MAUS, du grand Art !

Art Spiegelman, bien sûr. Qui n’a pas lu MAUS, d’Art Spiegelman, qui raconte l’histoire de son père, juif polak, et de toute sa famille presqu’entièrement exterminée dans les camps nazis ? Moi. Non, je ne l’avais pas lu. Ça me paraissait compliqué au niveau du dessin et des petites cases bourrées de texte.
Hé bien, ce n’est pas compliqué du tout. Et c’est super. Les juifs ont des têtes de souris, les nazis des têtes de chats, les Polonais goys des masques de chien, les Suédois des têtes d’élans. Histoire tragique, forcément, où les détails de la vie quotidienne dans cette foutue guerre foisonnent avec précision et cruauté ainsi que les combines pour échapper à la déportation, aux camps, à la maladie, à l’inanition puis à la mort. Quand on en réchappe, ce qui n’est pas le cas de la majorité des proches de Vladek Spiegelman.
Dieu merci pourrait-on dire, sa femme chérie survivra à l’holocauste mais leur fils adoré non. Ils feront un autre garçon, Art, qui décidera un beau jour, bien après le suicide de sa mère qui n’en pouvait plus de l’existence, de faire parler son père.
Comme l’exercice les a rapprochés, ils parlent aussi de l’époque présente, en l’occurrence les années 70 et suivantes. On zappe sur la vie maritale et on retrouve Vladek  qui, pour ne pas être seul,  a épousé une autre rescapée. Qui lui pourrit la vie. A dire vrai, c’est lui qui pourrit la vie des autres : il est d’une radinerie absolument impressionnante — une vraie caricature dit le fils — combinard à en avoir honte, chiant, pénible, pleurnichard. En plus, il se fâche avec sa femme et comme il ne peut plus vivre seul, aïe, aïe, aïe, que va-t-il se passer ?
C’est formidable, génial, grandiose, ça parle mieux que tous les documents (enfin pas tous, quand même, j’ai le souvenir de Nuit et Brouillard vu à l’âge scolaire…) et le point de vue du fils sur le père est assez étonnant malgré tout le respect qu’il lui doit. Il a eu de nombreux prix (Pulitzer notamment) et des critiques dithyrambiques. A lire absolument, donc.
Je vous en parle aussi parce que l’expo Art Spiegelman à Pompidou mérite le coup d’oeil et le coup d’oreille :  l’émouvant de l’affaire, c’est qu’on peut écouter la voix de son père sur les enregistrements qu’il a faits pour MAUS, un accent polak à couper au couteau ! mais un physique de star. Super bel homme, je comprends mieux qu’il usât parfois de son charme pour ses combines !
L’expo montre une belle somme de planches, affiches et « débris » de sa longue carrière qui a commencé à l’âge de 12 ans, en 1960, avec la publication de sa première BD. Et on y découvre sa joyeuse collaboration publicitaire avec une marque de chewing gum qui a duré 20 ans et l’a grassement nourri. On apprend (enfin, moi) qu’il est marié à une frenchie graphiste, Françoise, et toutes sortes de choses marrantes.
Avis aux radins : c’est gratuit, à la bibliothèque du centre Pompidou, entrée libre. Si vous voulez lire quelques BD de lui, un salon de lecture est installée avec de nombreuses publications en différentes langues à disposition. Cool.

MAUS d’Art Spiegelman, tome 1 Un survivant raconte : mon père saigne l’histoire – Tome 2 : Un survivant raconte : et c’est là que les ennuis ont commencé. De 1973 à 1991.  Flammarion.

Texte © dominique cozette

Body de Crews. Une belle baffe dans la gueule !

