Crumb, serial fesses-booker !

Au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris se tient la somptueuse énorme rétrospective de Crumb. Robert Crumb. le dessinateur bigleux qui chevauche les filles à gros cul, à jambes costaudes et velues, qui fornique à tout bout de champ et se rit de la vie sociale que des siècles de morale judéo-chrétienne ont pondu aux Etats-Unis. Et de celle, française, à laquelle il pige que pouic. Sorte de geek pour le physique, érotomane priapique et masturbateur récurrent, infidèle — le mot est faible — et narquois, this is the man.
Certes il dessine avec art et ostentation, talent et obstination, humour et fornication. Mais ce n’est pas sa passion. Même s’il ne peut s’empêcher de manier le rotring et la plume, il a deux autres plaisirs bien plus forts : le sexe et la musique. Oh, attention, pas la pop, la vieille musique, le vieux jazz d’avant-guerre qui craque sous le saphir, les formations be-bop  old school qu’il collectionne comme un malade et auxquels il tient comme à la prunelle de ses grosses lunettes. Il en a des milliers, maniaquerie totale.
Crumb est issu d’une famille tarée, réellement. Il faut voir le film commenté par David Lynch (en streaming sur le web)  sidérant. Freaks, presque. Un père violent et tordu qui lui a déboîté la clavicule quand il avait cinq ans, que tous craignaient, une mère aujourd’hui avachie qui se droguait aux amphétamines pour lui échapper, deux soeurs dont on ne parle pas (qui ne veulent pas apparaître dans le film) et les trois frères, imbriqués les uns dans les autres par leur rapports d’amour/haine, de dépendance et de luttes narcissiques.
L’aîné, Charles, est un dingue des comics (et sexuel maniaque aussi, jeune, abstinent). Il ne vit que pour ça, tombe amoureux d’un lapin et oblige ses frères à dessiner, sous peine de rétorsion. Il prend la place du père. J’y reviens.
L’autre Maxon, est en perpétuelle frustration, blessée par Robert qui lui vole la vedette. Aujourd’hui, Maxon vit sur un tapis de fakir à vrais clous et avale lentement un très long lacet enduit de je ne sais quoi qui va mettre trois jours à ressortir par l’autre bout, ayant accompli une sorte de purification intestine. Il ne parle qu’à une personne : Robert. Il a de magnifiques yeux bleus. Il n’a jamais eu de relations sexuelles.

Robert, lui, est un renfermé. Enfin, quand il était ado. Moche, une dent en moins, creux du torse, rêvant chaque soir à une des filles de sa classe, celle qui louche ou l’autre moche, sans l’idée de passer à l’acte. Sa mère prédisait : il épousera la première venue. Gagné. Zoom sur cette première femme devenue grosse dame qui lui a fait un fils.
Heureusement, la célébrité amène son flot de fans femmes qui veulent toutes être dessinées, dessillées, dessalées par lui. Il ne dit jamais non. Jamais. Le sexe devient son activité de prédilection, même après son installation avec Aline, celle qui ressemble à ses dessins, qui le porte sur son gros cul, qui le pompe et qu’il nique goulûment. Lisez « parlez-moi d’amour » (blog ici), leur livre à deux, c’est top.
Charles, donc, l’aîné. Charles est devenu une grosse larve qui vit toujours avec sa mère, sans jamais, jamais sortir. Il se lave toutes les six semaines, n’a plus de dents, est sous tranquillisants depuis toujours. Il est entouré de murailles de livres. Ça pue le renfermé à vue d’oeil. Robert, très enjoué avec lui, ne semble pas affecté par sa déchéance, pas plus qu’avec Max d’ailleurs. Depuis, Charles s’est suicidé et le film lui est dédié.
A part cette famille calamiteuse, le film montre les  divers aspect du boulot de Crumb, ses marottes, sa façon de croquer, ses réflexions caustiques sur la société. Tout Crumb est là. Aline aussi, bouffeuse de vie, énergie personnifiée. Et leur fille qui est devenue dessinatrice. Bizarre.
Si vous avez une semaine devant vous, vous pouvez vous enfermer au MAM. Il y a tellement à lire, à détailler, à examiner qu’on ne peut, en une fois, en faire le tour. Beaucoup de BD ont leur version française sous les originaux. Bécassine est là aussi, je ne vous raconte pas ce qu’il lui faire faire, à tomber ! Et toutes ses collections perso d’albums BD de son enfance, toute usées. Touchant.

