Les couilles sur la table

C’est le nom d’un formidable podcast créé par Victoire Tuaillon qui développe, au fil de ses rencontres avec des chercheurs/euses, la formation de la masculinité. Car on ne naît pas homme, on le devient. Et c’est palpitant de voir comme toute notre culture est empreinte de petites choses qui semblent sans importance mais forment ensemble un système qui pèse sur tout le social, l’intime, le politique, l’humain. Si vous n’avez pas (eu) le temps d’en écouter les presque 50 épisodes, je vous conseille fortement le livre qui vient de sortir : il réunit, résume, synthétise ou reproduit les idées fortes des épisodes de son podcast.
Les Couilles sur la table est passionnant, ses sujets éclairants. On y apprend l’éducation virile pratiquée dans diverses cultures (et souvent il y a longtemps). Comment tout ce qui se fabrique ou se construit est calculé d’après l’homme qui est la mesure-étalon de tout : la main de l’homme pour les écrans des mobiles, l’usage de l’homme (les pipi-rooms où les femmes font toujours la queue), la conduite de l’homme : les accidents moins nombreux mais plus graves pour les femmes parce que les mannequins des crash-tests sont masculins, la santé de l’homme car les médicaments sont créés et testés en fonction du métabolismede  l’homme. Puis on comprend comment l’espace public est masculin, les noms des rues masculins, les coins mal éclairés, les endroits peu accessibles, pourquoi toujours les grands hommes statufiés sont en majesté, vêtus et que les femmes sont en général nues.
On y recense aussi, on connaît un tout petit peu, les privilèges de l’homme au travail, comment tout est fait pour que la femme s’occupe de l’intendance. On réfléchit sur le sujet du viol et des violences que beaucoup d’hommes dénient pour eux-mêmes. L’affaire Weinstein et la domination des puissants. Comment l’homme exploite la femme à la maison, la charge mentale portée par la femme. La culture du viol dont on commence vaguement à parler (le temps de « la soubrette qu’on trousse » lors de l’affaire DSK est passé) et les stéréotypes de la virilité dans la littérature, le cinéma, la poésie.
On y découvre la hiérarchie masculine et ses rivalités pour devenir le plus viril au détriment de la femme et de beaucoup d’hommes qui ne sont pas au sommet. On y donne aussi des idées de solutions pour que les inégalités entre hommes et femmes se réduisent, pour que l’homme considère enfin que la femme ne lui est pas inférieure….
Ce livre foisonne d’enseignements souvent étonnants, on peut même dire qu’il nous dessille tellement nous avons tendance à intérioriser la suprématie de l’homme blanc dominant. Comment résumer une telle somme ? Impossible.
A la fin, Victoire Tuaillon cite les ouvrages les plus importants, ceux qui ont servi pour les rencontres ou qui ont été cités, essais, thèses et fiction. Puis elle énumère, avec pitch, les épisodes du podcast jusqu’au 46ème. Il manque donc les quatre consacrés à une discussion avec Virginie Despentes dont je ne cesse de vous encourager à les écouter.
Je ne peux que vous conseiller ardemment la lecture de ce livre, que vous soyez fille ou gars. Il y a de très jolies illustrations, des couleurs de textes, c’est ludique et très agréable…(je ne répèterai pas que c’est passionnant. Ah si, je l’ai fait ! Au temps pour moi !)

Les Couilles sur la table de Victoire Tuaillon, 2019 chez Binge auto.éditions, dans toutes les librairies. 256 pages, 18 euros.
Pour écouter le podcast c’est ici

Texte © dominique cozette

Relire la King Kong Despentes

J’avais lu King Kong Théorie de Virginie Despentes au moment de sa sortie, un coup de poing dans la tronche, un coup de pied dans la fourmilière. Un bouquin d’où fusaient toutes les questions, voire toutes les colères concernant la féminité et par là-même, la masculinité.
Relire aujourd’hui ce livre écrit bien avant l’affaire Weinstein, c’est s’apercevoir que Virginie Despentes avait compris ce que d’autres ne voulaient pas voir, à savoir : on ne naît pas fille, on se modèle. C’est pratique, une fille, pour les dominants (un garçon ne naît pas plus dominant), c’est joli, obéissant, aux ordres, bandant, s’intéressant aux autres, aux petits soins… Attention, Virginie Despentes dit aussi que c’est dur d’être un homme, on lui demande tellement de choses compliquées qu’il n’est pas formé à être ou à faire : dominer, être agressif, brutal, aimer la compétition, avoir la plus grosse, bander, faire jouir les filles, ne pas jouer à des jeux gentils, ne pas pleurer, taire sa sensibilité etc. Tout ça pour dire que Virginie Despentes n’est pas ce qu’on appelle une féministe castratrice. Elle veut juste qu’on arrête de faire chier avec ça : se faire belle, parler doucement, prendre l’habitude de se comporter en inférieure, « ne pas s’exprimer sur un ton catégorique, ne pas s’asseoir en écartant les jambes, pour être bien assise. Ne pas s’exprimer sur un ton autoritaire. Ne pas parler d’argent. Ne pas vouloir prendre le pouvoir. Ne pas vouloir occuper un poste d’autorité. Ne pas chercher le prestige. Ne pas rire trop fort. Ne pas être soi-même trop marrante. Plaire aux hommes est un art compliqué, qui demande qu’on gomme tout ce qui relève du domaine de la puissance ». Elle décortique les petites et grandes choses que nous n’avons pas toujours conscience d’exécuter pour être dans les normes, comme demandé par la société, alors qu’un homme, lui, peut être moche, gros, mal fringué etc… mais toujours légitime à critiquer une femme qui ne respecte pas les canons. Je schématise, forcément, comment faire autrement ? *
Virginie Despentes parle en termes crus, elle dit baiser, enculer, pute, tapin pour analyser ce qu’elle a vécu, un viol à 17 ans, se demander pourquoi on suspecte toujours une nana d’avoir été violée. Impressionnant. Ce qu’elle connaît oui, elle l’épluche formidablement : la prostitution, qu’elle a pratiquée, la précarité qu’elle vécue, puis la célébrité (parfois encombrante) après Baise-moi, elle parle aussi des relations hétéro et homo, elle connaît tout ça. Mais elle ne s’érige pas en moraliste, en théoricienne pure et dure, elle ajoute souvent « c’est ce que je pense » ou « selon moi ». En tout cas, on ressort de cette lecture un peu plus conscient.e de notre malléabilité, un peu plus confirmé.e par ce qu’il faut changer pour qu’on en finisse avec cette soumission qui touche aussi la condition masculine.

Je vous conseille fortement d’écouter les quatre entretiens réalisés récemment sur le podcast de Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, le lien ici.

King Kong Théorie de Virginie Despentes 2006. Aux éditions Grasset puis au Livre de Poche. 150 pages, 6,10 €

*Je suis consciente que parler de ce livre foisonnant, c’est caricaturer le texte qui, bien que brutal et bouillonnant, est d’une grande profondeur teintée de subtiles nuances…

Texte © dominique cozette

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