Airbag, d’ABS, ni de ceinture.
Cécile et son père sont désolés de tout ça, elle parce qu’elle se sent coupable, lui parce qu’il était amoureux.
Mais, malgré la tristesse, la vie facile reprend son cours.
En même temps, le string n’existait pas ni les Louboutin et personne ne connaissait le mojito. Pfff.

Texte et image © dominique cozette

NB : Nabilla est un terme générique pour « icône à faibles connaissances ».

Sagan 1954, soixante ans déjà !

Encore un livre sympa, j’ai de la chance en ce moment, sorti cette année et qui nous raconte Sagan, Françoise, en 1954, à l’aube de sa gloire naissante puisque c’est l’année où elle écrit et envoie bonjour tristesse. Et où de vieux messieurs des éditions Julliard, se penchant dangereusement sur sa prose mi-ado mi-mature, décrètent que c’est une bonne graine d’écrivain.
Le livre d’Anne Berest est frais, primesautier et joyeux, bien qu’écrit pour survivre à une rupture désolante.
Elle va rencontrer des gens d’avant, de l’époque, se plonger dans nombre de documents, bio, films qui racontent l’époque — elle ne manquera pas d’y croiser BB qui fait aussi sa sortie à ce moment, femme libre autant que Sagan, adeptes qu’elles sont toutes deux de Saint Trop et bringues diverses — et nous relate Paris, Saint Germain des Prés et les jeunes filles qui n’avaient pour tous vêtements que les fringues de leurs mères, leurs robes du soir, fourrures, gants et chapeaux. Qu’enfile Sagan pour ses premiers succès.
Sagan, alias Quoirez, a eu une enfance dorée entre une mère coquette, curieuse et excentrique, un père généreux et bienveillant qui lui filait une liasse de billets pour qu’elle dîne chez Lipp avec sa pote Florence. Florence ? Oui, Flo Malraux, excusez du peu, sa copine de classe. On croise dans ce Paris noctambule des figures comme la Duras, ceux de la Nouvelle Vague, mais aussi d’illustres inconnus de l’auteur de ce livre qui nous fait part de sa démarche, des coïncidences, de l’esprit de Sagan entré en elle pour l’emmener au casino et la faire s’enivrer.
On y envie Sagan d’avoir eu un frangin, copain de Maurice Ronet et autres fêtards, on y apprend l’énorme secret de famille, la perte d’un petit frère éternellement regretté, compensée par sa naissance et l’adoration que ses parents lui vouent.
C’est du rapide, du 200 à l’heure comme les bolides — décapotables conduits pieds nus — de Sagan qui nous décoiffe encore, soixante ans après. Très bel hommage à une sacrée nana !

Sagan 1954 par Anne Berest chez Stock, 2014? 200 pages, 18 €.

Texte © dominique cozette

Jack-Alain Léger fait son drôle de cirque !

Rien à voir avec Nathalie Léger et son Barbara Loden dont je vous causais il y a peu. JAL est plutôt un drôle de zèbre au passé mal digéré, aux regrets éternels. Dans ce torrent d’amertume qu’il déverse sans pause dans cet opus de 200 pages et qui, si l’on en croit quelques prévenus, est le premier d’une série vouée à son histoire personnelle, il nous raconte dans des phrases à rallonges et des sentences à tiroirs quelques affres de son enfance où on le traitait, non pas de bouboule ou de gros, mais de « la grosse », une pilule qui reste collée dans l’oesophage. C’était dans un noble lycée où il connut également un jeune homme maltraité par ses richissimes parents banquiers qui, avant de périr dans un crash, avaient pris soin de nihiliser le pauvre enfant en l’enfermant dans un cachot, le flagellant, l »humiliant. JAL nous montre, par la vie dissolue qu’il malmène ensuite, que ce genre d’éducation ne donne rien, on s’en serait douté.
JAL a des regrets. JAL aurait dû être un artiste géantissime du microsillon puisque son album, qui existe, reçut une belle récompense gage-de-talent mais qu’un petit trou de cul de commercial (sic) de sa maison de disque jugea inepte, décida de barrer la route de la gloire en faisant revenir tous ses vinyles pour les canarder. RIP la carrière.
Il aurait pu aussi, mais rien n’est perdu, devenir un écrivain star, il en avait le talent puisque primé là-aussi, le snobisme, les relations bref, le goût et le verbe. Il a quand même commis une quarantaine de bouquins depuis. Là encore il se fait niquer par la grosse (il parle d’une éditrice en surpoids) d’une célèbre édition Grasset, mais se venge en faisant quand même son petit succès ailleurs dont on tira un filmot (petit film).
Il nous raconte alors, dans son flot délirant frisant l’écholalie tsunamique de sa pensées turgescentes — je n’exagère pas —  quelques anecdotes vécues où se mêlent Françoise Sagan, Liz Taylor, David Niven Junior, Derrida etc… pas forcément pour leur plus grande gloire.
Une des clés de sa petite folie et de son style est sa bipolarité qui lui rend la vie si hargneuse.

Je vais vous dire le fond de ma pensée : ce bouquin est parfaitement illisible sauf si, comme moi, ça vous enchante d’entendre certains piliers non dénués d’humour et de tenue, bref de savoir-vivre, vous débiter leur histoire sans plan, sans queue ni tête, comme ça vient, à la va comme j’te pousse, j’dis ça j’dis rien,  und so weiter. Il y exhibe sa culture italianisante en V.O. farcie de quelques dialogues en anglais,en somme,  il nous prend pour ce que l’on est : un joyeux partenaire royal au bar.

Zanzaro Circus, 2012,  de Jack-Alain Léger chez l’Editeur. 200 pages sans paragraphes, pratiquement.

Une interview d’Ardisson en 2006 pour un autre livre ici

Texte © dominique cozette

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