Crumb de l’underground à la Genèse. Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris jusqu’au 19 août 2012.

Du cul ? Pas que. Du Crumb et de la Crumbette à donf !

Parlez-moi d’amour, l’énorme album que vient de sortir le couple Robert Crumb et Aline Kominsky-Crumb est d’ une jouissance parfaite. Il est énorme en boulot, en intérêt graphique, littéraire, sociologique, psychologique, philosophique, mais énorme aussi en taille et en poids. Le lire au lit relève d’un tour de force de plusieurs jours/nuits vu le temps qu’il faut pour détailler une page de Crumb et de sa moitié — qui est plutôt son double vu sa densité physique, son imposante stature de sportive compulsive qui n’aime que les petits mecs geignards, style avortons portables (elle le porte fréquemment dans ses séances de baise). Ça tombe bien, lui raffole de ses fessiers bombés et charnus. Donc ce couple qui s’est réellement trouvé après tâtonnements maritaux a vite fait dessins communs, ne se privant pas de se surcorriger de préciser ou d’annoter  dans la case de l’autre. Kiffant d’infantilisme.
Il y a plusieurs époques  dans cette somme, des trucs des années 70 jusqu’à nos jours, ce qui permet de les voir, non pas vieillir, mais avancer en âge et en mentalité, faire leur gosse, une fillette qu’ils laissent pousser de façon très cool. La question juive prend beaucoup de place : Aline est une vraie juive américaine, brillante, bruyante, extravertie et lui non. Elle est athée mais reste représentative de sa communauté avec la bouffe y rattachée, la façon peu discrètes de causer aux gens ou de s’habiller, sa propension à grossir,  oui elle est forte. Lui, ça continue de l’interroger ce folklore mais elle s’en fout à un point ! Elle part ramasser le vomi du chat ou prépare la table. On les voit vraiment dans leur intimité de dessineux, de ménagère, leurs balades avec leurs discussions animées. Et dans leurs activités sexuelles au stade prémisses.
Ils s’installent dans un village médiéval du sud de la France dans les années 90. Et là, c’est hilarant la façon dont ils appréhendent les Français (qu’ils adorent) : toutes les différences socio-culturelles entre nos deux pays sont là. Ne manquent pas les crottes de chiens fumantes, les tracts (Le Pen, vite !) collés aux murs, les vieux sur les bancs de l’église, l’absence d’ambition à faire du fric, la queue au bureau de poste, les journées de ces drôles de Latins passées au bistro. Et les Françaises ! Des maigrelettes à tête d’oiseaux habillées strict.

Passage très marrant aussi où ils se rendent à la grande cousinade de la famille Crumb, aux Etats-Unis. Elle s’est mise sur son 31 (des trucs voyants, comme d’hab) et se rend compte que le chic crumbien c’est d’être en beige/blanc/bleu ciel, sobre. Elle est désappointée aussi par le fait que tous ces goyim qu’elle imaginait coincés se marrent, sont branchés, rigolos, pas comme il faut, bref ultra-fréquentables.
Il faut la voir aussi revenir de Londres, le visage en canard ultra-botoxé et les arguments qu’elle développe pour se faire accepter par son mari halluciné qui ne lui demandait que de « vieillir avec grâce ».
Et puis le sexe. Ils essaient d’être soft un moment car ne voudraient pas que leur fille ait honte. Mais Aline est une chaudasse surtout depuis sa ménopause et lui se laisse tenter. En même temps, ils refusent la monogamie depuis toujours et elle ne vit que dans la séduction. Une sacrée nana qui picole jusqu’à tomber raide au milieu du village… puis se met au Coca Light.
Ça foisonne, ça foisonne, ça n’arrête pas, on finit par se sentir bien chez eux et se dire qu’aux prochaines vacances, on se pointera dans leur bled médiéval (elle tient à ce terme) pour s’en claquer deux, trois, quatre, faut voir, ils n’ont pas de limites.

Aline et R. Crumb. Parlez-moi d’amour d’amour | Drawn together, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Lili Sztajn | Ed. Denoël Graphic | 264 p., 35 EUR.

Texte © dominique cozette.

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