Ieggor Gran : touche pas à mon écolo !!!

L’écologie en bas de chez moi de Iegor Gran est réjouissant. Parce qu’il s’attaque à un tabou : la posture écologique. Oui, je sais, vous allez me dire, on a déjà eu  Allègre puis actuellement Bruckner qui tourne sur les plateaux et dont l’argumentation, ou la présentation, est plutôt agaçante. Gran, lui, commence avec un truc qui me plaît bien car il s’attaque, dans un courrier à Libé, au monument (de fallaciosité) qu’est Home d’Artus-Bertrand — que je peux me vanter de ne pas avoir vu — dont il a violemment critiqué la forme esthétisante qu’il a comparée aux films de Leni Riefenstahl défendant la cause d’un certain Adolf.
La critique porte aussi sur son caractère d’obligation à être vu : projection simultanée dans 130 pays, gratuite sur les Champs, Central Park, You Tube etc… comme un lavage de cerveau adressé à nous tous. Ayant reçu un flot de critiques, constatant comment les gens révèrent cette nouvelle religion qu’est l’écologisme, fustigeant cette cause de dissension violente avec ses amis et ses voisins, il décide d’écrire ce bouquin, très argumenté d’ailleurs, d’une plume incisive et extrêmement réjouissante. Non que je me réjouisse des saccages infligés à notre bonne vieille terre !  Mais comme il dit, ce n’est pas en triant nos ordures ou « en faisant un geste pour la planète » (la pub de Gaz de France et consorts), qu’on s’en sortira. Là- dessus, il n’a  pas forcément raison mais c’est bon que quelqu’un s’attaque à la bien-pensance de ceux qui font commerce (ô combien fructueux) de cette cause ! Et puis il aborde toutes sortes de domaines avec une mauvaise foi qui n’a d’égale que sa causticité.
Gérard Collard, le tintin des libraires, nous en touche un mot ici. Et vous pouvez lire cette critique des Inrocks qui en dit plus. Pour vous mettre en bouche, quelques impressions. Sur les voisins ;
« Les voisins, il faut les aimer. Les voisins sont toujours bienveillants, valeureux et civiques. Et je ne dis rien de leur beauté — cette force intérieure qui rayonne, ce sens du tact, cette poésie ! Mieux qu’une voyante, ils savent ce dont on a besoin. Mieux qu’un docteur, ils soignent nos égoïsmes. Il sont vigilance, ils sont probité. »
Sur l’autofiction : « A quoi sert-elle ? A protéger la planète. Car quand l’écrivain fabrique ses libres avec des bribes de sa vie insignifiante, il recycle […] Misérable est l’écrivain qui se sert de son imagination pour produire des textes nouveaux. Que d’énergie dépensée ! Gâchis de neurones et d’heures de sommeil ! Et dans quel but ? produire un texte qui ira gonfler la marée des écrits […] L’imagination  pousse à la surconsommation. A contrario, l’écrivain d’autofiction est un écrivain responsable. ll ne perd pas de temps à se documenter : il a tout sur place, au fond du nombril et dans son cul, il n’a qu’à se baisser pour cueillir l’inspiration. Il est auto-suffisant, comme ceux qui se lavent à l’eau de pluie et font du compost pour faire pousser leurs radis, leurs courgettes. »
Pour finir d’être complètement énervant, ce bouquin est bourré d’immenses notes de bas de pages en corps 6 dont la somme des signes est, je le parie, plus importante que celle du texte lui-même.

L’écologie en bas de chez moi. Iegor Gran. 2011. P.O.L Même pas 200 pages !
Texte © dominique cozette. Image trouvée sur le net.

Priez pour nous, monsieur Duroy !

