Le nouveau Lamalattie

Le premier s’appelait 121 curriculum vitae pour un tombeau, j’en ai parlé sur mon blog. Le deuxième vient juste de sortir et se nomme Précipitation en milieu acide. Oui, c’est du sérieux. Enfin, pas vraiment. Ce serait un peu de Cioran pour le côté cache-ta-joie du héros, un peu de Perec pour le côté la vie-mort-d’emploi et un zeste Stromae pour le côté fort-minable des histoires d’amour en général.
Bref, ça ne pue pas la poisse mais plutôt le poisson  — l’épopée de la chasse au brochet pour un réveillon d’avance calamiteux !  mais aussi le fantasme du filet de maquereau au vin blanc pendant un concert ultra-romantique de clarinette. Ça ne respire pas la joie du côté des protagonistes qui bossent chez Right-In-The-Middle-Consulting ou à Propulse Management, mais chez la lectrice que je suis, oui. C’est bourré d’histoires de coachnig, de chefaillons petits-bras, d’opérations de restructurations minables, de rachats d’usine affligeants. Le monde d’aujourd’hui, quoi, même pas à la loupe.
Affligeant. C’est le terme. Le héros, Pierre, regarde passer sa vie comme un pêcheur désabusé les cadavres de truites dans une eau lourdement polluée. Rien ne le motive plus, ni aller bosser car il se sait sur la touche, ni baiser avec sa femme encore bien gaulée, ni recevoir leurs amis plan-plans qui se la pètent, ni faire des projets car il ne sait plus comment on fait.
Quelques moments de trêve cependant dans ce nihilisme omniprésent :  son atelier d’écriture tous les mardis soir où il entame mollement une très très vague relation avec Hellen, loseuse aux yeux vairons, et ses balades au Champ-de-Mars où il échange de bien belles banalités avec Bernard et son chien.
Mais il y a sa femme qui, à 41 ans, veut un môme et l’entraîne auprès du spécialiste de la PMA (procréation médicalement assistée), la découverte d’une trahison qui ne l’ébranle même pas tellement il est blindé, son nouveau job de médiateur social auprès d’une cidrerie que veut démanteler un partisan de l’ultra-libéralisme. Rien ne semble troubler son indifférence à ce monde moderne totalement barge.

Cette désespérance en est drôle, elle s’insinue dans ses moindres détails avec la précision du scalpel d’un serial killer, elle compose la toile de fond parfaite du quinqua actuel, le nanti qui attend que les choses lui tombent dessus mais qui sait très bien pourquoi elles ne le font pas.
Précipitation en milieu acide est un objet littéraire extrêmement descriptif et instructif, ça pourrait être un roman graphique de David Mazzucchelli, un classique du XIXème siècle à la sauce Woody Allen ou un rapport très vivant sur la vie au XXIème siècle quand on exerce un de ces  jobs impossibles à décrire à sa grand-mère.
Un texte pointu, drôle, dense et très attachant.
L’auteur, Pierre Lamalattie, après avoir fait des études d’agro, est d’abord ingénieur puis  se dirige vers la médiation sociale et les relations de travail, avant de s’atteler avec succès à la peinture, une peinture plutôt sociale aussi. A voir sur son site.

Précipitation en milieu acide de Pierre Lamalattie, chez l’Editeur. Octobre 2013. 396 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette. Tableau © Pierre Lamalattie, en vitrine de la librairie l’Ecume des Pages.

121 curriculum vitae…

… pour un tombeau.

C’est le titre du premier roman de Pierre Lamalattie qui a déjà peint de nombreux romans et curriculum vitae tant ses images sont loquaces. Allez voir son site ici, vous serez conquis si vous aimez les phrases fulgurantes. Rien que sa bio, ça vous donnera l’idée. D’ailleurs, il l’a reprise pour commencer le livre. D’une causticité réjouissante. Je vous la cite car elle incite : « J’ai 54 ans. J’ai connu moins de femmes qu’un animateur du Club Med. J’ai gagné moins d’argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-soeur. J’habite toujours à 500 mètres de chez ma mère. Et bien sûr, je n’ai vécu aucune aventure de l’extrême. Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible. » Bon, on prend un peu pitié, on se dit merde, c’est dommage quand même ! Puis on lit la suite : « J’aurais pourtant bien tort de me plaindre, car, au fond, je m’en fout complètement. » Ouf.
Je vous le dit tout net : ceci n’est pas une pipe. Je veux dire pas un roman conventionnel. C’est un prétexte à nous livrer les histoires que ce peintre pompier (dit-il de lui, mais on n’en croit pas une image) a accumulées dans sa carrière professionnelle d’agro, section ressources humaines. Pierre Lamalattie est aussi à l’aise pour réduire en quelques coups de pinceaux (mouais, c’est un peu plus compliqué que ça) une personnalité à un visage qu’à le décrire en quelques phrases choc. Il y en a 121 donc, et ça va de Hervé qui a rencontré la mère de ses enfants dans une association pour le renouveau de la bourrée à Laura avec laquelle il comprend que se poserait un problème : que faire durant la période réfractaire ?
Pierre Lamalattie est le seul écrivain qui parle, dans le même ouvrage, de période réfractaire, d’anachorète idiorythmique (un homme seul qui vit à sa façon) et de la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer (rassurez-vous, moi non plus !). C’est vous dire combien il est atypique. En même temps, quand il raconte le mariage participatif auquel il se rend dans le seul but de baiser une « nénette » et où il est affecté à l’atelier équeutage de haricots verts alors qu’elle se trouve dans celui des tartes salées, ça me fait vraiment rire : on se croirait dans un  film choral de mauvaise qualité avec des héros bien ringards dont l’honnête homme aime se moquer « au deuxième degré ».
Ce livre m’a appris où en était ma vie, selon la théorie de Schopenhauer : « il voit la vie un peu comme la digestion chez les vaches : en deux temps. Dans un premier temps, la vie se présente comme une succession d’actions. Mais on ne se rend pas compte de ce qu’on vit. Dans un deuxième temps, s’il y a deuxième temps, la vache arrête de s’agiter, elle s’allonge. On passe à la rumination. C’est là que se produit la véritable digestion, avant, ce n’était que du bourrage d’estomac. C’est dans la rumination des souvenirs, dans la représentation, dans l’art que la vie peut être appréciée, connue. La vraie vie est donc dans la rumination. » C’est là que j’en suis personnellement, depuis que j’ai un peu de temps pour réfléchir.
Une idée de description à la Lamalattie : « [elle] avait opté pour un look cool : jean partout, à l’exception de Converse vertes. Son visage, criblé de taches de rousseur, évoquait l’univers mental de l’érotisme breton. »
Sur l’art contemporain : « En France, intellectuel, on voit très bien de quoi il s’agit. Mais artiste, c’est indiscutablement moins clair. Je ne parle pas de pseudo-artistes qui gravitent autour du ministère de la Culture et des galeries à la mode. En réalité, la plupart du temps, il ne s’agit pas d’artistes, mais plutôt d’intellos bas de gamme. Toute leur habileté professionnelle consiste à faire des commentaires filandreux pour justifier leur « travail ». Non ! J’en reste à cette idée : on ne voit pas très bien en quoi ça consiste, un artiste. »

Sur la mort, ou le mort, enfin, après je vous laisse découvrir par vous-même le reste de cette somme : « Un vrai défunt se distingue d’un vivant par le fait qu’il incarne des valeurs. L’homme ordinaire est balloté dans la vie ordinaire, il doit faire ses courses, essuyer des scènes de ménage, payer des impôts, aller chez le dentiste, bosser, épargner. Le défunt, lui, s’est consacré uniquement à des valeurs, à énormément de valeurs. Parmi celles-ci, la plus large place doit revenir, bien évidemment, aux valeurs humaines. »

121 curriculum vitae pour un tombeau, Pierre Lamalattie. L’Editeur, 2011(vient de sortir), 448 pages.
Vous trouverez, à côté ou au rayon arts plastiques, le recueil des 121 portraits, dont le sien en couverture.

Texte © dominique cozette

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