Les services compétents

Iegor Gran a écrit Les services compétents à la mémoire de ses parents, dissidents soviétiques, André Siniavski et Maria Rozanova. Ecrivain, le père a produit un texte paru en France, dans la revue Esprit, décrivant les principes du « réalisme socialiste », qu’il signe évidemment d’un pseudo. Le KGB s’affole, on est en 1959 et le jeune policier Ivanov, avec d’autres gardiens du régime, va se mettre en quête de retrouver ce traite. Le pays commence à s’ouvrir ce qui énerve prodigieusement les apparatchiks qui en sont à interdire le Docteur Jivago de Pasternak qui se deale sous le manteau. Le jazz les indispose, les blue-jeans itou, bref, il faut absolument redonner de la rigueur au régime. L’enquête va durer des années malgré la parution d’autres livres de cet auteur mystère (l’enquête à Paris ne donne rien) et leur parution à l’international. Mais ils vont y arriver.
C’est comme ça que le livre débute : le KGB vient perquisitionner chez eux, André n’est pas là mais Maria se fout ouvertement de la gueule des mecs, leur collant le bébé (Iegor lui-même qui a alors neuf mois) dans les bras et leur faisant des remarques moqueuses sur leurs cheveux, leur posant des questions farfelues.
Iegor savait, depuis la parution de ce premier texte qu’un jour il serait arrêté. Et envoyé dans les camps. On devine même qu’il l’espérait. Ça l’amuse beaucoup durant cette enquête de plusieurs années, de mener ses poursuivants en bourrique. Il est très aimé par les dissidents et les intellos occidentaux de gauche, son incarcération fera d’ailleurs beaucoup de bruit, tellement de bruit qu’Ivanov, monté en grade, sera dépêché après de Maria pour qu’elle convainc son mari de se laisser libérer pour bonne conduite. Ce qu’il refusera car il ne s’est jamais autant amusé de sa vie. Ces années d’emprisonnement ne sont hélas pas dans le livre.
Dans le livre, on est du côté des « services compétents », des brimades qu’il font endurer au peuple, des curiosité du régime et de leurs propres faiblesses. On y apprend des choses amusantes, comment Maurice Thorez était adulé là-bas, il y passait d’ailleurs toutes ses vacances, et à sa mort, une ville a été débaptisée pour s’appeler Thorez.
Le début est peu compliqué quand on ne sait pas trop pourquoi on parle de tous ces Soviétiques et non pas de la famille d’Iegor Gran, mais une fois qu’on sait que c’est le point de vue choisi par l’auteur, ça roule. C’est même extrêmement truculent !

Les services compétents  par Iegor Gran, 2019 aux éditions P.O.L. 302 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

L’Ambition ? Parlons-en !

L’Ambition, de Iegor Gran, est un livre étrange et pénétrant dans le sens où il ironise sur les travers des gens — principalement — de Paris et de la proche banlieue. Des caricatures de caricatures qui commencent par le héros, José, pauvre hère dont la seule ambition — au début — est de devenir le Mark Zuckerberg planétaire de la fève, celle qu’on trouve dans la galette. Il bricole aussi dans une improbable boutique  les disques durs endommagés sans en connaître le fonctionnement. Sa copine de dix mois le plante là car, vraiment, quel manque de grandeur ! Elle même grouillote dans une galerie d’art contemporain forcément chicos dont la proprio court le globe à la chasse au futur Man Ray.
Pour payer son demi-loyer, José subtilise un message destiné à son brillant coloc pour des cours de maths à domicile. Il est aussi nul que le cancre mais sait parler aux parents, leur confirme que leur enfant est intelligent et plein d’avenir. Le gosse deale avec lui, lui extorquant une part du fric :  chacun y gagne. Du coup, son petit auto-entreprenariat d’incompétence s’étend par le miracle du bouche à oreille et le voilà tentant de comprendre le début de la promesse de l’aube pour la régurgiter à la jeune élève qui s’en bat les choses.
Pendant ce temps, son ex se fait humilier par un riche collectionneur qui lui fait de l’oeil mais ne prend même pas la peine de l’empapouter tellement il connaît d’avance l’histoire, plus la fâcheuse tendance de la fille à devenir plus tard une sorte de bobonne ordinaire.
L’Ambition, c’est aussi celle d’un lointain ancêtre de José, un néandertalien qui va de temps en temps prêter son sgug (sic) à une femme des Nez Ecrasés, ce qui provoque une crise de ménage dans sa tribu qui le chasse. Peu importe, il adore l’aventure !
Et aussi l’Ambition d’un écrivain raté qui cherche l’inspiration dans les mails, les fêtes de djeun’s et dans le coin de son café germano-pratin.
Ça semble un peu décousu comme ça. Ça l’est. L’important est de s’amuser avec la galerie de portraits qu’il décrit d’une plume très spirituelle. C’est bourré de petites fleurs à cueillir dans cette steppe où le râteau de l’homme n’a jamais mis les pieds.
Une phrase au hasard : « Pendant qu’elle remplissait la paperasserie, Cécile sentit le regard du client comme un petit fer à repasser tiède, circulant le long de sa silhouette. Ce n’était pas désagréable. On ne la déshabillait pas, non, on l’admirait. »