Je viens de finir Priez pour nous de Lionel Duroy dont « le Chagrin », paru l’an dernier, m’avait bouleversée.
Si vous trouvez que votre enfance n’a pas été extrêmement épanouissante,  qu’elle fut même calamiteuse — il y a miteuse  dans calamiteuse — entrez dans celle de Duroy. Il a écrit ce bouquin en 1990 après, comme on dit, l’avoir porté longuement. Il faut dire que vivre chez les Duroy, c’est plus proche de l’enfer que du purgatoire. Une mère mégère qui vit plus haut que son cul, un père à la ramasse qui essaie de se démerder pour éviter les catastrophes, qui ment, échafaude des plans foireux, sacrifie la scolarité de ses aînés aux exigences hystériques de mon Minou, sa femme, celle qui crie, qui le tape, qui le griffe, qui fait la grève de tendresse sauf une fois par ci par lç et ça loupe pas, qui se retrouve enceinte à chaque coup de rein. Le père, Toto, qui appelle ses gosses « mon vieux », il en aura dix, plus un petit mort. Les aînés seront ses complices, traités comme des sbires. Les petits, on n’en parle pas, ils sont quelque part au fond d’un appartement agrippés aux basques de la mère mal-aimante ou de la bonne Thérèse, trop bonne celle-ci.
Le jour où tout bascule c’est quand ils sont expulsés manu militari et publiquement du bel appart de Neuilly. Puis recasés dans deux logements mitoyens d’une HLM dans une cité ouvrière. La mère ne vit plus, son standing est définitivement pulvérisé. Le père n’arrête pas de promettre que tout va s’arranger mais ils vont de Charybde en Scylla, plus de gaz, plus d’électricité, plus d’école privée — l’école laïque étant inenvisageable — plus de fric, rien à bouffer, plus de boutons aux manteaux. La mère devient folle, déprimée, on l’enferme plusieurs mois.
L’enfant Duroy se débat dans cette vie pourrie sans horizon, sans espoir, sans amour, si, celui de son père qui le traite comme un homme pour son plus grand malheur. Il faudra quitter ce merdier où rien n’est possible. Ce qu’il fera avec un aîné. Mais, peu armé, peu formé au bonheur dont il ne connaît pas le schéma, il a toutes les chances de reproduire cette situation invivable dès ses premières années de grand en mettant son amoureuse en cloque. A cette époque, c’est pas gagné !
Duroy s’est évidemment gravement brouillé avec tous les membres de sa familles en publiant son histoire. En grattant sous les croûtes, en fouillant dans les ordures, en exhibant leur misère. Mais il le fallait. Ce livre est formidable. C’est du Zola mais avec un zeste de Petit Gibus et du Truffaut des 400 coups.

Priez pour nous, par Lionel Duroy  chez J’ai lu. Le Chagrin est aussi en poche. Pour voir une vidéo ou l’auteur parle de ces livres : site ici

Texte © dominique cozette

La délicatesse du marshmallow, heu, de Foenkinos

Ce bouquin, c’est comme une friandise interdite par le Régime. On le pique en cachette et on fait comme si de rien n’était. C’est un livre aux phrases souriantes,  aux aphorismes délicieux, aux notules amusantes (il y est aussi question de rotules qui dansent, je ne sais plus) et aux apartés incongrus. Pour ce qui est de la forme, c’est parfait. Pour ce qui est du fond, c’est … plus classique. Comme on dit : « boy meets girl ». C’est une histoire d’amour, puis une histoire d’amour. DF, l’auteur, nous fait avaler les couleuvres de la deuxième histoire d’amour de l’héroïne. On n’y croit pas, on ne veut pas y croire, puis on se dit : au fond, si cet homme lui plaît. Bon, OK,OK. On se régale, toujours sur la forme, mais le fond remonte à la surface et lorsque le livre s’achève on se dit : « Est-ce que ce livre est bien ou pas ? Est-ce que je ne vais pas me faire tacler si j’en dis du bien autour de moi. » Et aussi : « Mais pourquoi me posé-je cette question ? » Hein ?

Parce que. Parce que ce livre est plein de bons sentiments,de  trop bons sentiments.  La fille est parfaite c’est à dire que même ses défauts sont parfaits et ses qualités nuancées. On la voit. On se dit : tiens, et ce serait qui, si on faisait un  film ? Ce serait sans hésiter Audrey Tautou. Non, pardon. Ça serait Amélie Poulain. Et voilà-t-il pas que j’apprends que DF vient de tourner cette histoire avec… Audrey Tautou. Finalement, ça devient un livre avec Tautou.

Je me dis alors : « Allez, quoi, ne sois pas snob, ce livre t’a procuré du plaisir, y a pas de quoi en faire un pâté ou te foutre la honte. ». Je me réponds : « tu as raison ».

C’est un livre de poche dont on parle beaucoup parce qu’il a reçu 10 prix, c’est louche, qu’il se vend comme des petits pains (c’est chelou) et que son auteur fait le tour des plateaux  (c’est lourd). J’espère (c’est idiot) qu’il ne va pas se retrouver dans le peloton des Gavalda, Olivier Adam et Moix et Moix et Moix, parce qu’il est bien sympa, ce David. Un précédent  livre « qui se souvient de David Foenkinos », regard acerbe sur le glorieux travail de l’écrivain, m’avait bien amusée. Mais il n’était pas aussi Marshmallow.