Harry Crews, je viens de faire sa connaissance. Juste après sa mort. Car Libé a publié un article (ici) extrêmement attractif sur cet écrivain sans concession. Un caractère hors norme, une enfance relou, un regard « indélébile », et, comme je l’ai constaté, une plume trempée forcément et férocement dans un venin bouillonnant. Voilà qui m’a donné envie d’entrer là-dedans. Il y en avait plusieurs à ma médiathèque. J’ai choisi Body.
Body, c’est le culte poussé à l’extrême du corps, le milieu impitoyable (pour eux-mêmes) des culturistes et body-builders. Buildeuses, plutôt, car ici, il est question du championnat du monde des musculeuses pro, celles qui passent leurs journées à lever de la fonte, à sculpter chaque muscle comme un diamant, à faire jaillir les veines sur leurs chairs bandées hors de toute raison, sans rien boire ni manger, sans vivre autre chose que souffrance inouïe et indicibles douleurs, tendues vers un seul but : remporter le Cosmos, l’ultime consécration.
Deux nanas en lice : la rude et opiniâtre Shereel Dupont (alias Dorothy Turnipseed) et la noirissime et gigantesque Marvella flanquée de ses quatre immenses petites soeurs construites comme des oeuvres de viande.
Le drôle de l’affaire, car ce bouquin est complètement déjanté, c’est que la famille plouc et tarée de Shereel débarque dans l’hôtel de luxe où se déroule l’affaire. Il y a ses frères, l’un poilu comme un monstre, l’autre hébété, sa tendre soeur de 140 kilos, belle obèse à la peau irrésistible, ses parents excentriques mais surtout son fiancé, dangereux vétéran du Viêt-nam appelé Tête de Clou, inséparable de son surin aiguisé à mort qu’il manie avec hargne envers quiconque lui déplaît.  Tout le monde quoi, dans cet univers de tantouses en collants. C’est qu’il a pris le goût du meurtre là-bas et s’agit plus de le faire chier.
A part l’ébullition créée par l’implacable rivalité entre les deux championnes, la pression infligée par leurs cruels entraîneurs et la terreur d’un pétage de plomb de la famille , le roman s’insinue dans le milieu de la torture corporelle avec un réalisme exacerbé et une densité décapante.
Si entre deux chamallows littéraires vous ne dédaignez vous désencrasser au pili-pili, allez-y, c’est du strong, du fracassant, du bouillant, du tendu à briser les nerfs.

Body de Harry Crews, 1990, traduit avec brio par Philippe Rouard, éditions Gallimard (noir).

Texte © dominique cozette. Photo internet.

Les colères de Duroy

Une autre tranche de vie de Lionel Duroy dont « le chagrin » avait bouleversé les foules ET moi-même en 2010 et qui racontait la monstrueuse comédie familiale déjà narrée en d’autres termes dans « priez pour nous » (1990, lien du blog que j’ai écrit récemment ). Je ne sais pas s’il faut en avoir lu un des deux pour apprécier ce nouvel opus, « colères », paru l’été dernier, qui décrit et  analyse le vie actuelle de sa famille recomposée en pleine décomposition. Je pense que c’est préférable.
Il est donc marié avec son deuxième amour, une femme douce et idéale de 15 ans sa cadette, rencontrée alors qu’il se faisait salement plaquer par la première, Agnès, mère de ses deux premiers enfants.
S’appliquant tous deux à recréer une « vraie » famille à l’abri de toutes les tempêtes, ils font deux filles (qui ne s’entendront jamais) et affrontent les problèmes à mesure qu’ils arrivent : la rupture cruelle du grand fils, camé, qui va faire payer lourdement à son père les blessures de son enfance, les conflits permanents entre les deux filles, leur futur départ du foyer  mais aussi (et surtout peut-être) l’impossibilité de l’homme à prouver son amour total à celle qu’il aime d’un amour fou.
Ce livre n’est pas qu’un récit, c’est une sorte d’analyse que l’auteur s’efforce de faire entre les événements présents et ceux du passé,  comme des ponts jetés entre tous les protagonistes de sa vie, l’explication presque génétique des comportements de chacun avec irrémédiable répétition  de leurs erreurs, des tares qui sautent ou pas les générations, des défauts rédhibitoires dont il se croyait protégé pour les avoir autopsiées chez d’autres,  notamment sa mère.
En somme, il pense que tout a une racine quelque part avec rejets ici et là et, impuissant à les contrôler,  il met tout en oeuvre pour tenter de comprendre pourquoi il n’arrivera jamais à rien avec ceux qu’il aime le plus.

