Cher connard

J’aime bien ce titre, Cher connard, du dernier Virginie Despentes. Je pensais qu’il s’agissait d’une lettre ouverte à un quelconque président, omnipotent ou responsable de la déliquescence de notre vie via la dégradation des services  publics au profit des sévices publics. Non, en fait c’est un simple mec, écrivain en panne qui insulte une actrice hyper connue, une diva, sur les rézoziozio et qui reçoit en réponse une volée d’injures dans cette lettre commençant par cher connard. Il se trouve que ce mec est le petit frère (oublié) de la copine d’enfance de l’actrice, ce qui créé un lien. Il se trouve aussi que ledit mec est metooïsé par une nana qui a été son attachée de presse dix ans avant, une petite nana dont il est tombé follement amoureux et qu’il a (sans le savoir comme tous les connards) harcelée pour arriver à ses fins. Il n’y est pas arrivé et elle ne s’est pas remise de son trauma qui, aujourd’hui, fait la une des faits divers people. Là, il y a les soutiens (et non pas les souteneurs) de la nana, mais aussi les odieux/ses qui lui mènent la vie dure pour oser raconter ces bobards. Donc les soutiens du mec. La petite nana qui a ouvert un blog d’accusation et qui en chie des ronds de chapeau.
Donc trois personnages qui vont remuer la saleté qui court partout, notamment dur les rézoziozio, ceci ajouté au fait que l’actrice comme le romancier sont accros à diverses substances et essaient de s’en sortir. Très longs passages sur la guedro. Et puis aussi sur le confinement puisque l’action se passe en partie durant cette période qu’on aimerait oublier.
J’adore Virginie Despentes. Un vrai personnage de littérature, un personnalité mahousse, une écrivaine costaude, une meuf bien barrée. Et pourtant, bien que son livre est une source de réflexions multiples sur le patriarcat, le pouvoir, les addictions, la place des meufs, l’édition, les névroses, le féminisme, la mater/paternité, et j’en passe, je ne me suis pas attachée aux personnages. Pourquoi ? Je n’ai pas cru une seconde à la narratrice en diva (l’héroïne se décrit ainsi) et qui est sorte de portrait de l’autrice. Sa façon de vivre, son appartement, des tas de choses ne renvoient pas du tout à l’idée que l’on se fait d’une immense actrice. J’imaginais Deneuve (qui pourrait être sa mère, on est d’accord) ou plus proche, la Dalle, grande copine de VD, je ne réussissais pas à incarner cette personne. Sur l’écrivain, un peu pareil. Néanmoins, comme je l’ai dit, ce livre se lit avec plaisir… Et, cerise, il est livrée avec une palanquée de punchlines pas piquées des vers et de références nombreuses au rap pointu.
En bref, comme je suis une grosse cossarde, je vous renvoie à toutes les critiques qui sortent sur ce livre dont on dit qu’il est le phénomène de la rentrée. Il y a du pour, il y a du contre et du cour et du pontre. A vous de voir.

Cher connard de Virginie Despentes, 2022 aux Editions Grasset. 350 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

Relire la King Kong Despentes

J’avais lu King Kong Théorie de Virginie Despentes au moment de sa sortie, un coup de poing dans la tronche, un coup de pied dans la fourmilière. Un bouquin d’où fusaient toutes les questions, voire toutes les colères concernant la féminité et par là-même, la masculinité.
Relire aujourd’hui ce livre écrit bien avant l’affaire Weinstein, c’est s’apercevoir que Virginie Despentes avait compris ce que d’autres ne voulaient pas voir, à savoir : on ne naît pas fille, on se modèle. C’est pratique, une fille, pour les dominants (un garçon ne naît pas plus dominant), c’est joli, obéissant, aux ordres, bandant, s’intéressant aux autres, aux petits soins… Attention, Virginie Despentes dit aussi que c’est dur d’être un homme, on lui demande tellement de choses compliquées qu’il n’est pas formé à être ou à faire : dominer, être agressif, brutal, aimer la compétition, avoir la plus grosse, bander, faire jouir les filles, ne pas jouer à des jeux gentils, ne pas pleurer, taire sa sensibilité etc. Tout ça pour dire que Virginie Despentes n’est pas ce qu’on appelle une féministe castratrice. Elle veut juste qu’on arrête de faire chier avec ça : se faire belle, parler doucement, prendre l’habitude de se comporter en inférieure, « ne pas s’exprimer sur un ton catégorique, ne pas s’asseoir en écartant les jambes, pour être bien assise. Ne pas s’exprimer sur un ton autoritaire. Ne pas parler d’argent. Ne pas vouloir prendre le pouvoir. Ne pas vouloir occuper un poste d’autorité. Ne pas chercher le prestige. Ne pas rire trop fort. Ne pas être soi-même trop marrante. Plaire aux hommes est un art compliqué, qui demande qu’on gomme tout ce qui relève du domaine de la puissance ». Elle décortique les petites et grandes choses que nous n’avons pas toujours conscience d’exécuter pour être dans les normes, comme demandé par la société, alors qu’un homme, lui, peut être moche, gros, mal fringué etc… mais toujours légitime à critiquer une femme qui ne respecte pas les canons. Je schématise, forcément, comment faire autrement ? *
Virginie Despentes parle en termes crus, elle dit baiser, enculer, pute, tapin pour analyser ce qu’elle a vécu, un viol à 17 ans, se demander pourquoi on suspecte toujours une nana d’avoir été violée. Impressionnant. Ce qu’elle connaît oui, elle l’épluche formidablement : la prostitution, qu’elle a pratiquée, la précarité qu’elle vécue, puis la célébrité (parfois encombrante) après Baise-moi, elle parle aussi des relations hétéro et homo, elle connaît tout ça. Mais elle ne s’érige pas en moraliste, en théoricienne pure et dure, elle ajoute souvent « c’est ce que je pense » ou « selon moi ». En tout cas, on ressort de cette lecture un peu plus conscient.e de notre malléabilité, un peu plus confirmé.e par ce qu’il faut changer pour qu’on en finisse avec cette soumission qui touche aussi la condition masculine.

Je vous conseille fortement d’écouter les quatre entretiens réalisés récemment sur le podcast de Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, le lien ici.

King Kong Théorie de Virginie Despentes 2006. Aux éditions Grasset puis au Livre de Poche. 150 pages, 6,10 €

*Je suis consciente que parler de ce livre foisonnant, c’est caricaturer le texte qui, bien que brutal et bouillonnant, est d’une grande profondeur teintée de subtiles nuances…

Texte © dominique cozette

Goudoue tatouée toi-même, espèce de Chalumeau !

Je retrouve ce post du printemps non posté. Comme Despentes est toujours sur les étals des libraires, je vous en fais cadeau.
« Tout le monde veut rallier le cirque Pinder Despentes. Les douairières du Fig-Mag qui veut s’encanailler, ma belle-soeur, des vieilles dames indignes, des célibattantes… C’est devenu cool de faire un selfie avec la goudoue tatouée. »

Selon Laurent Chalumeau — contre qui je n’ai rien — nous, douairières (j’ai mal au douairière quand je lis ce vieux mot) du Figaro désireuse de s’encanailler (petit canaillou, lançait Darry Cowl dans les 50’s), belle-soeur (soit la femme du beauf), celibattante (terme à la mode en 80 tombé en désuétude), vieille dame indigne (c’est cela, oui) on trouverait cool de faire un selfie avec … « la goudoue tatouée ». A savoir, mesdames-messieurs… :  Virginie Despentes.
Bon. je me suis pris encore une baffe en constatant comment nous étions vues, nous les vieilles baby-boomeuses ex fan des sixties, par les djeunes de 58 ans (l’âge du chalumeur). Donc des archi-croûtons réacs, en quelque sorte, ayant à voir avec Bernie Chirac, ce genre, ou Boutin, pourquoi pas. Bref, des femmes qui trouveraient tellement choquant d’être lesbiche ET tatouée. Mais qui seraient prêtes à —  justement — ne plus trouver ça choquant pour être « dans le vent ».
Et pourquoi ? Parce qu’on aime Virginie Despentes. Selon Chalumette.
Rectifions.
Cher Laurent Chalumeau, c’est vrai, avez beaucoup chalumé. Mais vous avez sauté un épisode : les rombières ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles ont jeté leur culotte à trous-trous avec leur voilette par-dessus les Moulin Rouge, elles ont bradé leur membrane au petit mec joli pour ne plus avoir à la trimballer, elles ont dit « baise-moi » lorsque vous ne saviez pas encore pincer votre zigounette pour pisser plus loin que les autres. Elles en ont fait des choses, à deux, trois ou plus, ça dépendait des soirées ! Et même parfois avec des « garçonnes » pas forcément tatouées mais bien velues de l’aine. Elles en ont lu des choses shoking écrites par des écrivains vicieux, mon dieu ! Elles en sont encore toutes palpitante du piège à gars.
Alors croyez-le ou non, si elles aiment Virginie Despentes, c’est pas pour faire bien, elles s’en tapent, c’est parce que quelque part, cette nana ça leur rappelle quelqu’un, quelqu’un qui a pris des rides, des bajoues, des poils sur une verrue peut-être mais qui en ont encore sous le capot et surtout, cerise sur le gâteux, n’utilisent plus ce vocabulaire bien suranné que vous maniez avec brio. Mais jetez ces vieux mots, diantre !
Je ne vous en veux pas, vous n’avez que 58 ans, vous êtes trop jeune pour savoir avec qui vous aurez envie de selfier dans une petite quinzaine d’années.
Je me demande juste, dans mon cerveau par encore bouffé aux vieux mythes phallo, si vous ne seriez pas un peu jaloux de la goudoue tatouée qui, non contente de jouer dans la même cour mixte que vous, est devenue une star immense des lettres en pissant sur le territoire de votre génération. Non ?
Les hétéros variqueuses encore sous THS malgré leur âge avancé vous saluent bien.

Texte © dominique cozette

Vernon Subutex suite et fin.

Hélas, ça s’arrête. Faute de combattants. On y est. Les marginaux, les out of the blue, les cassos, les niqués de la vie, la communauté de Vernon, après avoir écumé leur vie comme on râcle une mousse de saleté sur un frichti mal rincé, envoient leur lettre de dèm à cette foutue vie de cette époque merdique. Mais avant ça, Virginie Despentes nous familiarise, je veux dire nous empathise avec des personnages comme on n’en voit peu à la télévision, des bancales, des trans, des bizarres ou des violents. On s’y attache même quand on les déteste. Vernon, lui, reste pur, pas très actif puisque tous le considèrent comme un gourou. Ils organisent ce qui devient leur rêve, ou « rave », appelés convergences, les nuits entières dans des lieux sauvages, coupés du monde, interdits de connections et de dope. Seulement l’immense et inexplicable communion de ces lourdés de la société emportés par les musiques ordonnancées par Vernon Subutex, les menant tous à un orgasme a-sexuel et pharamineux. Inoubliable. Raison de vivre. C’est bien joli tout ça, mais il y a des vengeances qui se préparent, des tatouages pour en brûler d’autres, des chasses aux femmes, des viols et des violences. Il y a aussi des nanas islamisées qui en reviennent, qui fuient, des trahisons filiales et tout ça. Ça fourmille comme toujours chez l’auteure.
Ça fourmille aussi sur notre société, l’actuelle, celle qui nous met à cran, qui nous érige les uns contre les autres, qui interdit de vivre à la marge — et puis quoi  encore ? —  qui s’étonne que les armes qu’elle fabrique recrachent leur haine sur sa petite gueule d’amour. Ça vibre, c’est chaud, c’est tumultueux. C’est sanglant. C’est parfois poésie et musique, désir d’amour. Tout ça, quoi.
C’est un fin décisive qu’elle nous livre, pas de tome 4, impossible. Je suis néanmoins réservée sur le tout dernier chapitre qui commence en 2077 et continue quelques décennies après. La SF m’intéresse moins même si VD  tient à ce que Vernon Subutex lui survive, d’une façon ou d’une autre, se recrée, ne meure pas. Grandeur d’âme de l’écrivaine. C’est chouette quand même voire touchant.

Vernon Subutex 3 de Virginie Despentes. 2017 aux éditions Grasset. 400 pages. 19,90 €
Les articles concernant les tomes 1 et 2 peuvent être lus ici.

Texte © dominique cozette

Vernon Subutex 2 : accro, oui.

Voici la suite attendue avec force trépignements comme un shoot bien chargé des (més)aventures du héros littéraire le plus en vogue : Vernon Subutex. Après le tome 1 dont je vous ai parlé (voir ici) avec un enthousiasme débordant, nous retrouvons Vernon se clodo-ifiant gaiment aux Buttes Chaumont. Son cerveau décolle parfois et même souvent, mais rien de grave, c’est ça le bonheur. On savait qu’il était recherché pour possession de documents explosifs, à savoir des confessions enregistrées que lui avait confiées son pote, l’icône du rock Alex Bleach juste avant de claquer d’OD. On ne sait toujours pas ce qu’elles révèlent au début du livre mais une journaliste, ou plutôt une pourrisseuse de réputation très active sur le Web, grassement payée pour ses talents et appelée la Hyène, a mis la main dessus, cachées sous le lit d’une copine de Vernon qui le recherche elle aussi pour trahison d’amitié.
Sans spoiler l’affaire, il se trouve que les enregistrements accusent un puissant d’avoir abusé puis achevé une femme. Une hardeuse junkie. Il se trouve aussi que la Hyène, au lieu de filer ces bandes à ce client, préfère réunir tous les intéressés par l’affaire. Dont Vernon. Il se trouve que la fille de la morte, élevée tendrement et librement par son père mais devenue pieuse sous foulard, poussée par d’autres vengeresses, décide de faire payer chèrement le bonhomme. Il se trouve tout un tas d’événements qui font qu’une bande improbable de personnages pas faits pour s’entendre a priori se regroupent autour de Vernon Subutex, au Rosa Bonheur où il se remet aux platines et réinvente des moments de grâce, planants, ensorcelants.
Il y aura la mort de l’un d’eux, facho sur les bords, assassiné par des brutes, pour redonner du lien et du sens à cette bande naissante, des buts de regroupement dans des endroits secrets, sans réseau et pleins d’empathie où chaque personnage trouve un rôle à sa mesure : trouver le lieu, organiser la fête, décorer l’endroit etc.
Le plaisir principal que je retire de ces livres réside dans la dissection de la vie des gens, ce qui s’est tramé dans leur tête, ce qui fait qu’ils s’acceptent ou se détruisent, ce qui les a modelés ou flingués. C’est l’immense talent de l’écrivaine qui sait créer des personnages sans une once de vide, des gens vrais, denses, dont les méandres psychologiques sont passés au crible de son humanisme et qui fourmillent page après page pour notre plus grande curiosité. Mais surtout qui reflètent l’instant T de notre société avec ses violences et ses frustrations. Cerise on the cake :  Virginie Despentes a pris soin d’inclure au tout début du livre un bref résumé des personnages pour éviter qu’on galère en se demandant mais qui c’est déjà celui-là. Grand merci Virginie.

Vernon Subutex 2 par Virginie Despentes, 2015 aux éditions Grasset. 384 pages, 19,90 €. Le mien est dédicacé pour le même prix !

Mon article sur Teen spirit
Texte © dominique cozette

Vernon Subutex, drogue dure !

Formidable, ce livre de la Despentes, un bijou. Qui coupe, qui brûle, qui gratte, qui dérange. Mais un bijou de littérature. Vernon Subutex est le nom du héros mais aussi du livre (éponyme dirait-on) dont c’est le premier tome. Chouette, il y en aura deux autres tout bientôt.
Ah que la vie était belle quand était jeune, beau, crétin et musicos dans les 80’s ! Ah que l’avenir nous faisait du gringue comme une sale pute à dentier et faux seins. Car une fois à poil, devant toi, 25 ans après, l’avenir est un  vrai cauchemar qu’il faut te farcir. Comment Vernon, le fana du musique que tout les frappadingues venaient visiter dans son magasin de disques, comment  aurait-il pu imaginer que le disque se dématérialiserait et qu’il n’aurait plus que du vent dans ses bacs ? Alors, il ferme, pas de chômage à la clé, il vend ses précieuses galettes sur ebay, ses rarissimes affiches et réussit à tenir quelques temps.
Ses anciens potes — il a énormément d’amis, de fans et de copines — lui prêtent volontiers de la thune mais un jour ça s’arrête. Le proprio le vire sur le champ, sans même lui laisser un peu de temps pour trier ses trésors. Le seul ami devenu une icône vient de claquer d’une OD en lui ayant confié juste avant des enregistrements qu’il avait faits, des trucs qu’il racontait, mais personne ne sait quoi, même Vernon qui ne les pas écoutés et les a lui-même confiés à une nana.
Cette histoire fait le buzz dans le monde de la musique et de l’édition car tout le monde veut cette précieuse manne pour écrire THE livre sur Alex Bleach. Commence une vaste chasse à l’homme dont Vernon ne sait rien puisqu’il n’a plus accès à Internet.
Il est seul avec sa valoche, son charme et ses beaux yeux bleus, et est obligé de ruser pour squatter. Il invente, ment et parfois vole ce qui est totalement contraire à son éthique. Le plus fort du livre, c’est le portrait quasi sociologique, au scalpel, de  tous ces gens qu’il voit ou revoit, croquis de vies passionnants, et c’est un plaisir intense que d’entrer en relation avec ces quadras et quinquagénaires, leur parcours, leurs amertumes souvent, leurs penchants politiques variés, leurs dadas. Même ceux qui ont réussi, les bourges, les cinéastes, d’autres, ne sont pas enviables. Soit ils sont pourris à cause de leur réussite, soit ils ont mal vieilli, soit ils mènent une vie tragiquement banale. Et certains ont changé de sexe.
On se régale à toutes les pages. Despentes est un dico ambulant des musiques hyper pointues de l’époque. A part Chico Buarque et Edith Nylon, les centaines de noms droppés ne m’ont rien évoqué, je n’y connais rien de ces années. Mais on s’en fiche.
Et puis Paris est exploré dans les grandes largeurs, les lieux, les bistrots, les quartiers, et puis vu du sol vers la fin, quand notre malheureux héros se retrouve à terre, mendiant pour acheter sa bière dans le quartier Répu/Belleville.
J’ai adoré ce premier tome ultra noir, crade, désabusé. Pas d’eau de rose chez la Despentes (pas douce) !

Vernon Subutex tome 1 de Virginie Despentes aux éditions Grasset, 2015. 396 pages. 19,90 €.

Texte © dominique cozette

Virginie Despentes, poil à la fente

Moi, j’ai toujours aimé cette nana sévèrement clitoridée. Grande gueule, provoc-actrice, loin de la mièvrerie et de la féminitude molle des auteures chichiteuses. Avec forcément du poil aux guibolles comme Patti Smith car elle en a rien à foutre. Mais je m’avance peut-être… j’aime bien son côté bûcheronne des vanités et enculeuse de fines mouches, à l’affût des tendances craspecs de la société.
Dans ce bouquin qui date de 2002, Teenspirit, je trouve des expressions qu’on nous sert en boucle, genre c’est « c’est un type qu’on adore détester », des analyses toujours d’actu de notre société du spectacle : « Jamais propagande n’avait été mieux dispensée, et jamais propagande n’avait connu pareil cynisme. Même les pires bourrages de crâne, staliniens, hitlériens, sionistes ou palestiniens, catholiques ou scientologues, les professeurs avaient eux-mêmes été formatés, et croyaient en ce qu’ils dispensaient. On n’en était plus là, les directeurs de chaînes, les réalisateurs de clips, les producteurs de groupes, les cadres marketing, tous savaient pertinemment qu’ils escroquaient des innocents. Ils se croyaient modernes et durs, se comparant volontiers à de grands animaux féroces. Alors que c’était qu’un tas de corniauds voulant tous faire plaisir au chef, recevoir la petite caresse d’approbation.[…]. Barbouzes crétins voulant séduire des gosses, et prêts à tout pour ça. »
Et sur le boulot : « Il était désolé de devoir m’expliquer qu’ils cherchaient bien des traducteurs mais que le marché était tel qu’ils ne pouvaient pas bien les payer, il était le premier à le regretter mais voilà, il n’y pouvait rien. Il y pouvait parfaitement quelque chose, comme la plupart de ses collègues, il était à ce point pressé d’obéir qu’il en oubliait de réfléchir. Encore un de prêt à tout pour que le patron le félicite… Ça marchait à la menace d’être viré, bon à rien, dégagé. Le filon de l’expulsion avait été bien exploité : expulsion des beaux quartiers, expulsion des centres-villes, expulsion économique, expulsion du territoire, expulsion du droit à la santé, expulsion de l’entreprise, expulsion des appartements, expulsion des banques, expulsion des bonnes écoles, expulsion de la citoyenneté, expulsion de la jeunesse. La maltraitance des expulsés n’avait rien à voir avec le hasard, elle était spontanément encouragée par le corps social, doté d’un inconscient puissant, afin d’assagir les inclus. Tous ces gens avaient tellement la trouille d’être dégagés qu’ils devançaient les désirs du maître avec un zèle désespéré<; il n’y avait plus besoin  de les surveiller, les encadrer, les motiver… »
Et le pitch alors ? On a affaire à un trentenaire paumé et claustro qui finit par se faire virer de chez sa copine le jour où il apprend — redoutable —  sa paternité. Une ado de 13 ans, difficile. Il ne va pas se présenter sous son meilleur jour, forcément, sans une thune, sans bagnole, sans appart puisque squattant une  autre copine, et sans boulot fixe…
Comment je me suis laissée attraper par les analyses du « narrateur »  ! Ses vue sur la société dans son ensemble, les femmes, les filles, me disant tiens, quel type formidable de voir ainsi les choses ! Et me souvenant brusquement que l’auteur était une femme. Même violemment féministe, même homo, une femme. D’où quelques petites séquences sentimentales. Bon.
Mais c’est très plaisant comme roman, c’est très parisien, très râleur, très énervé, et très dialogué. En vacances, c’est bon, les livres dialogués

Teen Spirit de Virginie Despentes. 2002. Grasset & Fasquelle et J’ai lu.

Texte et dessin © dominique cozette

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