Le mai 68 d'Anne W.

Après Une année studieuse où elle raconte la cour que lui fit Godard, leur improbable vie maritale pleine de cocasserie, Anne Wiazemski nous livre ici la suite de l’aventure qu’elle intitule sobrement un an après. Cette année tombe … en 68. Elle demande à Jean-Luc de quitter la proximité d’avec Beauvau, trop de flics et ils se retrouvent en plein quartier latin bouclé par les cars de CRS et les lanceurs de pavés.
Cette fille, qui a 20 ans, est très peu concernée par la révolte estudiantine et les conflits socio-politiques. Les conférences Mao où l’entraîne son époux la barbent, elle préfère sillonner le quartier en patins à roulettes (il n’y a plus de transports) avec une copine. Leurs fidèles amis sont un couple de stylistes qui ont créé la marque VdeV et Cournot. Mais Godard se radicalise, supporte de moins en moins certaines contraintes, s’enfuit de ses tournages en laissant son équipe se dépatouiller. Veut arrêter le cinéma en découvrant Garrel.
C’est un monomaniaque qui va toujours aux mêmes endroits, mêmes restos souvent pourris et, à Londres où il filme les Stones, ne veut même pas savoir ce qu’il y a dans la rue d’à côté. Il n’aime pas les distractions, les dîners avec d’autres que ses proches, les sorties. Seules les discussions avec de jeunes contestataires qui envahissent leur appartement le passionnent. Pendant ce temps, Anne ne veut pas se laisser enfermer dans l’ennui. Alors elle fait l’actrice à Rome, principalement. Jean-Luc en crève de jalousie. La fin s’annonce…
Ce qui est drôle — outre le fait que je me retrouve pas mal dans cette histoire —  c’est qu’Anne W. se présente comme une nana peu mature, pas politisée, naïve, qui aimerait bien s’amuser plus mais que son mari, de 17 ans plus âgé et qu’elle aime, n’a aucune envie de ce qui peut faire plaisir à une jolie jeune fille à peine sortie de l’adolescence, un peu bourge certes et plutôt innocente sur l’attraction qu’elle exerce sur les hommes.
C’est charmant, c’est rafraîchissant, c’est plein de petits détails amusants sur l’époque, sur le cinéma, sur mai 68. C’est distrayant.

Un an après d’Anne Wiazemski chez Gallimard, 2015. 202 pages, 19,90 €.

Texte © dominique cozette

Studieuse, l’année, Anne W ?

Je n’en crois pas un mot ! Tu la racontes toi-même, cette année-là, et franchement, tu la passes plus à tes cours d’éducation sexuelle que dans l’amphi de Nanterre. Et tu as bien raison ! A t’en croire, Jean-Luc G., cinéaste en plein boum, est un bon coup puisqu’il te fait oublier les petites coucheries de l’année Bresson où tu n’avais rien senti. Là, c’est du corporel et du sentimental, du charnel et du chaud. Tout pour te faire du bien.
Donc tu as bien raison parce que Jean-Luc G. comme premier mari (en as-tu épousé un autres ?), c’est trop classe ! Il te présente Truffaut, t’amène à la Garde-Freinet pour un séjour ultra-raffiné chez la Moreau, t’offre une Fiat toute neuve que tu n’utiliseras jamais, fais d’innombrables allers-retours dans le midi pour te voir une seconde, t’affrète un  avion, demande ta main à pépé le Mauriac, construit un film autour de toi et ta vie estudiantine, la Chinoise, puisque c’est la grande époque Mao. Ouh la la, quelle histoire !
Il faut dire que comme allumeuse, tu te poses là : quand on a 17 ans, qu’on a joué la nymphette dans un film-culte, qu’on porte encore des soquettes dans sa tête et qu’on envoie une lettre enflammée à un monsieur plus âgé, hé ben, hé ben, hé ben voilà ce qui arrive. Délurée, en fait. Bourgeoise, en plus, ce qui plaît toujours aux rebelles, et rouquine, pourquoi pas…
Mais alors, chère Anne, là où ça fait mal, c’est qu’on se sait pas comment se termine l’histoire. L’as-tu plaqué pour un autre, ce macho jaloux, exclusif et étouffant « parce qu’il t’aime » (tiens, ça me rappelle quelqu’un…) pour un juif errant, un pâtre turc, un pré-geek au torse creux ou un alcoolo couperosé ? Ou est-ce lui qui a fait un extra avec une figurante juste pubère, une boulangère virile, une écrivaine chauve ? On ne le saura pas.
Ce qu’on sait, c’est qu’il y a deux façons de raconter une histoire torride. Une façon torride. Et une façon classique, comme si tout était normal, le verbe juste et  la virgule précise. C’est pour ça qu’il a craqué, le « vieux ». Ton côté bien élevé, tombé dans la litt-bourge, les ongles nickel et le surmoi ferme. Pas une starlette, ni une blondasse qui rêve de faire du cinéma, ni une mauvais genre qui sait déjà tout sur l’anatomie masculine. Une petite presque oie blanche qui s’esclaffe avec ses copines, qui trimballe sa petite chienne, qui ne la ramène pas.
Ça m’a bien plu aussi, ton histoire. Juste une toute minuscule chose : tu dis quelque part « les croulants, pour parler comme dans Salut les Copains que je ne lis pas  » (approx), figure-toi que Salut les Copains était un magazine bien élevé qui parlait sobrement des idoles. C’était la génération de nos aînés qui utilisaient ce mot. Voilà. Tu vois, rien à dire, ma chère Anne… Jute bravo ! On attend la suite. La suite ! La suite ! La suite !!!

Une année studieuse. Anne Wiazemski, Gallimuche 2011, 264 pages super bien imprimées. 18 €

Texte © dominique cozette

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