Lionel Duroy parle de Colères face caméra : c’est émouvant.

Colères de Lionel Duroy chez Julliard, 2011. 212 pages formidables imprimées dans l’Eure.

Texte et dessin © dominique cozette

Très courtois, Nicolas Fargues !

En effet, la courtoisie qui fait partie de son titre — la ligne de courtoisie — c’est l’extrême obligeance d’un écrivain à faire court quand il n’ a rien à raconter. De faire court et stylé. L’exercice de Fargues est époustouflant. Certainement très agaçant pour d’autres qui peuvent allègrement critiquer son ampoulage et ses affèteries mais c’est drôle, tellement la caricature est forcée.
Je ne sais pas si ce bouquin est bon, je ne crois pas, franchement, mais il m’a bien distraite en ces temps où on se fout des torgnoles à travers la tronche, où on se bourre-pif de sondages croisés et où on s’injurie à longueur de chroniques, de twitts et de temps de parole.
Chez le beau Nicolas Fargues (ben oui, il est beau), on retrouve la vraie vie, c’est à dire la vie chiante et morne d’un écrivain solitaire au creux de sa vague, maniaque de la propreté, qui décide de s’installer (fuir) à Pondichéry quelques temps. Juste avant, il organise un dîner d’adieu pour ses proches qui n’en ont rien, mais rien, à foutre ! Son fils est le prototype de certains petits cons d’aujourd’hui, mou du canapé, lâche et fuyant. D’ailleurs, la lâcheté est une des seules choses transmises par le père qui ne veut jamais de vagues, qui se fait donc gentil avec tout le monde pour ne pas déplaire… Il y a la fiancée du fils, une pétasse à bustier et yorkshire, son frère — avec femme ethnique très douce —  toujours aussi critique surla vie stupide que mène le héros, alors que lui, avec son job sûr … Sa fille, bof bof etc…
Le lendemain, même punition avec son éditeur, chaleureux au temps des succès. Quant à ses parents, des petits étriqués, naturellement. Banal, certes, mais les portraits sont super léchés, jusqu’à la bave.
Parti en Inde où il affronte l’adversité d’un endroit inconnu où il se fait avoir dans les grandes largeurs, il revient en trombe pour un problème de pension alimentaire qui promet de peser lourd sur son avenir d’auteur sans idées… C’est dans un bureau de poste qu’il ose enfin se rebeller … bref espoir d’une vie peut-être meilleure.
(La ligne de courtoisie est le trait tracé sur le sol pour se tenir en retrait devant certains guichets).

La ligne de courtoisie par Nicolas Farges chez P.O.L. 2012. Imprimé en 2010 (???) dans l’Orne. 166 pages écrites gros.
Texte et dessin © dominique cozette

L’humanité disparaîtra, bon débarras !


