La jupe twist

J’ai seize ans, je passe quelques dimanches chez ma copine Michèle à la caravane, la résidence de campagne de ses darons.
On se balade jusque chez le broc où j’achète des têtes de christ en laiton.
Je porte une jupe twist rouge et des soutifs rembourrés.
La Foire du Trône est juste devant mon lycée Porte de Vincennes.
Je me fais draguer par un joli militaire qui s’appelle Aldo mais passe ton chemin, j’aime pas les troufions.
Mon père ne veut pas qu’on s’achète un hula-hoop alors j’en fais chez les copines.
Il ne veut pas non plus que l’on ait des patins à roulettes, ni des vélos.
Ma petite sœur en a un car son lycée est à Saint-Maur.
Un dimanche je le lui emprunte pour aller chez ma copine à la caravane.
De Joinville à Ozoir, ça fait une bonne trentaine de kilomètres avec de sacrées côtes, le long de nationales super fréquentées.
C’est tout mon père de m’y autoriser.
J’arrive trois heures plus tard, trempée de sueur, fesses en charpie, aucun entraînement bien sûr, mais je ne pourrai pas rentrer en vélo car il fera nuit.
Mon père vient me chercher en voiture.
Il rate son Sport-Dimanche.
Belle réussite.
Avant de me coucher, j’écoute vingt fois Love me do que m’a envoyé ma correspondante anglaise.
Je comprends toutes les paroles.


Texte et image © dominique cozette

Disparaître … ou pas

Lionel Duroy est un écrivain dont j’adore les autofictions. Je les suis depuis qu’il a raconté son incroyable enfance avec ses dix frères et sœurs auprès de parents d’une inconsciente indignité. C’était dans Le chagrin. Puis j’ai lu ses histoires d’amour, en général rutilantes au début puis complètement navrantes ensuite, l’entamant physiquement de façon sérieuse. Et ses problèmes avec son fils  aussi. Maintenant qu’il a atteint soixante-dix ans et qu’il pense avoir tout raconté, il se décide à aller mourir au loin, comme un vieil indien, ou un éléphant hors d’âge. Il appelle son livre Disparaître. Et devinez comment il envisage de partir ? En vélo.
Le vélo, cela fait cinquante ans qu’il le pratique. Aujourd’hui, il habite au pied du mont Ventoux, c’est peu dire et il fait régulièrement ses soixante-dix kilomètres par jour. Sur de magnifiques ou luxueuses montures ultra-légères. Et voilà t-il pas qu’il a pour projet de pédaler jusqu’à Stalingrad (qui s’appelle autrement, c’est pour mieux comprendre, dit-il). Pour cela, ses beaux engins en titane ne seront d’aucune utilité. Alors il ressort son vieux Singer, un truc bien costaud, bien utile, où il peut accrocher tout plein de sacoches. Car il a besoin de tas de choses, pour son voyage : matos de camping, tente, petit réchaud et tout le bazar. Il lui faut aussi toute la techno du web et de l’écriture car il a pris contrat avec son éditeur pour lui envoyer son œuvre au fur et à mesure. Deux livres aussi, très importants pour lui car il va aller sur les traces de ceux qui les ont écrits, là-bas à l’est. Une liseuse, quand même et je se sais plus quoi. Au total, 75 kilos ! Quand il grimpe dessus pour tester si ça marche, il se casse la figure. Trop lourd. Puis suivent diverses avaries. Bon, je ne vous en dis pas plus, mais il part quand même, en automne, saison tardive qui le mènera sous la pluie et dans le froid. Tout ça, c’est la deuxième partie du livre.
la première partie est le récit extrêmement vivant et bien écrit d’un dimanche avant son départ où il a réuni ses quatre enfants (de deux lits différents) dans une brasserie du 13ème où il avait coutume d’aller. C’est très rare d’avoir réussi à les réunir mais ce n’est pas facile pour lui car ils ont tous des griefs envers lui plus ou moins prégnants, les uns attaquant ou défendant les autres, ce qui génère des bagarres verbales et fait renaître une mer de ressentiments. Bien sûr, il passe pour un fou en leur racontant son projet, mais il tient bon.
Livre très plaisant quand on aime cet écrivain, j’ignore si la première partie où sont relatés les « exploits » de son passé et de ses aventures maritales et sentimentales est intéressante pour les néophytes. En tout cas, ça m’a beaucoup plu, à part quelques petites longueurs historiques sur les traces de ses deux écrivains de prédilection… En tout cas, il n’est pas mort dans un fossé comme il le projetait. Je ne spoile pas, on l’aurait su très vite s’il avait succombé !

Disparaître de Lionel Duroy. 2022 aux éditions Mialet Barrault. 292 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

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