Ce faucon n’est pas maltais mais super écrit. Crews, encore

Ça commence par l’emmerdement de devoir refaire une capote à une VW, avec ses capitons de plafond et ses coutures compliquées, contrairement à la capote d’américaine qui se fait les doigts dans le nez. Mais comme tous les profs de l’université voisine possèdent au moins une VW et qu’ils sont contents de te faire une fleur en te l’amenant, c’est une vraie calamité que d’être sellier dans ce garage de merde, avec cette secrétaire aux dents pourries qui ne jouit même pas quand tu l’honores, et ce patron qui se mêle de tes affaires. Tes affaires ! D’abord, y a la frangine, une nana sans histoire aux fesses ultra-plates qui s’est fait larguer par le maousse costo père de son fils, oh, un joli gars blond, fin, pas pénible,  qui ne parle que par mono-mot n’ayant aucun rapport avec le T-bone et que George essaie d’élever. Mais surtout, il y a … le faucon.
Car George n’a qu’une passion dans la vie : la fauconnerie. Il sait tout sur l’affaire, il s’est goinfré les 3000 pages écrites par le premier fanatique de cet art : l’empereur Frédéric II du Saint Empire. Le problème, c’est que le dressage — l’affaitage — est une vraie torture pour l’oiseau et  que beaucoup préfèrent mourir de faim  plutôt que de se laisser apprivoiser. Mais enfin, George tient la bonne bête, une superbe femelle sauvage avec laquelle il va rester éveillé des jours et des nuits, l’oiseau rivé à son poignet, malgré la mort de son neveu, l’enterrement avec toute la famille, les tentatives de se voir interner, et bien d’autres scènes incroyables.
Comme dans Body dont je vous ai parlé récemment, le style de Crews est nickel, le récit hyper documenté et les personnages complètement déjantés. C’est assez dur pour une personne sensible comme moi sur la question animale, mais ce n’est qu’une fiction. Me dis-je in petto, après tout.

Harry Crews. Le faucon va mourir. Nrf Gallimard série noire 1973.

Texte et dessin approximatif  © dominique cozette

Body de Crews. Une belle baffe dans la gueule !

Harry Crews, je viens de faire sa connaissance. Juste après sa mort. Car Libé a publié un article (ici) extrêmement attractif sur cet écrivain sans concession. Un caractère hors norme, une enfance relou, un regard « indélébile », et, comme je l’ai constaté, une plume trempée forcément et férocement dans un venin bouillonnant. Voilà qui m’a donné envie d’entrer là-dedans. Il y en avait plusieurs à ma médiathèque. J’ai choisi Body.
Body, c’est le culte poussé à l’extrême du corps, le milieu impitoyable (pour eux-mêmes) des culturistes et body-builders. Buildeuses, plutôt, car ici, il est question du championnat du monde des musculeuses pro, celles qui passent leurs journées à lever de la fonte, à sculpter chaque muscle comme un diamant, à faire jaillir les veines sur leurs chairs bandées hors de toute raison, sans rien boire ni manger, sans vivre autre chose que souffrance inouïe et indicibles douleurs, tendues vers un seul but : remporter le Cosmos, l’ultime consécration.
Deux nanas en lice : la rude et opiniâtre Shereel Dupont (alias Dorothy Turnipseed) et la noirissime et gigantesque Marvella flanquée de ses quatre immenses petites soeurs construites comme des oeuvres de viande.
Le drôle de l’affaire, car ce bouquin est complètement déjanté, c’est que la famille plouc et tarée de Shereel débarque dans l’hôtel de luxe où se déroule l’affaire. Il y a ses frères, l’un poilu comme un monstre, l’autre hébété, sa tendre soeur de 140 kilos, belle obèse à la peau irrésistible, ses parents excentriques mais surtout son fiancé, dangereux vétéran du Viêt-nam appelé Tête de Clou, inséparable de son surin aiguisé à mort qu’il manie avec hargne envers quiconque lui déplaît.  Tout le monde quoi, dans cet univers de tantouses en collants. C’est qu’il a pris le goût du meurtre là-bas et s’agit plus de le faire chier.
A part l’ébullition créée par l’implacable rivalité entre les deux championnes, la pression infligée par leurs cruels entraîneurs et la terreur d’un pétage de plomb de la famille , le roman s’insinue dans le milieu de la torture corporelle avec un réalisme exacerbé et une densité décapante.
Si entre deux chamallows littéraires vous ne dédaignez vous désencrasser au pili-pili, allez-y, c’est du strong, du fracassant, du bouillant, du tendu à briser les nerfs.

Body de Harry Crews, 1990, traduit avec brio par Philippe Rouard, éditions Gallimard (noir).

Texte © dominique cozette. Photo internet.

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