Bon, c’est tout, vous en faites ce que vous voulez…

Texte © dominique cozette

Marie-Blanche, noire saga haletante !

Jim Fergus, venu en France pour la promo de son succès Mille Femmes Blanches, y rencontra une dame qui avait connu sa mère. Marie-Blanche, d’origine française, fille de Renée, française, qui connut un destin bien tragique. Jim, qui en savait forcément long sur l’alcoolisme de sa mère, fit des recherches sur les deux femmes, retrouva le journal de sa mère et tricota ce que furent leurs deux vies, faites d’excès et d’incompréhension. Ce livre vient de sortir.

Comme dans un  montage cut, le récit alterne l’histoire de l’une et de l’autre, comme s’il fallait comparer la force de caractère de l’une à la dévalorisation de soi de l’autre. Née en France à la fin du XIXème, Renée fut donnée clandestinement à un couple d’aristos stérile. Joviale et futée, la petite observa la nature humaine de ses différentes cachettes et ne tarda pas à découvrir la turpitude de sa mère qui s’envoyait en l’air avec son beau frère, un homme capricieux, audacieux, brutal et priapique. Elle en fit son modèle de vie : savoir comment faire pour obtenir ce qu’elle voulait quels qu’en soient les moyens. Cet oncle deviendra son père adoptif à tendance pédophile, puis son amant et son mari. Riche producteur de coton sur la Nil, il forme la nièce à sa vie et, comme c’est raconté crument, à son vit à la taille impressionnante. Renée, bien que surveillée, n’en fera qu’à sa guise et se servira de cet homme  — qu’elle aima passionnément — pour assouvir ses désirs d’argent, de fête, de séduction. Un mariage forcé plus tard, elle décide d’avoir un enfant, puis un autre car le premier, Marie-Blanche, ne lui convient pas. Elle les abandonnera au père pour suivre un don Juan mais, chaque fois qu’elle verra cette enfant ratée, elle ne se privera pas de lui répéter comme elle est moche et bête.

Cette pauvre Marie-Blanche n’aura pas forcément une enfance malheureuse, et sera récupérée par un de ses beaux-pères, riche industriel américain (d’où la nationalité de l’écrivain). On réussit à la fiancer à un aristo de belle engeance mais le père de celui-ci veut lui faire goûter ses meilleurs vins. Elle finit fin saoule, se vomissant dessus et couchant avec le frère du fiancé. Fin des beaux projets. Un jour, secrètement, elle épouse un bel homme tendre « mais » sans fortune. Il l’emmène vivre dans un bled. Et malgré l’amour et la gentillesse, l’alcool va  ruiner sa vie. C’est la père (dont Jim Fergus ne parle pas) qui s’occupe des trois enfants dont l’un, le préféré forcément, est mort faute de surveillance à 7 ans. Drame, reproches, culpabilité…  Marie-Blanche fait cure sur cure mais elle replonge sans cesse dans l’alcool  jusqu’à se suicider. L’histoire ne dit rien de l’enfance forcément dramatique de l’écrivain.

Passionnant, très bien écrit, avec force descriptions, dialogues et traits d’humour, ce pavé nous embarque dans une extraordinaire épopée à cheval sur trois continents et plus d’un siècle, auprès de personnages forts en gueule, outranciers, sans gêne et vraiment infréquentables !

Texte © dominique cozette

Exercices de style de l’Oubapo

Matt Madden a eu l’heureuse idée de réaliser 99 exercices de style selon les contraintes similaires à celles de l’Oulipo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle initialisé en 47 par Queneau, Jacques Roubaud, Perec, François le Lionnais, tapez Google, merde quoi.
Cette hilarante BD d’Oubapo (Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle pour ceux qui ne suivent pas mais qui se demandent comme moi pourquoi ce « a ») représente six années de boulot et comme le dit l’auteur auquel je laisse l’entière responsabilité de cette formule : c’est le plus grand corpus de contraintes transformatrices.
La matrice montre un jeune homme quittant son bureau/ordinateur, passant dans une pièce où montre un escalier d’où sort un phylactère demandant l’heure. Il lui répond en ouvrant le frigo, puis devient songeur en regardant à l’intérieur, se demandant ce qu’il était venu y chercher.
A partir de là, Matt Madden a brodé 99 (ou 98 ?) façon de raconter cette simple anecdote : Le point de vue de la fille qui demande l’heure, celui du voisin d’en face, celui du frigo, la narration de la scène par le héros, le récit en flash-back, en déjà-vu, en une case, en trente cases, façon manga, polar, western, anticipation et tellement d’autres plus fun, tragiques, décousus, mensongers, sinistres, plats, mini— ou maximalistes… Une grande leçon d’imagination !

