Ce livre était sur « la liste de mes envies ».

Et voilà, il est dévoré. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de ralentir un peu, d’en garder la fin pour le lendemain, mais le lendemain devient vite la veille.
J’avais donc apprécié au-delà du raisonnable le premier opus de Grégoire Delacourt « l’écrivain de la famille » (mon article ici) paru l’an dernier, me disant qu’il allait falloir attendre un bail pour en savourer un autre — selon mon pessimisme optimiste — et toc ! me voilà avec le deuxième !
Ce qui est top, c’est que Grégoire Delacourt nous change de registre. Après avoir raconté son histoire de façon romancée, il fait dans la fiction totale en nous contant celle de Jocelyne, mercière à Arras, qui, poussée à jouer par des copines, gagne le gros lot. Puis décide de ne pas le claironner mais surtout de ne pas l’encaisser, de peur de perdre ses bonheurs tout simples. Je n’en dirai pas plus, l’auteur le raconte très bien.
Grégoire, que j’ai connu dans une autre vie, aime les gens de peu, les humbles, les simples et les gentils. Et puis le nord. Il nous introduit avec grâce dans la famille de Jocelyne, dans son couple, dans sa tête et ses rêves de jeunesse évaporés. Jocelyne qui, sans faire de philosophie, soupçonne qu’il y a plus à perdre qu’à gagner avec une telle somme. Jocelyne qui fait confiance aux autres, qui ne voit pas le mal, ou ne veut pas le voir, qui, sans être une sainte, aime bien rendre service. Elle tient d’ailleurs un blog sur les astuces, les trucs, les cent idées de la vie quotidienne via les travaux d’aiguilles. Elle pardonne assez facilement quand on lui fait des crasses mais attention, faut pas en remettre une couche ! C’est une pragmatique, pas une victime.
Bien sûr, c’est sentimental car Jocelyne est sentimentale. Elle lit et relit Belle du Seigneur tout en déplorant sa tragique issue. Et revient  sur le lieu d’un de ses bonheurs pour essayer, sans trop y croire mais on ne sait jamais, de le retrouver.
Et puis, grâce ou à cause de son gain, il y a la liste de ses envies, qu’elle refait de temps en temps, et qui nous met bien le nez dans l’incohérence de notre société bling-bling et autiste.
C’est un roman pas très épais, ça n’est pas une critique car tout est dit avec précision, acuité et sentiment.  C’est un roman suffisamment dense pour en faire un  film. Et pourquoi pas ?  Son premier livre a été couronné de plus d’une dizaine de prix. Et celui-ci « a déjà séduit les éditeurs du monde entier » comme c’est écrit sur le bandeau.
Bravo Grégoire ! Sans mettre la pression, j’attends le suivant…

Grégoire Delacourt « La liste de mes envies ». Editions JC Lattès. 2012. Imprimé développement durable. Presque 200 pages. 16 €.

Texte © dominique cozette

En toute pour le Goncourt !

C’est une BD très marrante et légèrement littéraire qui fera rire tous ceux qui se sont essayés un jour à la littérature. « En toute pour le Goncourt » est l’illustration de ce qu’il faut faire et surtout ne pas faire si on veut se retrouver un jour sur une table de la FNAC à côté de Jauffret et de Nothomb.
Les strips — deux par page —  sont tous un petit gag à eux seuls et nous montrent un héros avec un giga poil dans la main qui ne cesse de procrastiner, jusqu’à ce qu’il se contente d’un roman minusculissime. Prétentieux, en plus, et pénible car il ne cesse de solliciter son ami Mathieu qui lui donne les bon conseils — jamais suivis — il n’envisage de publication que chez Gallimard. Puis éventuellement Minuit. Il campera devant sa boîte aux lettres comme si ces éditeurs n’attendaient que lui, et avaient accepté sa courte prose dès réception.

