Disparaître … ou pas

Lionel Duroy est un écrivain dont j’adore les autofictions. Je les suis depuis qu’il a raconté son incroyable enfance avec ses dix frères et sœurs auprès de parents d’une inconsciente indignité. C’était dans Le chagrin. Puis j’ai lu ses histoires d’amour, en général rutilantes au début puis complètement navrantes ensuite, l’entamant physiquement de façon sérieuse. Et ses problèmes avec son fils  aussi. Maintenant qu’il a atteint soixante-dix ans et qu’il pense avoir tout raconté, il se décide à aller mourir au loin, comme un vieil indien, ou un éléphant hors d’âge. Il appelle son livre Disparaître. Et devinez comment il envisage de partir ? En vélo.
Le vélo, cela fait cinquante ans qu’il le pratique. Aujourd’hui, il habite au pied du mont Ventoux, c’est peu dire et il fait régulièrement ses soixante-dix kilomètres par jour. Sur de magnifiques ou luxueuses montures ultra-légères. Et voilà t-il pas qu’il a pour projet de pédaler jusqu’à Stalingrad (qui s’appelle autrement, c’est pour mieux comprendre, dit-il). Pour cela, ses beaux engins en titane ne seront d’aucune utilité. Alors il ressort son vieux Singer, un truc bien costaud, bien utile, où il peut accrocher tout plein de sacoches. Car il a besoin de tas de choses, pour son voyage : matos de camping, tente, petit réchaud et tout le bazar. Il lui faut aussi toute la techno du web et de l’écriture car il a pris contrat avec son éditeur pour lui envoyer son œuvre au fur et à mesure. Deux livres aussi, très importants pour lui car il va aller sur les traces de ceux qui les ont écrits, là-bas à l’est. Une liseuse, quand même et je se sais plus quoi. Au total, 75 kilos ! Quand il grimpe dessus pour tester si ça marche, il se casse la figure. Trop lourd. Puis suivent diverses avaries. Bon, je ne vous en dis pas plus, mais il part quand même, en automne, saison tardive qui le mènera sous la pluie et dans le froid. Tout ça, c’est la deuxième partie du livre.
la première partie est le récit extrêmement vivant et bien écrit d’un dimanche avant son départ où il a réuni ses quatre enfants (de deux lits différents) dans une brasserie du 13ème où il avait coutume d’aller. C’est très rare d’avoir réussi à les réunir mais ce n’est pas facile pour lui car ils ont tous des griefs envers lui plus ou moins prégnants, les uns attaquant ou défendant les autres, ce qui génère des bagarres verbales et fait renaître une mer de ressentiments. Bien sûr, il passe pour un fou en leur racontant son projet, mais il tient bon.
Livre très plaisant quand on aime cet écrivain, j’ignore si la première partie où sont relatés les « exploits » de son passé et de ses aventures maritales et sentimentales est intéressante pour les néophytes. En tout cas, ça m’a beaucoup plu, à part quelques petites longueurs historiques sur les traces de ses deux écrivains de prédilection… En tout cas, il n’est pas mort dans un fossé comme il le projetait. Je ne spoile pas, on l’aurait su très vite s’il avait succombé !

Disparaître de Lionel Duroy. 2022 aux éditions Mialet Barrault. 292 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Priez pour nous, monsieur Duroy !

Je viens de finir Priez pour nous de Lionel Duroy dont « le Chagrin », paru l’an dernier, m’avait bouleversée.
Si vous trouvez que votre enfance n’a pas été extrêmement épanouissante,  qu’elle fut même calamiteuse — il y a miteuse  dans calamiteuse — entrez dans celle de Duroy. Il a écrit ce bouquin en 1990 après, comme on dit, l’avoir porté longuement. Il faut dire que vivre chez les Duroy, c’est plus proche de l’enfer que du purgatoire. Une mère mégère qui vit plus haut que son cul, un père à la ramasse qui essaie de se démerder pour éviter les catastrophes, qui ment, échafaude des plans foireux, sacrifie la scolarité de ses aînés aux exigences hystériques de mon Minou, sa femme, celle qui crie, qui le tape, qui le griffe, qui fait la grève de tendresse sauf une fois par ci par lç et ça loupe pas, qui se retrouve enceinte à chaque coup de rein. Le père, Toto, qui appelle ses gosses « mon vieux », il en aura dix, plus un petit mort. Les aînés seront ses complices, traités comme des sbires. Les petits, on n’en parle pas, ils sont quelque part au fond d’un appartement agrippés aux basques de la mère mal-aimante ou de la bonne Thérèse, trop bonne celle-ci.
Le jour où tout bascule c’est quand ils sont expulsés manu militari et publiquement du bel appart de Neuilly. Puis recasés dans deux logements mitoyens d’une HLM dans une cité ouvrière. La mère ne vit plus, son standing est définitivement pulvérisé. Le père n’arrête pas de promettre que tout va s’arranger mais ils vont de Charybde en Scylla, plus de gaz, plus d’électricité, plus d’école privée — l’école laïque étant inenvisageable — plus de fric, rien à bouffer, plus de boutons aux manteaux. La mère devient folle, déprimée, on l’enferme plusieurs mois.
L’enfant Duroy se débat dans cette vie pourrie sans horizon, sans espoir, sans amour, si, celui de son père qui le traite comme un homme pour son plus grand malheur. Il faudra quitter ce merdier où rien n’est possible. Ce qu’il fera avec un aîné. Mais, peu armé, peu formé au bonheur dont il ne connaît pas le schéma, il a toutes les chances de reproduire cette situation invivable dès ses premières années de grand en mettant son amoureuse en cloque. A cette époque, c’est pas gagné !
Duroy s’est évidemment gravement brouillé avec tous les membres de sa familles en publiant son histoire. En grattant sous les croûtes, en fouillant dans les ordures, en exhibant leur misère. Mais il le fallait. Ce livre est formidable. C’est du Zola mais avec un zeste de Petit Gibus et du Truffaut des 400 coups.

Priez pour nous, par Lionel Duroy  chez J’ai lu. Le Chagrin est aussi en poche. Pour voir une vidéo ou l’auteur parle de ces livres : site ici

Texte © dominique cozette

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