99 exercices de style / 99 ways to tell a story (2005). L’Association 06 Collection Ciboulette.

Texte © dominique cozette

 

 

 

 

 

 

 

 

Que font les rennes après noël ?

Prix du livre France Inter, c’est un drôle de bouquin tramé par une drôle d’auteure, Olivia Rosenthal, qui aime se documenter pour raconter ses fictions. Pour ce livre, dont le titre le rend plus léger qu’il n’est, elle voulait d’abord parler des animaux, car tout le monde aime les animaux. Puis, en structurant son récit, elle a compris qu’elle devait aller là où sont traités les animaux : labos, boucheries, élevages en batterie ou non, abattoirs. Donc il s’agit aussi de l’interaction entre l’homme et l’animal en même temps que de la similitude  entre élevage et éducation. Le récit principal est celui d’une enfant qui rêve d’un animal vivant à la maison mais qu’elle n’aura jamais. Ou alors un animal dont elle ne rêve pas, un canari, échappant au pire : le poisson. On pense qu’elle voulait un mammifère. Puis cette enfant grandit et renonce à des tas de choses, face à ses parents qui ne la comprennent pas, pas plus que le reste de la société, les étudiants, son mari, ses collègues, qui l’obligeront à composer avec ces données pour pouvoir s’en sortir. Comme les animaux de laboratoire ou d’élevage qui peuvent trouver quelque part un certain confort à vivre ce qu’on leur inflige, car, si l’on en croit l’auteure, leur pauvre vie s’y déroule dans les meilleures conditions possible concernant leur bien-être.
Ce livre passionnant est plus compliqué à expliquer qu’à lire car il se compose de courts paragraphes alternant sur les lois éthiques, les aménagements, l’imprégnation, la dépendance etc, dans un style très clinique. Il fait aussi référence à quelques films fondateurs pour l’héroïne tels King-Kong, Rosemary’baby et surtout la féline de Tourneur où elle attend la métamorphose de la femme en animal dangereux, ou libre, comme elle-même attend la sienne.
Pour en savoir plus sur sa démarche, lisez son interview ici.

Edition Verticales 2010.

Texte © dominique cozette

Maylis de Kerangal : un sacré pont !

Chaque phrase est un coup de poing dans la gueule. C’est trapu, le danger guette à chaque page. Des esseulés, des cabossés, des ultra perfectionnés convergent à Coca, ville imaginaire et exotique d’un pays comptant encore des Indiens qui voient d’un sale œil ces killers technocrates détruire les tombes de leurs ancêtres et massacrer leur lopin de territoire. Des écolos qui conchient la géante construction susceptible de liquider quelques poissons, algues, papillons et autres raretés de cette embouchures vibrante mais réussissent à stopper l’érection malfaisante quelques semaines, le temps que certains ailés puissent nidifier. Il y a des Chinois, des gens de Marne la Vallée ou de l’Ontario, et les fameux Indiens acrobates capables de faire les cons, ce qu’ils font, au sommet des tours du pont, menaçant les services de sécu. Il y a des femmes qui rament pour ne pas être en retard malgré les coups dans la tronche de leur époux éclopé ou de leur aîné perdu pour la société, il y a des bars où se diluent la sueur et les larmes, il y a là-haut, tout là-haut, un coït improbable dans la cabine du grutier aménagée en love room pour une petite heure, il y a des coups de couteau dans des bides, il y a des passés qu’on essaie d’enterrer mais qui resurgissent dans les boues, et puis des mots et des phrases qui t’explosent la tête, c’est violent et beau, c’est rêche, ça rentre au chausse-pied dans le crâne : du pur XXL, une écriture vingt dieux de vingt dieux! Faut aimer ça, c’est amer, acide et ça pique ! Moi, j’ai trouvé ça énorme, ça m’a scotchée. C’est du lourd. Prix Medicis, remarquez, ce qui ne veut souvent rien dire !

Naissance d’un pont. Maylis de Kerangal. Verticales 2010. Illustration du livre : Philippe Bretelle, je n’invente rien !
Texte © dominiquecozette

Antoine Bello : falsifier le réel, c’est passionnant !

THRILLER ABSOLU !

C’est en tout cas le thème de ce livre qui m’a enflammée !
Sliv, jeune homme très doué est engagé dans une grosse boîte d’études qui s’avère être une organisation secrète internationale, le Consortium de Falsification du Réel ou CFR. Les motivations comme les dirigeants ne sont connus de personne mais l’organisation est une pieuvre dont les agents sont infiltrés dans le monde entier et peuvent accéder à n’importe quelles archives pour trafiquer l’histoire.
Ce qui est passionnant dans cette histoire, c’est que les scénarios pris en exemple nous plongent dans des domaines extrêmement variés et documentés. Les détails sont soignés et la narration fouillée.
Au long de ces presque 600 pages dévorées fiévreusement, notre héros se frotte à de drôles de personnages pas vraiment recommandables, son sens moral est mis à l’épreuve de façon très cruelle et quant à ses sentiments, amour, amitié mais aussi estime de soi, ce n’est pas toujours le nirvana.
Je ne connais rien d’Antoine Bello, il a écrit d’autres bouquins que je vais m’empresser de me procurer, mais je suis prête à lui baiser les pieds — qu’il aura pris soin de bien récurer dans un institut spécialisé — pour qu’il continue à me donner autant de  plaisir. Et ce n’est pas cher payé ! Et si ça se trouve il est beau !

Antoine Bello. Les falsificateurs. 2007 chez Gallimard. 588 pages chez folio

Texte © dominiquecozette

Salinger, l’attrape-coeur piège à filles.

Elevée par une mère exubérante et avide de gloire  pour elle ou ses filles, Joyce Maynard s’exprime bien très tôt et écrit beaucoup. Elle est publiée à 18 ans, en 72, dans le New York Times Magazine, pur son long article sur la jeunesse des années 60. Immense succès, énorme courrier. Parmi les lettres, une de J.D. Salinger à laquelle, flattée, elle répond. Une correspondance serrée s’initie entre cet homme de 53 ans — qu’elle n’a pas lu —  et elle, timide, effacée, sans ami(e)s ni amoureux.
Joyce souffre de divers complexes dont celui d’avoir un père alcoolique, des problèmes d’alimentation  et une inadaptation sociale. Après que des liens épistolaires solides se soient instaurés, elle passe un week-end chez lui, dans sa retraite. Il faut savoir que cet écrivain, misanthrope total,  vit en ermite. Elle tombe amoureuse. Elle est vierge et, malgré le désir,  son corps refuse l’amour. Quelques mois plus tard, elle  s’installe dans cette campagne isolée, chez cet homme sociophobe, austère, dominateur, intolérant. Parfois, son fils de 12 ans et sa fille de 16 viennent pour la journée. Lui passe de très longues heures à méditer, à écrire et à travailler sur l’homéopathie. Il soigne ses voisins et ses enfants,  cherche un remède pour le problème sexuel de Joyce — qu’un autre saura résoudre par un minimum d’attention — qu’il contraint, par le fait, à des fellations.
Elle est totalement sous influence, elle fait tout ce qu’il faut, croit-elle, pour qu’il l’aime. Elle partage son régime drastique, graines de tournesol et courges,  un peu de pain spécial. Il lui apprend à vomir quand, par hasard, ils absorbent les aliments « défendus » chez de rares hôtes. Il tente de lui faire passer ses rêves de célébrité, son intérêt  pour les rencontres intéressantes, son désir de vivre à New-York. Pourtant, grâce à son article, on lui offre une place en or dans le prestigieux magazine, mais elle y renoncera pour rester avec lui. De même qu’elle  renonce à tout ce qui fait les petites joies de la vie, ses goûts, ses loisir. Puis, un jour, elle sera congédiée de façon brutale et grossière, sans préavis ni explication.
Il faudra qu’elle apprenne à vivre avec cette blessure et cet amour qu’elle croit inguérissable. Elle y arrivera et aura même la force, bien plus tard, de retourner voir cet homme pour lui dire ce qu’elle pense. Elle verra avec étonnement une autre jeune femme otage de cet homme devenu un vieillard. Elle apprendra aussi qu’elles ne furent pas les seules à vivre avec lui. Sa dernière illusion, celle de s’être crue unique, tombe alors.
Lorsqu’elle  retrouve, lors d’un déménagement, les nombreuses lettres de Salinger, elle les vend à un collectionneur sans même les relire.
Ce n’est qu’après la quarantaine qu’elle décide d’écrire ce livre,  brisant le sacro-saint  silence de Salinger sur sa vie. En fait, elle y raconte son enfance, mais aussi sa vie d’après, sa solitude, son mariage, ses enfants, ses séparations, sa survie. Et c’est passionnant.
Passionnant parce qu’on y voit l’american way of life dans ce qu’elle a de plus légendaire, la vie des campus avec la libération de la jeunesse, mais aussi l’implacable processus de domination d’une personne sur une autre pour en faire sa victime non pas consentante, mais totalement sous influence.
Elle est écrivain et journaliste, comme elle l’avait rêvé enfant. L’un de ses livres  a été adapté au cinéma par Gus van Sandt, avec Nicole Kidman et Matt Dillon « to die for » (prête à tout) dans lequel elle joue un petit rôle.

