Une Jeune Fille passionnante !

J’avais déjà lu et apprécié les deux tomes suivants de sa vie intime, celui où Godard lui fait la cour et où elle finit par craquer, apprécier le sexe avec lui et l’épouser « une année studieuse »  (article ici) et sa suite en mai 68 « un an après » (article ici) où le couple se délite. « Jeune fille » se situe juste l’année de ses 18 ans, elle est en première dans une école religieuse, c’est une oie blanche. Une amie (celle qui joua Jeanne d’Arc) la présente alors à Robert Bresson qui cherche l’héroïne de son prochain film « au hasard Balthazar ». Il la trouve parfaite, fait mine de faire des essais avec d’autres mais est tout de suite conquis par la jeune fille et son innocence non feinte. Son grand-père, François Mauriac, en l’absence de son père décédé, lui donne son aval car une expérience comme celle-ci ne se refuse pas. Et puis ce n’est pas Vadim le sulfureux, c’est un homme de talent et catholique : il est sûr que sa petite fille sera en bonnes mains. Il ne se trompe pas car Bresson les pose  (ses mains) sur les joues, les bras, les épaules d’Anne qui l’affole totalement. Ils doivent tourner tout l’été en Normandie : il la veut tout le temps très de lui, même quand elle ne joue pas. Il a pris deux chambres dans une maison d’hôtes où ils seront ensemble, juste la salle de bains entre eux…Il ne prend pas ses repas avec l’équipe mais avec elle. Bref, il la garde prisonnière. C’est le surnom que l’équipe lui donne.
Ce qui n’est pas pour lui déplaire, elle le trouve charmant, cultivé, attentionné. Elle aime que quelqu’un soit entièrement dévoué à sa personne. Mais lorsqu’il essaie de poser ses lèvres sur les siennes, elle refuse. Elle a une relation très équivoque avec cet homme amateur de chair fraîche mais ne sachant rien de la vie sexuelle, elle s’étonne des pulsions masculines en même temps qu’elle enfouit son visage dans le cou du réalisateur quand ça ne va pas. Etrange.
Alors, sur le conseil d’une amie de 25 ans, elle prend un amant, un technicien du film qui lui faisait la cour. Il est charmant, il la dépucèle puis l’ignore ensuite. Elle est déconfite mais au moins très fière d’être devenue une femme. Et semble penser que son visage a changé et que tout le monde va le savoir. Mais non. Rien ne change. Un week-end où Bresson la libère, elle revoit enfin sa mère à Paris qui revient de ses vacances à Ré, toute papillonnante et bronzée. Elle non plus ne remarque rien, alors Anne lui annonce, très fièrement, qu’elle n’est plus vierge. Quelle n’est pas sa déconvenue face à la réaction de dégoût de sa mère ! Décidément, personne ne la comprend. Et puis Robert (Bresson) lui manque tellement qu’elle se jette à son cou en revenant de Paris.
Un livre vraiment charmant et frais, décrivant bien les obsessions d’un homme mature face à une innocente adolescente. En même temps que la volonté irrésistible de la jeune fille pour faire carrière dans le cinéma qu’elle trouve passionnant, tout le reste lui semblant dorénavant très morne et décevant.
Une belle écriture fluide, simple, et sans chichis comme Anne Wiazemski devait l’être.

Jeune fille par Anne Wiazemski aux éditions Gallimard 2007, 218 pages. Existe en Folio.

Texte © dominique cozette

Le mai 68 d'Anne W.

Après Une année studieuse où elle raconte la cour que lui fit Godard, leur improbable vie maritale pleine de cocasserie, Anne Wiazemski nous livre ici la suite de l’aventure qu’elle intitule sobrement un an après. Cette année tombe … en 68. Elle demande à Jean-Luc de quitter la proximité d’avec Beauvau, trop de flics et ils se retrouvent en plein quartier latin bouclé par les cars de CRS et les lanceurs de pavés.
Cette fille, qui a 20 ans, est très peu concernée par la révolte estudiantine et les conflits socio-politiques. Les conférences Mao où l’entraîne son époux la barbent, elle préfère sillonner le quartier en patins à roulettes (il n’y a plus de transports) avec une copine. Leurs fidèles amis sont un couple de stylistes qui ont créé la marque VdeV et Cournot. Mais Godard se radicalise, supporte de moins en moins certaines contraintes, s’enfuit de ses tournages en laissant son équipe se dépatouiller. Veut arrêter le cinéma en découvrant Garrel.
C’est un monomaniaque qui va toujours aux mêmes endroits, mêmes restos souvent pourris et, à Londres où il filme les Stones, ne veut même pas savoir ce qu’il y a dans la rue d’à côté. Il n’aime pas les distractions, les dîners avec d’autres que ses proches, les sorties. Seules les discussions avec de jeunes contestataires qui envahissent leur appartement le passionnent. Pendant ce temps, Anne ne veut pas se laisser enfermer dans l’ennui. Alors elle fait l’actrice à Rome, principalement. Jean-Luc en crève de jalousie. La fin s’annonce…
Ce qui est drôle — outre le fait que je me retrouve pas mal dans cette histoire —  c’est qu’Anne W. se présente comme une nana peu mature, pas politisée, naïve, qui aimerait bien s’amuser plus mais que son mari, de 17 ans plus âgé et qu’elle aime, n’a aucune envie de ce qui peut faire plaisir à une jolie jeune fille à peine sortie de l’adolescence, un peu bourge certes et plutôt innocente sur l’attraction qu’elle exerce sur les hommes.
C’est charmant, c’est rafraîchissant, c’est plein de petits détails amusants sur l’époque, sur le cinéma, sur mai 68. C’est distrayant.

Un an après d’Anne Wiazemski chez Gallimard, 2015. 202 pages, 19,90 €.

Texte © dominique cozette

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