C’est pas moi qui le dis, c’est Yves Paccalet dans un petit poche qui a obtenu le prix du pamphlet 2006 (oui, c’est déjà vieux, on n’y parle donc pas de Fukushima ou autres horreurs).
Ce monsieur, philosophe et naturaliste a partagé dès 72 l’Odyssée sous-marine de Cousteau. Question terre,  mers, peuplades, il en connaît un rayon. Pendant des décennies : espoir,  foi en l’homme, aveuglement, naïveté. Mais là, c’est trop. La coupe est pleine. Il est tellement désolé de constater les tortures que l’humanité s’inflige et qui la condamnent à court terme, tellement désespéré de lister la destruction de la nature qui signe la nôtre, qu’il a édité ce petit chef d’oeuvre d’humour noir, hélas véridique, pour stigmatiser tout, pratiquement, ce qu’on  fait de pire à la faune, la flore, et nous-mêmes.  Il fait l’inventaire de toutes les saloperies d’armes qu’on a inventées, de virus qu’on a propagés, de saletés de maladies qu’on a créées, de mille trucs qui tuent vite ou lentement, qui s’insinuent partout, qui détruisent tout.
Et pas que ça. Il fustige le succès grandissant des valeurs toxiques telles que la possession, la domination, la violence pour l’être et l’avoir, les utopies qui déraillent, les « sous-couvert » de science ou de démocratie, de bien-être et de bonheur, la course effrénée à la croissance avec l’épuisement des énergies fossiles, les voracités sur la nature, l’eau, les ressources. Et puis les intolérances de tout poil. Et encore la monstruosité de ce nombre d’habitants que la terre doit porter, qui ne cesse de croître. Bientôt 7 milliards. 8 milliards en 2025.
Comme il le dit : l’homme, animal à deux pieds sans plumes (Platon), est le cancer de la terre.
Il décrit, à la fin du livre, treize bonnes raisons de mourir : c’est pas joyeux.
Et il nous file un remède, pour que ralentisse ce gâchis : manger nos bébés. Ce qui était déjà « une modeste proposition… » de Jonathan Swift.
Pourquoi lire ça et s’infliger une telle misère, me demanderez-vous avec raison ? Pourquoi pas ? Tout est dit en concentré, c’est d’une érudition rare et sans baratin, c’est vif et acéré, c’est essoufflant, ça donne à réfléchir et ne prête pas à rire, pour paraphraser Miss Tic, ça ouvre les yeux pour mieux nous les fermer… Ça nous dit peut-être de devenir raisonnables,  d’essayer en tout cas. Ou sinon, de continuer à déconner, se gaver, s’en mettre jusque là et tant pis pour nos petits survivants qui se retrouveront un jour comme dans « la route », ce sombre roman d’errance apocalyptique… Vous ne direz pas que je ne vous ai pas prévenu(e) ?
Bon, allez, il nous reste quelques bonnes années, savourons ensemble une p’tite vodka Poutine avant que d’engloutir un sushi hallal radio-actif !

Yves Paccalet. L’humanité disparaîtra, bon débarras. 2006. Arthaud ou J’ai lu. 192 p. 4,80 €

Texte et peinture © dominique cozette.  (Vous pouvez partager, ça ne fait de mal à la planète, quoi qu’un clic, c’est beaucoup d’énergie, paraît-il)

