Et toi, tu as eu une famille ?

Titre du dernier roman de Bill Clegg, vous savez, celui de « portrait d’un fumeur de crack en jeune homme » (voir ici), roman très noir de sa descente aux enfers. Ici, le personnage central est une femme, June. Une femme au bord de rien, morte de l’intérieur si on peut dire car, dans l’explosion de sa maison, elle a tout perdu : sa fille qui allait se marier le lendemain, son futur gendre, son amant, superbe noir beaucoup plus jeune qu’elle et son ex-mari dont la fille avait exigé qu’il dorme dans la maison. A partir de là, elle ne dit plus un mot. Après s’être écroulée dans une maison isolée prêtée par une amie, elle prend la route pour retrouver les endroits dont sa fille, qui s’était éloignée d’elle pour des raisons qu’on comprendra, lui avait parlé, dormant le plus souvent dans sa voiture et se nourrissant de saletés achetées dans les stations d’essence. Puis elle finit par s’installer dans un modeste hôtel tenu par un couple de femmes qui vont respecter son silence, son absence, son incognito.
Le livre est écrit selon un procédé pas vraiment nouveau qui est, non le point de vue de divers personnages, mais leur histoire dont on appréhende peu à peu les interactions, et qui, tels les morceaux d’un puzzle improbable, nous donneront la vue d’ensemble du pourquoi et du comment cet incendie a éclaté, contre toute attente. Les portraits sont superbes, fins, étonnants, riches. Très beau livre !

Et toi, tu as une famille ? de Bill Clegg 2015. Chez Gallimard en 2016 avec la traduction de Sylvie Schneiter. 284 p. 20 €.

Texte © dominique cozette

Portrait d’un fumeur de crack, l’ultime expérience…

Il devrait être mort. Avec tout ce qu’il s’est enfourné en quelques jours pour en finir, ces litres de vodka pour arrondir les effets du crack, plus les somnifères pour être sûr d’y arriver. Il avait déjà perdu  son job — une petite boîte d’édition montée avec une amie — perdu son amoureux qui ne pouvait plus supporter l’addiction mortifère, perdu son corps, 18 kg qui avaient fondu en un rien de temps, et son fric donc impossibilité de continuer à cracker.
Bill Clegg, beau jeune homme séduisant menait une vie agréable entre les auteurs pour qui il bossait, son amoureux cinéaste, leur bel appart, les fêtes où ils étaient toujours conviés et ses  excès d’alcool et de dope  qu’il contrôlait assez bien.
Un soir de beuverie, il suit un type plus âgé qui lui propose le caillou. Et c’est un tel pied qu’il se hâte de s’y adonner, d’autant qu’il possède un solide compte en banque. La descente est rapide, l’argent dans les beaux hôtels où il se réfugie vite claqué, la vie vite saccagée. Il devient une loque sale, maigre, indifférente à tout ce qui n’est pas le crack. Rejeté par la société des gens propres sur eux, il s’enfonce dans un enfer terrible. Il est pourtant rattrapé par les bretelles, sauvé, sevré lors d’une sincère rehab. La vie peut reprendre, ça n’aura été qu’une sale parenthèse. Mais non, quelques mois plus tard, le démon revient et là, ça sera la fin. Il ne sait pas comment il se retrouve à l’hosto.
Ce récit passionnant d’une aventure de l’extrême ultra-détaillée vue de l’intérieur  est entrecoupé de douloureux souvenirs d’enfance, difficulté tragique d’uriner avec rituels humiliants, père méprisant au verbe violent, mère présente mais tellement absente. Il ne tente pas d’y voir des excuses à son addiction, il ne tente rien, d’ailleurs, il raconte, il déballe. C’est sec, bref, concis et froid. « Au scalpel » comme on dit dans les rubriques littéraires. Efficace en tout cas et brillant.
C’était  au début du siècle, il est clean à présent et s’apprête à sortir la suite.
Ici vous pouvez voir le personnage interviewé.

Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme par Bill Clegg. Editions Jacqueline Chambon Actes Sud 2011. (New-York 2010). 253 pages.

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