Je voulais vous mettre plusieurs strips mais le format n’est pas lisible, alors tant pis. Vous auriez vu que le dessinateur ne s’est pas trop cassé le tronc non plus puisqu’il doit y avoir une dizaine d’images différentes – au bureau, au lit, dans la cuisine, à vélo, nuit/jour — avec juste la bouche qui change d’expression. N’empêche, ça reste très efficace.
Si vous ne  l’achetez pas, si votre bibliothèque municipale ne l’a pas, allez le lire dans votre librairie pour bien commencer la journée, ou la finir… ou lisez presque tout (mais pas la fin) sur le site du Figaro ici

En toute pour le Goncourt. Jean-François Kiezkowsi & Mathieu Ephrem. Editions Cornelius 2011.

Paul Auster m’a invitée à Sunset Park : Super !

J’avais abandonné Paul Auster ces dernières années, ça ne me disait plus rien. Et là, je viens de lire son dernier, « Sunset Park » et je le trouve formidable, d’une très belle écriture et d’une construction très simple et efficace. Les personnages y sont décrits avec une minutie qui, sans être aussi alambiquée que celles d’écrivains sortant d’ateliers d’écriture, nous les attache durablement car ils se mettent à exister dans notre esprit avec leur historique de souffrance, de petites victoires ou de tares mal assumées.
On y croise, croiser n’est pas le mot, on y rencontre d’abord le héros, Miles, anti-héros plutôt, mal dans sa vie depuis toujours, sa mère l’ayant laissée  à six mois à son père pour vivre sa vie de comédienne. Puis Pilar, la femme de sa vie, une jeune lycéenne mineure, orpheline dont il s’occupe comme un père puisqu’il est plus âgé. Puis son père, éditeur marié à sa belle-mère qui l’a élevé avec son demi-frère. Le problème de Miles, c’est qu’il se demande s’il a tué son demi-frère en le poussant sur la route. Avait-il vu la voiture qui l’a heurté avant de le pousser ?
Ne pouvant vivre avec cette horrible question sans réponse, il fuit ses parents, ne donne plus signe de vie et c’est en faisant des petits boulots qu’il rencontre Pilar. Mais une des sœurs de celle-ci veut le rançonner sinon elle le dénonce. Il retourne donc à New-York, dans un squatt où vit son meilleur ami et deux femmes au parcours pas facile non plus. En attendant la majorité de la jeune fille qu’il se prépare à épouser.
Après sept ans et demi, comment renouer avec son père, sa belle-mère et sa mère ? Comment se prouver qu’on a grandi, qu’on est apte à mener une vie probe et apaisée ? Mais est-ce qu’on est responsable de tout ce qui nous arrive ? Est-ce qu’il faut être conforme à ce que la société exige pour s’en sortir ?

A travers ses personnages touchants, Paul Auster nous donne une image de l’Amérique d’aujourd’hui qui commence à s’accommoder de la vie en marge. En même temps, elle reste très proche de celle plus bobo qu’il fréquente : le monde des artistes et de l’édition, du théâtre et de la culture. Et puis, il a vécu à Paris et ne l’oublie pas : c’est toujours agréable de retrouver notre modeste rayonnement dans une histoire made in loin d’ici.

Paul Auster. Sunset Park. 2011. Editions Actes Sud, 317 pages et pas une en trop.

Texte © dominique cozette

Diane Keaton, pas Buster, ni Closer…

Voici un livre de mémoires, c’est écrit dessus, il s’appelle « une fois encore » (genre de titre qui ne veut rien dire et dont on ne se souvient jamais) de Diane Keaton, actrice bien aimée de tous, enfin presque, car personne n’a de raison de ne pas l’aimer, un peu comme Edward Hopper. Donc je me suis ruée sur le livre où elle pose dans toute la splendeur de ses t’huit ans, grand feutre noir et pieds en l’air, pensant y partager ses souvenirs de Manhattan avec Woody qui n’est pas resté de bois (ha ha ha !) devant cette charmante créature à leur époque heureuse.
Hé bien balpeau. De Woody, il est question, forcément puisque c’est pour Annie Hall qu’elle a reçu l’Oscar. Or quand elle a reçu l’Oscar, elle n’était plus avec lui mais avec Warren. Warren Beatty, voyons. On apprend qu’elle aime toujours tendrement Woody, elle a d’ailleurs remplacé Mia Farrow au pied levé dans je ne sais plus quel film au moment où les époux Allen frayaient avec les mauvaises chroniques des faits divers.
Donc, nous ne saurons rien de rien de sa vie avec Woody Allen, sauf que c’était un gars un peu compliqué, merci du renseignement, pas plus qu’avec Warren sauf qu’il était considéré comme un coureur de jupons, merci encore, et encore moins avec Al Pacino, sauf qu’il avait un grand nez, qui l’eût cru ? Et quand elle dit nez, elle ne dit pas autre chose.
On apprend quand même qu’elle a été boulimique grave, elle apparaît comme pas très entreprenante,  un peu floue comme fille. Les choses lui tombent dessus, comme ça. On a l’impression de quelqu’un de velléitaire, de dilettante, d’assez fade finalement.
Alors quid de ce livre ? Ce livre est tout bonnement celui que sa mère voulait faire, sa mère chérie, morte d’Alzheimer dans ses bras, entourée des autres frère/soeurs de Diane, sa mère qui avait rempli des milliers de pages sur sa vie, ses enfants, ses désirs et fait des centaines de collages s’y rapportant, que Diane a retrouvés après. Qu’elle n’a pas eu le coeur de bazarder. Donc, dans ce livre, Diane nous conte son père, sa mère son frère et ses soeurs, tous très beaux à en croire les photos. Elle nous raconte aussi son parcours dans le théâtre et le cinéma et met en parallèle les écrits de sa mère à la même époque.
L’on peut dire que la mère a plus de talent littéraire que la fille car elle analyse, elle détaille, elle appuie où ça fait mal. Diane, pas vraiment. Elle manque de profondeur et de dramaturgie (ça se dit ?). C’est un peu plat, parfois charmeur si on aime se retrouver dans l’Amérique des sixties et d’après. Elle évoque plus longuement les deux petits qu’elle a adoptés après 50 ans pour être moins seule et compare sa vie de « jeune » mère à celle de sa mère qui, au même âge, n’avait plus ses enfants à la maison.
Un peu décevant malgré tout car on y cherchait du Woody Allen, de l’humour, de la dérision : il n’y  en a pas. C’est juste une nana comme vous et moi qui avait envie d’écrire sur ses liens familiaux. C’est déjà pas mal.

Diane Keaton, Une fois encore, Robert Laffont 2011, 314 pages 21 euros.

Texte © dominique cozette.

Asterios Polyp, super(be) roman graphique

C’est une BD qui m’a esbroufée, laissée sulku, aussi bien dans la forme que le fond. Un pavé soigneusement découpé en chapitres de flash back, de tranches de vie, de considérations sur l’architecture, la philo, le massacre des Indiens d’Amérique, l’art, le style…. et un épisode hilarant sur un chorégraphe contemporain qui se la pète…
Ça se passe aux Etats-Unis, l’auteur, David Mazzucchelli, est de là-bas et, après avoir sévi dans les super héros, se consacre à des travaux plus personnels. Ce roman graphique narre le parcours d’un architecte « de papier », théoricien en vogue et prof se tapant ses élèves, mais n’ayant rien bâti,  en crise morale et personnelle dans l’Amérique d’aujourd’hui. Un incendie ravage son appartement new-yorkais bordélique — il a été largué par sa chouette femme — et taille la route, seulement  vêtu de ses  frusques cracra, dans l’Amérique profonde. Il devient mécanicien dans une bourgade de red necks, tandis qu’en cut, on découvre sa vie de mondain qui-sait-tout avec sa femme sculptrice style art brut, et son enfance d’hyper doué veuf d’un jumeau homozygote. Ce bouquin énorme, d’une foisonnante richesse formelle et narrative, à la mise en page et  direction artistique remarquables, a été salué par les médias américains. Il a reçu de nombreux prix ainsi que le Fauve d’Angoulême – prix spécial d’Angoulême.
Plein de blogs, de critiques  et de références sur Google.

Asterios Polyp de David Mazzucchelli chez Astermann 2010 (2009 aux USA).

Texte  dominique cozette

 

Du cul ? Pas que. Du Crumb et de la Crumbette à donf !

Parlez-moi d’amour, l’énorme album que vient de sortir le couple Robert Crumb et Aline Kominsky-Crumb est d’ une jouissance parfaite. Il est énorme en boulot, en intérêt graphique, littéraire, sociologique, psychologique, philosophique, mais énorme aussi en taille et en poids. Le lire au lit relève d’un tour de force de plusieurs jours/nuits vu le temps qu’il faut pour détailler une page de Crumb et de sa moitié — qui est plutôt son double vu sa densité physique, son imposante stature de sportive compulsive qui n’aime que les petits mecs geignards, style avortons portables (elle le porte fréquemment dans ses séances de baise). Ça tombe bien, lui raffole de ses fessiers bombés et charnus. Donc ce couple qui s’est réellement trouvé après tâtonnements maritaux a vite fait dessins communs, ne se privant pas de se surcorriger de préciser ou d’annoter  dans la case de l’autre. Kiffant d’infantilisme.
Il y a plusieurs époques  dans cette somme, des trucs des années 70 jusqu’à nos jours, ce qui permet de les voir, non pas vieillir, mais avancer en âge et en mentalité, faire leur gosse, une fillette qu’ils laissent pousser de façon très cool. La question juive prend beaucoup de place : Aline est une vraie juive américaine, brillante, bruyante, extravertie et lui non. Elle est athée mais reste représentative de sa communauté avec la bouffe y rattachée, la façon peu discrètes de causer aux gens ou de s’habiller, sa propension à grossir,  oui elle est forte. Lui, ça continue de l’interroger ce folklore mais elle s’en fout à un point ! Elle part ramasser le vomi du chat ou prépare la table. On les voit vraiment dans leur intimité de dessineux, de ménagère, leurs balades avec leurs discussions animées. Et dans leurs activités sexuelles au stade prémisses.
Ils s’installent dans un village médiéval du sud de la France dans les années 90. Et là, c’est hilarant la façon dont ils appréhendent les Français (qu’ils adorent) : toutes les différences socio-culturelles entre nos deux pays sont là. Ne manquent pas les crottes de chiens fumantes, les tracts (Le Pen, vite !) collés aux murs, les vieux sur les bancs de l’église, l’absence d’ambition à faire du fric, la queue au bureau de poste, les journées de ces drôles de Latins passées au bistro. Et les Françaises ! Des maigrelettes à tête d’oiseaux habillées strict.

Passage très marrant aussi où ils se rendent à la grande cousinade de la famille Crumb, aux Etats-Unis. Elle s’est mise sur son 31 (des trucs voyants, comme d’hab) et se rend compte que le chic crumbien c’est d’être en beige/blanc/bleu ciel, sobre. Elle est désappointée aussi par le fait que tous ces goyim qu’elle imaginait coincés se marrent, sont branchés, rigolos, pas comme il faut, bref ultra-fréquentables.
Il faut la voir aussi revenir de Londres, le visage en canard ultra-botoxé et les arguments qu’elle développe pour se faire accepter par son mari halluciné qui ne lui demandait que de « vieillir avec grâce ».
Et puis le sexe. Ils essaient d’être soft un moment car ne voudraient pas que leur fille ait honte. Mais Aline est une chaudasse surtout depuis sa ménopause et lui se laisse tenter. En même temps, ils refusent la monogamie depuis toujours et elle ne vit que dans la séduction. Une sacrée nana qui picole jusqu’à tomber raide au milieu du village… puis se met au Coca Light.
Ça foisonne, ça foisonne, ça n’arrête pas, on finit par se sentir bien chez eux et se dire qu’aux prochaines vacances, on se pointera dans leur bled médiéval (elle tient à ce terme) pour s’en claquer deux, trois, quatre, faut voir, ils n’ont pas de limites.

Aline et R. Crumb. Parlez-moi d’amour d’amour | Drawn together, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Lili Sztajn | Ed. Denoël Graphic | 264 p., 35 EUR.

Texte © dominique cozette.

