Chaque phrase est un coup de poing dans la gueule. C’est trapu, le danger guette à chaque page. Des esseulés, des cabossés, des ultra perfectionnés convergent à Coca, ville imaginaire et exotique d’un pays comptant encore des Indiens qui voient d’un sale œil ces killers technocrates détruire les tombes de leurs ancêtres et massacrer leur lopin de territoire. Des écolos qui conchient la géante construction susceptible de liquider quelques poissons, algues, papillons et autres raretés de cette embouchures vibrante mais réussissent à stopper l’érection malfaisante quelques semaines, le temps que certains ailés puissent nidifier. Il y a des Chinois, des gens de Marne la Vallée ou de l’Ontario, et les fameux Indiens acrobates capables de faire les cons, ce qu’ils font, au sommet des tours du pont, menaçant les services de sécu. Il y a des femmes qui rament pour ne pas être en retard malgré les coups dans la tronche de leur époux éclopé ou de leur aîné perdu pour la société, il y a des bars où se diluent la sueur et les larmes, il y a là-haut, tout là-haut, un coït improbable dans la cabine du grutier aménagée en love room pour une petite heure, il y a des coups de couteau dans des bides, il y a des passés qu’on essaie d’enterrer mais qui resurgissent dans les boues, et puis des mots et des phrases qui t’explosent la tête, c’est violent et beau, c’est rêche, ça rentre au chausse-pied dans le crâne : du pur XXL, une écriture vingt dieux de vingt dieux! Faut aimer ça, c’est amer, acide et ça pique ! Moi, j’ai trouvé ça énorme, ça m’a scotchée. C’est du lourd. Prix Medicis, remarquez, ce qui ne veut souvent rien dire !
Naissance d’un pont. Maylis de Kerangal. Verticales 2010. Illustration du livre : Philippe Bretelle, je n’invente rien !
Texte © dominiquecozette