Joyce Maynard. « Et devant moi, le monde ». 2011.  Ed. Philippe Rey. (1998 pour l’original « at home in the world : a memoir ».)

Texte © dominiquecozette

La vie si mooch de Dan Fante

Mooch est le titre original du bouquin de Dan Fante, « la tête hors de l’eau », qui nous conte ici l’exténuante épopée de Bruno Dante — le double officiel de l’écrivain — en proie à deux irrésistibles démons : l’alcool et le sexe-avec-Jimmi, Jimmi étant la nana la plus bandante du monde et de tous les temps et à laquelle, bien qu’elle soit une sale pute junkie et même pas amoureuse – il est impossible de résister.
Voilà donc Bruno, abstinent depuis quatre mois, qui se retient de se bourrer la gueule après avoir été viré de son sale job de vendeur d’aspirateurs. Sauvé par un gentil des Alcooliques Anonymes, il poursuit sa rehab en 21 étapes en télévendant des toners. Très doué. Il se refait vite, il va s’en sortir mais ah, merde ! il y a cette damnée call-girl qui le rend dingue. Dès lors, nous nous mettons avec lui, derrière lui, lui crions : attention Bruno ! Non, fais pas ça !!! Brunooooooo !!! Mais c’est sa croix, c’est son histoire. Il va s’enquiller toutes les conneries qui se présentent pourvu qu’il assouvisse ce vieux désir charnel de posséder cette salope qui ne veut pas de lui. Juste son fric. Et alors, trois verres, une bouteille pour oublier qu’elle est partie, ou qu’elle est revenue, ou qu’elle est enceinte, ou qu’elle suce quelqu’un d’autre, ou qu’elle fait la fête avec ses potes et du crack, ou quoi encore ? Et la ruine, la honte, viré comme un malpropre, dégueulant partout, suppliant, faisant n’importe quoi… Et puis repartant, clean, promettant… L’enfer.
C’est l’Amérique des Fante, Dan c’est l’un des fils du grand John. C’est les motels pourris, la vue sur Venice Beach, les boutanches cachées dans des sacs en kraft, les bagnoles qui pètent sous le soleil de plomb, les pépées pathétiques et sublimes qui fouillent dans ton ben à la recherche de ton fric et de ton zob, les clopes bogartées au son du cliquetis de l’Underwood, le sang qui gicle sous n’importe quel prétexte, les faux amis qui te niquent et l’amour qui te nargue tel un mirage dans le désert de la mort.
L’exergue, déjà, donne le ton : « ce livre est dédié à mon frère aîné, Nicholas Joseph Fante, 1942-1997. Mort d’alcoolisme. Ecrasé comme un chien dans la rue. »

Ce bouquin me donne envie de lire ses autres et surtout de relire tout son père, car d’un seul coup, Bandini me manque terriblement. Arturo Bandini, le double de John Fante.
Dan Fante. « La tête hors de l’eau ». 1988. Paru en 2001 chez Christian Bourgois.
Pour en savoir plus sur les Fante, relire l’excellent article d’Emeline Ancel-Pirouelle sur l’excellent blog de Pierre-Arnaud Gillet qui est un fan absolu. C’est ici.

Texte et dessins © dominiquecozette

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