Iegor Gran. L’Ambition, roman aux éditions P.O.L. 2013. 212 pages, 16,50€…

Pour relire mon article sur l’écologie en bas de chez moi, sacré truc, par cet auteur border line !

Texte © dominique cozette

Ieggor Gran : touche pas à mon écolo !!!

L’écologie en bas de chez moi de Iegor Gran est réjouissant. Parce qu’il s’attaque à un tabou : la posture écologique. Oui, je sais, vous allez me dire, on a déjà eu  Allègre puis actuellement Bruckner qui tourne sur les plateaux et dont l’argumentation, ou la présentation, est plutôt agaçante. Gran, lui, commence avec un truc qui me plaît bien car il s’attaque, dans un courrier à Libé, au monument (de fallaciosité) qu’est Home d’Artus-Bertrand — que je peux me vanter de ne pas avoir vu — dont il a violemment critiqué la forme esthétisante qu’il a comparée aux films de Leni Riefenstahl défendant la cause d’un certain Adolf.
La critique porte aussi sur son caractère d’obligation à être vu : projection simultanée dans 130 pays, gratuite sur les Champs, Central Park, You Tube etc… comme un lavage de cerveau adressé à nous tous. Ayant reçu un flot de critiques, constatant comment les gens révèrent cette nouvelle religion qu’est l’écologisme, fustigeant cette cause de dissension violente avec ses amis et ses voisins, il décide d’écrire ce bouquin, très argumenté d’ailleurs, d’une plume incisive et extrêmement réjouissante. Non que je me réjouisse des saccages infligés à notre bonne vieille terre !  Mais comme il dit, ce n’est pas en triant nos ordures ou « en faisant un geste pour la planète » (la pub de Gaz de France et consorts), qu’on s’en sortira. Là- dessus, il n’a  pas forcément raison mais c’est bon que quelqu’un s’attaque à la bien-pensance de ceux qui font commerce (ô combien fructueux) de cette cause ! Et puis il aborde toutes sortes de domaines avec une mauvaise foi qui n’a d’égale que sa causticité.
Gérard Collard, le tintin des libraires, nous en touche un mot ici. Et vous pouvez lire cette critique des Inrocks qui en dit plus. Pour vous mettre en bouche, quelques impressions. Sur les voisins ;
« Les voisins, il faut les aimer. Les voisins sont toujours bienveillants, valeureux et civiques. Et je ne dis rien de leur beauté — cette force intérieure qui rayonne, ce sens du tact, cette poésie ! Mieux qu’une voyante, ils savent ce dont on a besoin. Mieux qu’un docteur, ils soignent nos égoïsmes. Il sont vigilance, ils sont probité. »
Sur l’autofiction : « A quoi sert-elle ? A protéger la planète. Car quand l’écrivain fabrique ses libres avec des bribes de sa vie insignifiante, il recycle […] Misérable est l’écrivain qui se sert de son imagination pour produire des textes nouveaux. Que d’énergie dépensée ! Gâchis de neurones et d’heures de sommeil ! Et dans quel but ? produire un texte qui ira gonfler la marée des écrits […] L’imagination  pousse à la surconsommation. A contrario, l’écrivain d’autofiction est un écrivain responsable. ll ne perd pas de temps à se documenter : il a tout sur place, au fond du nombril et dans son cul, il n’a qu’à se baisser pour cueillir l’inspiration. Il est auto-suffisant, comme ceux qui se lavent à l’eau de pluie et font du compost pour faire pousser leurs radis, leurs courgettes. »
Pour finir d’être complètement énervant, ce bouquin est bourré d’immenses notes de bas de pages en corps 6 dont la somme des signes est, je le parie, plus importante que celle du texte lui-même.

L’écologie en bas de chez moi. Iegor Gran. 2011. P.O.L Même pas 200 pages !
Texte © dominique cozette. Image trouvée sur le net.

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter