L'art des interstices, du pur Lamalattie.

Pierre Lamalattie, qui est un plasticien, ou un peintre, ou un artiste peintre, je ne sais comment dire pour être juste, en tout cas il peint des personnages avec textes, et, devenu écrivain, il les dépeint sous couvert de peinture acerbe de la société. Son troisième pavé s’intitule l’art des interstices, il fait référence à la théorie des sous-bois où les pauvres petits arbres débutants, à l’ombre des puissants aînés, ont beaucoup de mal à se développer mais lorsqu’ils y arrivent, c’est triomphalement. Idem donc pour l’art contemporain — difficulté pour les jeunes pousses d’émerger à l’ombre des grands — dont il a largement fustigé les institutions dans ses précédents écrits, son entre-soi, son petit monde feutré dont les décideurs, mécènes etc tiennent les rênes de toute la sphère.
Nous nous trouvons à Paris où un père, veuf d’une femme bipolaire suicidée, tente d’élever sa fille de la meilleure façon. La timidité des pères qui veulent faire bien est parfaitement décrite. Il n’ose ni la forcer, ni lui interdire, ni se mettre en colère, ni la provoquer, ni jouer la complicité. Heureusement, il a affaire à une gentille personne, un peu secrète  certes, dont la principale faille est de ne pas savoir se défendre face à la dureté de la vie, et surtout, de ceux et celles, cruels et lâches, qu’elle côtoie au lycée.
Elle est tellement secrète qu’elle se met en danger de mort en effectuant une performance idiote, de son âge. Mais pas de sa trempe.
Outre son père, deux personnes d’importance gravitent autour d’elle, plus âgées : une cousine battante, déterminée, entrepreneuse, qui a toujours raison, et son frère, personnage démodé, effacé, qui consacre sa vie à une passion : peindre des paysages à l’ancienne, ennuyeux et tellement ringards. Cependant, il trouve une super idée pour faire sortir Seine (la fille du narrateur) de son indécision à choisir son orientation : lui offrir un appareil photo, un bon.
Et peu à peu, avec son père qui la chaperonne auprès d’artistes peu connus, elle va ouvrir son regard, inventer un nouvel art du portrait, se prendre de passion pour un domaine infini.
Son père est un passionné de la peinture, la « belle » peinture, et c’est grâce à son métier, journaliste culturel à Jour de pêche, qu’il est libre de choisir ses sujets et le photographe qui l’illustrera.  A l’occasion de ces week-ends passés avec Seine à Londres, Amsterdam, en province, il lui explique la peinture et règle ses comptes avec un certain art contemporain, à savoir celui des cimes qui masquent le soleil aux petits, ceux des interstices.
On en apprend beaucoup dans ce livre, on sent le passionné d’histoire de l’art, j’y retrouve des artistes vus à Pompidou ou ailleurs, d’autres, émergents réels ou inventés, aux créations furieusement intéressantes.
Ce qui est frappant dans ce nouvel opus, c’est la tendresse, l’attention à l’autre, la préoccupation envers autrui. L’esprit à la Cioran ou le cynisme qui présidait aux deux premiers romans de Lamalattie ne sont plus de rigueur. Ici, on s’ouvre à l’autre, on en prend soin, on s’inquiète pour lui. Ça s’appelle le care, en bon français. Et que ça fait du bien en cette période rugueuse et souvent malveillante !

L’art des interstices de Pierre Lamalattie. 2017 chez l’Editeur. 542 pages, 22 euros.

Texte © dominique cozette

Le nouveau Lamalattie

Le premier s’appelait 121 curriculum vitae pour un tombeau, j’en ai parlé sur mon blog. Le deuxième vient juste de sortir et se nomme Précipitation en milieu acide. Oui, c’est du sérieux. Enfin, pas vraiment. Ce serait un peu de Cioran pour le côté cache-ta-joie du héros, un peu de Perec pour le côté la vie-mort-d’emploi et un zeste Stromae pour le côté fort-minable des histoires d’amour en général.
Bref, ça ne pue pas la poisse mais plutôt le poisson  — l’épopée de la chasse au brochet pour un réveillon d’avance calamiteux !  mais aussi le fantasme du filet de maquereau au vin blanc pendant un concert ultra-romantique de clarinette. Ça ne respire pas la joie du côté des protagonistes qui bossent chez Right-In-The-Middle-Consulting ou à Propulse Management, mais chez la lectrice que je suis, oui. C’est bourré d’histoires de coachnig, de chefaillons petits-bras, d’opérations de restructurations minables, de rachats d’usine affligeants. Le monde d’aujourd’hui, quoi, même pas à la loupe.
Affligeant. C’est le terme. Le héros, Pierre, regarde passer sa vie comme un pêcheur désabusé les cadavres de truites dans une eau lourdement polluée. Rien ne le motive plus, ni aller bosser car il se sait sur la touche, ni baiser avec sa femme encore bien gaulée, ni recevoir leurs amis plan-plans qui se la pètent, ni faire des projets car il ne sait plus comment on fait.
Quelques moments de trêve cependant dans ce nihilisme omniprésent :  son atelier d’écriture tous les mardis soir où il entame mollement une très très vague relation avec Hellen, loseuse aux yeux vairons, et ses balades au Champ-de-Mars où il échange de bien belles banalités avec Bernard et son chien.
Mais il y a sa femme qui, à 41 ans, veut un môme et l’entraîne auprès du spécialiste de la PMA (procréation médicalement assistée), la découverte d’une trahison qui ne l’ébranle même pas tellement il est blindé, son nouveau job de médiateur social auprès d’une cidrerie que veut démanteler un partisan de l’ultra-libéralisme. Rien ne semble troubler son indifférence à ce monde moderne totalement barge.

Cette désespérance en est drôle, elle s’insinue dans ses moindres détails avec la précision du scalpel d’un serial killer, elle compose la toile de fond parfaite du quinqua actuel, le nanti qui attend que les choses lui tombent dessus mais qui sait très bien pourquoi elles ne le font pas.
Précipitation en milieu acide est un objet littéraire extrêmement descriptif et instructif, ça pourrait être un roman graphique de David Mazzucchelli, un classique du XIXème siècle à la sauce Woody Allen ou un rapport très vivant sur la vie au XXIème siècle quand on exerce un de ces  jobs impossibles à décrire à sa grand-mère.
Un texte pointu, drôle, dense et très attachant.
L’auteur, Pierre Lamalattie, après avoir fait des études d’agro, est d’abord ingénieur puis  se dirige vers la médiation sociale et les relations de travail, avant de s’atteler avec succès à la peinture, une peinture plutôt sociale aussi. A voir sur son site.

Précipitation en milieu acide de Pierre Lamalattie, chez l’Editeur. Octobre 2013. 396 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette. Tableau © Pierre Lamalattie, en vitrine de la librairie l’Ecume des Pages.

121 curriculum vitae…

… pour un tombeau.

C’est le titre du premier roman de Pierre Lamalattie qui a déjà peint de nombreux romans et curriculum vitae tant ses images sont loquaces. Allez voir son site ici, vous serez conquis si vous aimez les phrases fulgurantes. Rien que sa bio, ça vous donnera l’idée. D’ailleurs, il l’a reprise pour commencer le livre. D’une causticité réjouissante. Je vous la cite car elle incite : « J’ai 54 ans. J’ai connu moins de femmes qu’un animateur du Club Med. J’ai gagné moins d’argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-soeur. J’habite toujours à 500 mètres de chez ma mère. Et bien sûr, je n’ai vécu aucune aventure de l’extrême. Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible. » Bon, on prend un peu pitié, on se dit merde, c’est dommage quand même ! Puis on lit la suite : « J’aurais pourtant bien tort de me plaindre, car, au fond, je m’en fout complètement. » Ouf.
Je vous le dit tout net : ceci n’est pas une pipe. Je veux dire pas un roman conventionnel. C’est un prétexte à nous livrer les histoires que ce peintre pompier (dit-il de lui, mais on n’en croit pas une image) a accumulées dans sa carrière professionnelle d’agro, section ressources humaines. Pierre Lamalattie est aussi à l’aise pour réduire en quelques coups de pinceaux (mouais, c’est un peu plus compliqué que ça) une personnalité à un visage qu’à le décrire en quelques phrases choc. Il y en a 121 donc, et ça va de Hervé qui a rencontré la mère de ses enfants dans une association pour le renouveau de la bourrée à Laura avec laquelle il comprend que se poserait un problème : que faire durant la période réfractaire ?
Pierre Lamalattie est le seul écrivain qui parle, dans le même ouvrage, de période réfractaire, d’anachorète idiorythmique (un homme seul qui vit à sa façon) et de la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer (rassurez-vous, moi non plus !). C’est vous dire combien il est atypique. En même temps, quand il raconte le mariage participatif auquel il se rend dans le seul but de baiser une « nénette » et où il est affecté à l’atelier équeutage de haricots verts alors qu’elle se trouve dans celui des tartes salées, ça me fait vraiment rire : on se croirait dans un  film choral de mauvaise qualité avec des héros bien ringards dont l’honnête homme aime se moquer « au deuxième degré ».
Ce livre m’a appris où en était ma vie, selon la théorie de Schopenhauer : « il voit la vie un peu comme la digestion chez les vaches : en deux temps. Dans un premier temps, la vie se présente comme une succession d’actions. Mais on ne se rend pas compte de ce qu’on vit. Dans un deuxième temps, s’il y a deuxième temps, la vache arrête de s’agiter, elle s’allonge. On passe à la rumination. C’est là que se produit la véritable digestion, avant, ce n’était que du bourrage d’estomac. C’est dans la rumination des souvenirs, dans la représentation, dans l’art que la vie peut être appréciée, connue. La vraie vie est donc dans la rumination. » C’est là que j’en suis personnellement, depuis que j’ai un peu de temps pour réfléchir.
Une idée de description à la Lamalattie : « [elle] avait opté pour un look cool : jean partout, à l’exception de Converse vertes. Son visage, criblé de taches de rousseur, évoquait l’univers mental de l’érotisme breton. »
Sur l’art contemporain : « En France, intellectuel, on voit très bien de quoi il s’agit. Mais artiste, c’est indiscutablement moins clair. Je ne parle pas de pseudo-artistes qui gravitent autour du ministère de la Culture et des galeries à la mode. En réalité, la plupart du temps, il ne s’agit pas d’artistes, mais plutôt d’intellos bas de gamme. Toute leur habileté professionnelle consiste à faire des commentaires filandreux pour justifier leur « travail ». Non ! J’en reste à cette idée : on ne voit pas très bien en quoi ça consiste, un artiste. »

Sur la mort, ou le mort, enfin, après je vous laisse découvrir par vous-même le reste de cette somme : « Un vrai défunt se distingue d’un vivant par le fait qu’il incarne des valeurs. L’homme ordinaire est balloté dans la vie ordinaire, il doit faire ses courses, essuyer des scènes de ménage, payer des impôts, aller chez le dentiste, bosser, épargner. Le défunt, lui, s’est consacré uniquement à des valeurs, à énormément de valeurs. Parmi celles-ci, la plus large place doit revenir, bien évidemment, aux valeurs humaines. »

121 curriculum vitae pour un tombeau, Pierre Lamalattie. L’Editeur, 2011(vient de sortir), 448 pages.
Vous trouverez, à côté ou au rayon arts plastiques, le recueil des 121 portraits, dont le sien en couverture.

Texte © dominique cozette

L’exception française, drôle d’exception…par Pierre Lamalattie

Pierre Lamalattie me plaît parce qu’il peint des gens et que ses gens me touchent. Et qu’il écrit des choses concernant ces gens, pour mieux les cerner. Et en peu de mots, il exprime une personnalité. Lui aussi écrit. Sur l’art et ce mois-ci, c’est dans Artension n°107, page 70.
Son article s’intitule « L’exception française est pavée de bonnes intentions » et en voici un un extrait, qui décrit avec talent et ironie la place de l’art contemporain (AC) dans notre beau pays légèrement … sclérosé.
 » L’art contemporain, en France, c’est d’abord un réseau d’institutions artistiques, désertes et repeintes en blanc tous les deux mois. Ce sont des catalogues de 500 pages, écrits en style néoscolastique pour un public de doctorants. C’est un académisme qui, pour l’essentiel, s’est perdu dans un exercice de style, sans objet et sans public.
Quelques tentatives ont lieu, ça et là, pour trouver des visiteurs, par exemple, en exposant l’AC dans un lieu touristique et en privilégiant des productions distrayantes, ayant valeur d‘animations. Les farces géantes organisées à Versailles, en sont un exemple. Cependant, quand on sort de l’hexagone, on est surpris de voir des expositions beaucoup plus éclectiques, ouvertes et intéressantes. »
Le suite dans cet excellent magazine dont le thème principal est justement… l’exception culturelle.

Pour moi, l’exception culturelle, c’est ce grand benêt qu’est devenu Mitterrand Frédéric, qu’on voit ici et là, lèvres ballantes, à rigoler en sortant de l’Elysée, à bayer aux corneilles durant la cérémonie des César, à parader devant le Palais des Festivals cette semaine. Et à inscrire une pratique barbare au Patrimoine Immatériel de l’Humanité. Qu’a t-il dit ou fait de remarquable depuis que Sarkozy s’est emparé de lui ? Si vous en savez plus, faites-le moi savoir…

Peinture © Pierre Lamalattie. (désolée pour cette mauvaise déf). Son site ici

Jeudi : rendez-vous avec Pierre Lamalattie

« J’ai 54 ans. J’ai connu moins de femmes qu’un animateur du Club Med. J’ai gagné moins d’argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-sœur. J’habite toujours à 500m de chez ma mère. Et, bien sûr, je n’ai vécu aucune aventure de l’extrême. Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible.
J’aurais pourtant bien tort de me plaindre, car, au fond, je m’en fous complètement.
Tout de même, c’est un peu contrariant d’être entouré de gens qui se passionnent pour leur carrière et leur image, de gens qui ont des « activités », qui font du sport, de la politique, qui discutent, qui s’intègrent, qui voyagent, qui pensent aux soldes, qui s’intéressent sans effort au squash, à l’aquariophilie et à bien d’autres choses, de gens qui, en fin de compte, ont le sentiment légitime d’avoir trouvé un bon mode d’emploi. »

Pour savoir la suite ou mieux, pour connaître Pierre Lamalattie, l’artiste, rendez-vous à son vernissage à la galerie Alain Blondel dans le marais, 128 rue Vieille du temple, 75003 Paris.  C’est le jeudi 3 février à partir de 18 heures. J’y serai car je suis une inconditionnelle de cet artiste qui m’interpelle par la pertinence de ses textes et le charisme de ses personnages.
L’exposition a pour titre « peindre des vies tout entières » et le pitch en est : « Les cabinets de recrutement sont formels : il faut résumer une vie à l’essentiel ».
Pari tenu. A vérifier jusqu’au 19 mars.

Plus d’info sur le site de  Pierre Lamalattie ici
Plus d’info sur la galerie Alain Blondel ici

Texte d’intro et peinture © Pierre Lamalattie

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