Portrait d’un fumeur de crack, l’ultime expérience…

Il devrait être mort. Avec tout ce qu’il s’est enfourné en quelques jours pour en finir, ces litres de vodka pour arrondir les effets du crack, plus les somnifères pour être sûr d’y arriver. Il avait déjà perdu  son job — une petite boîte d’édition montée avec une amie — perdu son amoureux qui ne pouvait plus supporter l’addiction mortifère, perdu son corps, 18 kg qui avaient fondu en un rien de temps, et son fric donc impossibilité de continuer à cracker.
Bill Clegg, beau jeune homme séduisant menait une vie agréable entre les auteurs pour qui il bossait, son amoureux cinéaste, leur bel appart, les fêtes où ils étaient toujours conviés et ses  excès d’alcool et de dope  qu’il contrôlait assez bien.
Un soir de beuverie, il suit un type plus âgé qui lui propose le caillou. Et c’est un tel pied qu’il se hâte de s’y adonner, d’autant qu’il possède un solide compte en banque. La descente est rapide, l’argent dans les beaux hôtels où il se réfugie vite claqué, la vie vite saccagée. Il devient une loque sale, maigre, indifférente à tout ce qui n’est pas le crack. Rejeté par la société des gens propres sur eux, il s’enfonce dans un enfer terrible. Il est pourtant rattrapé par les bretelles, sauvé, sevré lors d’une sincère rehab. La vie peut reprendre, ça n’aura été qu’une sale parenthèse. Mais non, quelques mois plus tard, le démon revient et là, ça sera la fin. Il ne sait pas comment il se retrouve à l’hosto.
Ce récit passionnant d’une aventure de l’extrême ultra-détaillée vue de l’intérieur  est entrecoupé de douloureux souvenirs d’enfance, difficulté tragique d’uriner avec rituels humiliants, père méprisant au verbe violent, mère présente mais tellement absente. Il ne tente pas d’y voir des excuses à son addiction, il ne tente rien, d’ailleurs, il raconte, il déballe. C’est sec, bref, concis et froid. « Au scalpel » comme on dit dans les rubriques littéraires. Efficace en tout cas et brillant.
C’était  au début du siècle, il est clean à présent et s’apprête à sortir la suite.
Ici vous pouvez voir le personnage interviewé.

Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme par Bill Clegg. Editions Jacqueline Chambon Actes Sud 2011. (New-York 2010). 253 pages.

121 curriculum vitae…

… pour un tombeau.

C’est le titre du premier roman de Pierre Lamalattie qui a déjà peint de nombreux romans et curriculum vitae tant ses images sont loquaces. Allez voir son site ici, vous serez conquis si vous aimez les phrases fulgurantes. Rien que sa bio, ça vous donnera l’idée. D’ailleurs, il l’a reprise pour commencer le livre. D’une causticité réjouissante. Je vous la cite car elle incite : « J’ai 54 ans. J’ai connu moins de femmes qu’un animateur du Club Med. J’ai gagné moins d’argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-soeur. J’habite toujours à 500 mètres de chez ma mère. Et bien sûr, je n’ai vécu aucune aventure de l’extrême. Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible. » Bon, on prend un peu pitié, on se dit merde, c’est dommage quand même ! Puis on lit la suite : « J’aurais pourtant bien tort de me plaindre, car, au fond, je m’en fout complètement. » Ouf.
Je vous le dit tout net : ceci n’est pas une pipe. Je veux dire pas un roman conventionnel. C’est un prétexte à nous livrer les histoires que ce peintre pompier (dit-il de lui, mais on n’en croit pas une image) a accumulées dans sa carrière professionnelle d’agro, section ressources humaines. Pierre Lamalattie est aussi à l’aise pour réduire en quelques coups de pinceaux (mouais, c’est un peu plus compliqué que ça) une personnalité à un visage qu’à le décrire en quelques phrases choc. Il y en a 121 donc, et ça va de Hervé qui a rencontré la mère de ses enfants dans une association pour le renouveau de la bourrée à Laura avec laquelle il comprend que se poserait un problème : que faire durant la période réfractaire ?
Pierre Lamalattie est le seul écrivain qui parle, dans le même ouvrage, de période réfractaire, d’anachorète idiorythmique (un homme seul qui vit à sa façon) et de la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer (rassurez-vous, moi non plus !). C’est vous dire combien il est atypique. En même temps, quand il raconte le mariage participatif auquel il se rend dans le seul but de baiser une « nénette » et où il est affecté à l’atelier équeutage de haricots verts alors qu’elle se trouve dans celui des tartes salées, ça me fait vraiment rire : on se croirait dans un  film choral de mauvaise qualité avec des héros bien ringards dont l’honnête homme aime se moquer « au deuxième degré ».
Ce livre m’a appris où en était ma vie, selon la théorie de Schopenhauer : « il voit la vie un peu comme la digestion chez les vaches : en deux temps. Dans un premier temps, la vie se présente comme une succession d’actions. Mais on ne se rend pas compte de ce qu’on vit. Dans un deuxième temps, s’il y a deuxième temps, la vache arrête de s’agiter, elle s’allonge. On passe à la rumination. C’est là que se produit la véritable digestion, avant, ce n’était que du bourrage d’estomac. C’est dans la rumination des souvenirs, dans la représentation, dans l’art que la vie peut être appréciée, connue. La vraie vie est donc dans la rumination. » C’est là que j’en suis personnellement, depuis que j’ai un peu de temps pour réfléchir.
Une idée de description à la Lamalattie : « [elle] avait opté pour un look cool : jean partout, à l’exception de Converse vertes. Son visage, criblé de taches de rousseur, évoquait l’univers mental de l’érotisme breton. »
Sur l’art contemporain : « En France, intellectuel, on voit très bien de quoi il s’agit. Mais artiste, c’est indiscutablement moins clair. Je ne parle pas de pseudo-artistes qui gravitent autour du ministère de la Culture et des galeries à la mode. En réalité, la plupart du temps, il ne s’agit pas d’artistes, mais plutôt d’intellos bas de gamme. Toute leur habileté professionnelle consiste à faire des commentaires filandreux pour justifier leur « travail ». Non ! J’en reste à cette idée : on ne voit pas très bien en quoi ça consiste, un artiste. »

Sur la mort, ou le mort, enfin, après je vous laisse découvrir par vous-même le reste de cette somme : « Un vrai défunt se distingue d’un vivant par le fait qu’il incarne des valeurs. L’homme ordinaire est balloté dans la vie ordinaire, il doit faire ses courses, essuyer des scènes de ménage, payer des impôts, aller chez le dentiste, bosser, épargner. Le défunt, lui, s’est consacré uniquement à des valeurs, à énormément de valeurs. Parmi celles-ci, la plus large place doit revenir, bien évidemment, aux valeurs humaines. »

121 curriculum vitae pour un tombeau, Pierre Lamalattie. L’Editeur, 2011(vient de sortir), 448 pages.
Vous trouverez, à côté ou au rayon arts plastiques, le recueil des 121 portraits, dont le sien en couverture.

Texte © dominique cozette

Une enfance laconique

Quand j’ai entendu parler de cet homme, Santiago H. Amigorena et du titre de ses trois premiers romans autobiographiques  : une enfance laconique, une jeunesse aphone, une adolescence taciturne, je n’ai eu de cesse de le lire. Je l’ai cherché partout, j’ai fait le tour du monde, de Venise à Java, de Manille à Ankor, plus prosaïquement de Grignan à Arles, de Montélimar à Valence puis, ultime espoir estival, à Sète. Rien, pas la queue d’un reste de stock. Septembre, Paris, la FNAC affiche zéro et d’autres librairies bien fournies itou. Jusqu’à ce qu’un employé modèle de chez Virgin me le commande en m’assurant qu’il serait en ma possession en moins de dix jours.
Des livres espérés comme ça, on s’en fait une montagne, on imagine un récit tout en grisaille, une confession glauque ou sournoise, un compte rendu-rendu morne ou morose. On le tient, l’auteur, qui nous tiendra lui aussi dans sa saga talentueusement misérabiliste !
Hé bien non. Rien à voir. Pas du tout. Le premier, l’enfance, raconte avec un indescriptible brio littéraire, trop même, la riche et longue généalogie de cette famille d’émigrés d’ici et de là, principalement installée en Amérique du Sud, avec des ramages conquérants ou pas, des faits d’armes ou rien, des modesties, des exils ou des déménagements. Puis l’auteur nous approche tant bien que mal de son enfance dont on ne saura presque rien puisqu’il ne veut pas se souvenir, en parler ou la réinventer. Bref, on se heurte à un mur d’incompréhension racontée avec des phrases et des mots inusuels, des tournures de phrases inusités, des sensations unisées. Il écrit pour ne plus écrire. Il use le mot, la langue pour ne plus s’en servir. Il a d’ailleurs été muet, mutique ou quelque chose comme ça, comme le petit gamin rouquemoute à taches de rousseurs de la pub d’antan qui n’a parlé qu’à 8 ans pour dire que le roquefort, c’était bon. car avant ça, il n’avait rien trouvé d’intéressant à dire.
En fait, comme il est dit en quatrième de couv’, c’est la vie d’un écrivain qui ne voulut jamais écrire, de la première à la dernière syllabe.
Mais S. Amigorena écrit toujours. Il écrit des films, des scénars, excellents, avec ou pour Klapisch notamment, Brigitte Roüan, Marion vernoux et il a réalisé aussi.
J’ai son troisième livre, une adolescence taciturne, au pied de mon lit. On verra ça plus tard.
C’est de la très bonne littérature mais, comment dire, pas distrayante du tout. Mais à part, à côté de la plaque connue, en marge.  Le contraire de Foenkinos. Je ne peux pas vous le conseiller d’autant plus qu’il est introuvable.  Je trouve qu’il fallait juste en parler. Dont acte…  gratuit.
(Pour l’adolescence, je vous tiens au jus)