Rupture à la gare du Nord

On sort du métro gare du Nord et on suit la masse direction grandes lignes.
Les yeux pleins de larmes, j’y fais : les gares, c’est bien l’endroit le plus triste du monde.
Lui, sans se laisser troubler : Est-ce que tu sais si, là tout de suite, on est dans un lieu RATP ou SNCF ?
Le rat ! Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? Tu crois que ça va me consoler ?
Lui, calme : Non,  mais comme ça tu sauras : Pour savoir si c’est la RATP ou la SNCF, faut regarder le sol. Noir c’est la RATP, blanc la SNCF.
Tellement foutage de gueule que j’y dis : T’façon, dès que tu seras parti, je me jette sous le train.
Il se marre : Et comment qu’tu feras, grosse bête ? faudrait déjà qu’tu coures achement vite, et avec ces godasses !
Quoi, mes godasses ? Des compensées. Hautes. Très belles. En daim fauve.
Il ajoute : tu sais combien y a de gens qui se suicident sous les trains et les tromés, par an, en France ? 400 ! Dont 10% dans la zone nord.
Avec moi, ça fera 401, j’y rétorque. Et puis je me mouche. Je suis moche, j’ai le nez rouge, les doigts gluants, je rentre dans la catégorie des femmes plaquées, ça fait redoubler mes pleurs. Et je me mets à crier de désespoir. Il me plaque la main sur la bouche, je le mords, il me traite de chienne, se barre en courant. Je cherche un flic pour porter plainte, après tout ce mec me vole mon bonheur. Mais le planton me dit : Vot’ voleur, il a agi inside ou outside ?
J’y fais mais quoi, qu’est ce que ça change ? Ça va me le faire revenir ?
Y m’dit que ça change tout : inside, c’est les flics de la gare, et y en a pas bézef, 27 plus 5 gradés, et qu’avec le nombre d’incivilités…
De quoi ?
De crachats, si vous voulez, z’ont pas de temps avec ça. Mais si c’est outside, dans la cour, faut aller au commissariat du Xème. Feriez mieux de vous calmer.
On peut même pas s’assoir, dans vot’ gare…
Normal, on veut pas que les clodos prennent souche…
Mon mec est revenu, y me dit qu’y s’est trompé d’horaire, que du coup il reprendra le même TGV mais demain et est-ce qu’il peut rester dormir « avec moi » cette nuit.
J’y fais : y a pas que des TGV, dans cette gare. Y a aussi des TER, des Corail, des Transilien, le Thalys, l’Eurostar, et les Intercités.
Y me regarde d’un drôle d’air.
J’y dis : Le bordel pour gérer une  panne sur la voie ! Parce que tu sais quoi ? Y z’ont les mêmes droits, tous ces trains vu que les voies sont à tout monde !
Et ? (qu’y m’fait, en suspension dans la voix).
Rien, juste pour que tu saches que moi aussi, je l’ai lu, ce bouquin de Joy Sorman ! Et que figure-toi qu’il n’y a que deux agents pour patrouiller dans cette immensité  ! T’imagines ? 2 pékins !
Comme il a réponse à tout : Les suppressions de poste, je suppose. Alors ? Pour ce soir ? Tu me gardes ?
Je le reluque et d’un seul coup, il me paraît moche avec ses yeux de blaireau et ses crans dans les cheveux. J’y dis : ben non, c’est plus possible, j’ai fait valider ton départ, je devrais dire ta désertion, par mes services internes qui m’ont dit OK, on supprime son poste. Et basta. Voilà, désolée. Y a plus de triple A !  Casse-toi pauv’con !
Je vais quand même pas ruiner le reste de ma belle jeunesse pour un taré qui collectionne les Pif Gadget et les CD de  Doc Gynéco !

En résidence une semaine à la gare du Nord en mai 2011, Joy Sorman nous livre quelques secrets, infos et surprises découverts dans cet immense espace qu’est la gare du Nord. Petit bouquin (80 pages) sympa et instructif. « Paris Gare du Nord par Joy Sorman, à l’arbalète gallimard, 2011. Achevé d’imprimer à Mayenne… il n’est pas dit où il a été commencé d’imprimer. Va savoir, Edgar ! (Dunord !)

Texte et tableau © dominique cozette

Studieuse, l’année, Anne W ?

Je n’en crois pas un mot ! Tu la racontes toi-même, cette année-là, et franchement, tu la passes plus à tes cours d’éducation sexuelle que dans l’amphi de Nanterre. Et tu as bien raison ! A t’en croire, Jean-Luc G., cinéaste en plein boum, est un bon coup puisqu’il te fait oublier les petites coucheries de l’année Bresson où tu n’avais rien senti. Là, c’est du corporel et du sentimental, du charnel et du chaud. Tout pour te faire du bien.
Donc tu as bien raison parce que Jean-Luc G. comme premier mari (en as-tu épousé un autres ?), c’est trop classe ! Il te présente Truffaut, t’amène à la Garde-Freinet pour un séjour ultra-raffiné chez la Moreau, t’offre une Fiat toute neuve que tu n’utiliseras jamais, fais d’innombrables allers-retours dans le midi pour te voir une seconde, t’affrète un  avion, demande ta main à pépé le Mauriac, construit un film autour de toi et ta vie estudiantine, la Chinoise, puisque c’est la grande époque Mao. Ouh la la, quelle histoire !
Il faut dire que comme allumeuse, tu te poses là : quand on a 17 ans, qu’on a joué la nymphette dans un film-culte, qu’on porte encore des soquettes dans sa tête et qu’on envoie une lettre enflammée à un monsieur plus âgé, hé ben, hé ben, hé ben voilà ce qui arrive. Délurée, en fait. Bourgeoise, en plus, ce qui plaît toujours aux rebelles, et rouquine, pourquoi pas…
Mais alors, chère Anne, là où ça fait mal, c’est qu’on se sait pas comment se termine l’histoire. L’as-tu plaqué pour un autre, ce macho jaloux, exclusif et étouffant « parce qu’il t’aime » (tiens, ça me rappelle quelqu’un…) pour un juif errant, un pâtre turc, un pré-geek au torse creux ou un alcoolo couperosé ? Ou est-ce lui qui a fait un extra avec une figurante juste pubère, une boulangère virile, une écrivaine chauve ? On ne le saura pas.
Ce qu’on sait, c’est qu’il y a deux façons de raconter une histoire torride. Une façon torride. Et une façon classique, comme si tout était normal, le verbe juste et  la virgule précise. C’est pour ça qu’il a craqué, le « vieux ». Ton côté bien élevé, tombé dans la litt-bourge, les ongles nickel et le surmoi ferme. Pas une starlette, ni une blondasse qui rêve de faire du cinéma, ni une mauvais genre qui sait déjà tout sur l’anatomie masculine. Une petite presque oie blanche qui s’esclaffe avec ses copines, qui trimballe sa petite chienne, qui ne la ramène pas.
Ça m’a bien plu aussi, ton histoire. Juste une toute minuscule chose : tu dis quelque part « les croulants, pour parler comme dans Salut les Copains que je ne lis pas  » (approx), figure-toi que Salut les Copains était un magazine bien élevé qui parlait sobrement des idoles. C’était la génération de nos aînés qui utilisaient ce mot. Voilà. Tu vois, rien à dire, ma chère Anne… Jute bravo ! On attend la suite. La suite ! La suite ! La suite !!!

Une année studieuse. Anne Wiazemski, Gallimuche 2011, 264 pages super bien imprimées. 18 €

Texte © dominique cozette

Telle mère, pas telle fille… Dominique et Nikita

C’est la très belle idée d’une maman artiste qui, après avoir fait un portrait de sa fille, pensa qu’il serait intéressant de voir quel regard Nikita, 7 ans, pouvait poser sur elle. Le dessin fut fait. Elle décida de poursuivre cette expérience de portraits croisés durant 10 ans, chaque semaine, lors de leurs rencontres. (Je suppose que Nikita ne vivait pas chez Dominique).

La maman s’appelle Dominique Goblet, la fillette Nikita Fossoul. Le livre « chronographie ». Au pif, 3 à 400 pages non numérotées.

Un des premiers portraits de la fillette. Elle est blonde avec des cheveux mi-longs, les yeux légèrement écartés, l’air très doux.

Deux portraits enfantins de la maman. Elle est brune, a des sourcils et des cils bien noirs, des yeux bleus.

Les techniques sont très variées. La maman a utilisé ici des crayons de couleur, parfois, du bic, ou toutes sortes de peintures. Elle fait aussi des monotypes dont elle enseigne la technique à sa fille.

Pas d’explication de texte. Voulait-elle dire à l’envers ?

Notez bien que Nikita ne change pas beaucoup et pourtant, les années passent. Je vous expliquerai pourquoi noter cela.

Nikita fait de beau progrès, elle travaille le détail. Chaque changement de coiffure, voire de style de Dominique est validé par un dessin.

Petit air nostalgique de Nikita

La fillette ne se prive pas de commenter les états d’âme de sa mère tout au long du livre

En novembre 2006, Nikita a déjà 15 ans. Vous trouvez qu’elle a beaucoup changé ?

Quel beau portrait de sa mère !

La jeune fille, au trait, a gardé  sa bouche  et ses yeux enfantins.

Elle se pose des questions techniques. Sa mère a probablement une conjonctivite. Elle porte de superbe boucles d’oreilles.

La maman se transforme. De page en page, elle se fait moins farfelue, plus rangée.

Nikita reste égale à elle-même. Sur certains dessins, on devine des crises d’acné. Mais pas trop de folies adolescentes.

Un exercice de style comme Nikita en fera de nombreux.
Le commentaire à la fin du livre de Dominique est assez drôle car, au vu de ces centaines de dessins, elle estime que Nikita a énormément changé, s’est transformée, « ses traits sont passés de ceux d’une enfant à ceux du jeune femme ». Quant à elle, pas vraiment, croit-elle, « mon physique, en dix ans, n’a pas essentiellemet bougé ».
Or, il se trouve qu’elle dessine sa fille avec un regard de mère qui ne la voit pas grandir, elle la croque en petite fille la plupart du temps et on voit à peine les années passer. C’est assez drôle ce jugement pas du tout objectif.
Le grand intérêt du livre, pour elle, n’était pas de reproduire un visage de façon fidèle, mais de dévoiler le regard qu’elles se portent, sans obligation de  justesse ou de proportions. Dans cet exercice, je trouve que sa fille est beaucoup plus sensible que la mère, elle interprète beaucoup plus des états d’âme et des ambiances.
La mère, quant à elle, tente de percer le lien qui les unit car Dominique l’avoue : l’instinct maternel, elle ne le comprends pas vraiment, elle ne le ressent pas de façon animale comme ses amies, ça l’interroge. Ces dessins l’y aident.

Une interview d’elles récente qui confirment ce que j’ai ressenti en parcourant le livre : ce sont deux femmes totalement différentes dans le physique, l’allure, la façon de se vêtir… c’est ici, (à Angoulême, en fait)

Chronographie de Dominique Goblet et Nikita Fossoul. L’Association 2010.  Trois kilos environ.
texte © dominique cozette

Ourednik (tes lecteurs), tu vas te foutre longtemps de notre gueule ?

Une copine tchèque m’avait fait acheter le bouquin remarquable de Patrick Ourednik, Europeana, une brève histoire du XXème siècle, petit ouvrage impressionnant qui nous raconte tout ça en raccourcis hilarants. Là-dessus, je tombe sur « Classé sans suite » à l’Arbre à Lettres,  parmi les derniers bons ouvrages, la nana ne l’avait pas lu, j’achète, 9 € c’est pas non plus la fin du monde.
Premier chapitre, des chiffres et des lettres. Je suppose qu’on parle d’échecs.
deuxième chapitre : ça commence très fort dans la descriptions praguoise avec émanations de gaz carbonique, crotte de pigeon, écrasement de coléoptère, nana appétissante pour vieillard concupiscent. Au bout de quelques chapitres, malgré tout, ça se gâte, je ne sais pas trop où P.O. veut en venir, lui non plus puisqu’il m’interpelle : « Vous vous demandez comment cette histoire va tourner ? Voilà, cher lecteur, ce que nous ne pouvons vous dévoiler […] nous ignorons comment il finira, pourquoi même il finirait, nous en sommes au même point que vous, ou presque, puisqu’au moment où vous lisez ces lignes, notre tâche a pris fin, le livre a été publié; »
J’ai bien l’impression de me laisser mener en bateau mais tant pis, j’y reste. La prose est marrante, le narrateur parle de la société tchèque comme le modèle absolu de la connerie humaine bien cernée par lui et dont voici une des nombreuses citations « Najman était un spécimen si accompli de la connerie tchèque qu’on aurait pu l’exhiber dans les Expositions universelles : jovial, trivial, populaire, passablement inculte, imperturbable et agressif. […]  Nejman excellait dans les dicussions, argumentations et opinions, de sorte qu’il jouissait de l’estime et de la considération de ses concitoyens : arriver à exprimer son crétinisme avec toute l’autorité que cela suppose est pour les Tchèques l’ambition suprême, juste après la collaboration fructueuse avec  les puissances du moment et l’entretien des nains de jardin ».
Je pourrais vous citer la moitié du livre sur des phrases empreintes du style goguenard de l’auteur. Ce n’est pas non plus un gros livre et j’arrive sans peine à sa fin, avec le sentiment de m’être fait avoir comme une bleue. Arghhh.
Mais après la fin en queue de boudin, un commentaire érudit sobrement intitulé « libre suite ». C’est une explication de texte extrêmement, clairement et délicatement menée sur tous les chapitres du texte, avec notes et renvois (beurp) où il se fout encore plus de notre gueule de lecteur avide et inconséquent, avec brio, sadisme, talent et causticité. Exemple : « Le tour de force de Classé sans suite est de pousser jusqu’à l’extrême cette imposture en relançant constamment l’intérêt du lecteur par des artifices qui sont autant de promesses déçues « .  S’ensuit une liste de procédés et événements qu’il nous a infligés dans ce but. Plusieurs parties dans cette dizaine de pages avec les titres en latin pour conclure que, tout flaubertien qu’il est, il a juste écrit un texte sur le rien et termine par cette affirmation interrogative : »Après tout, Kant lui-même, n’avait-il pas orné sa célèbre Critique de la raison pure (AKA III, p.233) d’une très sérieuse et, cependant d’un irrésistible effet comique, « table de la division du concept de rien « ?  » Cette partie est signée d’un certain Jean Montenot qui, j’en suis sûre, n’existe même pas en rêve.
Bref, faut être tordu pour lire ce bouquin, sauf si on est dans le train avec rien d’autre qu’un vieille pie poilue en face de soi. Ou encore si on adore les exercices de style. Comme moi. Je vous aurai prévenu.

Patrick Ourednik. Classé sans suite, 2011, édition Allia. Imprimé dans l’union européenne. 176 p. 9 €

Texte © dominique cozette

Bretécher, une frustrée pas du tout fruste !

Il suffit de feuilleter ce superbe album très lourd pour s’en rendre compte : le talent de Claire Bretécher est extrêmement sophistiqué ! Ses BD en donnent un petit éventail. Mais qu’elle nous expose ses travaux personnels — des portraits —  et elle nous subjugue par sa technique et son regard.

Claire Bretécher peint, dessine, esquisse. Elle croque, elle saisit, elle peaufine. Elle fait de tout : crayon, encre, lavis, aquarelle, pastel, acrylique, huile, « gratouillis », monotype, tricot (trop fort), carrelage, fusain, bricolage, crayon de couleur. Et mix de tout ça. Et sur divers supports.

 

Ses modèles ? Son fils, ses nièces, des amies, des amis, sa grande copine Dominique Lavanant, les deux célèbres rousses, Régine Desforges et Sonia Rykiel. Et elle-même.


Des autoportraits où elle est loin de se mettre en valeur. Voilà d’ailleurs ce qu’elle dit de cette discipline : « On croit que l’autoportrait dénote un certain narcissisme. Faux. Ce serait plutôt la manifestation d’un ennui mortel. N’avoir que soi à se mettre sous le crayon est une punition. Imméritée en général. Heureusement, on constate souvent que le résultat n’est pas ressemblant, sauf accident. »

Dans un reportage passé à la télé il y a quelques années, on la voyait dans son atelier, une sorte de maison sur un toit plat à Place Blanche, havre de paix, en baver littéralement sur la confection de sa BD. Elle ne dessine absolument pas à main levée, elle peine, elle gomme, gomme gomme comme une forcenée, gratte, froisse, jette, recommence… Elle rame, donc, ce qu’on n’imagine pas venant d’une femme comme elle au style dilettante.

  Donc un très beau livre, surprenant car très varié comme j’essaie de vous le montrer dans ce blog. Les frustrés peuvent aller se rhabiller !

Il existe aussi un coffret collector numéroté avec une sérigraphie originale de l’artiste. J’ai raté la séance de signature, à l’automne, et tant mieux, j’ai horreur des séances de signature.

 

Claire Bretécher. Dessins et peintures. Editions le Chêne octobre 2011. 240 pages, 39,90 €. Imprimé en … Chine, pays de l’encre à dessiner…

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter