Marguerite Duras, l'amie

L’amie, le livre de Michèle Manceaux a été publié en 1997, un an après la mort de Marguerite Duras, l’amie qu’elle évoque ici, malgré la rupture de Marguerite pour semble -t-il, une sorte de jalousie ressentie à la publication d’un livre de Michèle, un tellement bon livre qu’il empiétait sur le territoire de Marguerite, la sacro-sainte littérature. C’est ainsi qu’elle l’explicite. Certes, elle en avait écrit d’autres, mais apparemment, ils ne menaçaient pas de faire de l’ombre.
Michèle Manceaux, c’est pour elle que j’achetais Marie-Claire il y a longtemps car, en tant que journaliste, elle y écrivait de somptueuses interviews sur les personnalités singulières. En tout cas, qu’elle rendait singulières. J’ai trouvé ce livre en me baladant dans les rayons de ma médiathèque et je peux vous dire, si vous aimez Duras, qu’il vous enchantera. D’abord parce que son écriture est superbe, simple, précise, sensuelle. En quelques phrases, elle recrée les ambiances des journées, soirées, nuits passées à Neauphle-le-Château où Marguerite avait acheté sa maison chérie, sa maison où elle faisait ses confitures, ses mets métissés, où elle cousait ses vêtements, où elle recevait tous ses amis de l’édition ou du théâtre. Elle entretenait des relations simples et de commérages avec des gens du coin, jardinier, commerçants, elle fouillait les recoins de la région, apprenait les noms des GI enterrés pas loin. Elle avait convaincu Michèle d’y acheter aussi une maison, ce qu’elle fit, ainsi qu’une autre amie comédienne. C’était un gynécée, des femmes libres comme elle disait, qui aimaient rire, boire, manger. C’était avant l’amant, pendant et après. Puis il y eut l’arrivée impromptue (pour Michèle) de Yann Andrea, mais tout ça se mélangeait très bien avec les fils, les filles laissées par des pères partis courir la gueuse.
Il n’y a pas que ça. Il y a les mots de Marguerite car Michèle commença à prendre des notes. Il y a ses commentaires sur l’écriture, son écriture, sa sève. Il y a ce que pensait Marguerite d’elle-même, comment elle s’attifait, comment elle se fichait de plein de choses, de l’âge par exemple. Puis il y a le début d’un alcoolisme dévastateur qui faillit la tuer. Mais qu’elle vainquit. Il y a la rupture, la blessure. Qui dura jusqu’à la mort de Duras.
Ce livre est un bijou. Il existe en poche aussi. Il doit pouvoir se trouver.

L’amie de Michèle Manceaux, 1997 aux éditions Albin Michel. 216 pages. 89 francs !

Texte © dominique cozette

Des livres pour Nabilla #12

L’AMANT. MARGUERITE DURAS.

Tu te dis : chouette, du sexe ! Ne t’excite pas trop, c’est pas Youporn.
Ça se passe en Indochine, en Asie quoi, au temps des colonies (rien à voir avec la colo). C’est très exotique, car à l’époque, les gens ne voyageaient pas, ne se mélangeaient pas, les avions low-coast n’existaient pas, même pas les charters. C’était le bateau ou rien.

Hélène est française, elle a 15 ans. Elle est séduite par un très riche, beau et jeune banquier asiatique. Ils s’aiment avec passion. En cachette. Il l’initie à l’amour physique et lui donne de l’argent pour l’aider car sa famille est pauvre.

Sa mère, instit’, n’est pas très câline, son frère aîné claque tout au jeu, en plus il est brutal, et le petit dernier est trop gnangnan.

Mais cette histoire les arrange bien et quand tombe la thune, ils vont pas se mettre à la critiquer, après tout, elle est bonne pour tout le monde, la petite tepu. Et c’est sa vraie story, à la Margot qui dégrafait son corps sage  !

Texte et image © dominique cozette
NB : Nabilla est un terme générique pour « icône à faibles connaissances ».

Supplément (indispensable) à la vie…

Supplément à la vie de Barbara Loden, on en parle énormément car il vient de recevoir le prix des lectrices Inter. Je voulais le lire dès sa sortie mais il avait disparu de la médiathèque. Il était sur ma liste et puis, au fil des interviews de Nathalie Léger, son auteure, c’est devenu une envie pressante. J’avais vu le film Wanda quand il est ressorti en France il y a peu et j’avais été soufflée par l’ambiance qui s’en dégageait. Et par ce que j’avais lu sur Barbara Loden, sa réalisatrice- interprète, deuxième femme étouffée par son géant d’époux, Elia Kazan, dont elle a voulu, par ce film, s’affranchir.
Le film, d’abord : du noir et blanc sale, triste, déprimant. L’histoire d’une femme qui, sans préméditation, quitte son foyer, mari et enfant, bigoudis sous le foulard, sac en skaï blanc, pas d’argent. Puis qui fait une rencontre pas terrible. Etc. Allez le voir. L’idée de ce film est venue à Loden en lisant un fait divers : une femme, Edna, accepte de devenir complice d’un gangster à la manque pour braquer une banque. Il fait une liste très conne des choses à faire, ouvrir la porte, démarrer la voiture etc, mais elle rate une étape, se perd et lorsqu’elle arrive pour cueillir le gars, il est raide mort, tué par les flics. Elle est arrêtée et condamnée à 20 ans. Et elle remercie le juge pour cette sentence qui la met à l’abri de la vie, d’elle même, des décisions à prendre.
La passivité qui fait accepter beaucoup de choses, notamment par les femmes, semble être la trame du propos.
Donc Barbara Loden récrit une histoire brodée sur ce fait divers. Le tourne. Il sort en 70, un bide aux Etats-Unis où elle est prise à parti, forcément, par les féministes. Puis peu à peu, une « cultisation » de cet improbable objet cinématographique. En 1980, Barbara Loden meurt d’un cancer. On peut dire que c’est parce qu’elle n’a pas assez pleuré. Mais elle a fait beaucoup d’autres choses, en douce. Elle s’est beaucoup ennuyée, elle est partie tôt de son enfance pour jouer les pin-up de grande surface puis apparaître dans de petits rôles, et quelques autres, plus grands. Kazan la débusque à 25 ans, il en a 50, elle ne couche pas le premier soir. Je passe sur ce qui est dans le livre. Il l’épouse quand même plus tard, sinon, elle le quitte. Ils ont un fils qui ne voudra pas coopérer avec Nathalie Léger lorsqu’elle fera ses recherches.
Dans l’Arrangement, c’est d’elle qu’il s’agit. Son portrait, sa vie, par Kazan. Puis il va tourner l’histoire. Le problème, c’est qu’il ne va pas prendre sa femme qui EST le personnage pour l’incarner mais une autre actrice.
Tout cela s’imbrique dans l’esprit de Nathalie Léger quand on lui demande de rédiger une fiche cinéma sur cette femme. Elle ne pourra pas résumer la vie de Barbara Loden dans une page, il lui faut rencontrer cette femme, morte certes mais vivante quelque part. Hélas, peu d’écho, peu de bienveillance, des anciens du films ne veulent plus rouvrir cette page.
Alors, que reste t-il à dire ? Rien. Enormément. Car Barbara Loden, Edna, Wanda, et probablement Nathalie, c’est nous. C’est aussi la mère de Nathalie qui erre dans un centre commercial sans âme comme Wanda dans son paysage minier, l’horrible impression de ne rien faire de sa vie, de ne rien être de valable, de n’avoir aucune valeur et dont la seule puissance pour réussir à exister est de se laisser flotter, de ne pas lutter, de fuir nulle part, de rencontrer n’importe qui, de ne pas s’opposer au désir de l’autre.
Ce livre est passionnant car il génère de nombreuses réflexions sur tout : la vie, la mort, l’amour, le féminin, le corps, le mariage, la solitude, le désir, le viol. J’ai eu envie de souligner… toutes les phrases car toutes sont importantes. Nathalie Léger, pour illustrer certains propos, convoque Marguerite Duras, Emilie Dickinson, Virginia Woolf, et aussi des images, une femme d’un tableau de Hopper.
Il y a des passages hors sujet qui sont pile dans le sujet en même temps. Un long paragraphe où Nathalie qui a rendez-vous avec un jeune homme pour un document explique pourquoi elle n’aime pas les jeunes hommes. « je n’aime pas leur fraîcheur, leur raideur ou leur grâce, leur pétulance spermatique, leurs mains d’enfant.  Je regarde les jeunes hommes, je les regarde sous la ceinture, je les regarde très attentivement, je les détaille mais je ne les aime pas, on les fait rire facilement, c’est agréable, je fais rire celui-ci facilement, c’est agréable et ennuyeux, je ne voudrais pas mourir en compagnie d’un jeune homme. »
Sur la dynamique homme-femme : « L’homme que j’aimais m’avais reproché un jour ma passivité supposée avec d’autres. C’était dans la cuisine, au moment du petit déjeuner, il me dit avoir peur de cette façon propre aux femmes en général et à moi en particulier, pensait-il, de ne pas savoir ou ne pas vouloir s’opposer au désir encombrant des hommes, de se soumettre follement à leur demande. On dirait qu’il ne sait pas combien il est difficile de dire non, d’affronter la demande de l’autre et de la refuser — difficile et peut-être inutile. Pourquoi ne sait-il pas la nécessité parfois impérieuse de se couler dans le désir de l’autre pour mieux s’en échapper ? »
A lire absolument, 150 pages écrites gros mais dense, intense et sans aucun signe inutile.

Interview de Nathalie Léger ici.

Supplément à la vie de Barbara Loden par Nathalie Léger, 2012, chez P.O.L 150 pages imprimées dans la Nièvre.

Texte et dessin © dominique cozette

 

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