Santiago H. Amigorena. Une enfance laconique 98. P.O.L. 184 pages.

Texte et dessin © dominique cozette

 

Dubois dont on fait les meilleurs bouquins… bravo m’sieur Jean-Paul

Quelle toujours super bonne nouvelle la sortie d’un nouveau Dubois. Celui-ci, le cas Sneijder (vous jure, ce nom !) bat tous les records de mon admiration. C’est l’histoire d’un homme lâche, enfin ça ne saute pas aux yeux tout de suite, mais il est extraordinairement lâche, au point de sacrifier sa fille à ses deux exécrables jumeaux. Sa deuxième femme, une vraie pouffiasse, je veux dire une wonderwoman qui vit selon les codes actuels : efficacité, ambition, soin maniaque de son image n’a que  mépris pour tout le reste, pour les sentiments, la curiosité intellectuelle, le bonheur ou son semblant.
Monsieur S…machin a suivi sa mégère et ses « univitellins »  — car ils ne sont pas dizygotes —  au Canada où s’épanouit sa carrière (à elle). Lui fait ce qu’il peut jusqu’à ce dramatique accident d’ascenseur. Je n’en dirai pas plus. On s’en fout, vous le lirez vous-même. L’intérêt de ce bouquin, c’est que Dubois nous donne à considérer la vie, ou la société, ou le couple, enfin tout, avec un regard différent du nôtre. Il réussit à mettre des mots là où il n’y en avait pas. Chaque paragraphe est d’une précision d’entomologiste. Ça nous (quand je dis nous, j’attige car je parle pour moi) met en position de l’ignare, du sauvage, du mal éduqué, celui qui ne sait pas nommer ce qui titille et donc qu’il ne nomme pas, donc qu’il tait. Et ça n’existe pas. Avec Dubois, plein de choses se mettent à exister parce qu’il met le doigt dessus. Ce n’est pas le moindre de ses talents.
Car c’est toujours bien documenté, dans ses histoires. Monsieur S…bidule, après cet accident que personne ne peut expliquer parce qu’il ne peut pas se produire, se met à étudier tout ce qu’il trouve sur les ascenseurs du monde entier et nous en apprend de bien bonnes. Et nous montre comment notre société verticale s’articule autour de ce moyen de transport sans lequel rien ne serait possible ce qui fait notre présent. Il y a aussi un délire sur les nombres premiers qui deviennent des palindromes quand on les multiplie, et quelques anecdotes sur les promeneurs de chiens, dogwalkers.
C’est passionnant. C’est simple. C’est spirituel. C’est un super bon roman. Un seul défaut et il est de taille : p. 215, douzième ligne, trois mots sont mal imprimés, un peu bouffés. Franchement, l’Olivier… Bon, allez, ça ira pour cette fois.

Jean-Paul Dubois. Le cas Sneijder. L’olivier, 2011. 218 pages.

Texte et dessin © dominique cozette

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